Conférence du curé de Febvin-Palfart sur sa paroisse pendant la Grande Guerre

De Wikipasdecalais
Aller à : navigation, rechercher

Retranscription.png


Après la Grande Guerre, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l'histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Febvin-Palfart apporte son témoignage sur la vie de sa paroisse pendant la Grande Guerre dans texte intitulé La paroisse de Febvin pendant la guerre.

Il y évoque la ferveur religieuse des habitants à la déclaration de la guerre, la rencontre avec les troupes indiennes, le relâchement des âmes au contact prolongé des troupes alliées, etc.

Ce témoignage est écrit en seize pages manuscrites sur des feuilles de papier simple. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 107. Nous vous en proposons ici une transcription[1].


Début de la guerre

Les bruits de la guerre qui avaient commencé à circuler pendant le mois de juillet 1914, après l'attentat de Sarajevo, avaient laissé les habitants de Febvin assez indifférents. Ils savaient qu'à plusieurs reprises de semblables rumeurs avaient circulé, qui ensuite s'étaient évanouies. Tout entiers à leurs travaux, ils ne s'occupaient guère des notes échangées entre les chancelleries des différents États de l'Europe.

Cependant, lorsque vint la fin de ce même mois de juillet on apprit que les soldats en permission étaient brusquement rappelés, et que les jeunes gens qui, pendant leur service militaire, avaient exercé une profession quelconque venaient de recevoir un ordre de départ immédiat, l'indifférence fit place à une sérieuse inquiétude, particulièrement dans certaines familles.

Aussi, quand le samedi 1er août, vers 5 heures du soir, la cloche annonça que l'ordre de mobilisation était affiché, l'émotion fut très grande. Les ouvriers quittèrent aussitôt leur travail dans les champs et regagnèrent le village. Nous ne saurions publier l'impression que nous ressentîmes en voyant ainsi revenir, accompagnés de leur famille en pleurs, plusieurs de ceux qui devaient partir le lendemain ou les jours suivants. Bien tard dans la soirée, on entendait encore des conversations animées dans les rues et surtout dans les cabarets. Nous eûmes la consolation de voir dès le dimanche matin ceux qui devaient partir ce jour-là, venir s'approcher des Sacrements et se munir de la médaille du Scapulaire. Il en fut de même les jours suivants, à part quelques exceptions qui eurent la déplorable conséquence de détourner dans la suite un certain nombre d'hommes de l’accomplissement de cet important devoir.

Sous le coup de l'épreuve, l'homme se tourne plus facilement vers Dieu. On vit donc en ce moment un certain nombre de personnes revenir assister plus régulièrement à la messe, plusieurs communièrent pour les absents. On demandait surtout pour eux des messes. Les saluts et autres exercices comprenaient une assez nombreuses assistance. C'est qu'en réalité une assez vive inquiétude régnait dans les premiers mois de la guerre. Il est facile de le comprendre. Vers le milieu du mois d'août, on avait commencé à entendre très distinctement le bruit du canon. On manquait de nouvelles ; le service postal fonctionnant fort mal, on ne recevait que rarement des lettres et pas de journaux.

La nouvelle de la victoire de la Marne avait ramené un certain espoir. Mais vers la fin du mois de septembre, on apprend que douze cent personnes évacuées de Maubeuge et de Valenciennes viennent d'arriver à Aire ; puis c'est l'exode précipité de tous les hommes mobilisables de la région de Norrent-Fontes, que l'on voit passer par groupes se dirigeant vers Fruges. C'est surtout dans les premiers jours du mois d'octobre, le bruit du canon qui se rapproche sans cesse. C'est enfin la journée inoubliable du samedi 10 octobre. Durant toute la matinée, des troupes anglaises que l'on voyait pour la première fois en ces régions, défilèrent sur la route d'Hesdin, se dirigeant vers Saint-Hilaire. Des artilleurs devaient passer la nuit à Febvin. Dans l'après-midi, ce fut une véritable invasion de personnes qui fuyaient devant l'ennemi. Toutes les routes en étaient remplies : on les logeât comme on put, dans les maisons, dans les granges et jusque dans les étables.

Il est aisé de comprendre quelle profonde impression tous ces événements produisaient dans la population habituellement si calme de Febvin. Aussi, plusieurs personnes commençaient-elles à faire leurs préparatifs en vue d'un départ qu'elles pensaient devoir être prochainement inévitable.

Bientôt, on sut que la marche des ennemis vers la ville d'Aire avait été arrêtée. Le danger d'invasion semblait conjuré. On se rassura. Un fait nouveau allait d'ailleurs se produire qui devait avec le temps exercer une grande influence sur les habitudes de la population : je veux parler du cantonnement des troupes.

Les réfugiés – les troupes

Les réfugiés arrivés à Febvin le 10 octobre n'avaient pas tardé pour la plupart à quitter la paroisse. Les uns étaient allés chercher ailleurs une installation plus confortable, d’autres plus nombreux avaient été conduits hors de la zone des armées. Ceux qui avaient pu rester rendaient de précieux services aux habitants qui les utilisaient pour les semailles et autres travaux, et qui se trouvaient ainsi dédommagés de l'absence de mobilisés. Il est regrettable que des personnes aient cru pouvoir abuser de la situation malheureuse de ces pauvres réfugiés en les exploitant d'une façon blâmable par raison d'intérêt.

Vers le 20 octobre, ordre fut donné aux réfugiés d'évacuer pour le 27 au plus tard, les arrondissements de Béthune et de Saint-Pol. La commune de Febvin dont le territoire est borné au trous quart par ces deux arrondissements reçues donc de ce fait un nouvel afflux de population. Beaucoup de ces réfugiés s'y installèrent avec l'intention d'y rester jusqu'à la fin de la guerre. Un certain nombre d'entre eux étaient de bons chrétiens, remplissant régulièrement leurs devoirs religieux ; plusieurs mêmes donnaient l'exemple de la communion fréquente, pratique inconnu dans la paroisse. L'assistance aux offices était plus nombreuse et plus édifiante. Malheureusement, à côté de ces fidèles, le nombre était grand aussi de ceux qui vivaient dans la plus complète indifférence, en dehors de toute pratique religieuse, et parfois même dans le désordre.

Ces nouveaux réfugiés étaient à peine installés à Febvin quand commencèrent les cantonnements de troupes. Le lundi 2 novembre, le 9e cuirassiers français arrivait : il ne devait passer que deux jours. Dès le surlendemain, il était remplacé par le 3e et 4e escadrons du 16e dragons, qui allaient y demeurer en repos jusqu'à la fin du mois. Une nouvelle vie sembla dès lors régner dans la paroisse. Il y avait plus de gaieté, plus d'animation ; on ne pensait plus guère au danger. Les officiers est soldats assistaient en grand nombre à la messe le dimanche. Le lundi 9 novembre, ils firent célébrer un service solennel pour le repos de l'âme de ceux d'entre eux qui depuis le début de la guerre étaient morts sur le champ de bataille.

Huit jours plus tard, la paroisse se trouvait réuni à l'église pour assister à un autre service funèbre, chanté pour Moïse Dumetz, le premier soldat de Febvin dont on venait de recevoir la nouvelle officielle de la mort. Il était tombé le 19 septembre à la bataille de l'Aisne.

Les dragons quittèrent Febvin le 28 novembre, laissant a-t-on dit, des regrets en plus d'un cœur où ils avaient déjà, parait-il, établi garnison. Est-ce vrai ? Est-ce faux ? Le cœur est si faible et les langues si méchantes !

Pendant tout le temps que la guerre allait encore durer, nous ne devions plus revoir de soldats français à Febvin. Ils allaient être remplacés par des troupes étrangères, dont la présence prolongée sera pour un trop grand nombre de personnes une occasion d'actes blâmables sous le rapport de la justice et de l'honnêteté.

Notre région fut assignée pour lieu de cantonnement aux troupes des Indes. Le 23 décembre, le 19e lanciers venait s'installer à Febvin. L'impression ne fut pas très bonne en leur faveur. On les trouvait laids, malpropres ; on en avait presque peur. Les cultivateurs étaient particulièrement [?] de l’imprudence avec laquelle ils allumaient du feu n'importe où, même dans les granges, pour se chauffer et préparer leurs aliments. Les plaintes se multipliaient auprès des officiers.

Mais bientôt tout changea. Nos villageois sont en général compatissants. En voyant ces pauvres noirs, comme ils les appelaient, souffrir du froid, ils pensaient à ceux des leurs qui étaient au front. Ils étaient choqués aussi de la sévérité avec laquelle les officiers anglais les traitaient, ne comprenant pas que c'était pour ceux-ci une nécessité d'agir ainsi. On prit donc assez vite les noirs en pitié. On le laissait entrer dans les maisons et s'y chauffer ; on leur témoignait de la bienveillance. Dans certaines familles, on les amenait même à l'église, où ils se tenaient d’ailleurs très respectueusement. Il y en avait toujours plusieurs aux exercices du soir et, chose incroyable, le 7 avril 1915, jour de l'adoration du Saint-Sacrement à Febvin, la grande majorité des hommes qui assistaient au Salut était composée de ces soldats païens.

On s'amusait aussi de temps en temps à leurs dépens. C'est ainsi qu'on prenait plaisir à offrir du lard à certains d'entre aux qui avaient une grande horreur du cochon, on encore à ouvrir les étables de ces animaux qui se précipitaient dans la cour où les soldats étaient rassemblés.

Le 12 février 1915, le Prince de Galles, accompagné du général Remington, commandant le corps d'armée et de plusieurs officiers, vint à Febvin visiter les troupes indiennes.les différents régiments de cavalerie défilèrent devant lui sur la place près de l'église. Le séjour des Hindous à Febvin et dans la région se prolongea pendant toute l'année 1915. Après leur départ, les cantonnements de troupes furent moins fréquents à Febvin. Il importe toutefois de citer les régiments irlandais, qui passèrent une partie des mois de janvier et de février. Les sentiments de piété de ces hommes firent l'admiration de toute la paroisse. Tous les jours, on voyait nombre d'entre eux s'approcher des Sacrements, et tous les jours depuis cinq heures jusque vers neuf heures du soir, l'église n’était pas un seul instant sans compter de nombreux adorateurs. C'est avec regret que l'on voyait partir de tels chrétiens.

Pendant les années 1916-1917-1918, la paroisse de Febvin reçut des régiments de différents pays : des Anglais, des Écossais, des Canadiens, etc. En général, les soldats catholiques y étaient peu nombreux.

Conséquences du séjour des troupes

Le séjour prolongé des troupes alliées à Febvin eut des conséquences plutôt fâcheuses au point de vue des pratiques religieuses, au point de vue des mœurs et surtout au point de vue de la justice.

Au point de vue des pratiques religieuses, nous pouvons dire que la présence des troupes fut pour un trop grand nombre de personnes l'occasion de se dispenser du grave devoir de l'assistance à la sainte messe, surtout lorsque après la mort de M. le curé de Livossart, nous fûmes charger de desservir cette paroisse à la fin de l'année 1915. Il n'y eut plus dès lors qu'une seule messe à Febvin le dimanche. Bien peu de paroissiens comprenaient qu'ils devaient se déranger, les autres prétendaient qu'ils ne pouvaient quitter leur maison ou y laisser une personne seule. Ils ont ainsi contracté une mauvaise habitude qu'ils conservent encore aujourd'hui, bien que les troupes soient parties et qu'il y ait de nouveau deux messes à l'église chaque dimanche.

Au point de vue des mœurs, nous pensons que ce fut un bien pour la paroisse de Febvin d'avoir des soldats étrangers plutôt que des français. On se familiariserait moins, surtout au début, et en outre, la difficulté de s'exprimer était plutôt un obstacle à des relations trop intimes.

Les Hindous n'étaient guère attrayants. Aussi, elle nous paraît peu conforme à la vérité cette parole qu'un paroissien adressait à son curé le jour où un régiment noir quittait le village après y avoir séjourné plusieurs mois : « M. le curé, il est temps qu'ils s'en aillent, sinon l'année prochaine vous aurez à baptiser des taclés (tachetés). »

Il n'y eut pas, il est vrai, que des noirs, il y eut aussi et bien plus nombreux, des blancs, même au temps des Hindous. Toutefois, nous sommes heureux de pouvoir dire que, s'il y eut certaines faiblesses, il n'y eut jamais de gros scandales dans la paroisse.

Ce fut surtout sous la rapport de la justice que le séjour des troupes fut l'occasion d'actes répréhensibles. Déjà, nous l'avons dit plus haut, certaines personnes avaient exploité les réfugiés en abusant de leur situation malheureuse. Mais ce qui avait été plutôt une exception à l'égard des réfugiés, devint à peu près général quand il s'agit des soldats alliés.

Notons d'abord que la bienveillance dont on fit preuve vis-à-vis des Hindous n'était pas désintéressée. Ceux-ci s'efforçaient de témoigner leur reconnaissance, et comme ils étaient abondamment ravitaillés, ils en profitaient pour faire des cadeaux à ceux qui les hébergeaient. Ils donnaient notamment du sucre et des boîtes de différentes confitures, dont on était fort friand.

D'un autre côté, certaines personnes commencèrent à leur vendre, à des prix trop élevés, les choses dont ils avaient besoin. On alla plus loin encore ; en plus d'une maison, les animaux bénéficièrent d'une partie de ce qui était destiné aux chevaux des soldats.

C'est ainsi que la passion du gain commença à se développer pour aller toujours grandissante. Les soldats anglais, écossais ou autres qui remplacèrent les Hindous furent presque partout exploités d'une façon révoltante. Sous le prétexte plus ou moins vrai qu'ils recevaient beaucoup d'argent en leur faisant payer ce qu'ils achetaient à des prix exorbitants. Nombre de personnes réalisèrent en particulier de gros bénéfices en leur vendant, souvent d'une façon illicite, bière, vin, rhum, cognac, etc.

Nous jugeons inutile de nous étendre davantage sur ce point. Cette manière d'agir ne fut pas particulière à Febvin : elle fut, croyons-nous, à peu près générale. Elle eut pour résultat d'aveugler les consciences, en étouffant tout sentiment de justice et d’honnêteté. On n'eût plus, dès lors, comme nous le voyons partout aujourd'hui, qu'un seul but : gagner sans cesse plus d'argent possible et par n'importe quels moyens.

Conclusion

À deux reprises différentes la paroisse de Febvin put craindre d'avoir à subir l'invasion : en octobre 1914, lors de la Course à la mer, et en avril 1918, après les grandes batailles des Flandres. Elle eut chaque fois le bonheur d'en être préservé. Les habitants n'eurent donc à supporter que les quelques inconvénients résultant de la présence fréquente des troupes, inconvénients dont ils furent largement dédommagés, comme nous l'avons dit.

Le 17 février 1918, un avion ennemi, attiré sans doute par les lumières d'un camp de prisonniers allemands installés tout prêt du village, jeta une bombe et une torpille qui brisèrent surtout des vitres et causèrent quelques dégâts. La conséquence de cet incident fut qu'à partir de ce jour, beaucoup d'habitants éprouvèrent une vive appréhension chaque fois qu'ils entendaient les avions ennemis passer au dessus du village, ce qui arrivait presque chaque soir.

En terminant, nous devons noter que la commune de Febvin, qui comprend 710 habitants formant les deux paroisses de Febvin et de Livossart, a payé un large tribut à la guerre. 25 de ses enfants, dont 14 de Febvin et 11 de Livossart sont tombés glorieusement sur la champ de bataille. Plusieurs sont revenus grièvement blessés, parmi lesquels, l'un amputé d'une jambe, l'autre d'un pied, un autre ayant le bras complètement paralysé, etc. beaucoup d'entre eux furent l'objet de glorieuses citations. Elle a donc le droit d'être fière de tous ceux de ses enfants qui ont été appelés à défendre la patrie.

Signé : J. [Coubronne], curé de Febvin


Notes

  1. Transcription par Ivan Pacheka pour Wikipasdecalais.

Lien interne