Conférence de l'abbé Désiré Duretête de Montigny-en-Gohelle sur la Grande Guerre

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En décembre 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l'histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, l'abbé Désiré Duretête, vicaire de Montigny-en-Gohelle apporte son témoignage sur la vie religieuse dans son secteur pendant la Grande Guerre. Ce témoignage est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 105.</ref>.

Transcription

Ave maria !

Les Allemands sont arrivés à Montigny le 3 octobre 1914. Depuis quelques jours nous voyions passer le lamentable troupeau des populations qui fuyaient devant l'envahisseur. De nos régions, un grand nombre aussi partirent, et tout d'abord les hommes, soit parce qu'ils étaient mobilisables, soit parce qu'ils craignaient d'être fait prisonniers et maltraités par l'ennemi. Volontiers aussi je serais parti, mais j'avais charge d'âmes ; je restai donc pour assurer le service religieux auprès de nos paroissiens.

Les Allemands arrivèrent et leur premier soin fut de convoquer le curé, le maire, le directeur d'école et moi, vicaire. On nous apprit que la commune était frappée d'une contribution de guerre de 45.000 francs et que nous étions désignés pour les recueillir. Si la somme n'était pas trouvée dans le délai fixé, nous devions tous les quatre être déportés en Allemagne. Une partie de cet argent fut trouvé et, heureusement, les Allemands s'en contentèrent.

Ce fut ensuite le long séjour avec l'ennemi, avec toutes ces tracasseries, de toutes sortes, que les occupants excellaient à faire naître.

Monsieur le curé fut désigné par eux pour tenir lieu de maire ; cette charge si lourde absorba presque toute l'activité de monsieur le curé ; je dus donc assumer une grande partie du service religieux. Le dimanche, je célébrais la grand-messe vers 10 h quand les Allemands daignaient laisser la place libre. Puis je devais, toujours à jeun, aller prier la « Commandantur » de me permettre de me rendre à Billy-Montigny, distant de deux bons kilomètres. J'y allais, toujours à pied, et célébrais la messe vers midi ; souvent je devais encore faire un enterrement ou un baptême. Puis je retournai à Montigny pour les vêpres. Tous les deux jours, j'y allais faire le catéchisme, en plus de celui que j'assurai à Montigny. Je fis ce service de octobre 1915 à janvier 1916 ; on m'en refusa alors l'autorisation, sous prétexte que, la fièvre typhoïde étant à Montigny, je pouvais porter la contagion au village voisin. J'y prêchai le retraite de la 1ère communion de 1916, car en avril les Allemands me permirent de nouveau d'y aller ; je continuai donc ce service jusqu'à l’évacuation, mai 1917. De plus, chaque jour, je me rendais à l'école du Dahomey, près d'Hénin-Liétard, pour faire une heure de catéchisme. J'y fis également les premières communions de 1915 et 1916 et tout cela indépendamment du service paroissial de Montigny même. Bref, c'était suffisant, et amplius.

Il serait trop long d'énumérer tous les ennuis que j'eus à endurer, pour mon compte personnel, de la part des Boches, la mémoire d'ailleurs ferait défaut. J'eus une fois l'honneur d'être condamné à 10 francs d'amende pour n'avoir pas salué un « Herr Leutnant » quelconque.

Une autre chose plus triste, ce fut les quatre ou cinq perquisitions qui furent faites chez moi en même temps que chez monsieur le curé, sur dénonciation de nos propres paroissiens. Rentrant à la maison, je trouvais MM. Les Allemands fouillant consciencieusement tous les coins et recoins de ma pauvre demeure.

Après les perquisitions, c'étaient les convocations, auxquelles il fallait se rendre, sur avis de la « Commandatur », ce qui arrivait à peu près tous les huit ou quinze jours, histoire de s'assurer charitablement si nous étions encore de ce monde. Mais la chose la plus ennuyeuse peut-être, ce fut le logement d'officiers et de soldats qui venaient s'installer chez moi en maîtres, se distinguant généralement par une morgue hautaine et insolente. Messieurs les officiers, les plus beaux fruits de la « Kultur » germanique, aimaient le confort et entendaient ne pas se gêner le moins du monde. Ils prenaient les place qui leur convenaient et allèrent même jusqu'à enlever mon lit, me laissant le soin d'en trouver un autre. C'était vraiment agir avec beaucoup de simplicité.

Le 11 mai 1917, nous dîmes quitter Montigny et aller… vers l'inconnu. Cet inconnu fut pour nous la région de Nivelles en Belgique, province du Brabant, et pour moi en particulier le charmant village de Rixensart, où je remplis les fonctions d'aumôniers à l'hospice d'Hénin-Liétard qui s'y trouvait réfugié. J'y restai dix-huit mois jusqu'au 20 septembre 1918, date à laquelle je réussis à me faire rapatrier par la Suisse. C'est bien allègrement, certes, que je quittai ces malheureux pays souillés par le Germain et gémissant sous la lourde botte, pour revoir enfin la France libre et me mettre à la disposition de Monseigneur.

Abbé Duretête, ancien vicaire de Montigny


Source

  • Archives diocésaines du Pas-de-Calais, 6 V.

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