Conférence du curé de Boisdinghem sur sa paroisse durant la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, l'abbé Delmotte, curé de Boisdinghem, établit sa conférence sur la vie de ses paroissiens pendant la guerre et leur ferveur religieuse.


Ce témoignage, rédigé en 1919 sur trente pages manuscrites, est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 107. Nous vous en proposons ici la transcription[1] ainsi que la possibilité de lire l'original. Nous avons volontairement rectifié la ponctuation et l'orthographe parfois, afin d'en faciliter la lecture.

Le texte de la conférence

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Paroisse de Boisdinghem
La Grande Guerre
1914-1915-1916-1917-1918

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La Grande Guerre

Août 1914

Comme pour toutes les paroisses de France ce fut un jour bien triste que la mobilisation générale où l'on vit partir tous les hommes en état de porter les armes. L'on était si uni, si tranquille chez nous. La paix, la vie de famille, les travaux champêtres l'observation des préceptes religieux formaient tout le bonheur des habitants de Boisdinghem.

L'isolement avait préservé le pays des plaisirs malsains et la foi peut-être un peu endormie n'en était pas moins réelle et se manifestait en maintes circonstances solennelles. Cependant tous fils de noble France, l'ordre de mobilisation les atteignait, et nul ne songea à se soustraire à cette obligation sacrée. Ils savaient tous que c'était là un devoir auquel ne peut se soustraire aucun Français et un bon chrétien. Mais avant de partir, de quitter leurs affections et leurs travaux, tous voulurent encore une fois venir à la Table Sainte, puiser la force, la résignation, et l'espérance du retour, et ce fut un jour de prières d'ardentes supplications que ce 3 août 1914 qui vit partir tous les mobilisables accompagnés de la bénédiction de Dieu, des vieux et de leurs parents. La foi ne dormait pas chez eux, mais ces ...

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...circonstances tragiques l'exaltaient, réunissaient tout le monde aux pieds des autels pour demander la protection de Dieu sur les combattants. Et chaque jour durant de longs mois, les mères, les filles, les épouses, les sœurs venaient assister pieusement à la messe, s'approchèrent souvent de la Sainte Table.

Chacun sentait que c'était dans l'hostier qu'on trouve la force, que c'était la meilleure façon d'obtenir les grâces de Dieu et chacun avait à cœur d'avoir la conscience pure pour goûter souvent ce bonheur. En 1913, il y avait eu dans le village 550 communions ce qui indiquait que chacun des paroissiens s'était plus d'une fois approché des Sacrements. (note marginale : Boisdinghem 170 habitants). En 1914 celles-ci sont doublées. Notre Seigneur eut la joie de descendre 1000 fois dans le cœur des paroissiens de Boisdinghem. Et cette abondance de communion ne s'est pas ralentie. Tel fut l'état des esprits dans les premiers mois de la guerre, union de prières, confiance inaltérable en Dieu.

La mobilisation avait fait partir le chantre et l'organiste. Allait-il falloir se contenter d'une messe basse ; est-ce que l'église de Boisdinghem n'allait plus entendre les chants pendant ces affreux jours ! Non il n'en pouvait être ainsi. Les jeunes filles, Marie Leullieux, Germaine Dubois, spontanément s'offrirent à remplacer les chantres et chaque dimanche leur voix claires et justes où l'on ...

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...sent prier leur foi, invitent au recueillement et les moments sont plus émus encore en priant pour leurs fils. Une fillette de 11 ans, Marie Rose Dubois, consciente de l'importance de sa tache guide sur l'harmonium la voix de ses compagnes. À plusieurs reprises nos évêques, Notre Saint Père le Pape, réclament des prières. Avec quelle ardeur les paroissiens y répondent. Les offices sont suivis avec une régularité admirable, les communions deviennent de plus en plus nombreuses, et la fraternité des coeurs qu'engendre toujours la religion devient plus étroite. Oui, l'on sait prier chez nous, l'on sait prier chez tous les Français et la foi se réveille plus vive que jamais. Ceux qui restent sont désolés. Ceux qui sont partis sont braves, héroïques même devant la mort : c'est qu'eux aussi savent prier. C'est qu'avant de prendre le sac et le fusil, ils se sont munis du scapulaire et du chapelet, et qu'avec ces deux armes inoffensives, ils ne craignent pas la mort, ils ont au coeur l'invincible espérance des croyants, cette force que n'ont pas les Athés et les incrédules. Et les preuves abondent de cette foi de nos soldats de Boisdinghem. Ils écrivent à leurs parents et ils réclament des prières, ils écrivent à leur pasteur et ils ...

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...disent qu'ils sont heureux d'avoir pour consolation la prière, qu'ils ont confiance en leur mère du Ciel, ils lui demandent le secours de ses prières et si parfois ils songent au retour, si dans leur rêverie ils se plaisent à se voir rentrer au pays, savez-vous ce qui les charme ? Savez-vous ce qui retient le plus leur attention ? Savez-vous quelles sont les dispositions de leurs coeurs.

Ce qui les charme, c'est la vision de la messe dans la chère église de Boisdinghem, la messe solennelle dans l'église toute ornée, les chants, la voix des chantres revenus se mêleraient à celle des jeunes filles. C'est un hymne d'actions de grâce qui monterait de leurs coeurs vers Dieu.

Oh ! Monsieur le Curé, écrivait l'un d'eux, quelle belle messe chantée au retour ! Que ceux qui disent que la foi n'est plus qu'un vain mot viennent et constatent la force de celle-ci dans le coeur de nos paroissiens.

Ceux qui bravement sont morts pour la patrie ont droit qu'à leur tombeau la foule vienne et prie a dit le poète. Et nous disons : ceux qui bravement et chrétiennement luttent et meurent pour la patrie ont droit que dans cet historique de la guerre leurs noms figurent glorieux. Ce sont d'abord les soldats de l'action : Jules Fayolle, Gustave Duvinier, Arthur Gressier, Alexandre Léger, Émile Benelaert ; puis la longue liste des hommes de 18 ans à 48 ans, qui partent tous pour défendre...

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...leur pays et en Belgique, sur la Meuse dans les Vosges, à la Marne, sur l'Yser, en Champagne, à Verdun, aux Dardanelles, en Serbie, partout notre petite paroisse voit ses enfants courir les plus grands dangers, mourrir sur les champs de bataille. Hélas, la souffrance est le lot de ce monde. Dieu éprouve ceux qu'il aime et les purifie dans le creuset de la souffrance. Notre village que Dieu aime a été aussi bien éprouvé, et plus d'une mère, plus d'une épouse, plus d'un enfant pleurent un fils, un mari, un père tombé glorieusement au champ d'honneur. Morts glorieux, morts fauchés en pleine jeunesse qui de bon coeur ont donné leur sang en mourant chrétiennement. Dieu éprouve ceux su'il aime mais il nous ménage les grâces qui nous permettent de supporter vaillemment la terrible épreuve.

Aussi a-t-il donné aux épouses et aux mères éplorées mais pieuses la force et la résignation.

Nobles enfants de Boisdinghem chrétiens à la foi profonde, français au coeur généreux, votre dévouement doit être connu de tous et votre nom écrit dans ces quelques pages rappellera aux générations futures avec quel entrain vous avez couru à la mort.

Gustave Duvivier était soldat à Longuy. La guerre éclate et les hordes teutonnes envahissent la Belgique et le Luxembourg, foulent aux pieds le sol de France...

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...et accablent de leurs obus la forteresse de Longuy ! Que sont devenus les glorieux combattants ? Gustave Duvivier depuis ce temps n'a plus donné de ses nouvelles. Est-il un des premiers dont le sang généreux ait coulé pour la patrie ? Ce long silence le laisse trop supposer.

Henri Gressier était père de famille il avait gros coeur de quitter sa famille, mais était parti résigné quand même, et son épouse et ses enfants chaque jour demandaient à Dieu son retour. Dieu ne l'a pas permis. Henri dans les derniers jours d'octobre 1914 quitte le dépôt et arrive à Ypres, à peine sur le champ de bataille une balle le frappe en pleine tête. C'était la deuxième victime de Boisdinghem.

Bientôt après l'on apprend la mort de son frère Casimir Gressier. Il laisse une veuve et deux enfants.

En mars 1915, nouvelle victime, la 4e. Jules Fayolle, 24 ans, est blessé grièvement, transporté dans une ambulance, il meurt des suites de ses blessures. Jeune homme d'un excellent caractère, bon chrétien, toujours assidu aux offices, fils soumis et travailleur, il avait l'estime et l'affection de tous. Il est mort comme il avait vécu, en chrétien. Boisdinghem perd en lui un de ses meilleurs enfants.

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Avec les terribles assauts de Verdun, notre petite paroisse éprouve de nouveaux deuils, elle est cruellement frappée dans la perte d'un père de famille et d'un jeune homme de 19 ans. Dans le fort de Douaumont bouleversé par les obus énormes des canons allemands. Joseph Dubois se trouvait avec ses camarades comme eux assourdi, étourdi, par cette avalanche d'obus, il résistait quand même d'après l'ordre donné. Soudain une explosion plus violente plus terrible que toutes les autres tue ses camarades et l'engloutit lui- même sous les décombes, peut-être que sans l'arrivée des Allemands on aurait pu le sauver ; mais devant le nombre, nos troupes devaient reculer et notre pauvre paroissien resta enseveli dans la tranchée. Quelle foi vive que la sienne, comme il recommandait de bien prier pour lui, comme il savait bien prier lui-même aussi ne laisse-t-il que des regrets ?

Dans le même temps dans la même bataille un autre enfant de Boisdinghem tombait frappé d'une balle au front. Edmond Mesmaque avait 20 ans, doux et timide il avait la candeur d'une jeune fille ; fils soumis et affectueux, il était le soutien et l'espoir de ses vieux parents. Hélas, appelé avec sa classe, son sort fut vite réglé le 28 janvier 1916 à Verdun. Je le vois encore lors de sa...

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...permission. Il ne pouvait se séparer de son pasteur et le priait de se souvenir de lui dans ses prières. Ses lettres étaient empreintes du même esprit de foi. Dieu le trouva digne de son paradis et l'envoya au ciel en lui épargnant trop de souffrance.

D'autres enfants dont Boisdinghem fut le berceau et que dispersèrent les évènements de la vie ont aussi payé de leur sang la dette à la patrie en montrant partout les mêmes principes de foi. Voici les noms. L'Abbé Louis Obaton. Gustave Martel.

Voilà donc quel était l'état des esprits de ceux qui restaient au village, foi revivifiée. Voilà aussi quel était l'état d'esprit des combattants : courage héroïque soutenu par un courage à toute épreuve.

Les habitants de Boisdinghem surent aussi se montrer courageux, actifs, et suppléer par le travail à la pénurie de main d'oeuvre. Chacun chez nous se sentit solidaire des autres ; on comprit mieux que jamais que le village était une seule famille, et chacun eut à cœur d'aider son voisin dans ses récoltes, si bien que le travail, grâce à la bonne volonté de tous, ne souffrit presque pas du départ des mobilisés. Le riche prêta sa moisonneuse et ses chevaux, le pauvre y alla de ses bras, et Dieu leur donna le beau temps qui hâta la rentrée des grains.

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La vie du pays n'eut pas trop à souffrir de la sorte et chacun sut encore distraire une part de ses revenus pour différentes oeuvres. Les paroissiens qui goûtaient le bonheur de conserver leur pasteur alors que tant d'autres communes souffraient, se montrèrent aussi généreux pour le denier du culte, la somme recueillie s'élève à 300.

D'autres œuvres encore sollicitèrent leur générosité et des sommes relativement importantes pour notre petite paroisse furent envoyées à Monseigneur et de la sorte Boisdinghem a contribué dans une certaine mesure à la défense nationale et à améliorer un état de chose déplorable au début de la guerre.

Boisdinghem remplit son devoir en toutes circonstances, quand pour assurer au pays une réserve de fonds assez grande on invite chaque Français à verser son or au trésor public. Chacun souscrit son devoir, les bas de laine se délièrent et l'or péniblement amassé passa dans les caisses du trésor, leur pasteur leur avait conseillé et tous en avait reconnu la nécessité.

Si donc les cœurs saignent de l'absence des êtres chers, si l'annonce de nouveaux deuils met une ombre partout, le village tout entier n'en reste pas moins vaillant, il sait comprendre ses devoirs dans cette longue et pénible guerre, et il a à coeur de les remplir tous sans défaillance.

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Cependant la petite paroisse de Boisdinghem eut plus d'une alerte et connu de terribles angoisses. Les cloches annoncèrent en pleine nuit la 2e mobilisation générale et jetèrent l'émoi et la consternation.

Boisdinghem vécut aussi des jours d'anxiété et de crainte bien justifiées. Sur la Lys, sur la Scarpe, l'ennemi cherchait à enfoncer notre front et le canon grondait avec fracas. Durant quelques semaines la vie y fut une alerte continuelle, les mauvaises nouvelles circulaient nombreuses dans le pays, on parlait d'évacuation et les coeurs se serraient à la pensée de devoir fuir loin de l'église paroissiale où chacun aime tant à venir confier à Dieu ses craintes et ses espérances.

Le passage de quelques Taubes augmentèrent ses craintes. Mais non, nos soldats veillaient et leurs poitrines s'opposaient indomptables au passage des Boches.

Mais non, nos chrétiennes veillaient et leurs prières et leurs chants trouvaient grâce devant Dieu et les Allemands n'ont pas passé, et depuis lors la voix furieuse de leurs canons retentit toujours douleureusement dans nos vallons, mais la voix des nôtres plus terribles encore, sait les maltraiter (?) les faire taire même. Toujours au milieu de ces alertes, la confiance de nos paroissiens ne s'est pas ralentie, toujours leurs prières se sont élevées suppliantes et leur résignation était digne du courage de ceux qui combattaient pour eux.

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Isolé de tout centre de communications important, îlot de maisons haut perché sur les collines d'Artois dans un bosquet d'arbres, il semblait que Boisdinghem ne dut jamais se ressentir de la guerre ; goûter un peu de cette fièvre que suscite le passage des troupes, le galop des cavaliers, la course précipitée des lourds camions, le bruit infernal des canons. Il n'en fut cependant pas ainsi ; chaque village de notre pays a dû avoir sa part de contributions à la guerre. Chaque famille dût se gêner et voir s'installer des étrangers chez elle dans sa maison, devant l'âtre jusque là inviolé, dans les chambres coquettes où se faisait le dîner de la 1ère communion ; d'autres soldats que les nôtres, des alliés il est vrai, des Anglais ont reçu l'hospitalité chez nous.

Depuis que les armées anglaises arrivent nombreuses, notre paroisse en a presque toujours à herbéger et s'acquitte consciencieusement de ce nouveau devoir. L'Anglais allié trouve chez nous un chaleureux acceuil. Cependant chacun a à coeur aussi de lui prouver que la vertu fleurit toujours à Boisdinghem. Dans la pratique de la religion catholique et personne jusqu'ici ne s'est fait remarquer par une complaisance coupable envers nos alliés, il est certain que l'assiduité de tous nos offices contribue dans...

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...une large mesure à éloigner de chez nous ce fléau qui cause tant de victimes en d'autes endroits ; on sait allier la sévérité dont se pare la vertu à l'amabilité que l'on doit à des hôtes venus en frère d'armes de nos défenseurs.

Boisdinghem avons-nous dit plus haut est un point culminant, 292 mètres au-dessus de la mer. Au sud vers Acquin, presque à la sortie du village, le terrain devient en pente rapide et abrupte vers le trou qui est la vallée où est blotti Acquin. Mais à la sortie nord-est du village, entre la route de Moringhem et de Zudausques, s'étend une bande de terrain plat, c'est un véritable petit plateau qui domine tous les environs, les pentes même de ce plateau sont légères, si bien que ce terrain se prête bien aux évolutions des avions. Les Anglais songèrent donc à y installer un champ d'aviation destiné au service des renseignements et surtout à la protection de l'État-Major britannique installé à Saint-Omer. Durant bien des mois, Boisdinghem connu une animation inaccoutumée. Les chemins qui jusque là ne connaissaient que le poids des chariots chargés de recueillir les récoltes de nos champs, furent affreusement défoncés par les lourds camions qui apportaient des scories de charbons, des planches, des toitures etc.

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Les ouvriers anglais arrivèrent nombreux pour l'exécution des travaux. Des baraquements furent installés à la sortie nord-est du village, dans les pâtures de M. Duhamel. Les scories furent éparpillées sur les champs de Monsieur De Mindenville et Monsieur Decroix, pour faciliter le roulement des avions.

Des hangars furent bâtis pour abriter les oiseaux de guerre puis ceux-ci s'amenèrent par la voie des airs avec leur pilote et leur observateur.

Boisdinghem avait un champ d'aviation et pouvait être fier de rendre service à son pays par sa seule position et pouvait en être fier : car n'était-ce pas un danger permanent que cette installation ? N'allait-elle pas attirer sur leur tête la colère des Taubes, et sur leurs maisons le triste ravage des bombes ?

Pendant quelque temps les avions évoluèrent à tout instant au-dessus du pays, suscitant la curiosité de tous les habitants. Mais pour des raisons de nous inconnues, peut-être par suite du départ de l'état-major anglais, le champ d'aviation fut reconnu comme de peu d'utilité. Aussi en quelques semaines, les aréoplanes prirent leur vol pour un champ d'aviation plus favorable et Boisdinghem retrouva pour un moment son ancienne monotonie que seuls troublent le passage des troupes qui prennent chez nous un repos bien mérité.

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Années 1916-1917-1918

Les jours les mois les années s'écoulent, sans qu'une solution intervienne : les armées restent en présence, les combats continuent acharnés et violents : au loin le canon grande toujours et vient réveiller les échos de Boisdinghem. La lenteur des évènements force chacun à organiser une nouvelle vie dans la guerre, l'angoisse et l'inquiétude des premiers jours l'amollisent, on s'habitue à cette absence des êtres chers. On redoute moins les dangers pour eux, on pense moins à leur souffrance. La nature humaine est ainsi faite, tout effort prolongé lui pèse et lui coûte ; elle est incapable d'une longue persévérance, d'un trop long effort, l'inconstance est dans le fond de son caractère.

Aussi on s'habitue à l'absence des êtres chers, on trouve dans ses occupations une distraction aux sombres pensées qui accablaient les âmes aux premiers mois de la guerre. Il semble que la providence qui a protégé les absents depuis si longtemps doive les protéger jusqu'au bout. Ce n'est pas de l'indifférence, encore moins de l'oubli. Oh ! non, car chacun appelle toujours ardemment le retour des soldats, mais c'est une lassitude dans la pensée, dans l'inquiétude, dans le cœur même. Cela ne prouve- t-il pas la faiblesse de notre pauvre nature et le besoin que nous avons de la grâce de Dieu pour persévérer dans le bien ?

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De plus les besoins matériels se font sentir chaque jour, accaparent les esprits. C'est la ferme qui réclame le travail de chacun, pour remplacer les absents, pour vaquer aux travaux des champs et de la ferme, il faut travailler, point de loisirs, point de repos. L'appât du gain facilement réalisé excite le paysan à se consacrer tout entier à son dur labeur : tout est cher, tout se vend à des prix exorbitants, l'amour de l'argent est souvent incompatible avec l'amour de Dieu. La vie matérielle reprend donc le dessus avec tous ses besoins, demande tous les efforts, captive les coeurs par l'appât du gain.

Conséquence fatale : l'ardeur religieuse, le redoublement de foi des premiers jours, cette assiduité aux offices, à la messe quotidienne, cette piété édifiante qui avait tant de charme, tout cela est tombé. Aller à la messe tous les jours ! Mais les champs, et la ferme ! Qui s'en occupera ? De plus les Anglais nos alliés sont chez nous et on ne peut quitter sa maison ! On se contente de la messe du dimanche, l'église est de nouveau déserte la semaine. Quelques âmes pieuses privilégiées de la grâce continuèrent cependant à rester fidèle à leurs pratiques de dévotion. C'est le bon noyau que la grâce a touché et qui profitant de la grande leçon de la guerre persévère dans la voie de la piété qui doit les conduire au ciel. Une autre raison hélas vient parfois éloigner de l'église...

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...une âme peu éclairée et aveuglée par la douleur. Malgré la vive piété qu'elle montre depuis le début de la guerre, voilà que la mort lui ravit son fils ou son mari ! Elle priait bien pourtant et chaque jour et fidèlement, pieusement elle faisait des neuvaines et faisait dire des messes. Pourquoi alors le bon Dieu le lui a-t-il enlevé ? Pourquoi n'a-t-elle pas été exaucée ? Pauvre âme qu'aveugle la douleur, tu oublies que c'est ici bas la vie militante, que c'est un combat dont la palme est au ciel. Que Dieu nous éprouve pour nous recompenser dans l'éternité ! Qu'il frappe ceux qu'il aime ! Que la mort importe peu pourvu qu'elle soit pieuse, bonne, glorieuse.

Que tu dois bénir la main qui s'appesantit sur toi, car attentive à ta prière elle te donne ce qui t'est le plus utile pour l'éternité ! Hélas la douleur aveugle les âmes peu éclairées et les éloigne de Dieu. Cependant pour combattre cette indifférence rien n'a été négligé, on a donné plus de solennité aux offices, on les a rendu plus touchants par des prières pour les soldats, par le chant des jeunes filles. On a multiplié les prières pour les glorieux morts. Ne semblait-il pas que prier pour nos héros devait réveiller les coeurs ? Souvent les vêpres des dimanches étaient chantées pour eux afin d'inviter les paroissiens à venir nombreux. Le 2 novembre chaque année un service solennel était chanté pour le repos des âmes...

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...de nos soldats tombés glorieusement. Dans quelques mois, après la signature de la paix, on célèbrera encore un service solennel.

Dans les troupes de passage, les paroissiens trouvaient parfois aussi des exemples de vive piété : ces catholiques anglais assistaient à la messe dans une attitude respectueuse recueillie, s'approchant de la Sainte Table avec une piété édifiante. Parfois les aumôniers venaient dire leurs messes en notre petit église, réussissaient autour d'eux leurs fidèles, leur faisaient une allocution bien écoutée, donnaient la Sainte Communion. Mais si l'aumônier ne pouvait venir, les soldats assistaient à la messe paroissiale et leur piété était remarquée de tous.

Une cérémonie touchante eut lieu dans notre église. Ce fut le baptème d'un protestant converti à notre religion, j'ai beaucoup regretté que l'aumônier ne parlât pas français, je lui aurais demandé qu'elles étaient les raisons qui avaient amené la conversion de ce soldat et j'aurais été heureux de les relater ici.

Pour répondre au désir exprimé par Monseigneur[2] nous donnons ci-dessus la statistique des mobilisés, des blessés, des morts et des décorés de notre paroisse de Boisdinghem.

Mobilisés -

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35 hommes de Boisdinghem ont été appelés à défendre notre Patrie.

Jules Decroix maire de Boisdinghem, Gaston Tropot, Edmond Dubois, Charles Dervilde, Aimable Vieillard, Alfred Gressier, Henri Héduy, Louis Cétart, Henri Gressier, Casimir Gressier, Aristide Leullieux, Arthur Gressier, Jules Fayolle, Henri Vénacq, Léon Dubois Baude, Léon Dubois, Auguste Dubois, Louis Héduy, Alexandre Léger, Achille Dubois, Gaston Verrardt, Louis Breton, Joseph Dubois, Gaston Bodart, Victor Mahieu, Marcelin Taverne, Ovide Delobelle, Ovide Mesmaque, Edmond Mesmaque, Émile Bavelaer, H. Sohiliaque, Joseph Laliane, Gustave Duvivier, Marcel Duvivier, Joseph Fayolle.

Morts au Champ d'Honneur

Jules Fayolle. Après avoir été blessé deux fois est mort à l'hôpital Ste Menehoulde le 5 mars 1915.

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Henri Gressier. Henri Gressier tué le 30 octobre 1914 à Rianscapelle.

Casimir Gressier. Casimir Gressier tué face à l'ennemi à la ferme du Beauséjour le 9 Janvier 1915.

Joseph Dubois. Joseph Dubois tué le 28 février 1916 au fort Douaumont.

Edmond Mesmaque. Edmond Mesmaque, 110e d'infanterie, a été frappé d'une balle au front près de Verdun vers la fin de février 1916.

Louis Tétart. Louis Tétart soldat au 43e d'infanterie tué le 18 avril 1917.

Gustave Duvivier. Gustave Duvivier disparu en 1914 à Longuy.

Leopold Venacq. Léopold Venacq disparu en Belgique en 1915.

Les Décorés

Dubois Baude

Maréchal de Logis Dubois Baude. Le Général Pegregne commandant d'artillerie à l'ordre de l'artillerie de la 4e armée. Ordre de la division : Maréchal de logis. Dubois Baude n° matricule 3157 (motif de la citation) : « Chef de prière ayant toujours fait preuve à tout moment du plus grand sang froid. S'est distingué particulièrement les 23 et 29 juillet 1917 lors d'un bombardement violent de la batterie. S'est acquis de nouveaux titres le 3 octobre 1918. Croix de Guerre. Aux armées le 20 octobre 1918 ».

Dubois Léon

Le Lieutenant Colonel Jacquemin commandant le 15e régiment d'artillerie. Cite à l'ordre du Régiment le militaire dont le nom suit. Léon Dubois 2e canonnier conducteur n° 15217 2e groupe 6e batterie (motif de la citation) : « Au cours de la bataille du 2 mars 1916 s'est fait remarquer par son sang froid au cours d'un ravitaillement en munitions qu'il a dû effectuer d'urgence sous de très violentes rafales d'obus de gros calibres. Croix de Guerre. Le Colonel Jacquemin »

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Joseph Fayolle

Le colonel commandant le 11e régiment de cuirassiers à pied cite à l'ordre du jour du régiment Joseph Fayolle. Grade Cavalier (motif de la citation) : « Grenadier calme et brave a le 9 juin 1918, ayant échappé à l'ennemi qui l'entourait, a repris position aussitôt dégagé, protégeant une équipe de J.M. A contribué beaucoup à arrêter la progression Allemande permettant aux unités libres à côté de lui de se reformer pour reprendre le combat au loin. Ordre n° 55 du 20 Juillet 1918. Croix de Guerre ».

Joseph Laliaux

Le chef de Bataillon Cormier commandant le 13e bataillon de chasseurs alpins cite à l'ordre du 13e bataillon de chasseurs alpins : « Laliaux Joseph 8519 très bon et très brave chasseur 2 fois blessé. Croix de Guerre. ».

2e citation : « Joseph Laliaux d'une audace et d'un entrain remarquable. Le 20 mai a protégé le repli de ses camarades et ne s'est replié lui-même que pas à pas sur la nouvelle position finie. Aux armées 3 septembre 1918. Croix de Guerre. Cormier ».

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Louis Breton

Extrait de l'ordre n° 106 du 233e régiment d'infanterie. « Breton Louis soldat de 2e classe à la 19e compagnie. Soldat énergique et dévoué s'est courageusement conduit à l'attaque du 4 septembre 1916 et a contribué à la prise de plusieurs mitrailleuses. Aux armées le 18 septembre 1916.

Le lieutenant colonel Lequierre.

Croix de Guerre. A été nommé caporal en 1917. Fait prisonnier le 28 mai 1918 ».


Deux soldats de Boisdinghem sont allés en Serbie au secours de ce petit pays. Ce sont Henri Soniliacque et Alexandre Léger, ce dernier revenait du Maroc et connut la terrible retraite de Serbie et dû traverser le Vardor à la nage pour se sauver et y attrapa les fièvres.

Avant de clore cette histoire de la Guerre nous allons raconter brièvement les évènements qui ont marqué les dernières années. Et d'abord le champ d'aviation abandonné un moment redevient bientôt très important, il fut même considérablement agrandi...

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...De nouveaux hangards furent construits et de nombreux avions y furent amenés ! Chaque jour ces avions partaient pour le front faire des reconnaissances nombreuses. Souvent, hélas, des aviateurs partaient qui ne revenaient plus, abattus par les obus ennemis ou victimes d'un accident !

Les avions étaient aussi chargés de la défense de Saint-Omer contre les oiseaux Boches très actifs aussi, et qui chaque nuit venaient laisser tomber leurs bombes sur Saint-Omer et la région voisine. Tout ceci n'était pas sans danger pour notre petit pays et ses habitants.

Le champ d'aviation ne devait-il pas attirer la colère des Boches ! N'était-il pas exposé aux bombes ? Bien des fois les avions de nuit passèrent au-dessus de notre petit village. Les moteurs ronflaient, sinistres et lugubres dans la nuit, jetant partout la terreur, des bombes tombaient dans les villages voisins.

Boisdinghem fut toujours épargné. A quoi attribuer cette protection, sans doute à la piété des habitants. Des troupes de passages vinrent continuellement cantonner dans notre village, régiments reformés par des renforts et qui faisaient une petite escale avant de repartir dans la fournaise, graves et recueillis. On lisait dans leurs yeux cette appréhension du départ, ce cauchemar des tranchées. Parfois aussi c'étaient des troupes qui revenaient...

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...de la bataille, troupes décimées épuisées, soldats heureux d'en revenir, mais conservant encore dans les yeux l'effroi des jours terribles passés dans les tranchées. Ils se reposaient des jours, quinze jours quelquefois plus, attendaient de nouveaux renforts.

Aussi s'installaient-ils dans les maisons, et il s'établissait entre eux et l'habitant une certaine familiarité. On savait bien leur courage, leurs mérites, la pénible vie qu'ils menaient, on avait à cœur de leur faire oublier un peu leur isolement, la séparation de leurs familles, la triste vie militaire. Cette familiarité n'alla jamais jusqu'à l'intimité, si bien que l'Anglais put emporter un bon souvenir de la bonne hospitalité des habitants et de leur vertu. Hélas, que de pays où l'Anglais trouva trop de complaisance coupable, où il sema trop facilement la débauche.

On peut le dire, c'est l'orgueil du pays, c'est un honneur. Aucune jeune fille de Boisdinghem ne se fit remarquer avec nos alliés. A vivre continuellement avec les Anglais on les étudia, on apprécia les qualités, on vit aussi leurs défauts, on les compara à nos poilus, à nos héros, et ma foi, tout en leur laissant ce qu'il leur revient, on conclut que les nôtres étaient supérieurs, qu'ils étaient aussi braves, aussi vaillants, qu'ils étaient plus tenaces, qu'on ne passait pas où ils étaient...

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...On constata que nos voisins étaient grands buveurs et que sur ce point encore nous étions plus sobres qu'eux. À leur retour du front, il y eut plusieurs remises de décorations, on admirait l'allure martiale, la bonne tenue des soldats. Bien souvent des généraux logèrent au presbytère, ils se montraient aimables et affables, prenant plaisir à causer avec le pasteur.

Une fois même Boisdinghem eut la visite du Prince de Galles. C'est un évènement assez important pour le rappeler ici. Une partie de fott Ball (football) était organisée dans la pâture voisine du presbytère, et le prince assista à cette partie. Les Alliés eurent aussi l'intention d'installer un poste de TSF au clocher de Boisdinghem. De nombreux afficiers montèrent et examinèrent les campagnes environnantes, puis le projet fut abandonné.

Une des conséquences les plus dures de la guerre fut la vie chère, la hausse exagérée des denrées, due en partie à la crise des transports, en partie à une honteuse spéculation. Boidinghem souffrit aussi de cet état de chose, mais moins cependant que les habitants des villes. La plupart des habitants sont en effet cultivateurs et trouvent chez eux leur nourriture, ils sont producteurs et naturellement ils profitent de la hausse des prix. La présence des Anglais leur permit aussi de réaliser d'appréciables bénéfices.

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Aussi, malgré l'absence des hommes, Boisdinghem s'est enrichi pendant la guerre, leur générosité du reste si manifeste, aussitôt à la quête du denier du culte, chacun a doublé son offrande et le produit de la quête s'élève cette année à 500 pour une population de 170 habitants. Cependant tout le monde ne profite pas de cette vie chère, les ouvriers, peu nombreux heureusement, vivent péniblement.

Boisdinghem comme chaque commune de France eut sa carte d'alimentation : aux fermiers on enleva leurs blés, ne leur laissant que le srtict nécessaire pour passer l'année. Ceux qui ne faisaient pas leur pain, eurent la carte de pain et souvent ce pain était bien mauvais, les farines n'étaient pas de bonne qualité. On manquait de levure et on devait manger un pain lourd et indigeste. Restriction sur le sucre, chaque mois on distribuait une livre de sucre par personne. Tout le monde d'ailleurs comprenait la nécessité de ces restrictions et les acceptait facilement. C'était leur devoir s'ils voulaient contribuer à la victoire.

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Année 1918

La dernière année de la guerre, l'année 1918 fut pour nous, dans les premiers mois, pleine d'inquiétude et de tourments.

Les Allemands déclenchaient leur fameuse offensive qui n'avait pas été sans résultat. Le recul sur la Somme avait réveillé dans tous les coeurs la crainte de l'invasion, l'avance sur Hazebrouck acheva d'effrayer les esprits, le canon grondait formidablement et sans arrêt on voyait les régiments anglais monter précipitamment vers les lignes.

Des réfugiés de Merville et des environs arrivaient désolés, effrayés, jetaient la panique et la tristese. Ils racontaient le recul des Anglais, l'avance foudroyante des Allemands : ils avaient vu les Anglais surpris fuir en désordre et leur moral n'était pas fait pour rassurer nos populations. Ils avaient un ressentiment pour nos Alliés écrasés par le nombre et tout le monde réclamait à grands cris le secours des Français. Dans ces circonstances c'est toujours au soldat français qu'est allée notre confiance, c'est en lui que nous placions notre invincible espoir et il a toujours justifié la confiance que nous mettions en lui.

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Partout il a suffi qu'il vienne pour rétablir la situation, pour que le Boche ne passe pas. Tous les coeurs étaient donc inquiets, et on se demandait si dans quelques jours, il ne faudrait pas abandonner son foyer, sa maison, ses biens, son pays, pour fuir devant l'ennemi, pour mener la triste vie d'évacué. Un matin, un cri de joie sort de toutes les poitrines, un espoir grandit dans tous les cœurs : voilà les Français qui arrivent.

Nul ne peut exprimer toute l'immense confiance qu'on plaçait en eux, tout le réconfort qu'ils apportaient. Ces fiers poilus qui à marches forcées se précipitaient vers la bataille pour arrêter le Boche. Nul ne peut dire l'accueil qu'on leur fit. L'ennemi n'a pu passer en effet, et il a cherché ailleurs des succès qu'il ne pouvait obtenir dans notre région.

Si les premiers mois de l'année nous avait donné bien des inquiétudes, les mois qui suivirent nous ménagèrent bien des joies. Chaque jour nous apprenions de nouveaux succès de nos braves troupes et chaque jour étaient libérés de nouveaux villages occupés par l'ennemi depuis 4 ans.

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Puis ce fut la grande joie à la signature de l'armistice. La cloche de Boisdinghem annonça joyeusement qu'enfin les hostilités avaient cessé, que les hommes avaient fini de s'entretuer, que l'Entente triomphait de ses ennemis barbares C'était la victoire du droit.

L'armistice fut suivi de la démobilisation. Les paroissiens reviennent à leurs foyers, heureux de recouvrer la liberté et la tranquilité : heureux de vivre en famille entourés de l'affection des leurs, comprenant tout le prix du bonheur.

La guerre n'a pas changé leurs coeurs ni leurs principes, chacun d'eux reste fidèle à sa religion et chaque dimanche assiste à la messe.

Le temps pascal vient de s'achever, tous les démobilisés ont été heureux de faire leur devoir en s'approchant de la Sainte table et c'était un beau jour pour le pasteur que celui de Pâques où il vit tous les paroissiens recevoir la Sainte Communion.

A. Delmotte
Curé de Boisdinghem »

Le document original

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Notes

  1. Transcription originale par Laurence Deyris.
  2. Voir la Circulaire histoire locale de la guerre dans les paroisses