Travaux de la chambre de commerce d'Arras en 1914-1918

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La première guerre mondiale bouleverse le fonctionnement de la Chambre de commerce d'Arras qui dès les premiers mois du conflit est contrainte de déménager ses services et de fonctionner tant bien que mal avec les personnes qui ont pu se réfugier dans la zone libre du département. Elle tiendra dès lors ses séances, en comité réduit, et alternativement en fonction des circonstances à Étaples, Saint-Pol et même une fois à Arras en avril 1917.

Les principaux travaux de la Chambre portent durant cette période sur la très technique mais cruciale question de l’évaluation des dommages de guerre et des modalités d’indemnisation des sinistrés. Le débat portait au niveau national sur l’obligation ou non de réemployer l’indemnité sur le lieu du sinistre (du moins à proximité). La Chambre de commerce d'Arras défend avec vigueur le remploi obligatoire, condition indispensable selon elle, pour relancer rapidement et au même niveau qu’avant la guerre l’économie de la région. On peut suivre à travers ses travaux, les difficiles et longs débats qui opposent la Chambre des Députés et le Sénat sur la question. On y décèle aussi les luttes entre les Chambres de commerce et notamment avec celles du Sud de la France qui voudraient profiter de l’occasion pour réimplanter les industries détruites dans leur secteur.

Mais les travaux de la Chambre de commerce permettent également d’aborder les difficultés du ravitaillement des civils, les tracasseries administratives émanant tant de l’autorité civile que militaire, les problèmes des transports et d’approvisionnement en charbon (véritables corollaires à la reprise de l’activité économique et sociale), la dénonciation des profiteurs de guerre, etc.

Nous proposons ici la transcription des comptes rendus de séance de la Chambre de commerce d'Arras, tenus du 18 juin 1915 au 21 janvier 1918. Le document original est un cahier de 134 pages manuscrites et numérotées (s’y ajoutent quatre pages d’index thématique) ; il est conservé aux Archives départementales du Pas-de-Calais sous la cote 2911 W 13. En guise de repère pour le chercheur, il a semblé utile d’indiquer les pages du document original.


Compte rendu des séances pendant la guerre

Chambre de commerce d'Arras, créé par ordonnance du 9 décembre 1837

Arrondissement d’Arras- cantons d'Aubigny et d'Avesnes-le-Comte

Sommaire

Membres en 1914

Bureau :

MM. Doutemépuich Amédée, président

Fremy, vice-président

Leroy Victor, secrétaire-trésorier

Membres titulaires :

PV Chambre de commerce d'Arras
La première page de l'original

MM. Bauvin Narcisse

Bernard Georges

Bouchez Octave

Caron

Dreux Jules

Dropsy

Duquesne Auguste

Greber

Michonneau Paul

Secrétariat :

M. Segand, secrétaire administratif

[1]

Séance du 18 juin 1915

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président

La chambre de commerce s’est réunie, le vendredi 18 juin, à Étaples, cette ville ayant été choisie pour faciliter dans la mesure du possible le déplacement des membres temporairement fixés dans diverses localités de la région.

Étaient présents : MM. Doutremépuich, président, Bauvin, G. Bernard,O. Bouchez, Dreux, Michonneau, Segand, secrétaire.

Retenus en pays envahis : MM. Dropsy (Le Transloy), Duquesne (Chérisy).

Absents et excusés : MM. Frémy (à Vichy), Greber, Leroy (à Arras).

[2] M. Riquier, maire d'Étaples, avait bien voulu mettre à la disposition de la Chambre, une des salles de la mairie. En ouvrant la séance, il s’est exprimé dans les termes suivants :

« Messieurs, au seuil de notre maison commune, j’ai le devoir et le grand honneur de souhaiter la bienvenue aux membres de la Chambre de commerce de votre capitale artésienne, dont plusieurs sont déjà pour moi de vrais et bons amis.

À l’exemple de votre vaillante cité qui résiste sans défaillance aux plus dures épreuves, vous ne vous êtes jamais laissés abattre par les événements pourtant bien cruels pour vous, et malgré les difficultés que vous éprouvez pour vous rencontrer, réfugiés, jetés par la guerre sur divers points du département, vous continuez à vous occuper de la vie économique du département avec un dévouement auquel vous me permettrez de rendre hommage, dût votre modestie en souffrir quelques peu.

La ville d’Étaples est bien aise de vous offrir [3] l’hospitalité aujourd'hui et elle continuera à le faire chaque fois que cela pourra vous être agréable. Elle se réjouit de contribuer ainsi à l’accomplissement de votre tâche ainsi que votre serviteur qui trouve en cette circonstance l’occasion de rendre à la ville d’Arras une faible partie de l’accueil si sympathique qu’il a toujours reçu d’elle. »

M. le Président remercie M. le Maire de son aimable accueil. De tristes circonstances amènent la Chambre de commerce à Étaples ; elle n’ignorait pas qu’elle y serait reçue par un excellent ami. Le souvenir des réunions tenues à Étaples par la Chambre de commerce d'Arras à l’heure de la dispersion ne fera que resserrer les liens de cordialité qui ont toujours existé entre les deux villes.

Dans la crise que nous traversons, la situation de la région du Nord et son avenir au lendemain de la guerre soulèvent des problèmes sans précédents, des difficultés inouïes qui ne peuvent être surmontées qu’au prix de longs [4] efforts et de la collaboration de tout le pays ; aussi est-il urgent que donnent l’exemple, dès aujourd'hui, ceux qui ont quelque qualité pour prendre les initiatives nécessaires. C’est pourquoi la chambre de commerce d'Arras avait le devoir de se remettre au travail sans plus tarder ; ses membres ont été unanimes à le penser. M. la Président s’en félicite et les remercie d’avoir répondu avec empressement à son premier appel.

Au cours de l’hiver, M. Caron, membre de la Chambre de commerce, est décédé, jeune encore, dans toute la force de l’âge. Bien que sa santé se fût altérée depuis assez longtemps rien ne faisait prévoir une mort aussi prochaine. M. le Président exprime le regret que cause à la Chambre cette mort aussi prématurée ; il rappelle que M. Caron, maire de Pas-en-Artois et conseiller général, collègue aimable, courtois, éclairé, prenait un vif intérêt aux questions économiques, commerciales et agricoles et avait droit au souvenir reconnaissant et affectueux que conserveront de lui ses nombreux amis. [5]

Les absents à la séance de ce jour n’ont que de trop valables excuses. M. Frémy, vice-président, se trouve à Vichy, c’est-à-dire actuellement trop éloigné pour que les déplacements lui soient possibles. M. Dropsy (du Transloy) et Duquesne (de Chérisy) sont retenus en pays envahis et dans leurs fonctions de magistrats municipaux s’y emploient de leur mieux à secourir l’infortune de leurs administrés. MM. Greber et Leroy sont demeurés à Arras où l’autorité militaire ne permet que très difficilement de rentrer si l’on en est sorti.

En son nom personnel et au nom de ses collègues, M. le Président adresse l’hommage de la plus profonde sympathie aux vaillants amis qui, demeurés sous la domination temporaire de l’ennemi ou sous les obus, supportent sans défaillance une longue et tragique épreuve. Cette sympathie n’est pas moins vive à l’endroit de toute notre circonscription presque entièrement envahie et dévastée, et théâtre chaque jour, des luttes sanglantes qui nous acheminent pas à pas vers la délivrance. [6]

Sans chercher à dissimuler une sincère émotion, M. le Président dit en terminant, quel écho douloureux des deuils cruels ont trouvé dans tous les cœurs et avec quelle sollicitude nos vœux accompagnent la vaillante jeunesse dont l’héroïsme réconforte nos angoisses d’une légitime fierté.

Ravitaillement d’Arras

La Chambre est saisie par une lettre de M. Leroy, de diverses doléances relatives au ravitaillement et notamment aux convois u ravitaillement de la ville d'Arras. Notre collègue, demeuré à Arras, rend compte en même temps des démarches qu’il a déjà faites à ce sujet et des résultats qu’il a pu obtenir.

M. le Président tient tout d’abord à remercier M. Leroy de n’avoir pas hésité à prendre en mains des circonstances aussi critiques les intérêts du commerce d’Arras. La Chambre lui en est reconnaissante ; elle continuera de son côté l’initiative de plusieurs de ses membres qui, secondant [7] M. le Préfet et M. le maire, n’ont cessé, depuis leur départ d'Arras, de chercher personnellement à venir en aide aux concitoyens dont ils se trouvent momentanément séparés. Après examen de la question, et considérant que les doléances exprimées intéressent également les commerçants, la population civile et les troupes cantonnées aux environs, la Chambre décide d’en référer à M. le Maire d'Arras dans les termes suivants :

« La Chambre de commerce d'Arras, au nom de ses commerçants, exprime à M. le maire d'Arras le vœu que :

1. Dans l’examen par lui fait des demandes présentées à fin d’autorisations de faire partie des convois de ravitaillement, et dans leur équitable répartition, il veuille bien tenir grand compte de la qualité commerciale des demandeurs ainsi que de l’importance et de la régularité des services que chacun d’eux est à même de rendre.

2. Que le nombre des voiture de chaque [8] convoi étant le plus élevé possible, ou le nombre des convois étant porté à trois ou quatre par semaine, les listes de voituriers présentées à l’agrément de l’autorité militaires soient limitées au chiffre de voitures préalablement fixé de façon à éviter des retranchements opérés forcément au hasard par une autorité dépourvue des renseignements nécessaires sur les demandeurs.

3. Que, dans chaque convoi, une ou deux voitures suivant les besoins soient désignées pour prendre les colis de détail qu’il est imprudent de laisser en souffrance dans une gare d’un voyage à l’autre.

La chambre charge M. le Président de transmettre personnellement ce vœu à M. la Maire d’Arras en recommandant particulièrement à son bienveillant accueil une intervention que les circonstances actuelles ne permettent, il faut le reconnaître, qu’avec une certaine discrétion. [9]

Réparation des dommages causés par les faits de guerre

M. le Président fait un exposé sommaire de cette question qui présente un intérêt vital pour les départements envahis et par voie de répercussion, pour le pays tout entier.

Dès le 27 octobre 1914, le Gouvernement s’inspirant des idées de justice et de solidarité sociales qui s’imposent aujourd’hui à toute la législation, manifestait son intention de rompre avec la tradition juridique de l’irresponsabilité de l’État, en dehors de certains cas exceptionnels, en prescrivant aux Préfets de faire dresser immédiatement les constats de destruction des immeubles, etc. occasionnée par les faits de guerre.

Le 22 décembre, le Gouvernement répudiant la forme de « secours » que n’avait pas cru devoir dépasser l’Assemblée nationale de 1871, proclamait devant les Chambres « le droit à la réparation au profit de ceux qui ont été victimes, dans leurs biens, des faits de guerre », ajoutant qu’il remplira ce devoir dans les limites les plus larges [10] que permettront les capacités financières du Pays.

Le droit à la réparation (déjà édicté par la convention nationale dans le décret du 27 février 1793 resté d’ailleurs sans application), la loi de finances du 26 décembre 1914 le consacrait aussitôt en termes formels : « une loi spéciale, dit l’article 12, déterminera les conditions dans lesquelles s’exercera le droit à la réparation des dommages matériels résultant des faits de guerre. »

Que sera cette réparation ? Si elle n’est que partielle, l’engagement du Gouvernement ne sera pas tenu, car ce sera revenir, en fait, à la forme du secours « solennellement » répudiée devant la chambre. Il faut donc que la réparation soit totale, intégrale, ainsi que l’équité l’exige – ainsi que le Conseil général du Pas-de-Calais en émettait le vœu à l’unanimité sur la proposition de M. Doutremépuich, dans sa décision de septembre 1914 – ainsi que l’ont compris les populations des départements dévastés, ainsi que le Pays tout entier le comprenait alors, on peut l’affirmer, dans un élan de justice et de [11] patriotisme, ainsi que le traduisait l’Économiste français du 3 octobre 1914, en ces termes précis : « la collectivité nationale doit assumer complètement le fardeau de ces ruines, non à titre de secours, mais à titre de restitution intégrale socialement et légalement due ».

Pourquoi faut-il avouer qu'aujourd'hui l’accord ne semble plus aussi parfait sur ce point dans la Nation ?

L’œuvre législative se poursuivant, le décret du 4 février 1915 institue les commissions cantonales et les commissions départementales « charger de constater et d’évaluer les dommages matériels résultant de fait de guerre ». Le décret du 24 mars créa la commission supérieure « chargée de la révision générale des évaluations des commissions départementales par la comparaison des méthodes et des taux adoptés par les différentes commissions ».

Chacune des deux premières commissions est composée de cinq membres dont un magistrat choisi par le premier Président de la Cour d’appel, comme Président, un délégué désigné par [12] le Ministre de l’Intérieur et un délégué désigné par le Ministre des finances, les deux autres membres étant désignés suivant le cas, par les maires ou leurs délégués ou le conseil municipal de chacune des communes intéressées, parmi les contribuables desdites communes.

La commission supérieure n’ayant pas à s’occuper de constatations matérielles mais plutôt de discussions juridiques et contentieuses, le Gouvernement a cru devoir lui donner un caractère plus administratif encore. C’est ainsi qu’elle compte seulement deux représentants du Commerce et de l’Industrie (MM. Les Présidents des Chambre de commerce d’Arras et de Nancy) à côté de quarante membres désignés à d’autres titres et choisis presque exclusivement parmi les sénateurs, députés, conseillers d’État et hauts fonctionnaires des divers ministères. Et cependant personne ne peut ignorer que les 12 départements atteints par l’invasion et la dévastation possèdent 38 % des usines de France et notamment 60 % des usines nouvelles créées depuis dix ans (5548 sur 8959) ; [13] que d’après les déclarations de successions, la fortune de ces mêmes départements est le quart de la fortune totale de la France ; qu’ils paient le sixième de l’impôt (811 millions sur 4816 millions en 1912) et que le commerce et l’industrie sont un facteur considérable de cette prospérité et de cette source de richesse pour le Trésor public.

La commission supérieure s’est mise au travail sans tarder mais si la discussion n’a pas porté sur l’étendue du droit à la réparation, l’application de ce que doit être la réparation elle-même a donné lieu à de vives controverses.

Pour ne parler que des dommages causés au commerce et à l’industrie, deux thèses se sont trouvées en présence. D'après la première, la réparation est, d’une façon générale, la reconstitution des choses détruites : l’indemnité doit donc permettre de reconstituer une usine, par exemple, sauf certaines déductions à faire en raison de la vétusté des choses détruites. La seconde thèse, au contraire, ne considère que la valeur des choses au moment de leur destruction et non la somme que coûtera leur reconstitution. [14] La seconde opinion a prévalu malgré plusieurs abstentions et l’opposition énergique des représentants du commerce et de l’industrie. Or, l’intérêt de la distinction ne se borne pas à savoir si l’indemnité sera plus ou moins élevée ; la portée en est plus haute et la gravité de la résolution prise par la majorité de la Commission supérieure apparaît immédiatement si l’on considère que l’article 2 du projet de loi déposé par le Gouvernement le 11 mai 1915 est ainsi conçu : « l’action de l’indemnité sera subordonné à des conditions de remploi répondant à l’affectation des biens détruits ».

L’exposé des motifs déclare d’autre part qu’il ne pourrait être admis que « désertant demain la fonction économique ou sociale qu’il occupait avant la guerre, un indemnitaire obtint une indemnité soit pour vivre du capital, soit pour vivre du revenu ». Ainsi donc, dit M. le Président, le « devoir de production » rendrait l’obligation du remploi formelle. Admettons-le : nos populations du Nord et de l’Est [15] quelqu'éprouvées qu’elles soient ont des réserves d’énergies suffisantes pour que personne ne puisse douter de leur résolution bien arrêtée de se remettre au travail dès demain, de relever les usines détruites, de se donner corps et âmes à la restauration du sol, au réveil de la vie économique. Elles ne protestent pas contre cette conception d’un devoir de production générateur de leur droit à la réparation, mais que du moins elles soient payées de retour par le Pays et remises en état de travailler !

L’obligation de remploi est logiquement inséparable de l’attribution d’une indemnité, non de dédommagement mais de reconstitution. Une usine a coûté, par exemple, 100.000 francs quelques années avant la guerre, sa destruction peut représenter, en août 1914, déduction faite de la valeur du sol, de l’usure et si l’on veut, des parties échappées à la ruine, une perte de frs : 60.000. Telle est, dira-t-on, l’indemnité qu’il convient d’allouer à titre de réparation et à charge de remploi ? Erreur profonde, cependant, alors qu’en présence de l’inévitable majoration [16] de tous les prix au lendemain de la guerre, il ne suffira peut-être pas du double de cette somme pour reconstituer l’usine dans une situation équivalente, et cela sans aucune amélioration relative, sans aucun enrichissement de l’industriel !

La contradiction entre l’intention du Gouvernement et les moyens proposés pour réaliser est manifeste, car ni salaires ni marchandises ne se paient avec des arguments juridiques et la reconstitution d’une usine, aussi bien que le réapprovisionnement en marchandises ne peuvent se faire qu’aux cours du jour et non sur la base de tarifs antérieurs, surtout lorsque ceux-ci ont été complètement bouleversés par un cataclysme économique sans précédent.

Que dire enfin des pertes inhérentes au crédit, sans lequel il n’est pas de vie commerciale ? Sa ruine aura achevé bien des catastrophes : ne devrait-il pas, lui aussi, être réparé ?

Plusieurs membres parlementaires de la Commission supérieure ont si bien senti toute la force [17] de ces objections que, par une sorte de transaction, ils réserveraient loyalement au législateur le devoir de parfaire l’œuvre de la Commission. Les choses en sont là, la Commission supérieure s’étant ajournée jusqu’après le vote du projet de loi soumis au Parlement.

Après avoir entendu l’exposé fait par M. le Président, les membres de la Chambre s’entretiennent longuement de la question.

Des observations sont échangées sur la distinction des dommages directs et des dommages indirects. Il est décidé que seront soumis à la Commission parlementaire divers exemples caractéristiques destinés à mettre en pleine lumière combien l’interprétation strictement juridique du terme « dommage direct » consacrerait pour trop de victimes, spécialement dans les communes dévastées par l’incendie et le bombardement, une situation désastreuse dont les terribles conséquences ne pourraient être que très suffisamment atténuées par les dispositions bienveillantes du législateur. L’étude de la question sera continuée [18] dans la prochaine séance du vendredi 25. [19]

Séance du 25 juin 1915

Tenue à Étaples

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président.

Présents : MM. A. Doutremépuich, Président, Bauvin, Bernard, O. Bouchez, Dreux, Michonneau.

Excusés : MM. Frémy, Leroy, Greber

Réparation des dommages résultant des faits de guerre

La Chambre reprend l’étude de cette question au point où la discussion s’était arrêtée à la précédente séance. Le droit à la réparation est, en somme, en échec par la modalité même de l’appréciation et il n’est pas sans intérêt, pour compléter le rapide exposé qui a été fait, de constater une fois de plus, en la circonstance, que [20] l’histoire n’est qu’un éternel recommencement.

L’Assemblée législative décrète la réparation, le 11 août 1792, en s’appuyant sur ce principe que « la fraternité qui unit les citoyens d’un peuple libre rend commun à tous les individus du corps social le dommage occasionné à un de ses membres ». Mais, dans l’application financière, l’Assemblée s’en tient à l’attribution de secours.

L’année suivante, la Convention nationale renouvelle la déclaration du droit à la réparation, mais cette décision reste encore inappliquée et le décret du 19 vendémiaire an VI ne va pas au-delà de la « distribution de secours » forme d’indemnité qui a persisté jusqu'à nous. Viennent les événements de 1914, le Gouvernement proclame de rechef le droit à la réparation et l’opinion publique veut comprendre qu’il s’agit de réparation intégrale par cela même que le mot est employé sans épithète, dans son sens absolu « la réparation ».

« La réparation ne sera consentie que sous la condition pour les ayants-droit de contribuer [21] dans la mesure qui convient à la vie économique et à la vie locale, et d’y reprendre leur place dans une mesure qui sera précisée par la loi annoncée. »

Mais comme le fait observer un défenseur convaincu de la réparation intégrale, M. Jèze, professeur à la faculté de droit de Paris, on put dire aussi que l’expression, dans sa généralité même, reste vague et la déclaration du Gouvernement a été soigneusement pesée de manière à ne pas dissiper cette incertitude et à permettre aux pouvoirs publics après un mur examen, de donner à ce « droit à la réparation » soit la signification d’un droit de créance proprement dit (réparation intégrale), soit seulement la signification d’un droit d’assistance au sens des lois d’assistance.

Et ce que M. Jèze écrivait au mois de mars dernier semble bien s’être réalisé. Le Gouvernement (effrayé sans doute de l’immensité toujours croissante des ruines à relever et inquiet des conséquences financières de la réparation promise) réduit à l’engagement pris : il précis que la réparation [22] sera conditionnelle ; il introduit dans le projet de loi une mesure restrictive, l’obligation du remploi, thèse très soutenable d’ailleurs en se plaçant à ce point de vue que la réparation n’est pas un droit civil, qu’elle n’est qu’un droit social. D'autre part, des instructions ministérielles données dès le mois de février tendent manifestement à comprimer les indemnités, en précisant qu’il faudra se placer pour l’évaluation de la valeur des dommages au jour de la destruction, c’est-à-dire à la date la plus favorable pour le Trésor public… Mais la réalité ne se paie pas de mots et le conflit éclate entre le remploi obligatoire et le mode d’évaluation adopté.

La Commission supérieure est obligée de le reconnaître elle-même implicitement lorsque le rapporteur général indique que des avances ou des primes à la reconstruction pourront être allouées par le législateur dans la mesure ou la situation financière du pays le permettra. Après échange d’observations, la Chambre décide de résumer dans la délibération suivante ses vœux sur la question : [23]

L’évaluation des dommages causés par les faits de guerre et le remploi obligatoire de l’indemnité

M. le Président fait un exposé sommaire de cette question qui représente un intérêt vital pour les départements envahis et – par voie de répercussion – pour le pays tout entier.

Il rappelle que, dès le 22 décembre 1914, le Gouvernement s’inspirant des idées de justice et de solidarité sociale qui, à notre époque, s’imposent à toute la législation, et répudiant la forme de « secours » que n’avait pas cru devoir dépasser l’Assemblée nationale de 1871, proclamait devant la Chambre « le droit à la réparation, au profit de ceux qui ont été victimes, dans leurs biens, des faits de guerre », ajoutant qu’il « remplira ce devoir dans les limites les plus larges que permettront les capacités financières du pays ».

Ce droit à la réparation, la loi de finances du 26 décembre 1914 le consacrait aussitôt en termes formels : « une loi spéciale, dit l’article 12, déterminera les conditions dans lesquelles s’exercera [24] le droit à la réparation des dommages matériels résultant des faits de guerre ».

Que sera cette réparation ? Si elle n’est que partielle, l’engagement du Gouvernement ne sera pas tenu, car ce sera revenir, en fait, à la forme de secours « solennellement » répudiée devant la Chambre. Il faut donc que la réparation soit totale, intégral, ainsi que l’équité l’exige – ainsi que le Conseil général du Pas-de-Calais en émettait le vœu, à l’unanimité, sur la proposition de M. Doutremépuich, dans sa session de septembre 1914 – ainsi que l’ont compris les populations des départements dévastés – ainsi que le pays tout entier le comprenait alors, on peut l’affirmer dans un élan de justice et de patriotisme – ainsi que le traduisait l’Économiste français du 3 octobre 1914 en ces termes précis : « la collectivité nationale doit assumer complètement le fardeau de ces ruines, non à titre de secours, mais à titre de restitution intégrale socialement et légalement due ». Pourquoi faut-il avouer que l’accord ne semble plus aussi parfait sur ce point. [25]

La question de l’évaluation elle-même des dommages vient mettre en échec le principe inattaquable à nos yeux, de la réparation intégrale. En effet, l’œuvre législative se poursuivant, le décret du 4 février institua les Commissions cantonales et les Commissions départementales « chargées e constater et d’évaluer les dommages matériels résultant des faits de guerre ». Le décret du 24 mars créa la Commission supérieure « chargée de la révision générale des évaluations des commissions départementales par la comparaison des méthodes et des taux adoptés par les différentes commissions ».

La commission supérieure n’ayant pas à s’occuper de constatations matérielles mais plutôt de discussions juridiques et contentieuses, le Gouvernement a cru devoir lui donner un caractère plus administratif encore. C’est ainsi qu’elle compte seulement deux représentants du Commerce et de l’Industrie (MM. Les Présidents des Chambre de commerce d’Arras et de Nancy) à côté de quarante membres désignés à d’autres titres et choisis presque exclusivement parmi les sénateurs, députés, conseillers d’État et hauts fonctionnaires des divers ministères. [26]

Et cependant personne ne peut ignorer que les 12 départements atteints par l’invasion et la dévastation possèdent 38 % des usines de France et notamment 60 % des usines nouvelles créées depuis dix ans (5548 sur 8959) ; que d’après les déclarations de successions, la fortune de ces mêmes départements est le quart de la fortune totale de la France ; qu’ils paient le sixième de l’impôt (811 millions sur 4816 millions en 1912) et que le commerce et l’industrie sont un facteur considérable de cette prospérité et de cette source de richesse pour le Trésor public.

La commission supérieure s’est mise au travail sans tarder mais si la discussion n’a pas porté sur l’étendue du droit à la réparation, l’application de ce que doit être la réparation elle-même a donné lieu à de vives controverses.

Pour ne parler que des dommages causés au commerce et à l’industrie, deux thèses se sont trouvées en présence. D’après la première, la réparation est, d’une façon générale, la reconstitution des choses détruites : l’indemnité doit donc [27] permettre de reconstituer une usine, par exemple, sauf certaines déductions à faire en raison de la vétusté des choses détruites. La seconde thèse, au contraire, ne considère que la valeur des choses au moment de leur destruction et non la somme que coutera leur reconstitution. La seconde opinion a prévalu malgré plusieurs abstentions et l’opposition énergique des représentants du commerce et de l’industrie.

Déjà d’ailleurs, les instructions ministérielles de février avaient spécifié qu’il faudra placer, pour l’évaluation de la valeur des biens détruits, au jour de la destruction – date qui donne, en fait, le chiffre le moins élevé, et par suite, tend à ménager les ressources du Trésor.

Or, l’intérêt de la distinction ne se borne pas à savoir si l’indemnité sera plus ou moins élevée : la portée en est bien plus haute et la gravité de la résolution prise par la majorité de la Commission supérieure apparaît immédiatement si l’on considère que l’article 2 du projet de loi déposé par le Gouvernement, le 11 mai 1915 est [28] ainsi conçu « l’octroi de l’indemnité sera subordonné à des conditions de remploi répondant à l’affectation des biens détruits ».

L’exposé des motifs déclare d’autre part qu’il ne pourrait être admis que « désertant demain la fonction économique ou sociale qu’il occupait avant la guerre, un indemnitaire obtint une indemnité soit pour vivre du capital, soit pour vivre du revenu ».

Ainsi donc, dit M. le Président, le « devoir de production » rendrait l’obligation du remploi formelle. Admettons-le : nos population du Nord et de l’Est, quelqu’éprouvées qu’elles soient ont des réserves d’énergies suffisantes pour que personne ne puisse douter de leur résolution bien arrêtée de se remettre au travail dès demain, de relever les usines détruites, de se donner corps et âmes à la restauration du sol, au réveil de la vie économique. Elles ne protestent pas contre cette conception d’un devoir de production générateur de leur droit à la réparation, mais que du moins elles soient payées de retour par le Pays et remises en état de travailler ! [29]

L’obligation de remploi est logiquement inséparable de l’attribution d’une indemnité, non de dédommagement mais de reconstitution. Une usine a coûté, par exemple, 100.000 francs quelques années avant la guerre, sa destruction peut représenter, en août 1914, déduction faite de la valeur du sol, de l’usure et si l’on veut, des parties échappées à la ruine, une perte de 60.000 francs. Telle est, dira-t-on, l’indemnité qu’il convient d’allouer à titre de réparation et à charge de remploi ? Erreur profonde, cependant, alors qu’en présence de l’inévitable majoration de tous les prix au lendemain de la guerre, il ne suffira peut-être pas du double de cette somme pour reconstituer l’usine dans une situation équivalente, et cela sans aucune amélioration relative, sans aucune enrichissement de l’industriel !

La contradiction entre l’intention du Gouvernement et les moyens proposés pour réaliser est manifeste, car ni salaires ni marchandises ne se paient avec des arguments juridiques et la reconstitution d’une usine, aussi bien que le réapprovisionnement [30] en marchandises ne peuvent se faire qu’aux cours du jour et non sur la base de tarifs antérieurs, surtout lorsque ceux-ci ont été complètement bouleversés par un cataclysme économique sans précédent.

Les choses en sont là, la Commission supérieure s’étant ajournée à une date ultérieure.

En résumé, le Gouvernement précisant aujourd'hui son point de vue, à savoir que la réparation n’est pas un droit civil mais un droit social- thèse contre laquelle nous ne songeons nullement à nous élever, le principe de la solidarité nationale étant à nos yeux suffisant – réduit l’engagement pris. Par l’obligation de remploi, la réparation devient en quelque sorte conditionnelle.

Mais la réalité ne se paie pas de mots et la conflit éclate entre le remploi obligatoire et le mode d’évaluation adopté.

M. le Rapporteur général de la Commission supérieure indique, à la vérité, que des avances ou des primes à la reconstitution pourront être [31] allouées par le législateur dans la mesure où la situation financière du pays le permettra.

Dans ces conditions comment le remploi peut-il être obligatoire ? La possibilité de reconstitution dépendra le plus souvent de l’attribution complémentaire d’une avance ou d’une prime. Voilà revenue, très aggravée et incohérente, le forme de secours sinon arbitraire, du moins éventuel.

Ces considérations amènent la Chambre à conclure par le vœu suivant :

La Chambre de commerce d’Arras

Considérant que le Gouvernement base le droit à la réparation des dommages résultant des fiats de guerre non seulement sur le devoir social de solidarité, mais encore sur l’intérêt national se restaurer les forces économiques, industrielles et agricoles détruites ; Que l’exposé des motifs du projet de loi déposé le 11 mai 1915 déclare qu’il ne saurait être admis que « désertant la fonction économique ou sociale qu’il occupait avant la guerre, un indemnitaire obtint une indemnité soit pour [32] vivre du capital, soit pour vivre du revenu » ;

Qu’en conséquence l’article 2 dudit projet de loi prévoit que « l’octroi de l’indemnité sera subordonné à des conditions de remploi répondant à l’affectation des biens détruits » ;

Considérant que, sans protester contre l’obligation du remploi dont l’intérêt économique ne saurait être méconnu, le commerce et l’industrie ne peuvent envisager la reconstitution de leurs établissements que dans les conditions où cette reconstitution sera possible au lendemain de la guerre ;

Qu’il est donc de toute évidence que l’indemnité réparatrice doit être calculée non sur la valeur vénale au jour de la destruction, mais sur le coût de la reconstitution au lendemain de la guerre [paragraphe écrit deux fois sur le document original] ;

Que tout autre mode d’évaluation serait [33] incompatible avec l’obligation du remploi ;

Que l’idée qui a été émise d’une avance ou d’une prime ramène à la force du « secours » répudiée à bon droit par le Parlement ;

Émet le vœu :

Qu’il soit précisé, dans le texte de la loi à intervenir que l’indemnité, si elle est accordée à charge de remploi, sera calculée d’après le coût de la reconstitution des biens détruits, le règlement définitif de ce compte étant reporté à la date d’achèvement de ladite reconstitution.

Dommages indirects

Poursuivant l’étude de la question des dommages résultant des faits de guerre, M. le Président fait observer que :

La distinction quant à leur nature, dit-il, des dommages résultant des faits de guerre, n’est pas moins importante que leur évaluation puisque si les uns ouvrent le droit à la réparation, les autres exposent les sinistrés à rester [34] dépourvus de tout secours.

Il est spécifié par l’article 12 de la loi du 26 décembre 1914 que le droit à réparation ne s’applique qu’aux dommages matériels, ce que l’article 2 du projet de loi déposé le 11 mai 1915 précise en ces termes : dommages matériels, certains et directs.

La jurisprudence et la doctrine sont en effet d’accord pour dire qu’en principe les dommages et intérêts ne sont dus que pour ce qui est une suite immédiate et directe, soit de l’inexécution d’une convention, soit du fonctionnement d’un service public, en dehors de certains cas spéciaux, et l’on ne saurait contester qu’il soit juridiquement logique d’assimiler la responsabilité de l’État pour faits de guerre, à celle qui découle pour lui du fonctionnement d’un service public.

La Commission supérieure d’évaluation des dommages n’en a pas moins été amenée à considérer très légitiment comme donnant droit à la réparation, bien que ce soit strictement parler un dommage indirect, la perte [35] de matières premières, de denrées ou de marchandises et qui résultera de leur abandon prolongé, au cours de la guerre, dans les magasins exposés, par exemple, au feu des combattants et où il était, par conséquent, matériellement impossible de les protéger contre l’humidité, la sécheresse, la fermentation, etc.

La Chambre de commerce se refuse à croire que tout a été fait dans cette voie de retour à la justice et décide d’adresse au Parlement les observations suivantes :

La réparation des dommages résultant des faits de guerre et la ruine des fonds de commerce spécialement dans les régions dévastées

La Chambre de commerce,

Considérant que l’article 1er du projet de loi déposé le 11 mai 1915 prévoit que « les dommages causés aux immeubles et aux meubles par les faits de guerre (occupation, attaque, défense) seront réparés pourvu que ces dommages soient [36] matériels et directs ». Et s’appuyant sur les déclarations du Gouvernement affirmant la volonté de « ne pas abandonner nos malheureux concitoyens qui ont subi un destin plus cruel que la guerre elle-même.

Prend la confiance d’appeler l’attention du Parlement sur les conséquences d’une interprétation strictement juridique du terme « dommages directs », dans certaines situations qui se présenteront trop fréquemment et parfois même d’une manière générale dans les régions soumises depuis près d’un an aux horreurs d’une entreprise méthodiques de pillage et de dévastation.

Ne doit-on pas en effet redouter que soient juridiquement exclus de tout droit à réparation, de ce chef, les commerçants dont le fonds est perdu sans retour – que les marchandises soient sauvées ou non – par suite de l’impossibilité de rouvrir utilement leurs comptoirs avant plusieurs années, peut-être, dans telle ou telle ville en ruines et dépeuplée, où le pouvoir d’achat et de consommation se trouvera pour longtemps [37] réduit au-dessous du strict minimum qui permet à un grand nombre de commerces non pas même de vivre, mais seulement de végéter ?

Souvent encore pour accroître la détresse de ces commerçants déjà éprouvés par une longue interruption des affaires dont ils n’ont, suivant le décret du 4 février à attendre aucun dédommagement, la dispersion, l’appauvrissement général de la clientèle entraîneront la perte du crédit demeuré en souffrance.

Trop heureux ceux que la guerre n’aura pas surpris au début d’une entreprise et redevables encore en tout ou en partie de capitaux empruntées ou du paiement de leurs fonds car ils en resteront débiteurs, avec la faillite comme ressource suprême pour les libérer du passé au prix de leur honneur commercial !

Dommages indirects que tout cela, dira-t-on : dura lex, sed lex. [la loi est dure, mais c’est la loi]

Ainsi donc, le sol des campagnes sera remis en état pour la reprise des travaux agricoles et le cultivateur retrouvera restaurée la terre bouleversée [38] par les obus et les tranchées : il l’ensemencera dès demain comme par le passé. Sa maison, ses outils, ses bestiaux lui seront rendus. L’industriel recevra une indemnité suffisante – nous voulons l’espérer – pour relever son usine et la faire renaître à la vie. Le propriétaire touchera le prix de son immeuble détruit.

Mais les commerçant dont il vient d’être parlé, quoique non moins éprouvés relativement, n’auront rien à prétendre. Fugitifs ils étaient ou résignés sous les obus, conservant du moins quelque espérance dans la déclaration faite, le 22 décembre 1914, par le Gouvernement, et tels ils resteront, mais sans espoir, rejetés en marge d’une solidarité nationale qui, sans aucun doute, aura payé aussi l’impôt du sang, mais qui n’aura ni les souffrances matérielles, ni les angoisses morales de l’invasion et qui s’avouerait impuissante à assumer, même pécuniairement toute sa juste part des calamités réservées à une partie seulement de la nation !

Des secours, il n’est pas impossible qu’il en soit attribués, fatalement arbitraires et aléatoires. [39] Mais de telles situations méritent mieux qu’une aumône et l’on chercherait vainement en dehors des rigueurs spéculatives du droit strict, pourquoi le droit à une réparation, d’ailleurs à étudier, leur est refusé quand il est acquis à des dommages dont il est incomparablement plus facile à l’initiative personnelle d’atténuer les conséquences. [40]

Séance du 22 juillet 1915

Tenue à Étaples

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président.

Présents : MM. A. Doutremépuich, Président, Bauvin, Bernard, O. Bouchez, Dreux, Michonneau.

La réparation des dommages résultant des faits de guerre et la procédure devant les commissions

I- Du droit pour les sinistrés de se faire représenter.

La Chambre de commerce,

Considérant que l’article 5 du décret du 4 février 1915 dispose que tout sinistré pourra s’il en fait la demande, ou si la commission le juge utile, être entendu par elle au sujet [41] de sa réclamation.

Que la circulaire ministérielle interprétative du 19 mars ajoute que si l’article précité ne confère pas aux victimes du dommage le droit de se faire représenter par un mandataire, les Commissions doivent toutefois admettre les sinistrés à se faire représenter ou accompagner par un parent ou par un habitant sinistré de la commune, muni d’une déclaration attestant que ce mandat est purement gratuit, la preuve d’une rémunération stipulée au profit du mandataire pouvant entraîner la nullité de la réclamation du sinistré.

Considérant que ces restrictions rendent à peu près nul, sinon le droit de se faire représenter, du moins l’exercice efficace de ce droit dont la circulaire ministérielle reconnait la nécessité ; Qu’il est en effet évident que, dans un très grand nombre de cas, la revendication sera présentée par un sinistré insuffisamment éclairé pour faire valoir pleinement [42] ses droits, quelle qu’en soit d’ailleurs l’importance ou encore affaibli par l’âge, les souffrances de la guerre ou de l’invasion et qui ne trouvera pas facilement le mandataire compétent et bénévole qu’il n’est autorisé à prendre que dans sa famille ou parmi ses concitoyens sinistrés;

Que partout où les commissions commenceront à fonctionner avant la fin des hostilités, il arrivera fréquemment que le sinistré sera encore mobilisé, retenu loin de son domicile et dans l’impossibilité matérielle de défendre lui-même ses intérêts ;

Que souvent encore se seront une veuve ou des orphelins qui n’auront en cas de contestation, d’autre appui à attendre qu’une complaisance étrangère ;

Que les limites très étroites mises au droit de se faire représenter conduisent donc, dans l’application, à des conséquences réellement dommageables pour les sinistrés ;

Émet le vœu :

Que tout sinistré soit admis à se faire [43] représenter par un mandataire de son choix, sans autres réserves que celles qui seront nécessaires pour empêcher, de la part de celui-ci, toute spéculation forfaitaire.

II- Du droit de demander une expertise et de l’appel des décisions des commissions.

La Chambre de commerce,

Considérant que l’article 5 du décret du 4 février 1915, autorise les Commissions d’évaluation des dommages matériels résultant des faits de guerre à entendre « toute personne ayant une compétence spéciale pour l’évaluation de certains dommages », mais que « les particuliers, hommes de l’art ou autres ne sauraient être tenus de renseigner les Commissions » ainsi qu’il résulte de la circulaire interprétative du 19 mars, les fonctionnaires et agents de l’État étant seuls tenus de la faire.

Que, d’après l’article 9, la Commission départementale statue définitivement sur la réalité et la consistance des dommages ; [44] Considérant que, s’il est manifestement impossible de contraindre des particuliers à mettre gratuitement leurs temps et leurs connaissances professionnelles à la disposition des Commissions, il n’en est pas moins évident que la documentation dont s’inspireront celles-ci présentera le plus souvent un caractère exclusivement administratif ;

Que les évaluations officielles donnant fréquemment lieu, en temps normal, à des contestations, à des expertises et à des recours juridictionnels, on ne s’explique pas que devant les circonstances présentes, où ne peuvent manquer de surgir les divergences d’appréciation les plus délicates, les mêmes garanties ne soient pas accordées aussi bien aux demandeurs qu’aux Commissions elles-mêmes ; Que seules ces garanties permettraient d’échapper au reproche d’injustice et d’arbitraire ;

Émet le vœu :

1. Qu’il soit reconnu à tout sinistré le droit de provoquer la nomination d’experts [45] désignés contradictoirement ;

2. Que soit institué un recours juridictionnel contre les décisions des Commissions.

[46]

Séance du 23 juillet 1915

Tenue à Étaples

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président

Incendie à la Chambre de commerce d’Arras

Au début de la séance et après adoption du procès-verbal de la précédente réunion, les membres de la chambre échangent les nouvelles reçues d’Arras durant la dernière quinzaine.

De nouveaux désastres sont venus s’ajouter à ceux qui déjà font une place d’honneur à notre ville parmi les cités martyres de la guerre que l’Allemagne fait à la civilisation.

Le Palais Saint-Vaast a été détruit presqu'entièrement par le bombardement et l’incendie. [47] Ce n’est pas seulement un des plus beaux spécimens de l’architecture religieuse du XVIIIe siècle qui disparaît, mais il faut déplorer en même temps la perte d’une grande partie des richesses que renfermait le vaste édifice occupé par la Bibliothèque communale, les Archives départementales, le Musée, l’Académie, etc. Les locaux affectés à la Chambre de commerce dans l’aile gauche du Palais n’ont pas été épargnés. Le dévouement de M. Leroy, membre de la chambre demeuré à Arras, a permis de sauver les registres mémoriaux de la Chambre, mais il ne reste rien des archives et de la bibliothèque et nous avons à regretter, de ce chef, d’intéressantes collections qu’il ne sera pas possible de reconstituer.

Malgré la tristesse dont il n’est pas possible de se défendre en présence de tels actes de vandalisme, M. le Président exprime les sentiments de confiance dont la Chambre ne cesse d’être animée et sa ferme volonté d’aider énergiquement, dès le lendemain de [48] la libération, le commerce et l’industrie de la région à se relever de leurs ruines.

Réparation des dommages de guerre

L’ordre du jour appelle la continuation de l’étude des propositions de loi relatives à la réparation des dommages résultant des faits de guerre.

La Chambre prend connaissance de diverses communications à ce sujet, et sursoit à conclure en attendant que la Commission parlementaire ait rendu public le texte de son rapport.

Questions diverses

La Chambre arrête ensuite le texte des réponses à faire à plusieurs demandes de renseignements au sujet des contrats d’assurances, du moratorium des loyers et des échéances.

La Chambre constate avec regret que [49] malgré la très large publicité donnée par la Presse aux lois et décrets rendus depuis quelques mois, le public semble très mal éclairé sur nombre de questions qui ne devraient plus soulever aucune hésitation dans l’esprit des intéressés.

Elle décide de rappeler d’une manière générale aux commerçants, par la voie des journaux locaux, qu’il est en ce moment de toute urgence, de conserver notes des dispositions législatives à mesure qu’elles sont publiées. Il n’est personne qui ne lise un journal chaque jour et il n’est pas un seul journal qui ne donne régulièrement ces renseignements très utiles.

La Chambre se fera d’ailleurs toujours un devoir de répondre aux demandes d’éclaircissements qui lui seraient adressées par ses commerçants. [50]

Séance du 10 avril 1917

Tenue à la sous-préfecture de Saint-Pol

Présidence de M. A. Doutremépuich

Présents : MM. Le sous-préfet, A. Doutremépuich, Président, Bernard, O. Bouchez, Michonneau, Segand, secrétaire

Excusés : MM. Le Préfet, Bauvin, Dreux, Frémy, Greber, Leroy.

Mis au courant de l’ordre du jour de cette réunion qui aurait eu lieu à Arras si les sauf-conduits nécessaires avaient pu être obtenus, les membres absents, retenus surtout par l’éloignement, avaient fait connaitre à M. le Président leur avis sur les différentes questions à l’étude.

En ouvrant la séance, M. le Sous-préfet souhaite la bienvenue à la chambre de commerce [51] et remercie M. le Président d’avoir bien voulu l’inviter à assister à cette réunion. Il a accepté d’autant plus volontiers qu’une collaboration presque quotidienne avec M. le président Doutremépuich, au milieu des complications croissantes entravant le ravitaillement de la population civile de la zone des armées lui a permis d’apprécier l’esprit de dévouement et le sens pratique dont est animée notre Compagnie, ainsi se fera-t-il toujours un devoir de lui venir en aide autant qu’il lui sera possible, dans l’accomplissement d’un mandat qui n’exige pas moins de prudence que de fermeté.

Répondant à M. le Sous-préfet, M. le Président se félicite d’avoir trouvé chez lui le concours le plus empressé et une connaissance aussi étendue que rapidement acquise des intérêts complexes d’une région où les conditions ordinaires de l’existence sont absolument bouleversées. Un prochain avenir ne peut que développer les heureux effets de relations aussi cordiales nées dans le temps [52] douloureux où nombre d’habitants de l’arrondissement d’Arras ont dû temporairement chercher un asile à Saint-Pol et dans les environs.

Bataille d’Arras et de Saint-Quentin

Prenant acte de la brillante avance réalisée depuis deux mois par l’armée franco-britannique, M. le Président se fait l’interprète de la Chambre de commerce pour adresser les plus chaleureuses félicitations à toutes les troupes alliées qui, de l’Yser à l’Euphrate, rivalisent d’héroïsme pour le triomphe de la liberté et de la civilisation : leur victoire est assurée, puisse-t-elle être prochaine !

Mort de M. Briquet et de M. Taillandier

Une terrible explosion a coûté la vie, le 31 mars, à Bapaume, à MM. Briquet et Tailliandier,[53] députés de l’arrondissement d’Arras qui s’étaient rendus dans cette ville, au lendemain de sa réoccupation, pour étudier sur place les mesures les plus urgentes à prendre en vue de rendre possible le retour des habitants. La Chambre de commerce sait avec quel empressement MM. Briquet et Tailliandier avaient pris en main les intérêts de leurs malheureux compatriotes ruinés par la guerre : elle s’incline avec émotion devant ces deux nouvelles victimes du devoir et adresse à leurs familles l’expression de sa plus profonde sympathie.

Don pour les victimes de la guerre

M. le Président a reçu la lettre suivante :

SP 23, le 23 mars 1917

Monsieur le Président,

Douloureusement ému du lamentable état dans lequel les barbares laissent les régions qu’ils abandonnent, je me permets de vous remettre inclus un chèque de frs [54] cinq mille, dont vous voudrez bien utiliser la contrevaleur en secours en nature en faveur de tous les habitants libérés du Pas-de-Calais, et les distribuer en objets de première nécessité, autres que des produits alimentaires.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de mes sentiments les plus distinguées.

Capitaine David Weill

La Chambre s’associe aux remerciements que M. le Président a fait parvenir au généreux donateur.

Ravitaillement et transports de la région du Nord

Par lettre en date du 16 mars 1917, M. Boudenoot, sénateur, a invité les Présidents des Chambres de Dunkerque, Calais, Boulogne, Béthune, Saint-Omer et Arras, à se réunir avec MM. Les sénateurs et députés du Nord et du Pas-de-Calais, le 22, au ministère du Travail [55] à l’effet de s’entretenir de la question du ravitaillement et des transports de la Région.

M. le Président n’ayant pu se rendre à cette réunion, à adressé à M. Boudenoot la lettre suivante :

Saint-Pol, le 20 mars 1917

Monsieur le sénateur,

Je reçois ce matin votre lettre du 16 et regrette vivement que les difficultés de communication ne me permettent pas de me rendre à votre convocation.

Vous me permettrez donc de confier à cette lettre ce que je n’aurais pas manqué de dire à la réunion.

On a poussé les habitants du front à maintenir le plus possible en activité les usines, le commerce et l’agriculture, et chacun s’est évertué à faire son devoir, mais la crise des transports a pris un tel caractère que le découragement se manifeste de tous côtés. L’agriculture ne reçoit ni engrais ni semences. L’armée britannique a transformé [56] notre région en un vaste camp retranché où toute culture est devenue impossible. Les blés sont foulés par les cavaliers. Les puits sont comblés par les détritus de toute nature, pour en éviter le charroi au dépôt. Les soldats anglais jettent leur pain et achète le pain français qui nous manquera dans quelques mois.

Les ravitaillements sont arrêtés pour les besoins de la défense nationale. La bière qui valait 0,25 le litre atteint le prix de 1 fr.

L’orge est taxée 31 fr. et se vend ici 30 fr. le malt qui devrait valoir 60 fr. au maximum est de 100 fr. à 110 fr. par suite de l’impossibilité de faire venir de l’orge de Beauce, de Bretagne et de Touraine. Il arrive bien de la bière anglaise moins bonne que celle de notre région, à 140 fr. le barril et chaque fût comporte un envoi de 6 louis en Angleterre, alors que nous avons en France du houblon à Hazebrouck et de l’orge suffisamment pour empêcher cette exportation de l’or. [57]

Les moulins à eau laissent passer la houille blanche sous leurs vannes alors que le charbon manque aux malheureux. Le blé se promène sur les voies ferrées alors qu’il devrait être écrasé sur place ainsi que le faisaient nos ancêtres avant l’établissement des chemins de fer. Le sucre n’arrive pas et les cartes de sucre ont été distribuées, donnant à croire aux populations qu’elles pourraient en obtenir pour la consommation familiale.

Les pommes de terre ont été réquisitionnées récemment sur le front au prix de 12 à 14 fr le quintal et le prix s’est élevé pour le consommateur à 35 et 40 c. le kilog et le ravitaillement par le dehors est devenu impossible.

Tout cela est lamentable. Comment nos populations vont-elles pourvoir à leur alimentation et à la nourriture de leur bétail si on les empêche de faire fructifier le sol sur lequel elles vivent et qui sera de plus en plus leur unique ressource ? [58]

Défense nationale ? Oui, c’est entendu. Mais il ne faut perdre de vue les intérêts vitaux de nos concitoyens, irrité d’un tel état des choses. Il faut bien reconnaître que tout manque de cohésion entre les grands services de l’administration. Tout doit se tenir, se lier, être solidaire, c’est ce qui n’existe pas. Le militaire ne veut rien avoir de commun avec le civil ; l’imprévoyance s’accentue chaque jour. L’opinion publique gronde, on ne veut pas entendre sa plainte. On ne vient pas asse sur le front se rendre compte de ce qui s’y passe.

On nous dit bien : prenez vos précautions, les transports vont être arrêtés. Mais, depuis des mois déjà, les autorisations sont systématiquement supprimées et on ne nous dit pas qu’elles sont rétablies pour l’instant. Alors… ce sera encore plus dur en avril ? Je vous laisse le soin de conclure.

Voilà, Monsieur le sénateur, ce que j’aurais voulu dire à la réunion si je n’avais pas été pris de court pour me rendre à Paris. Je me plais à croire que nos parlementaires [59] voudront bien venir se rendre compte, sur place, d’une situation inquiétante à tous égards. Je me tiens à leur disposition.

Agréez, je vous prie, Monsieur le sénateur, l’expression de mes sentiments très dévoués.

(signé) A. Doutremépuich

D’autre part, à la date du 22 mars, M. le Préfet écrivant à M. le Président appelait son attention « sur la combinaison suivante qui pourrait donner lieu à un nouvel échange de vues et peut-être à des décisions utiles ».

« Les Chambres de commerce dressent la liste par quantité des denrées nécessaires à l’alimentation de leur circonscription (farine et charbon exclus).

Elles s’entendent entre elles pour organiser un service de cabotage qui prendrait les marchandises commandées soit à Saint-Nazaire, à Nantes ou à Dunkerque et les amènerait à Boulogne ou à Calais, d’où elles seraient [60] dirigées sur les points divers du département par automobiles et chemins de fer d’intérêt local.

Un consortium de négociants et industriels se formerait aisément sous le patronage des Chambres de commerce pour organiser par cabotage et automobiles. Déjà, une entreprise de cabotage est organisée par la maison Worms et certains industriels ont projeté la création de services de transports automobiles. Les Chambres de commerce pourraient s’aboucher à eux. »

Après avoir donné lecture de ces documents qui précisent de la manière la plus nette, la situation économique du département, M. le Président consulte ses collègues sur le parti qu’ils jugent convenable d’adopter relativement à l’organisation projetée d’un consortium à intervenir entre les Chambres de commerce pour créer un service destiné à suppléer à la suppression des transports par voie ferrée sur les grandes lignes.

Des observations échangées il résulte que la Chambre de commerce d’Arras, en considération [61] de la situation tout à fait particulière faite à sa circonscription, croit devoir réserver sa liberté d’action, conserver son autonomie, sauf à se concerter avec la Chambre de Béthune, dont la circonscription très éprouvées également par la guerre, se trouve en présence de difficultés à peu près identiques.

M. le Président s’inspirera de cette indication dans les négociations administratives engagées à ce sujet.

Réparation des dommages de guerre

M. le Président rappelle brièvement les laborieuses étapes parcourues par cette importante question. Le projet de loi déposé par le Gouvernement, le 11 mai 1915, a été l’objet de longs débats. La chambre la remaniée sur plus d’un point, mais elle maintenu le principe du « remploi obligatoire » auquel notre compagnie s’était ralliée (délibération du 25 juin 1915). [62]

Aujourd'hui, la Commission sénatoriale vient de conclure au rejet du texte voté par la Chambre. C’est tout remettre en question au moment où il y a urgence d’aboutir au plus vite.

D'autre part, le désastre de nos pays dévastés se révèle plus effroyable qu’on ne pouvait l’imaginer il y a deux ans. Mais, dit M. le Président, nos résolutions ne doivent pas fléchir pour cela. Tous, nous devons répondre à l’appel du sol natal et la condition du remploi obligatoire nous sauvera des défaillances.

La Chambre partageant complètement cette manière de voir, décide de renouveler dans la forme suivante ses délibérations antérieures :

La Chambre de commerce

Considérant que si le texte du projet de loi relatif à la réparation des dommages de guerre, tel qu’il a été adopté par la Chambre des députés, ne répond qu’imparfaitement aux légitimes espérances fondées sur [63] les déclarations antérieures du Gouvernement et du Parlement, l’accord intervenu sur ce texte permet du moins aux victimes de la guerre de considérer comme acquis, dès à présent, dans ses grandes lignes, un régime draconien, peut-être, mais nettement défini et toujours susceptibles d’être amélioré par des dispositions légales complémentaires.

Que d’autre part, la Commission spéciale vient de se déclarer défavorable à l’adoption de ce projet et s’est ralliée au principe de la réparation intégrale sans réserve conditionnelle, alors que des considérations d’un ordre supérieur avaient fait prévaloir devant la Chambre le « remploi obligatoire » comme condition sine qua non de l’indemnité maximum.

Considérant que la détermination prise par la Commission sénatoriale est doublement regrettable en ce qu’elle bouleverse complètement le travail de la Chambre et que, rouvrant un débat qui s’est déjà prolongé durant plus d’une année, elle expose le pays [64] à attendre longtemps encore une décision au moment même où l’évacuation progressive du territoire envahis rend particulièrement urgent de faire cesser au plus tôt l’anxiété des populations intéressées relativement à la résolution d’une question dont dépend désormais leur existence.

Que, de plus, les effrayantes constatations faites chaque jour dans les cantons reconquis à mesure que recule l’envahisseur, ne font que rendre plus impérieuse les motifs qui plaident en faveur du remploi obligatoire.

Qu’il appartient, en effet, à la Chambre de commerce d’Arras dont la circonscription presqu'entièrement, n’offrira bientôt plus, comme la ville elle-même, que le lamentable tableau de la dévastation la plus raffinée, d’affirmer que le relèvement de semblables ruines n’est possible que si chacun reste fidèle au foyer détruit ;

Que si tels sont, à la vérité, la conviction et le souhait ardent de la majorité des [65]] sinistrés dans les rangs desquels l’exil, les privations, les angoisses les plus cruelles n’auront excusé que trop de vides douloureux, il n’est pas vraisemblable que le découragement, le désir de s’éloigner de lieux pleins de souvenirs tragiques, et d’autres circonstances encore, ne provoquent aussi parmi eux bien des défaillances, parfois peut-être en nombre suffisant pour inquiéter les efforts de ceux dont le courage et l’amour indéfectible de la petite patrie attendent impatiemment l’heure de poursuivre, sous une forme nouvelle, la dure revanche de la civilisation contre la barbarie ;

Que tout risque d’une telle dispersion, si grosse de conséquences désastreuses, doit donc être à tous prix évité ;

Considérant que l’intérêt général du pays exige que la région du Nord retrouve non pas seulement une existence végétative et précaire, mais la prospérité agricole, industrielle et commerciale qui en faisait l’un des plus fermes soutiens de la Nation et de [66] la fortune publique ;

Qu’un but aussi élevé justifie la mesure coercitive en apparence, mais tutélaire en réalité, qu’est l’obligation du remploi de l’indemnité à la reconstitution de la chose détruite ;

Émet le vœu :

Que le Sénat tout en s’inspirant dans une large mesure du sentiment élevé de stricte justice qui a amené la Commission à conclure à la répartition [lire « réparation »] intégrale sans condition, se borne à réviser dans un sens plus libéral le tarif des indemnités établi par la Chambre des députés et maintienne l’obligation du remploi comme condition de la réparation intégrale.

[67]

Séance du 21 juillet 1917

Tenue à Arras

Présidence de M. A. Doutremépuich

Présents : MM. Doutremépuich, Président, Bauvin, Dreux, Duquesne, Leroy, Michonneau, Quiquet, directeur de la succursale de la Banque de France.

Excusés : MM. Bernard, O. Bouchez, Dropsy, Frémy, Greber

En ouvrant la séance, M. le Président dit qu’à la veille du troisième anniversaire de la déclaration de guerre, notre pensée doit aller tout d’abord, avec autant d’admiration que de reconnaissance, vers ceux qui depuis trois années, soutiennent les armes à la main avec un héroïsme et une confiance indéfectible, le plus effroyable assaut que [68] la barbarie ait jamais donné à la civilisation. Sous leur effort, l’ennemi a dû évacuer une partie du territoire envahi ; les environs d’Arras sont dégagés et si le retour des habitants n’y est pas encore possible, du moins quelques-uns peuvent-ils, comme nous le faisons aujourd'hui, prendre contact avec la ville martyre et y fortifier en présence de l’immensité des désastres, la ferme résolution qui nous est commune de se consacrer dès demain à l’œuvre de résurrection, œuvre longue et rude, il ne faut pas se le dissimuler ; elle nous rivera pour longtemps à un rude travail et à bien des privations pendant que d’autres régions de la France pourront saluer sans arrière-pensée, l’aurore de la paix ; mais c’est sans regret que nous voulons vouer ce qui nous reste d’énergie et d’intelligence, à sauver un pays qui nous est deux fois cher. Notre devoir est de montrer aux hommes des jeunes générations, à leur retour parmi nous, que leurs pères, fidèles au foyer, n’hésitent pas à se mesurer face à face avec les [69] formes les plus tragiques de l’adversité dont jeunes et vieux, fortement unis, ne peuvent pas ne pas triompher.

La libération partielle des cantons de Bapaume et de Croisilles, odieusement ravagés, comme le canton Nord d’Arras, nous a valu le rapatriement de nos deux collègues. M. Dropsy, maire du Transloy, et M. Duquesne, maire de Chérisy, et nous sommes particulièrement heureux de voir M. Duquesne reprendre aujourd’hui sa place au milieu de nous. Nous avons su, sans en être surpris, l’exemple de courage qu’il a donné à ses compatriotes et le dévouement avec lequel il n’a cessé de leur prodiguer son appui et ses encouragements, au milieu des souffrances de l’occupation. La Chambre tient à lui en exprimer ses plus cordiales félicitations en même temps qu’elle les adresse à M. Dropsy qui a partagé les mêmes épreuves dans des conditions que la situation du Transloy rendait peut-être plus pénible encore.

M. Duquesne remercie M. le Président : il ne [70] pouvait, dit-il énergiquement, mieux prouver les sentiments dont il est animé, qu’en se rendant à la première convocation de la Chambre pour affirmer lui aussi, l’inébranlable volonté des rapatriés, de relever les ruines qu’ils ont vu accumuler systématiquement autour d’eux – et revendiquer le droit de nos populations martyrisées à l’aide fraternelle de toute la Nation.

M. le Président est heureux de souhaiter la bienvenue à M. Quiquet, nouveau directeur de la succursale de la banque de France à Arras. Il voit dans sa présence à cette réunion un nouveau témoignage de l’intention déjà manifesté par notre grand établissement financier, d’apporter sa large contribution à la rénovation d’Arras et de la région. Cette initiative est entre toutes, de nature à produire sur la population la plus réconfortante impression, à entrainer les bonnes volontés hésitantes et à provoquer à bref délai le large courant de confiance qui doit présider à [71] notre réveil économique.

M. Quiquet, répondant à M. le Président, exprime la satisfaction qu’il éprouve à pouvoir donner à la Chambre de commerce, au nom de la direction de la Banque de France, l’assurance du concours le plus actif dans la grande œuvre à entreprendre. Personnellement, il se félicite d’avoir pu assister à cette première réunion tenue à Arras, après trois années d’exil, par les représentants du commerce et de l’industrie de la région, qui trouveront en lui un collaborateur attentif et dévoué. Dès à présent, une réinstallation provisoire des services de la Banque de France est à l’étude et leur fonctionnement peut être considéré comme tout prochain.

Réparation des dommages de guerre

M. le Président rappelle en quelques mots le vœu formulé par la Chambre de commerce dans la dernière séance tenue à Saint-Pol, le 10 [72] avril dernier, l’autorisation d’aller jusqu’à Arras n’ayant pu être obtenue.

Depuis lors, la situation n’a pas changé bien que la délivrance d’une étendue importante du territoire rendre une solution de plus en plus urgente.

Sur cette question, la Chambre, après en avoir délibéré,

Considérant que le parlement a proclamé dès 1914 le principe du droit à la réparation intégrale ;

Que le projet de loi déposé par le Gouvernement, le 15 mars 1915, a été l’objet de longues discussions auxquelles il ne reste rien à ajouter.

Que ce projet, dans la forme transactionnelle où il a été voté par la Chambre des députés permet au moins de considérer comme acquis un minimum de réparation – dont la commission sénatoriale refuse, il est vrai, de se contenter – mais qui autorise les sinistrés à envisager, dès à présent, les conditions dans lesquelles il leur sera [73] donné de se mettre au travail en vue du relèvement de leurs entreprise commerciales, industrielles ou autres.

Confirmant dans toute leur teneur ses délibérations du 25 juin 1915 - déjà renouvelées – et du 10 avril 1917.

Émet le vœu :

Que le Sénat adopte dans son ensemble, le projet voté par la Chambre des députés et maintienne l’obligation de remploi comme condition de la réparation intégrale ;

Que les avances prévues à valoir sur lesdites indemnités soient attribuées dans la plus large mesure et dans le plus bref délai pour rendre possible les réparations les plus urgentes ;

Et que le Parlement prenne en considération la nécessité d’une prompte solution de cette question, dont l’urgence ne peut plus être discutée. [74]

Retour des habitants dans les régions libérées

Après un échange d’observations, la Chambre de commerce,

Considérant que, dès leur retour et même en pouvant compter sur l’aide du Gouvernement, les habitants vont avoir à lutter contre des difficultés matérielles et morales si complexes et si diverses que toute énumération en est superflu ;

Que cette situation sans précédent justifie des mesures exceptionnelles qui ne sauraient se résumer purement et simplement en une aide pécuniaire ;

Considérant qu’un réel droit social de préférence ne peut être contesté aux anciens habitants pour reprendre leur existence dans les pays temporairement envahis et y restaurer la vie locale telle qu’elle était au jour de l’invasion ;

Que, par suite, leur retour doit être accompagné de garanties permettant d’espérer [75] que leur effort ne sera pas paralysé par l’installation simultanée de concurrents à qui les épreuves communes auront été épargnées et disposant, dès le premier jour des moyens d’absorber une grande partie de l’activité commerciale de la région ;

Émet le vœu :

Qu’à mesure de la rentrée possible dans les diverses localités libérées, les autorisations soient accordées de préférence et avant toutes autres, durant un temps à déterminer, aux commerçants et industriels précédemment établis et patentés dans les localités ;

Et qu’en vue de faciliter les réinstallations, les plans prévus par la loi soient dressés dès à présent pour éviter toute entrave nouvelle à la réalisation des projets déjà élaborés et prêts à être mis à exécution. [76]

Ravitaillement civil

Des observations présentées par plusieurs membres de la Chambre et résumées par M. le Président, il résulte que le ravitaillement civil continue à se heurter sur le front à des difficultés inextricables. Il n’est plus possible d’y trouver pour les chevaux indispensables au commerce et à l’industrie des nourritures quelconques à des prix normaux. L’intendance militaire achète notamment l’avoine à 31 fr. le quintal alors que les prix demandés commercialement atteignent le double, de sorte que l’acheteur est placé dans l’alternative de passer par ces exigences et de se mettre en contravention avec les taxes, ou de laisser dépérir ses attelages.

Il n’est cependant pas admissible que le Gouvernement continue à se désintéresser d’une telle situation aggravée encore par les réquisitions du matériel de transport et les restrictions apportées aux expéditions par voies ferrées.[77]

Considérant, au contraire, que quelque fermeté administrative et une répartition des circonstances permettraient d’apporter un remède à des pratiques aussi abusives,

La Chambre de commerce émet le vœu que des commissions mixtes composées de militaires et de civils chargées d’assurer le ravitaillement des chevaux à des prix raisonnables [soient créées].

Transports

Sur cette question, la Chambre de commerce,

Considérant que le rétablissement des transports, avec un maximum de facilités de toute nature, est une condition primordiale de la réduction des délais fatalement prolongée, qu’exigera le travail de relèvement industriel et commercial des régions dévastées par la guerre ;

Qu’il s’impose donc de rompre avec [78] les théories néfastes qui ont, jusqu'à ce jour, entravé le raccordement des voies ferrées et des voies fluviales et diminué ainsi considérablement le rendement précieux qui peut être attendu de ces dernières ;

Qu’il est inadmissible que l’intérêt général soit tenu plus longtemps en échec par ses divergences de vues s’inspirant d’intérêts particuliers,

Émet le vœu :

Que les études préliminaires à la reconstruction des usines entravent leur raccordement direct aux gares et aux canaux,

Que l’administration compétente envisage, dès à présent la possibilité de raccorder les voies ferrées et les voies fluviales, partout où ce travail ne se heurtera pas à des difficultés exagérées,

Et que la voie fluviale soit aménagée de manière à faciliter la navigation des bateaux de fort tonnage. [79]

Réquisitions militaires

La Chambre de commerce,

Considérant qu’au début des hostilités de nombreuses réquisitions ont été faite par suite de l’urgence des besoins et de la gravité des circonstances, avec des irrégularités qui s’expliquent mais dans les conséquences ne doivent pas être supportées par les fournisseurs pris, le plus souvent, au dépourvu ;

Que des commissions de liquidation ont été nommées en vue de solutionner les réclamations présentée mais que les lenteurs apportées dans le fonctionnement de ces commissions causent aux prestataires de réels préjudices ;

Renouvelant les observations déjà présentée à ce sujet, dès juillet 1915 ;

Prie instamment M. le Ministre du Commerce d’intervenir auprès de l’autorité militaire pour que le règlement des réquisitions s’effectue plus rapidement,

Que notamment, la régularisation des [80] réquisitions irrégulièrement faites soit poussée avec plus d’activité et qu’enfin la recherche des corps auxquels appartiennent les offices requérants qui ont délivré des bons irréguliers ne soit pas exigée des prestataires mais incombe, ainsi qu’il est logique, à l’administration chargée du règlement.

Le pain

Sur la proposition de M. le Président.

La Chambre de commerce,

Considérant que l’extraction à 85 % de la farine, dans les régions où le blé n’est pas d’un poids spécifique correspondant à cette mesure, entraîne des abus qui ont une fâcheuse répercussion sur la qualité des pains, et que des protestations se sont élevées relativement aux conséquences qui pourraient en résulter pour la santé publique ;

Considérant d’autre part que nombre des moulins n’ont pas le matériel voulu pour satisfaire aux [81] règlements actuels, Émet le vœu :

Que l’inspection des usines à farine soit faite par des inspecteurs compétents, choisis par les professionnels qualifiés, notamment des meuniers mobilisés, territoriaux ou [R.A.T.] en vue de signaler les insuffisances du matériel et d’y faire apporter remède[82]

Séance tenue à Étaples le 15 octobre 1917

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président

Présents : MM. Doutremépuich, Président, Bauvin, Bernard, O. Bouchez, Dreux, Leroy, Michonneau

Excusés : MM. Dropsy, Duquesne

Dommages de guerre

Après avoir entretenu ses collègues de l’état stationnaire de la question, M. le Président propose la résolution suivante :

La Chambre de commerce, Considérant que tous les projets de relèvement des régions dévastées par la guerre [83] sont tenus en arrêt par la solution retardée depuis 3 ans, de la question de réparation des dommages de guerre,

Que quoi qu’il arrive, rien ne saurait infirmer ce principe que la restauration du territoire est à la charge du pays tout entier en vertu de la solidarité nationale proclamée par le Gouvernement dès le 24 décembre 1914 ;

Que ce principe doit être tout d’abord formellement consacré par la loi ;

Considérant d’autres part que la réparation légitimement due aux sinistrés doit se proposer d’indemniser non pas seulement les particuliers, mais surtout de reconstituer la richesse du pays autant que possible, dans la forme même et dans les mêmes régions où elle s’était développée librement ;

Que le seul moyen d’assurer ce résultat est de subordonner le droit à la réparation intégrale au remploi obligatoire de l’indemnité à la reconstruction de la chose [84] détruite ;

Confirmant pour le surplus ses délibérations antérieures, longuement motivées ;

Émet le vœu que le Sénat vote d’urgence le projet de loi comportant l’indemnité intégrale avec le remploi obligatoire, Et renouvelle ses plus vives instances auprès de M. le Ministre du Commerce pour qu’il intervienne dans ce sens, lors de la prochaine discussion du projet de loi soumis au Sénat. [85]

Séance tenue à Étaples le 16 novembre 1917

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président

Présents : MM. Doutremépuich, Président, Bauvin, O. Bouchez, Dreux, Leroy, Michonneau, membres titulaires.

F. Blondel, membre correspondant.

Membres correspondants

M. le Président donne connaissance des lettres par lesquelles MM. F. Blondel, Ibled, Quiquet, nommés membres correspondants pour l’exercice 1917-1918 acceptent cette désignation et en expriment leurs remerciements. [86]

Fonctionnement de la chambre de commerce

M. le Président informe la Chambre que le fonctionnement régulier de son secrétariat est désormais assuré à Saint-Pol, 23 rue Wathieumetz, où auront lieu désormais les réunions régulières, sauf avis contraire.

Avis en a été soumis à M. le Préfet et à M. le Ministre du Commerce et les comptes et budgets seront soumis à la Chambre à sa prochaine séance.

Communications Saint-Pol-Arras et Arras-Paris

La Chambre prend acte avec satisfaction des facilités relatives qu’a réalisées, dans les rapports Arras-Paris, l’admission des voyageurs sur la ligne d’Achiet.

Les habitants à qui il n’est pas encore possible de rentrer éviteront du moins le long [87] et onéreux détour par Abbeville, lorsque leurs intérêts les appelleront à Arras. Mais ces communications sont encore pénibles et il serait vivement à souhaiter que la Compagnie du Nord, dont la bonne volonté n’est pas en doute, pût concilier avec les exigences militaires, un horaire plus pratique. En exprimant ce vœu, la Chambre y joint celui de voir établir entre Arras et Saint-Pol un service permettant l’aller et le retour dans la même journée avec un séjour de plusieurs heures à Arras.

Ravitaillement civil

Les membres de la Chambre de commerce signalent à M. le Président un grand nombre de faits relatifs au ravitaillement de la population civile, tant en alimentation qu’en combustible, dont la répétition continuelle depuis plusieurs semaines appelle une prompte et énergique intervention [88] de la part du Gouvernement.

M. le Président, répondant à cette expression spontanée d’une émotion générale constatée par ses collègues, donne connaissance de la lettre qu’il a adressée à M. le Ministre Claveille, à la date du 6 novembre, à la suite de la visite faite par celui-ci à Saint-Pol quelques jours auparavant.

Depuis lors la situation ne s’est nullement améliorée et les protestations affluent. La difficulté de se procurer de la farine et même son défaut absolu, non seulement dans certaines villes de la région Arras-Saint-Pol, mais dans les communes mêmes qui sont productrices de blés et où les battages se font quotidiennement excite le mécontentement le plus vif et le plus justifié. Il est impossible que nous soyons réduits plus longtemps à ce scandale de voir les producteurs de blé manquer de farine et le produit de leur travail être, de préférence, réservé à d’autres destinations. [89]

Bien plus, alors que certaines communes manquent de pain, on y réquisitionne les pommes de terre, quoique l’approvisionnement constitué par ces communes n’excède cependant pas leurs propres besoins pour suppléer au pain dont elles sont privées. Le fait vient de se passer sous nos yeux, à Dainville, où 600 habitants, revenus pour reprendre la vie communale et qui ont droit à d’autres égards, se trouvent ainsi dans la situation la plus précaire.

Non seulement, faute de charbon, des briquetiers renoncent à reprendre leur travail avant le printemps prochain, mais la brasserie qui se voit, outre le charbon refuser le grain, ne peut ainsi fabriquer une bière qu’elle produit à 30 frs alors que les bières de Paris arrivent ici sans difficulté, pour s’y vendre trois fois ce prix !

Les empêchements se toute nature apportés au ravitaillement contribuent à produire [90] une hausse invraisemblable des prix des services, et la population qui comporte nombre de réfugiés dont les ressources sont minimes, souffre au plus haut degré.

Dans tout cela éclate la preuve manifeste d’un défaut, d’une absence absolue, peut-on même dire, d’organisation du ravitaillement civil. La Chambre peut-elle rester indifférente à un tel état des choses et n’est-il pas de son devoir de le porter à la connaissance des ministres compétents, en se faisant l’interprète des doléances de la région ?

La Chambre de commerce donnant sa pleine approbation à l’exposé sommaire présenté par M. le Président, le convertit en délibération qu’elle recommande avec les plus vives instances à toute l’attention des pouvoirs publics.

Reconstitution des Régions libérées

La volonté exprimée par M. Claveille, [91] Ministre des travaux publics, lors de sa visite à Saint-Pol, de voir encourager le plus possible la rentrée des habitants, amène la Chambre de commerce à reprendre à nouveau le côté le plus urgent de la question, qui est la préparation des matériaux destinés à la remise en état des habitations réparables et à la reconstruction ultérieure des immeubles détruits.

La fabrication de la brique doit donc être activée et facilitée par tous les moyens. Des initiatives privées viennent de se faire jour : elles ont fait une étude très sérieuse de la situation à tous les points de vue, et présentent toutes les garanties pour assurer dans les meilleures conditions une production rapide en rapport avec l’étendue des besoins auxquels il faudra faire face.

Les initiatives privées sont préférables à toute autre mode de production d’abord envisagé, car elles sont une première manifestation de la reprise industrielle dans [92] la région. Mais par cela même que les besoins sont considérables, et qu’il s’agit en même temps d’une fourniture de première nécessité, le Gouvernement ne peut se dispenser d’envisager cette entreprise de la manière la plus efficace.

On sait qu’elle est l’importance du prix du charbon comme coefficient de la celui de la brique. Il serait donc inadmissible que celui-ci fut exposé à subir une majoration avec la hausse exagéré du combustible. Le charbon destiné à la cuisson des briques devra donc être livré aux briquetiers aux prix les plus réduits de la production française dans les mines situées aux portes même des pays récupérés, pour atténuer le plus possible les charges de la reconstruction, c’est-à-dire le charges de l’État lui-même, qui devra servir, de ce chef, de lourdes indemnités.

La Chambre émet en conséquence le vœu que les entreprises personnelles ou [93] collective travaillent [lire travaillant] à la fabrication des briques, en vue de la reconstitution des régions dévastées par la guerre, soient l’objet de tous les encouragements de la part de l’État et que, en première ligne, le charbon français leur soit assuré au prix le plus strict. [94]

Séance du 21 janvier 1918

Présidence de M. A. Doutremépuich, Président

Présents : MM. Doutremépuich, Président, Bauvin, O. Bouchez, Leroy, Michonneau, Frémy, Bernard, membres titulaires.

Ibled, membre correspondant.

Excusés : MM. Dreux, Duquesne, Dropsy, Greber, membres titulaires.

Blondel, Quiquet, membres correspondants.

Ravitaillement civil

M. le Président expose la situation de ces termes :

Messieurs, je dois vous entretenir tout d’abord de la plus importante des questions qui puisse actuellement vous préoccuper : [95] c’est celle du ravitaillement de notre circonscription et, en premier lieu, du ravitaillement en charbon industriel.

Vous vous rappelez qu’à la multitude des consommateurs réclamant chacun isolément son charbon dont il a besoin, les instructions ministérielles du 12 juillet 1917 ont substitué sept parties prenantes en grandes collectivités auxquelles sont attribuées des contingents révisables de charbon, de façon que le total de ces contingents reste égal au total des disponibilités variables que l’on peut escompter en charbon anglais et en charbon français.

C’est aux représentants des collectivités qu’incombe la tâche d’effectuer sous le contrôle ministériel, la répartition entre les consommateurs qui en font partie. La petite industrie, c’est-à-dire celle qui consomme mensuellement moins de 20 tonnes, adresse directement les demandes à la Préfecture ; la grande industrie, c’est-à-dire celle [96] dont les mensualités sont de 20 tonnes et au-dessus, passe des ordres à la chambre de commerce qui, suivant le contingentement attribué à sa circonscription les transmets tels quels ou réduits au bureau permanent du service des charbons de Bruay chargé, pour la Chambre d’Arras, d’en assurer l’exécution. Certains de nos [?] peuvent ressortir encore du Groupement de l’Armement, pour les fabrications de guerre, ou de celui de l’Intendance pour divers besoins spécifiés par le règlement.

Telle est, en quelques mots l’organisation, plus simple en apparence qu’en réalité, du service charbonnier en France.

La situation était déjà difficile, ainsi que nous l’avions constaté dans notre dernière séance, lorsque M. Claveille, Ministre des Travaux publics, vint au cours d’une visite par lui faite à Saint-Pol le 2 novembre dernier, affirmer la volonté du Gouvernement de voir l’industrie du [97] Nord retrouver son activité et appliquer toutes les forces de sa production au ravitaillement et au réveil économique de la région.

Quelque énergique qu’ait été l’expression de ces sentiments, elle demeura sans effet, les moyens de passer à l’exécution s’en étant fait attendre au-delà de toute mesure. Alors que, par exemple, il est d’un intérêt capital, en vue de la remise en état des villes et des villages détruits, de préparer dès à présent des quantités considérables de matériaux de construction, la plupart des briqueteries des environs ont dû cesser leur travail bien avant l’époque accoutumée, faute de charbon. Et cependant le charbon est extrait en quantité importante des fosses voisines ; mais celui-ci recevait d’autres destinations et nous ne pouvions obtenir, difficilement d’ailleurs, que des charbons anglais, à des prix qui en rendent l’usage désastreuse pour l’industrie. [98]

La Chambre de commerce persistant dans l’attitude qu’elle avait prise en vertu d’une délibération formelle du 15 octobre 1917, se refusa à prêter son concours à la répartition, dans sa circonscription, de tout autre charbon que du charbon français. Elle finit par obtenir gain de cause, mais trois mois de réclamation, de démarches, de correspondances journalières avec les multiples bureaux d’un organisme administratif complexe furent nécessaires pour aboutir à un régime qui ne date que des premiers jours du présent mois, mais dont il est permis d’espérer qu’il donnera satisfaction à tous nos ressortissants – bien entendu dans la mesure des quantités mises à notre disposition. Les quantités sont actuellement réduites de 1.100 à 600 tonnes par mois, attribution qui se trouvera certainement insuffisante au printemps prochain, et nous forcera à opérer des réductions proportionnelles, si nous ne pouvons obtenir une [99] plus large quote-part, malgré tous les droits que notre contrée peut faire valoir à la bienveillance du Gouvernement. A nous en tenir aux assurances données par le Bureau permanent de Bruay, actuellement les mensualités de décembre doivent être livrées, et partie de celles de janvier. Il nous est difficile d’être régulièrement au courant de la situation, le Bureau permanent ne nous avisant pas des expéditions et les intéressés mettant beaucoup moins d’exactitude à nous signaler les livraisons qui leur sont faites que le retard apporté à les servir.

Si les brasseurs ont, comme les briquetiers, pâti du manque de charbon leur cas s’aggrave par suite de la rareté des grains. L’orge est régulièrement réquisitionnée pour l’alimentation jusque dans les brasseries et les malteries où l’approvisionnement dépasse deux mois dans le Nord [100] et de l’Est et un mois dans le reste de la France. Si l’on en trouve, ce n’est plus qu’à des prix atteignant et dépassant le double de la taxe établie par le décret du 30 novembre 1917. Cependant, certaines grandes brasseries de Paris et de l’Est peuvent continuer leur travail tandis que la brasserie de notre région se voit amener à cesser sa fabrication et, dans l’impossibilité où nous sommes de produire la boisson régionale dont le prix ne dépasserait guère 35 frs, nos brasseurs vont en venir à se faire revendeur de bières d’un prix trois fois plus élevé.

Et cela malgré la promesse récente du Ministre que la réquisition n’irait pas jusqu’à supprimer la vente de la bière dans les débits et restaurants, mais cette suppression se trouvera atteinte, en fait, le prix de 100 frs l’hectolitre de bière devenant réellement prohibitif pour une partie de la population.

Il en est de même pour l’avoine qui [101] devient introuvable et la nourriture des chevaux est un nouveau problème.

Répondant au désir de plusieurs industriels, M. le Président s’est préoccupé des moyens de leur procurer des succédanés de l’orge et de l’avoine. Les démarches faites dans ce but auprès des Chambres de commerce du Midi n’ont pu encore donner de résultats. Partout on se heurte à la réquisition.

La farine a manqué, elle aussi, à diverses reprises, au cours des mois d’octobre et de novembre, même dans un pays producteur de blé tel que le nôtre. Il n’est pas dans les attributions de la Chambre d’en rechercher les causes, mais nous avons constaté de nos yeux que le blé battu dans le territoire même où il avait été récolté partait au dehors sans qu’un seul sac de farine ne revint. En présence d’une organisation aussi déplorable du ravitaillement civil, M. le Président n’a pas [102] hésité à se faire, au nom de la Chambre de commerce, l’interprète du mécontentement très vif et très justifié de la population. Depuis quelques semaines, ces incidents ne se sont heureusement pas reproduits, à notre connaissance.

La distribution de sucre donne lieu, de son côté, à des complications continuelles. En cette matière, le rôle de la Chambre de commerce consiste à s’assurer que la répartition, est bien faite entre les communes par l’agent réceptionnaire nommé par le Préfet, suivant les quantités mises à la disposition de celui-ci par le Comité départemental.

Quant au service des tickets, c’est aux maires qu’il incombe en totalité. Notons en passant que les réclamations du consommateur sont provoquées non pas seulement par le défaut de sucre, mais surtout par le fait que les maires ne surveillent pas avec le soin nécessaire le mouvement de la population et que, dès lors,[103] elles présentent au Comité départemental des demandes insuffisantes, ou n’avisent pas les détaillants des réductions qui devraient être opérées par eux sur les quantités à livrer à chaque habitant.

Sans être animé d’un parti-pris inexcusable à un moment où le concours de toutes les bonnes volontés doit être plus intime que jamais il est permis de constater que les lenteurs et les complications de l’administration tant civile que militaire, contribuent pour une large part à entretenir les difficultés de la situation. Il est profondément dommageable pour le pays que semble restée lettre morte la circulaire du 24 septembre 1917, par laquelle M. Klotz, Ministre des finances, enjoignait au personnel placé sous ses ordres de supprimer les formalités inutiles et les écritures surabondantes, et prenant acte des récentes circulaires de M. Clémenceau, Président du Conseil et Ministre de la Guerre,[104] relativement à l’urgence de simplifier les méthodes administratives, la Chambre se propose de donner toute son approbation à cette nouvelle initiative et d’émettre le vœu qu’il en soit rigoureusement tenu compte dans tous les services publics et particulièrement dans ceux dont relève à un degré quelconque, le ravitaillement du pays.

Les réfugiés et la vie chère

La Chambre de commerce d’Arras est à proprement parler une assemblée de réfugiés puisqu'à l’exception d’un seul, tous ses membres peuvent revendiquer ce titre peu [?]. Il était donc naturel que son Président, dès son arrivée à Saint-Pol, y devint rapidement l’objet de sollicitations de toute nature de la part de nos malheureux compatriotes réfugiés et ruinés, qui se sont repliés à faible distance du front et y sont retenus par [105] l’indéracinable espérance si souvent déçue de réintégrer à bref délai les ruines auxquelles nous rattachent les liens les plus sacrés.

Qu’il s’agit des commerçants ou de non-commerçants, la Chambre de commerce n’avait pas à distinguer entre nos compagnons d’infortune et devait s’efforcer d’aider tous ceux qui avaient recours à elle, soit à obtenir les secours auxquels ils pouvaient prétendre, soit à revendiquer le bénéfice des dispositions législatives instituées en leur faveur, soit simplement à s’éclairer sur les lois récentes, fiscales et autres, trop souvent confuses ou contradictoires, qu’ils avaient intérêts à connaître. M. le Président n’a cessé de se prêter dans la mesure du possible à cette tâche que l’on peut appeler une véritable œuvre d’assistance, et qui se traduit par une correspondance assez touffue de tous les points de la circonscription,[106] ajoutée aux visites quotidiennes de nombreux intéressés. Ce service se développe d’une manière continue et, à mesure qu’avancera l’heure du retour, il constituera une des plus utiles et sérieuses occupations de notre secrétariat reconstitué.

Il est superflu de rappeler combien est précaire la situation de la plupart des réfugiés et combien est malheureusement limitée la bienveillance publique à leur égard. Vis-à-vis des profiteurs de la guerre à tous degrés, comme de la masse des égoïstes, ils sont le bouc émissaire des difficultés que présente aujourd'hui la vie matérielle. Ruinés et souvent sans ressources, réduits à l’allocation, ils sont la cause de la vie chère et responsables du prix exorbitant de denrée dont ils sont tous obligés de se priver. Une véritable spéculation s’est déchaînée sur leurs loyers que des propriétaires sans conscience ont doublés [107] depuis deux ans et prétendent augmenter encore.

Ému des doléances renouvelées, exprimées par plusieurs réfugiés chargés de famille et contre lesquels avaient été obtenus, dans ces conditions, des jugements ordonnant leur expulsion, j’ai cru devoir leur conseiller d’user sans aucun scrupule des dispositions de la loi du 14 août 1914 sur le moratorium, considérant qu’il est inadmissible que des victimes de la guerre, gens d’ailleurs honnêtes et laborieux, soient en France et de la part des Français, l’objet d’une aussi honteuse exploitation.

D’autre part, en présence de la hausse des prix de la chaussure et du vêtement, le Gouvernement a créé la chaussure nationale et le drap national qui doivent permettre à chacun de se procurer à des conditions plus accessibles, des articles de qualité moyenne répondant à l’usage courant.[108]

Mais l’expérience a prouvé que le commerçant, aujourd'hui habitué à vendre 40 ou 50 francs une paire de chaussures, se prête malaisément à offrir aux petites bourses une marchandise mieux en rapport avec leur budget limité. Il y a là un sentiment que nous ne pouvons nous empêcher de regretter, mais dont la constatation s’impose.

Nous devons cependant nous faire une idée plus haute du commerce qui selon nous, comprend très mal son rôle économique, le jour où il ne paraît plus se préoccuper que de réaliser un bénéfice maximum sans tenir compte des conditions de la vie sociale autour de lui. Ce sont là, au contraire, des contingences que la Chambre de commerce ne saurait négliger. Autant elle a toujours été disposée à défendre les légitimes intérêts des commerçants, autant il lui semble que les intérêts, non moins légitimes, et qui ne sont pas inconciliables, du consommateur [109] doivent être pris en considération eux aussi : les uns et les autres doivent être équitablement pesés.

Des circonstances exceptionnelles justifient des mesures exceptionnelles, et l’État n’a pas injustement frustré les commerçants ni excédé les limites de la protection qu’il doit à la classe moins fortunée du pays, en mettant à la portée de celle-ci à des prix réduits, des objets indispensables ; les commerçants restant les intermédiaires obligatoires et rétribués entre l’État et le consommateur pour la vente desdits articles.

Le regret nous ayant été plusieurs fois exprimé que la chaussure nationale fut introuvable à Saint-Pol chez les commerçants, nous avons fourni à une personne honorable de la localité, les renseignements officiels nécessaires pour lui permettre d’ouvrir un magasin où cette chaussure sera mise en vente, et l’approbation de la Chambre de commerce ne paraît pas douteuse.[110]

Art. 419 du Code pénal – Coalitions

Partageant personnellement toutes les difficultés que présente l’existence dans les régions situées à proximité du front, nous ne pouvons approuver ceux qui prétendent y rester étrangers. Notre devoir est de signaler et de contribuer à combattre les abus inséparables de toute crise et qui se révèlent autour de nous.

C’est dans cet esprit que notre Compagnie trouvera inopportune les délibérations prises récemment par plusieurs Chambre de commerce, sur l’initiative de la Chambre de Lyon, en vue d’atténuer la rigueur de l’art. 419 du code pénal, punissant de l’emprisonnement et de l’amende « tous ceux qui, par des faits faux ou calomnieux, [?] à dessein dans le public, par des suroffres faites aux prix que demandaient les vendeurs eux-mêmes, par réunion ou coalition entre les principaux détenteurs d’une même marchandise ou denrée,[111] tendant à ne pas le vendre, ou à ne la vendre qu’à un certain prix, ou qui, par des voies ou moyens frauduleux quelconques auront opéré la hausse ou la baisse des denrées ou des marchandises ou des papiers ou effets publics au-dessus ou au-dessous des prix qu’aurait déterminés la concurrence naturelle et libre du commerce ».

Or, de l’avis de la Chambre de commerce de Paris, « le monde commercial et le monde parlementaire seraient d’accord pour estimer qu’il y a un intérêt matériel évident à ce que les industriels aient la possibilité de se grouper éventuellement pour la lutte commerciale de jour en jour plus âpre et destinée à le devenir sans cesse davantage, à mesure que des peuples hier encore arriérés, mal outillés, entrent à leur tour dans l’arène.

Il y aura donc lieu de donner aux industriels la possibilité égale de créer des ententes, des truste et d’accroître ainsi leur [112] puissance d’expansion au bénéfice du pays et par suite de supprimer du texte de l’art. 419 les deux lignes réprimant la « réunion ou coalition entre les principaux détenteurs d’une même marchandise ou denrée tendant à ne pas la vendre ou à ne le vendre qu’à un certain prix ».

Sans contester qu’il puisse y avoir, surtout au point de vue international, intérêt à répondre aux préoccupations ainsi exprimées par la Chambre de commerce de Paris, il s’impose pour nous de considérer d’abord ce qui se passe actuellement autour de nous, où les taxes sont illusoires et dépourvues de sanctions, où les tribunaux viennent de prononcer à plusieurs reprises de sévères condamnations pour des faits de coalition entre les détenteurs de denrées de première nécessité. Serait-il prudent, tout au moins, quant à présent, de désarmer la Justice déjà si longanime et circonspecte lorsqu'il s’agit d’appliquer l’article incriminé ?

[113]Je vous propose donc, Messieurs, d’émettre pour ces motifs, un avis défavorable à toute modification de texte de l’article 419 du code pénal. Ces conclusions sont adoptées.

Réoccupation des pays libérés

La réoccupation des pays libérés se fait avec une extrême lenteur, l’autorité militaire, maîtresse absolue en la matière, ne permettant encore le retour que d’un nombre limité d’habitants tenus de justifier d’un intérêt privé réel et sérieux ou de l’utilité du rôle qu’ils peuvent jouer dans la reprise de la vie publique économique ou agricole de la localité.

Bien que nous devions admettre que cette conduite est dictée par des raisons intimement liées aux exigences de la sécurité publique et de la défense nationale, il n’en est pas moins regrettable [114] de voir des communes assez éloignées du front actuel pour que tout danger puisse être désormais considéré comme écarté, soumises à un régime de rigueur qui prolonge outre mesure les dommages soufferts dans par les individus que par la collectivité.

Le sort des habitants est étroitement lié à la question de savoir si une commune sera ou non déclarée inaccessible par l’autorité militaire. Aussi, devant les atermoiements de l’armée, l’administration civile est-elle portée à suivre ce fâcheux exemple. Les demandes de retour formées par les réfugiés qui ont été envoyés dans les départements éloignés, restent sans réponse durant des mois, alors que la main-d’œuvre agricole, industrielle et commerciale est très rare et que la présence de ces travailleurs - même en dehors de leur intérêt personnel – serait de la plus grande utilité pour la région. On se trouve en présence d’une opposition inexplicable. [115]

À qui doit remonter la responsabilité ?

Il en est d’ailleurs de même pour la population qui n’a pas cessé de se tenir à proximité du front, prête à réintégrer immédiatement les ruines ou à s’installer sur place, dans des baraquements provisoires, s’il en était mis à sa disposition.

Considérant qu’il y a tout intérêt à ne pas méconnaître plus longtemps au risque de les décourager, tant de bonnes volontés – et si méritantes – qui sont des forces prêtes à pied d’œuvre pour travailler au relèvement, je vous proposerai, Messieurs, d’émettre le vœu : 1. Que le retour des populations soit rendu plus facile et plus prompt partout où ne s’y opposent pas des motifs d’une incontournable gravité, 2. Que, dans la distribution des secours en nature, outils, mobiliers, etc… l’administration se préoccupe avant tout de la plus grande efficacité immédiate de cette distribution, sans distinguer entres les communes [116] reconquises et celles qui, également dévastées, ont échappé à l’occupation ennemie.

Reconstitution des régions envahies

La reprise de la vie dont nous venons de dire combien elle est lente dans les régions récupérées et cela pour de multiples raisons, a fait en ce qui concerne la reconstitution industrielle proprement dite, l’objet de la loi du 6 août dernier, créant auprès du Ministre du [?] et des Régions libérées, un Office dont le siège est à Paris, 111 rue de Grenelle, 12 cité Martignac.

Aux termes de l’art. 5 du décret du 10 août, cet office composé de huit représentants du Commerce et de l’Industrie dont 4 appartenant aux départements envahis, et de huit représentants des divers ministères, a pour fonction de préparer les programmes généraux des approvisionnements à constituer et les moyens d’exécution [117]] les plus propres à faciliter aux industriels la fourniture du matériel et de l’outillage nécessaires à la reprise de leur industrie, soit que les intéressés traitent directement avec leurs fournisseurs, soit qu’ils préfèrent s’adresser à l’office pour obtenir l’outillage ou les produits dont ils ont besoin.

Dans ce cas, les prix de cession sont arrêtés par le Ministre, sur l’avis de l’office, le remboursement peut en être effectué soit en espèces, soit par une délégation consentie sur les indemnités auxquelles les industriels auront droit pour dommages de guerre.

Pour l’aider dans son œuvre de restauration économique et industrielle, l’office a fait appel à un tiers mandataire, le Comptoir central d’achats industriels qui a passé avec le Ministre du commerce une convention le chargeant d’effectuer diverses opérations d’achat et de cession dans les conditions déterminées, sous le contrôle [118] de l’office.

Les industriels peuvent s’adresser directement, soit à l’Office, soit au Comptoir central, mais ce concours ne peut être obtenu que par ceux qui reconstitueront leur industrie ou une industrie similaire en régions envahies, à l’exclusion de ceux qui voudraient s’installer ailleurs.

À côté de cette entreprise officielle, dont le Ministère nous a chargés de faire connaître l’existence aux intéressés de notre région, de nombreuses entreprises privées, poursuivant le même but, se sont constituées ou sont en voie de formation. Nos comettants trouveront à notre secrétariat les documents qui pourraient les intéresser à ce sujet.

Allocations d’avances aux sinistrés

En même temps que le service spécial [119] de reconstitution des régions envahies [prétait] dans une notice spécial les conditions de délivrance des autorisations individuelles de retour dans les régions libérées ou précédemment évacuées, il publiait en novembre dernier, des instructions à l’usage des sinistrés, concernant l’allocation d’avances en nature et en espèces imputables sur indemnités de dommages de guerre pour la réparation d’urgence des immeubles réparables.

Ces instructions nous permettent de renseigner utilement nos comettants et si nous ne pouvons répondre de faire aboutir rapidement leurs demandes, du moins sommes-nous en état de les guider dans les formalités toujours compliquées qu’ils ont à remplir.

D'autre part, la loi du 5 juillet 1917 avait déterminé dans quelles conditions tout prétendant [au] droit à la réparation d’un des dommages visés à l’art. 12 de la loi de finances du 26 novembre 1914 pourra faire procéder [120] à la visite des biens meubles ou immeubles lui appartenant en vue de dresser un état descriptif et détaillé des biens endommagés ou détruits.

Il ne s’agit encore là, bien entendu, que d’un état descriptif destiné à faire foi ultérieurement devant la juridiction compétente pour la fixation de l’indemnité de réparation. L’établissement de cet état serait encore prématuré dans une grande partie de notre circonscription.

Réparation des dommages de guerre – la question du remploi

Messieurs, M. le sénateur Raynald avait, dans la séance du sénat du 3 août 1917, déposé son rapport au nom de la Commission chargée d’examiner le projet de loi adopté, le 24 janvier précédent, par la Chambre des députés, sur la réparation des dommages causés par les faits de la guerre.

[121]Ce rapport venu enfin en discussion le 11 décembre, a abouti au vote par le sénat, le 22 décembre, d’un texte différent de celui qu’avait proposé la Chambre de députés : la question devra donc être reprise, ce qui menace d’en retarder plusieurs mois encore la solution.

En outre, de plusieurs des modifications heureusement apportées par le sénat au texte qui lui était soumis, un regrettable accord de principe sépare, en effet, les deux Assemblées : il porte sur le point le plus important et le plus controversé qui ait été soulevé dès le premier jour, le remploi de l’indemnité pour la reconstitution de la chose détruite.

La Chambre des députés, considérant le remploi comme une condition essentielle du relèvement des provinces ruinées par la guerre, l’avait voulu obligatoire, tout en tempérant l’obligation par une série d’exceptions que peuvent comporter les [122] circonstances.

Le Sénat, croyant devoir, au contraire, maintenir la prédominance du droit individuel sur les doctrines du droit social qu’il considère comme incompatible avec le statut fondamental de la propriété personnelle, et tout en reconnaissant que le remploi constitue une chose utile et dans bien des cas indispensable, s’est borné à l’encourager par l’attribution en outre, d’une indemnité de base et sous le nom de frais supplémentaires, des sommes nécessaires et suffisantes pour le rendre possible.

« Si l’on tient compte, dit M. le Rapporteur, des conditions dans lesquelles nous nous trouverons après la guerre. Cette prime accordée aux sinistrés qui viendront reconstruire sera tellement importante que tous ceux qui n’auront pas des raisons sérieuses et décisives pour ne pas remployer, remploieront ». Le but pourrait donc être ainsi atteint beaucoup [123] plus efficacement par la liberté que par la contrainte.

Or, dès notre délibération du 25 juin 1915, concluant au remploi obligatoire, nous avions exprimé la crainte que, pour des raisons diverses, une sorte d’exode, consécutif à un découragement trop explicable, vint à ce produire, de nos départements dévastés vers d’autres régions demeurées indemnes et prospères, et préservées, par leur situation géographique, des horreurs possibles de quelque nouvelle invasion.

Cette appréhension se présentait alors à notre esprit sous une forme très générale : nous redoutions la défaillance du simple particulier, peut-être plus que celle de l’industriel, du consommateur plus que du producteur. Trente mois écoulés et l’expérience acquise des résultats de l’occupation allemande nous ont apporté de cruelles précisions, corroborés par une étude attentive des mouvements économiques à [124] l’intérieur du pays.

Pour maintenir aujourd'hui notre première conclusion, nous ne sous inspirerons plus seulement d’un sentiment encore mal défini d’inquiétude mais d’une conviction appuyée sur des constatations incontestables.

Nombreux sont déjà les sinistrés qui profitant d’un crédit ou de capitaux sauvegardés et de circonstances favorables ont été assez heureux pour s’arracher à l’impuissance désastreuse des premiers débats de notre exil, et on pu faire revivre à l’arrière – souvent loin de nous – l’usine détruite ou captive, ou se lancer dans quelques carrière nouvelle. Combien de temps la guerre durera-t-elle encore ?

L’installation, d’abord provisoire dans leur pensée, ne sera-t-elle pas devenue définitive ou bout de trois ou quatre années ? Et ces déracinés malgré eux ne reculeront-ils pas devant l’abandon du gagne-pain retrouvé, pour aller [125] dans les conditions que l’on sait recommencer un nouvel et plus pénible effort, même avec l’espérance d’une indemnité suffisante ; car dans le plus grand nombre des cas l’établissement prêt à fonctionner n’est qu’un commencement et la clientèle, sans quoi tout le reste est illusoire, ne se retrouve pas du jour au lendemain et se retrouvera encore moins facilement ici que partout ailleurs, si l’on ne s’oppose pas à la dispersion.

M. le rapporteur s’est trop hâté de déclarer qu’il ne redoutait pas que ces cas de désertion fussent fréquents ; le débauchage économique, pour reprendre le terme par lui employé pour caractériser le phénomène économique dont il s’agit, le débauchage économique, aggravation de l’émigration spontanée, est un fait qui s’affirme chaque jour.

Nous voyons depuis longtemps déjà des comités locaux se former, un peu partout,[126] en vue d’organiser dès maintenant de nouvelles régions industrielles pour venir en aide au pays, en attendant que la région du Nord soit réédifiée ! Des brochures, luxueusement éditées se distribuent, des notices sont publiées dans les journaux spéciaux, faisant ressortir toutes les conditions, climat, sous-sol, cours d’eau, forces hydrauliques, voies de communication, débouchés, etc. qui appellent tel ou tel département, jusqu'à ce jour encore en demi-sommeil, à devenir un centre de renaissance industrielle.

Les offres d’avantages se multiplient : concours morale, aide financière de sociétés, de capitaux, concessions de terrains gratuits ou à prix réduits, paiement pendant une certaine période des intérêts des sommes dépensées pour l’acquisition des terrains sur lesquels seront élevées de nouvelles usines, etc.

On comprendra que nous ne prononcions pas les noms des pays d’où émanent [127] ces offres. Au surplus blâmerions-nous leur effort pour chercher à profiter de la situation et à provoquer chez eux un développement de richesse inespéré ? Évidemment non, telle ne peut être notre pensée, pas plus que d’essayer en revanche, de planter la vigne ou l’olivier sous notre ciel trop peu favorisé du soleil, mais nous avons le droit de signaler le danger et le devoir de nous préoccuper des moyens de le conjurer.

« Les contrées du Nord, a dit M. le Rapporteur au Sénat, portent en elles-mêmes les germes de tant de richesse, la population en est si laborieuse », l’union du sol et de l’habitant y est cimentée par une si longue tradition de prospérité, que le débauchage économique n’est pas à craindre. Certes l’hommage rendu à nos compatriotes est mérité et l’expression n’en manque pas d’éloquence, mais tous ne prétendent pas à des vertus si hautes. Nous répétons que le péril est grave et [128] que devant les difficultés inouïes de l’œuvre du relèvement, la tentation sera grande, pour beaucoup, de se retirer si, loin de contrarier leur retraite, la loi semble la considérer comme toute naturelle.

Poursuivant la même thèse, on nous objecte que les lois économiques dominent de bien haut les règlements et que c’est seulement avec le temps et par le libre jeu des intérêts que les régions ruinées par la guerre se relèveront.

C’est trop prêcher la résignation à ceux dont on vient d’exalter l’ardeur au travail.

Nous estimons quant à nous qu’il faut aider le temps et le jeu des intérêts : que plus seront denses, dès le premier jour, ceux qui répondront à l’appel, plus grand sera l’appui moral et matériel qu’ils ont à attendre les uns des autres et plus [129] fructueux pourront être les efforts qui, disséminés, risquent de rester improductifs. Au contact des pionniers ardents de la restauration, les hésitants qu’aura seule retenus, l’obligation du remploi, se résigneront d’autant mieux au sort commun que leur bon sens naturel ne tardera pas à reconnaître combien était en réalité prévoyante et tutélaire pour le pays, suivant l’expression de M. le Ministre Lebrun, la mesure qu’on leur présente aujourd'hui comme attentatoire au principe le plus sacré de notre droit civil. Il n’est pas contestable que le système du remploi obligatoire tel quel la chambre l’a voté, fasse passer l’agent de reconstitution avant l’individu. Mais la reconnaissance du droit à la réparation a ouvert un droit nouveau et les circonstances sans précédent qui ont amené le législateur à rompre avec les traditions du passé peuvent justifier également, pour l’application de ce droit nouveau, [130] des conditions sans précédents. Ces conditions que l’on a qualifiées de tyranniques ne sont que l’expression rigoureuse d’une nécessité qu’à proclamé lui-même, en adversaire résolu du remploi obligatoire, M. Touron, en nous montrant, du haut de la tribune sénatoriale « la Calvaire » que trois millions de victimes de la guerre auront à gravir pour ramener à la longue, dans leur pays, la prospérité passée.

Il est beau de garder jalousement e toute atteinte les principes du droit naturel : les sinistrés, jetés par un coup de force de la barbarie, hors du statut de la civilisation, ne peuvent attendre le retour pour eux au droit commun que d’une mesure, légale ou non au regard des mœurs du temps de paix, mais aussi énergique – parut-elle coercitive – que peut l’exiger le but poursuivi.

Aussi, partageant en cela l’opinion du Gouvernement actuel, telle qu’elle a [131] été exprimée le 22 décembre 1917 au sénat par M. Lebrun, Ministre des Régions libérées, opinion conforme à celle des Gouvernements précédents qui ont eu à s’en expliquer, continuerons-nous à considérer comme indispensable le remploi obligatoire, sous les réserves et dispenses prévues par la Chambre des Députés.

Je vous propose donc, Messieurs, de renouveler nos délibérations antérieures dans les termes suivants :

La Chambre de commerce :

Considérant que le Sénat, préoccupé de sauvegarder d’abord le droit individuel de propriété, a écarté l’obligation du remploi de l’indemnité pour dommages de guerre et s’est arrêté à un système d’indemnisation générale avec allocation supplémentaire en faveur du sinistré consentant à effectuer le remploi ;

Que, malgré l’apparente justice de ce système, on ne saurait nier qu’il doive avoir pour conséquence inévitable de rendre [132] plus facile, et par suite, plus nombreux, un exode de sinistrés découragés de la lutte ou qu’aucune raison particulière ne fixe de préférence dans tel ou tel pays ;

Que pour qui veut bien regarder sans arrière-pensée la réalité dans tout ce qu’elle a de brutal et d’inéluctable, cet exode d’une partie de la population ne peut être que fatal à l’effort des bonnes volontés résolues à se vouer à l’œuvre aride du relèvement ; Qu’en présence des sollicitations multiples qui, dès à présent incitent les activités industrielles et commerciales à s’établir sans esprit de retour dans d’autres régions, il importe au contraire de bien pénétrer les sinistrés de leur étroite solidarité au regard de l’effort nécessaire à la réparation du désastre commun ;

Que l’intérêt général du pays se confond en cela avec celui des habitants des régions dévastées pour justifier l’obligation du remploi ; Considérant enfin que le remploi obligatoire tel qu’il a été voté par la Chambre des Députés, comporte des dérogations, excuses et dispenses suffisantes pour enlever à la déchéance le caractère tyrannique et arbitraire qui lui a été reproché,

Émet le vœu :

Que la Chambre des Députés maintienne l’obligation du remploi et se rallie pour le surplus aux modifications apportées par le Sénat au projet primitif en tant que celles-ci sont conciliables avec l’obligation ! Après un échange d’observations et à l’unanimité des membres présents, la Chambre, approuvant ce rapport dans ses termes et conclusions, le transforme en délibération qui sera adressée à MM. Les Ministres, sénateurs et députés, ainsi qu’aux Chambres de commerce et aux diverses associations des victimes de guerre.


Notes

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