Carnet de guerre de l'instituteur Jules Lesieux (1914-1917)

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Notice en cours de rédaction


Juillet-août 1914

A Beaurains

C’est le 28 juin qu’a lieu à Sarajevo l’assassinat mystérieux de l’archiduc héritier et de sa femme. C’est le 23 juillet que l’Autriche-Hongrie envoie au gouvernement serbe son abominable ultimatum par où les empires centraux cherchaient l’évitement à masquer leur agression. Huit jours après, c’est la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie qui met le feu aux poudres.

En juillet 1914, des bruits de guerre prennent consistance ; les pessimistes considèrent la guerre comme certaine ; les optimistes n’y peuvent croire.

Personnellement, je craignais la guerre. Je n’ai jamais, à ce point de vue, été bercé par les illusions ; j’admirais les doctrines des pacifistes ; j’écoutais les conférences des arbitres de la paix, mais je restais incrédule. Je savais que notre pays souffrait beaucoup de la politique, de luttes intestines et de querelles religieuses. Nous sommes, disions-nous, à un tournant de l’histoire. L’édifice craquait. La discipline dans nos classes était une chose difficile et délicate à obtenir. On affichait trop de luxe, on était devenus des indifférents, des blasés, des incohérents, des jouisseurs. Et quand les journaux nationalistes proclamaient que les Boches nous espionnaient en tout et partout, je me demandais s’ils ne disaient pas la vérité. Et bien oui ! Ils disaient vrai.

Donc les vacances approchaient. [Mademoiselle] Balavoine préparait une fête pour la distribution des prix. Fallait-il continuer les répétitions ?

Le vendredi 31 juillet, l’Autriche a déclaré la guerre à la Serbie ; dans la nuit, les gendarmes préviennent les gardes voies, les G.V.C de la classe 1888, tels que Anthyme ( ?), François Col. Chevalier, qu’ils doivent tout de suite garder le pont de Ficheux. Le boulanger Werner et le maréchal Henry sont aussi appelés. Le samedi 1er août, une affiche blanche apposée au mur de l’école décrète la mobilisation générale ; ce n’est pas la guerre encore, dis-je aux femmes qui se lamentaient déjà au seuil des portes. Je cours à Arras. Je rencontre Jean qui vient d’accompagner Serge au train pour Calais. J’entre chez Charrier. On a assassiné Jaurès mais on n’assassine pas la France, disent les socialistes. L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie.

Le lendemain les mobilisables quittent leur logis avec la musette bourrée. Ah ! Les braves gens ; tous sont calmes. Quelques vétérans dans les chariots ont des drapeaux et ont écrit sur le derrière « en route pour Berlin ».

Magniez passe avec le notaire d’Inchy ; qui eut jamais cru que j’aurai retrouvé ce même Magniez à Jarnac.

En gare d’Arras, les locomotives sont pavoisées. L’Allemagne viole notre frontière et entre dans le Luxembourg. Encore trois jours de classe. Je conduis les gamins au bois de Chaubiel, et l’on joue à la petite guerre. Qui alors aurais jamais cru que ce point stratégique aurait été occupé par les boches pendant deux ans et que de là ils auraient mitraillé Arras à bout portant.

Les livres de prix sont distribués le mercredi matin. Chaque jour je me rends à Arras. Les G.V.C font leur service et les espions n’ont qu’à bien se tenir ou fuir […]. [Mentions ajoutées dans la marge : « Où en sommes nous après 3 ans de guerre ? Personne ne l’avait prévue aussi longue. Nous avons donné une offensive en avril avec les Anglais. 55.000 prisonniers 500 canons enlevés et presque l’étendue d’un département reconquise. Ces résultats si beaux qu’ils puissent être nous ont coûté trop cher et ce fut là la cause du découragement qui suivit en mai et juin. Cette victoire fut incomplète mais ce ne fut pas un désastre. Si le contraire s’était produit ? L’ancien régime installé à Petrograd n’avait assurément qu’une valeur relative et ne nous avait fourni qu’une collaboration inférieure à celle que nous étions en droit d’attendre. Le nouveau régime était lui aussi infecté de germanisme allait-il sombrer ? »]

On enlève les plaques indicatives du bouillon Kub. On chuchote contre les personnes suspectes : les électriciens partis de chez Leleu le samedi soir, le baron Delignière etc. L’avenir nous dira si nos doutes étaient fondés.

Le lundi l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 38e régiment d’infanterie est en effervescence ; on s’apprête. Nous relions connaissance avec Chelliel Bernaux d’Ostreville, Collet et Dupuis de Marquay, Théret Julien et Verdure de Saint-Pol. Plus tard, ce sera les Barbier de Villers ; Collet de Marquay tué, Théret Julien tué. Les Barbier tués ou disparus à Herlebois.

Ce sont les territoriaux comme Coin qui forment un bataillon, qui va surveiller les mines voisines. Tout se passe en ordre, je dirai même dans l’ordre le plus parfait.

Les allemands incendient Visé ; l’Angleterre déclare la guerre. Le 33e quitte Arras, avec le colonel Pétain, en tête, le même qui devait s’immortaliser à Verdun. Direction : Hirson. La Belgique.

Hélas ! On sera pendant deux mois mal renseigné ou plutôt insuffisamment renseigné.

Le 12 Août la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Autriche.

L’armée du général French passe à Arras ; ce sont des hourras frénétiques, des effusions sur les quais, à tel point que le chef de gare devra réglementer. Qui n’a pas son souvenir ? en l’espèce, un bouton de capote ou un insigne quelconque. Un train de Belges stoppe en gare ; tous les assistants entonnèrent la Marseillaise ; tout cela est beau et réconfortant.

Chaque jour, chez nous, passent des convoyeurs de chevaux venant de Croisilles pour se diriger sur Arras et Douai. Le premier escadron qui loge à Beaurains est le 8e chasseurs à cheval. Le Commandant est un ours, il a défendu à ses soldats de pavoiser et de crier, à Berlin : c’était pourtant un sage, celui-là !

Nous apprenons par Houilliez, d’Arras, que le 33e envoyé à Dinant, sur la demande du roi des Belges, se couvre de gloire ! Nos troupes reprennent la citadelle à la baïonnette.

Hélas ! On ne nous dit pas que dans leur folle témérité, nos troupiers se font faucher par les mitrailleuses allemandes posées dans les rues mêmes de Dinant. Le Capitaine, d’Arras, est la première victime connue ; on le ramène, mourant, dans notre ville, dit-on.

A Beaurains, chaque soir c’est la Salut à l’église, le digne et vieux prêtre fait chanter aux hommes le cantique « Vierge, votre espérance » protégez-nous toujours ensuite, on se presse dans la Mairie trop étroite pour écouter la lecture du Communiqué [Mentions ajoutées dans la marge : « Le mois d’Août 1914 aura été certainement dans l’histoire du monde, celui qui aura vu le plus grand nombre de déclarations de guerre. Celle qui déchaîne toutes les autres est celle de l’Autriche à la Serbie : 27 Juillet 1914. Le 1er Août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le 2 Août, elle adresse à la Belgique son ultimatum. Le 3, déclaration de guerre de l’Allemagne à la France ; le 4 de l’Angleterre à l’Allemagne. Le 7 Août, l’Autriche provoque la Russie et le Montenegro. Le 12, l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Autriche. Le 13, le Japon à l’Allemagne ; le 25, l’Autriche au Japon et le 27 à la Belgique. 28 Juillet Autriche à Serbie. 1er Août. Allem. à Russie. 3 août, à Belgique. 4 août, Angl. à Allem. 5 août Autriche à Russie. 5 août Mont. à Autriche. 6 août, Serbie à l’All. 11 août, Mont. à l’All. 13 août, Angl. à Autriche. 23 août, Japon à Allemagne. 25 août, Autriche au Japon. 28 août, à Belgique. 2 septembre, Russie à Turquie. 5 septembre, France à Turquie. 5 septembre, Angl. à Turquie. 7 septembre, Belg. à Turquie. 7 septembre, Serbie à Turquie. 25 mai, Italie à Autriche. 21 Août, Italie à Turquie. 14 octobre, Bulgarie à Serbie. Octobre, Serbie à Bulgarie. 16 Angl. à Bulgarie. 16 France à Bulgarie. 19 Italie à Bulgarie. 20 Russie à Bulgarie. 9 Mars All. au Portugal. 27 Août Italie à l’All. 27 Août Roumanie à Autriche], lu par M. Paradit qui remplace comme maire Melle Paniez. La conversation continue avec M.Pot, de Corbie, Quillot ; chacun narre ses impressions en fumant sa pipe.

Chaque jour, l’après-midi, je me rends à Arras pour avoir le dernier communiqué ; on est en quête des Victoires. Quelques biens informé, comme Rosinel disent que nous sommes trahis et que nous verrons les Boches chez nous. On rit de l’individu, et je réfute ses dires par l’avance du général Pau en Alsace.

Les marchands de journaux sont débordés. J’achète l’Écho du Nord, le Petit Parisien, le Matin, le Courrier du Pas-de-Calais, l’Avenir, voire même la Croix. Et la Russie bat les Prussiens à Gurmbrinem.

On fait des provisions de toutes sortes : café, sucre, pâtes, pétrole ; tout cela, pour les boches.

Le 21 Août, les Boches sont à Bruxelles. J’ai épinglé au mur une carte des opérations. J’y inscris les noms que veulent bien nous donner les communiqués ; cette fois, et pendant toute la guerre, chacun va ou apprendre ou revoir sa géographie. Les Anglais sont en liaison avec les nôtres entre Mons et le Luxembourg. On ne nous dit pas qu’à Mons, les boches continuèrent leurs abominables exploits. La cavalerie anglaise est décimée. Ces beaux soldats que nous avions tant acclamés, repassent à Arras, mais le public l’ignore.

On ne nous dit pas non plus que, écrasés par le nombre les français évacueront Charleroi. L’offensive de l’armée de Langle de Cary est envoyée dans le Luxembourg. L’offensive générale se dessine ; les Boches occupent une ligne de Tournai à Belfort ; nos forces numériques sont insuffisantes pour maintenir un pareil front. Le général Joffre a un plan, mais la Communiqué se borne à dire que nous occupons des positions meilleures : c’est la Retraite, qu’on ne devine pas. C’est la marche rapide sur Paris qu’on ne soupçonne même pas. Nos armées du Nord prennent leur ligne de couverture pour y prendre une attitude défensive, mais nous avons une confiance illimitée dans la place de Maubeuge.. « Lille, pour défendre. Maubeuge, imprenable » dit une espionne à la solde des boches.

On apprend bien que les boches ont des 280, des marmites, et des 420 ; que les Autrichiens ont des 305 et des 380, mais nous…nous aussi.

D’abord vous, Mr Lesieux, vous n’avez pas été artilleur ! … Soit, M. Parsy.

Et les premiers […] font leur apparition. On est presque familier avec eux ; on sait qu’Arras est ville ambulancière et ouverte et on se demande ce qu’ils viennent faire. Eux aussi d’ailleurs car ils ne vont pas plus loin que chez nous, par crainte d’un piège. Ce sont de beaux cavaliers bien montés, bien équipés, la lance au poing. Ils entrent dans les premières maisons du village et boivent, les premiers, le café, le jour de la ducasse chez Feron, après une nuit affreuse passée dans la vieille boutique en face de la Poste. D'aucuns croient reconnaître d’anciens ouvriers d’industrie : cela est bien possible.

Le 28 Août, nous tenons bon, dit le Communiqué. On appelle la classe 1914 ; une proclamation dit que la guerre sera longue dure et difficile ; on a le tort de ne pas tenir compte de ces paroles.

Le 30 Août, les hostilités commencent dans la région de Ham Péronne ; on entend très bien le canon. Les aéroplanes traversent les rues ; l’un deux ne s’avise pas de lancer un factum disant que les Russent marchent sur Berlin etc. etc. ; on est tenté de le croire ; on compte d’ailleurs absolument sur l’avance russe.

Liège n’en est pas moins pris après que le général Leman a fait sauter le dernier fort.

Notre région est traversée par des troupes d’infanterie et d’artillerie ; ce sont des régiments des Charentes et du Périgord : 107e, 163e, 150e, etc. Ces troupes sont composées principalement de territoriaux.

On nous annonce l’arrivée de 300 Maubeugeois, mais rien, ces Maubeugeois sont évacués dans la région de Saint-Pol, preuve que le haut commandement prévoyait une avance sur Arras.

On va se promener sur la route de Bapaume pour voir passer les autos civils qui reviennent de Bapaume avec des blessés. C’est une suite ininterrompue de cyclistes ; d’aucuns, par trop curieux, sont cueillis par l’autorité militaire et doivent aider à enterrer les morts.

Si l’on va à Arras, il faut des laissez-passer. Mon linographe est mis à contributions, mais les modèlent changent bien souvent ; les jours où tout semble aller bien les sentinelles aux issues font leur service, mais quand les nouvelles sont peu rassurantes, on voyage au petit bonheur.