Carnet de guerre de l'instituteur Jules Lesieux (1914-1917)

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Avertissements : Notice en cours de rédaction.

Les mentions marginales du document original ont été insérées sans le corps du texte, mais sont signalées.

Le document original ne comporte pas de documents iconographiques.

Transcription originelle par Antoine da Silva dans le cadre de son mémoire de Master.


Sommaire

Juillet-août 1914

A Beaurains

C’est le 28 juin qu’a lieu à Sarajevo l’assassinat mystérieux de l’archiduc héritier et de sa femme. C’est le 23 juillet que l’Autriche-Hongrie envoie au gouvernement serbe son abominable ultimatum par où les empires centraux cherchaient l’évitement à masquer leur agression. Huit jours après, c’est la déclaration de guerre de l’Allemagne à la Russie qui met le feu aux poudres.

En juillet 1914, des bruits de guerre prennent consistance ; les pessimistes considèrent la guerre comme certaine ; les optimistes n’y peuvent croire.

Personnellement, je craignais la guerre. Je n’ai jamais, à ce point de vue, été bercé par les illusions ; j’admirais les doctrines des pacifistes ; j’écoutais les conférences des arbitres de la paix, mais je restais incrédule. Je savais que notre pays souffrait beaucoup de la politique, de luttes intestines et de querelles religieuses. Nous sommes, disions-nous, à un tournant de l’histoire. L’édifice craquait. La discipline dans nos classes était une chose difficile et délicate à obtenir. On affichait trop de luxe, on était devenus des indifférents, des blasés, des incohérents, des jouisseurs. Et quand les journaux nationalistes proclamaient que les Boches nous espionnaient en tout et partout, je me demandais s’ils ne disaient pas la vérité. Et bien oui ! Ils disaient vrai.

Donc les vacances approchaient. [Mademoiselle] Balavoine préparait une fête pour la distribution des prix. Fallait-il continuer les répétitions ?

Le vendredi 31 juillet, l’Autriche a déclaré la guerre à la Serbie ; dans la nuit, les gendarmes préviennent les gardes voies, les G.V.C de la classe 1888, tels que Anthyme ( ?), François Col. Chevalier, qu’ils doivent tout de suite garder le pont de Ficheux. Le boulanger Werner et le maréchal Henry sont aussi appelés. Le samedi 1er août, une affiche blanche apposée au mur de l’école décrète la mobilisation générale ; ce n’est pas la guerre encore, dis-je aux femmes qui se lamentaient déjà au seuil des portes. Je cours à Arras. Je rencontre Jean qui vient d’accompagner Serge au train pour Calais. J’entre chez Charrier. On a assassiné Jaurès mais on n’assassine pas la France, disent les socialistes. L’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie.

Le lendemain les mobilisables quittent leur logis avec la musette bourrée. Ah ! Les braves gens ; tous sont calmes. Quelques vétérans dans les chariots ont des drapeaux et ont écrit sur le derrière « en route pour Berlin ».

Magniez passe avec le notaire d’Inchy ; qui eut jamais cru que j’aurai retrouvé ce même Magniez à Jarnac.

En gare d’Arras, les locomotives sont pavoisées. L’Allemagne viole notre frontière et entre dans le Luxembourg. Encore trois jours de classe. Je conduis les gamins au bois de Chaubiel, et l’on joue à la petite guerre. Qui alors aurais jamais cru que ce point stratégique aurait été occupé par les boches pendant deux ans et que de là ils auraient mitraillé Arras à bout portant.

Les livres de prix sont distribués le mercredi matin. Chaque jour je me rends à Arras. Les G.V.C font leur service et les espions n’ont qu’à bien se tenir ou fuir […]. [Mentions ajoutées dans la marge : « Où en sommes nous après 3 ans de guerre ? Personne ne l’avait prévue aussi longue. Nous avons donné une offensive en avril avec les Anglais. 55.000 prisonniers 500 canons enlevés et presque l’étendue d’un département reconquise. Ces résultats si beaux qu’ils puissent être nous ont coûté trop cher et ce fut là la cause du découragement qui suivit en mai et juin. Cette victoire fut incomplète mais ce ne fut pas un désastre. Si le contraire s’était produit ? L’ancien régime installé à Petrograd n’avait assurément qu’une valeur relative et ne nous avait fourni qu’une collaboration inférieure à celle que nous étions en droit d’attendre. Le nouveau régime était lui aussi infecté de germanisme allait-il sombrer ? »]

On enlève les plaques indicatives du bouillon Kub. On chuchote contre les personnes suspectes : les électriciens partis de chez Leleu le samedi soir, le baron Delignière etc. L’avenir nous dira si nos doutes étaient fondés.

Le lundi l’Allemagne déclare la guerre à la France. Le 38e régiment d’infanterie est en effervescence ; on s’apprête. Nous relions connaissance avec Chelliel Bernaux d’Ostreville, Collet et Dupuis de Marquay, Théret Julien et Verdure de Saint-Pol. Plus tard, ce sera les Barbier de Villers ; Collet de Marquay tué, Théret Julien tué. Les Barbier tués ou disparus à Herlebois.

Ce sont les territoriaux comme Coin qui forment un bataillon, qui va surveiller les mines voisines. Tout se passe en ordre, je dirai même dans l’ordre le plus parfait.

Les allemands incendient Visé ; l’Angleterre déclare la guerre. Le 33e quitte Arras, avec le colonel Pétain, en tête, le même qui devait s’immortaliser à Verdun. Direction : Hirson. La Belgique.

Hélas ! On sera pendant deux mois mal renseigné ou plutôt insuffisamment renseigné.

Le 12 Août la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Autriche.

L’armée du général French passe à Arras ; ce sont des hourras frénétiques, des effusions sur les quais, à tel point que le chef de gare devra réglementer. Qui n’a pas son souvenir ? en l’espèce, un bouton de capote ou un insigne quelconque. Un train de Belges stoppe en gare ; tous les assistants entonnèrent la Marseillaise ; tout cela est beau et réconfortant.

Chaque jour, chez nous, passent des convoyeurs de chevaux venant de Croisilles pour se diriger sur Arras et Douai. Le premier escadron qui loge à Beaurains est le 8e chasseurs à cheval. Le Commandant est un ours, il a défendu à ses soldats de pavoiser et de crier, à Berlin : c’était pourtant un sage, celui-là !

Nous apprenons par Houilliez, d’Arras, que le 33e envoyé à Dinant, sur la demande du roi des Belges, se couvre de gloire ! Nos troupes reprennent la citadelle à la baïonnette.

Hélas ! On ne nous dit pas que dans leur folle témérité, nos troupiers se font faucher par les mitrailleuses allemandes posées dans les rues mêmes de Dinant. Le Capitaine, d’Arras, est la première victime connue ; on le ramène, mourant, dans notre ville, dit-on.

A Beaurains, chaque soir c’est la Salut à l’église, le digne et vieux prêtre fait chanter aux hommes le cantique « Vierge, votre espérance » protégez-nous toujours ensuite, on se presse dans la Mairie trop étroite pour écouter la lecture du Communiqué [Mentions ajoutées dans la marge : « Le mois d’Août 1914 aura été certainement dans l’histoire du monde, celui qui aura vu le plus grand nombre de déclarations de guerre. Celle qui déchaîne toutes les autres est celle de l’Autriche à la Serbie : 27 Juillet 1914. Le 1er Août, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie. Le 2 Août, elle adresse à la Belgique son ultimatum. Le 3, déclaration de guerre de l’Allemagne à la France ; le 4 de l’Angleterre à l’Allemagne. Le 7 Août, l’Autriche provoque la Russie et le Montenegro. Le 12, l’Angleterre et la France déclarent la guerre à l’Autriche. Le 13, le Japon à l’Allemagne ; le 25, l’Autriche au Japon et le 27 à la Belgique. 28 Juillet Autriche à Serbie. 1er Août. Allem. à Russie. 3 août, à Belgique. 4 août, Angl. à Allem. 5 août Autriche à Russie. 5 août Mont. à Autriche. 6 août, Serbie à l’All. 11 août, Mont. à l’All. 13 août, Angl. à Autriche. 23 août, Japon à Allemagne. 25 août, Autriche au Japon. 28 août, à Belgique. 2 septembre, Russie à Turquie. 5 septembre, France à Turquie. 5 septembre, Angl. à Turquie. 7 septembre, Belg. à Turquie. 7 septembre, Serbie à Turquie. 25 mai, Italie à Autriche. 21 Août, Italie à Turquie. 14 octobre, Bulgarie à Serbie. Octobre, Serbie à Bulgarie. 16 Angl. à Bulgarie. 16 France à Bulgarie. 19 Italie à Bulgarie. 20 Russie à Bulgarie. 9 Mars All. au Portugal. 27 Août Italie à l’All. 27 Août Roumanie à Autriche], lu par M. Paradit qui remplace comme maire Melle Paniez. La conversation continue avec M.Pot, de Corbie, Quillot ; chacun narre ses impressions en fumant sa pipe.

Chaque jour, l’après-midi, je me rends à Arras pour avoir le dernier communiqué ; on est en quête des Victoires. Quelques biens informé, comme Rosinel disent que nous sommes trahis et que nous verrons les Boches chez nous. On rit de l’individu, et je réfute ses dires par l’avance du général Pau en Alsace.

Les marchands de journaux sont débordés. J’achète l’Écho du Nord, le Petit Parisien, le Matin, le Courrier du Pas-de-Calais, l’Avenir, voire même la Croix. Et la Russie bat les Prussiens à Gurmbrinem.

On fait des provisions de toutes sortes : café, sucre, pâtes, pétrole ; tout cela, pour les boches.

Le 21 Août, les Boches sont à Bruxelles. J’ai épinglé au mur une carte des opérations. J’y inscris les noms que veulent bien nous donner les communiqués ; cette fois, et pendant toute la guerre, chacun va ou apprendre ou revoir sa géographie. Les Anglais sont en liaison avec les nôtres entre Mons et le Luxembourg. On ne nous dit pas qu’à Mons, les boches continuèrent leurs abominables exploits. La cavalerie anglaise est décimée. Ces beaux soldats que nous avions tant acclamés, repassent à Arras, mais le public l’ignore.

On ne nous dit pas non plus que, écrasés par le nombre les français évacueront Charleroi. L’offensive de l’armée de Langle de Cary est envoyée dans le Luxembourg. L’offensive générale se dessine ; les Boches occupent une ligne de Tournai à Belfort ; nos forces numériques sont insuffisantes pour maintenir un pareil front. Le général Joffre a un plan, mais la Communiqué se borne à dire que nous occupons des positions meilleures : c’est la Retraite, qu’on ne devine pas. C’est la marche rapide sur Paris qu’on ne soupçonne même pas. Nos armées du Nord prennent leur ligne de couverture pour y prendre une attitude défensive, mais nous avons une confiance illimitée dans la place de Maubeuge.. « Lille, pour défendre. Maubeuge, imprenable » dit une espionne à la solde des boches.

On apprend bien que les boches ont des 280, des marmites, et des 420 ; que les Autrichiens ont des 305 et des 380, mais nous…nous aussi.

D'abord vous, Mr Lesieux, vous n’avez pas été artilleur ! … Soit, M. Parsy.

Et les premiers […] font leur apparition. On est presque familier avec eux ; on sait qu’Arras est ville ambulancière et ouverte et on se demande ce qu’ils viennent faire. Eux aussi d’ailleurs car ils ne vont pas plus loin que chez nous, par crainte d’un piège. Ce sont de beaux cavaliers bien montés, bien équipés, la lance au poing. Ils entrent dans les premières maisons du village et boivent, les premiers, le café, le jour de la ducasse chez Feron, après une nuit affreuse passée dans la vieille boutique en face de la Poste. D'aucuns croient reconnaître d’anciens ouvriers d’industrie : cela est bien possible.

Le 28 Août, nous tenons bon, dit le Communiqué. On appelle la classe 1914 ; une proclamation dit que la guerre sera longue dure et difficile ; on a le tort de ne pas tenir compte de ces paroles.

Le 30 Août, les hostilités commencent dans la région de Ham Péronne ; on entend très bien le canon. Les aéroplanes traversent les rues ; l’un deux ne s’avise pas de lancer un factum disant que les Russent marchent sur Berlin etc. etc. ; on est tenté de le croire ; on compte d’ailleurs absolument sur l’avance russe.

Liège n’en est pas moins pris après que le général Leman a fait sauter le dernier fort.

Notre région est traversée par des troupes d’infanterie et d’artillerie ; ce sont des régiments des Charentes et du Périgord : 107e, 163e, 150e, etc. Ces troupes sont composées principalement de territoriaux.

On nous annonce l’arrivée de 300 Maubeugeois, mais rien, ces Maubeugeois sont évacués dans la région de Saint-Pol, preuve que le haut commandement prévoyait une avance sur Arras.

On va se promener sur la route de Bapaume pour voir passer les autos civils qui reviennent de Bapaume avec des blessés. C’est une suite ininterrompue de cyclistes ; d’aucuns, par trop curieux, sont cueillis par l’autorité militaire et doivent aider à enterrer les morts.

Si l’on va à Arras, il faut des laissez-passer. Mon linographe est mis à contributions, mais les modèlent changent bien souvent ; les jours où tout semble aller bien les sentinelles aux issues font leur service, mais quand les nouvelles sont peu rassurantes, on voyage au petit bonheur.

Les boches, tant civils que militaires, d’ailleurs passent sans être inquiétés. Un jour, toutefois, un fantassin prit d’un beau zèle arrête un soi disant espion, le pôvre est amené à la Mairie ; je procède à l’interrogatoire. L’individu se défend mal. On a trouvé dans son filet un fragment de journal… anglais et le brave type emmené à Arras était bel et bien un professeur de l’école d’agriculture de Berthonval.

[Mention ajoutée dans la marge : « En avril 1917 lors de l’offensive je dis : L’Amérique doit nous apporter son concours économique : nous ne lui demandons pas autre chose.] Les Communiqués sont sobres, laconiques. Nous ignorons la poussée de l’ennemi qui marche sur Compiègne ; les Boches entrent à Amiens.

Les R.A.T sont convoqués ; toute la région de Croisilles et de Marquion débarque à Arras avec enthousiasme. Le général d’Amade est à Arras avec des autos plus qu’en abondance et ils sont bien gardés ces autos, beaucoup mieux que tout le reste. Tout cet attirail f… le camp, sans rien dire, sur Falaise puis sur Ruffec, Saint-Astier, Cognac, Jarnac, les hommes du 33e et du 3e […] du moins.

Le 2 septembre le Gouvernement décampe la nuit sur Bordeaux. Les généraux Gallieni, Maussoury vont sauver Paris.

Les allemands sont à Reims, à Chalons, à Chantilly, on se les figure encore en Belgique. Maubeuge se rend ; deux forts seulement ont pu coopérer à la défense ; les 420, installés sur des plates-formes bétonnées et préparées à l’avance, ont eu vite raison de forts démodés. On n’en veut rien croire. On se gausse, on tourne en ridicule le boulanger Laflutte d'[[Arras] qui a réussi à s’échapper ; on bafoue cet homme dans le Courrier du Pas-de-Calais.

[Mention ajoutée dans la marge : « Les divisions de d’[…] se replient vers le sud ouest, à la gauche des armées en retraite. » « Les cabinets boites à résonance Explosion à Achicourt. Les bouillons Kub= Les saucisses Les artilleurs de Douai à Mareuil » « Ordre d’évacuation, Courage, calme, confiance Les machines belges : sifflet Le dernier train de la gare d’Arras ». Il n’en est pas moins vrai que M. Paradis reçoit l’ordre de faire évacuer les bestiaux sur Doullens et Amiens ; l’ordre est mis au feu et on allume sa pipe.]

Il est aussi vrai qu'à Arras on fait sauter l’usine électrique de la gare, les réservoirs d’eau et le pont d’Athies auquel une équipe d’ouvrier travaillera pendant septembre pour retirer les blocs de la rivière.

On trouve très drôle qu’on fasse sauter ainsi un viaduc plutôt qu’un pont ; on trouve étrange qu’à l’usure électrique on ne soit pas contenté de couper les fils et d’enlever les bielles !!!

Le bruit des détonations a eu pour effet d’a[…] quelques messieurs haut placés qui f. le camp, alors que toi simple bibi, tu dois rester ton poste, naturellement ; c’est « une chose » qui sera sans doute bien répétée après la guerre, n’en déplaise à M. le Préfet, et à M. l’Inspecteur d’Académie.

L’Évêque, le Maire et M. Delsériès restent à leur poste, M. Boutillier, déménage également. Tout ce beau monde reviendra l’oreille un peu basse. Paillard, lui a fait mieux ; il a baissé son store de fer et s’en est allé bien loin pour ne plus revenir ; celui-là se doutait de l’affaire ; son enseigne « franc-tireur » a été remplacé par ces mots « au franc-tireur ».

Les goumiers sont arrivés à St-Laurent-Blangy ; on court voir ces cavaliers intrépides, ces maraudeurs de marque ; on trouve drôle la façon dont ils font leurs prières et leurs salamalecs. Ces Marocains [Mention ajoutée dans la marge : « Les Allemands envahissent la Belgique nous allons à leur secours ? Nous échouons à Charleroi. Nous reculons jusqu'à la Marne pour les avoir et les rejeter au moment voulu. Légende tout cela ! »], qui forment une brigade indépendante, font le service d’éclaireurs ; ils vont fouiller les bosquets dans la plaine, chevauchent comme le veut sur des bêtes non ferrées qui allongent comme le chameau.

Un beau jour, ils tireront sur des dragons français que nos gamins ont pris pour des […]. Quelle débandade alors au café Dauchez quand les carabines crépitent.

L’instituteur Lefebvre se multiplie à l’excès ; il est monté sur un cheval abandonné et il remplit chaque jour sa mission secrète. Par la suite, il aura un char à bancs. Le citoyen Bachelez fait de même ; ce dernier sera emmené en Allemagne puis rapatrié en Juillet 1916.

Le 11 Septembre, grâce aux généraux Maunoury, Daubait, Foch, Roques, Langle de Cay , […], les Allemands repassent la Marne, se replient sur l’Aisne et se terrent dans le Soissonnais. Le général Joffre a sauvé la France, mais on ne se le figure pas.

Les Boches conduisent chez nous leurs services de reconnaissance le pont d’Achicourt saute la nuit. Quel crac ! Le lendemain, il est réparé. L’explosion a fait craquer les glaces du café du Commerce à Arras.

André est chez nous. On assiste à l’arrivée des derniers anglais et à l’arrivée de l’artillerie de campagne. On chante ; on fraternise juchés tous les trois sur les poteaux de la ligne du Nord, près du pont d’Achicourt.

Eugénie arrive un dimanche soir avec Alice. Pierre vient de quitter Béthune, pour Lille ; bientôt à […], ils gagnent l’Eure, puis St Astier, par mer jusqu'à la Rochelle. Vers la mi-septembre, on se bat sur Vé[…]. On raconte qu’une fraction de l’armée allemande s’est égarée par là, que les Boches ont trouvé des munitions dans un château et que la grille du château du baron de G[…] s’est ouverte devant eux. Nos territoriaux tirent le fusil derrière les moyettes  ; ils sont obligés de reculer devant le feu des autos mitrailleuses ; les boches ont des autos mitrailleuses blindées ; les nôtres sont au Maroc, dit-on. C’est presque la débâcle ; la division se replie sur Arras, quand elle est remplacée par une autre. Un sapeur du génie échoue chez nous un certain soir ; il est harassé de fatigue ; on lui donne à boire ; tout ce qu’il peut dire, c’est ceci ! « C’est ça l’armée française ! Tas de lâches, d’aucuns en effet s’enfuyaient en jetant leur sac et leurs cartouches ; d’autres mettent des habits de civils.

Les populations du canton de Marquion évacuent, nous faisons faire demi-tour à quelques chars un beau matin.

La bataille se continue sur Bapaume, Le Transloy, Sailly, les bois de Moislains.

C’est alors qu’un fort détachement boche vient à principalement pour se saouler à la Citadelle.

Le Kronprinz, en hussard de la mort, loge chez Duret et visite la ville et les hôpitaux ; il fait déblayer les alentours de l’hôtel des postes, en colère de ne rien trouver dans ce local ; on rit plutôt, et nous retournons par la petite place. Un lourdaud de boche escalade la barrière de la gare ; on le pousse au derrière.

L’argent, à la poste, était remisé dans une annexe. On inspecte les cabinets d’aisance. Les 2 wagons de mélinite remisés sous le pont ont-ils été trouvés ; sur Achicourt, ces lourdauds dénichent des tomates avariées et de vieux journaux, le Drapeau qui flotte en haut du Beffroi est retiré ; et les maisons ne sont plus pavoisées. L’étranger est maître chez nous, mais on ne se le figure pas.

Voici l’ordre de monter la garde, la nuit. Quelle est la consigne véritable ? Nul ne saurait l’affirmer. Il faut monter la garde sans armes ! Que faut-il faire en cas d’alerte ? Se sauver, recevoir un pruneau et aller prévenir M. le Préfet 24 heures après ? La Mairie recense donc tout ce qui est en état de porter les armes ; on est 3 de garde aux issues du village. 1° Chez Paradis 2° chez Moriot (le brave avait f… le camp) 3° sur la route de Mercatel 4° chez Mathias. M.Paradis prêche d’exemple et une nuit il se fait arrêter par ce sacré Bavreuil qui fait les cent pas en face de chez M. Plaisant. Je suis donc de garde avec Cuvelier et Crapoulet à la forge Henry. La lampe électrique de chez Delahaye en éclaire l’entrée.

Pas de barrage, et il fait noir comme dans un four dans le vieux chemin de Mercatel. Je fais un rapport en ce sens. Devant moi, c’est la route large. Rien d’anormal à signaler. Le résultat a été de faire la noce, principalement chez Bray, de garde également. La semaine suivante on ne montera plus cette garde ; on sera hardi. Et pourquoi prévenir la Préfecture ? Il y a bien là un tas de gendarmes à bicyclette ; quand une vedette est signalée, ils s’amènent à 40, engueulent les badauds de peur d’approcher et naturellement ils font buisson creux.

Émile le fait remarquer à l’huissier de la Préfecture alors qu’il apporte la collecte faite à Villers-Brûlin pour les blessés. Ma femme avait alors donné 5 francs à Mme Paradis, au titre de la Municipalité … la quête annoncée sous l’auspice du Curé n’a pas dû être faite, car les événements vont se précipiter. Alors qu’Émile et André sont chez nous, alors qu’on est presque décidé de se rendre jusqu'à Villers, une forte patrouille de uhlans suit le chemin de la briqueterie justement à l’endroit où se trouveront plus tard les premières lignes de tranchées boches. Un Taub survole Arras ; les territoriaux tirent dessus à coup de fusil ; on sait que c’est un Boche parce qu’il n’arbore pas nos trois couleurs. Le pilote pourra aller raconter qu’il n’y a rien à craindre sur Arras, et que l’on ne tend pas de piège. Émile ne demande pas son reste ; il décampe bien vite pour Villers-Brûlin avec André. Le frère Léon réclame également ses filles. Nous autres, on reste calme, toujours calme. Le citoyen bon Jésus affirme le dimanche 27 septembre que dans 8 jours, Beaurains sera d’abord pillé par les civils puis par les troupes françaises, puis par les boches. Il avait totalement raison. J’ai tiré au linographe en 300 exemplaires d’une proclamation de M. Paradis se terminant par ces mots : Calme, courage, confiance. C’est Drouvin qui fait les courses, à la place du Garde qui, le 27 septembre, reçoit une engueulade de ma part. Ce Monsieur critique les ordres que j’ai donnés pour la rentrée des classes en ce qui concerne son fils. La raison est-elle la bonne : j’allais tirer ça au clair, et devant M. Paradis, quand arriva l’ordre de partir.

[Mademoiselle] Balavoine n’est pas encore là. M. l’Inspecteur d’Académie, accompagné de M. le Principal l’ont constaté l’après-midi où ils sont venus me voir.

De [mademoiselle] Chauvin, rien. Il est vraiment à signaler que personne ne bouge de son patelin. Je n’ai même pas pu aller jusque Plouvain, voir Carpentier, le futur Sapajou du 101e. Toujours ce dimanche 27, alors que les badauds se pressent toujours au pont de Ronville pour voir passer les autos et les blessés, je fais la causette avec Ledoux ; tous deux, malgré les objurgations de M. Herriot, avons la conviction qu’il y a plus d’un million de boches en France et qu’on eût dû prévoir l’arrivée de ce flot envahisseur alors qu’on s’occupait surtout de politique. On sort du Salut. On se presse à la mairie pour écouter la lecture d’un ordre du Préfet, enjoignant à tous les hommes mobilisables d’évacuer dans la direction de Saint Pol. Pourquoi ? On ne le dit pas. Quand je rentrerai le 2 Octobre, ce sera pour entraîner ma femme et pour ne plus revenir. J’avais un plan : je me disais : je ne rentrerais pas avant le 1er octobre, pour voir si Guillot ouvrira la classe et restera Secrétaire de Mairie ; la question sera révolue après la guerre. Mon Guillot est allé ce jour là à Arras et le surlendemain quand il est revenu, tout était déjà pillé. La Mairie est restée ouverte à tout venant avec tous les documents sans exceptions, y compris le Cachet. Que retrouverons-nous de cela ?

L’artillerie loge chez nous : elle a ordre de se cacher pour ne pas être repérée par les avions qui passent nombreux. Nous reculons, c’est certain il faut l’arrivée des troupes d’Alsace jointes à celle de la 12e Région pour arrêter les boches qui pillent Wancourt. Le lundi 28, alors que je me dirige pédestrement sur Arras-Saint Pol, avec un Stéfanelly et mon baluchon nous croisons un peloton de goumiers qui fait la chasse aux uhlans ; l’un d’eux est tué d’une balle, les deux autres gagnent Mercatel, blessés. La victime est dit-on le fils du prince de Bulow ; on l’enterre comme un chien et les goumiers volent les montres des fossoyeurs.

À Arras, on entend siffler les locomotives belges ; tout cela est acheminé sur Creil. On feint d’ignorer l’invasion complète de la Belgique et la chute d’Anvers.

Mme Bocquillon retourne à son poste, mais comme elle entend les coups de feu sur Beaurains, elle fait demi-tour. Le collègue Dorez, l’embusqué, aura beau signaler les fonctionnaires non rentrés à leur poste ! Le collègue Carpentier ne peut rentrer plus loin qu’Arras et sa famille va rester en bocherie à Plouvain. Tout Neuville-Vitasse et Beaurains a déménagé, sauf quelques vieux entêtés et quelques jeunes gens par trop téméraires dont nous n’entendrons plus parler. Le dernier partant est grand-père Pagniez ; il sera conduit au Poste, chez Degand, puis chez Doinart où sont restés le vieux et la vieille ; il affirme avoir eu affaire à des Boches déguisés en soldats français qui voulaient le fusiller ???

Ce brave homme est mort désormais ! Non, il est en Bretagne.

Le collègue de Courcelles a fui à 5 h du matin, laissant son porte-monnaie sur la table ; il est aux tranchées ; sa femme est morte et sa fille est en pension.

Laurent a aussi laissé sa femme à Hendecourt-lès-Cagnicourt. Il est mort de suite de ces blessures . Le directeur d’Achicourt est parti ; Meibach mettra en sûreté les papiers de Mairie. Quant à M. Cléret, il reste et il restera à son poste avec l’institutrice et le Médecin Derégnancourt.

Je pars le lundi 28 [septembre] à 6 h du matin avec Stéfanelly. L’ordre d’évacuation n’a pas touché Arras. Nous trouverons la ville ; je préviens l’Inspecteur Delsériès qui me demande si j’ai besoin d’argent. Le digne homme est décédé depuis.

Sur la grand route poudreuse, c’est un défilé ininterrompu d’hommes et de jeunes gens portant tous la casquette et le baluchon. Le collègue Duhem nous indique le chemin de la halte de Frévin-Capelle. Nous dînons. Nous traversons Aubigny, une partie de Savy et nous arrivons à Villers-Brûlin vers 5 heures. Léontine est là. Émile et André sont repartis emmenant Simone.

Le lendemain nous prenons les chemins détournés reliant Guestreville, Chelers, Bailleul-aux-Cornailles. Nous gagnons la grand route et mangeons à Roëllecourt, là où il y a 15 ans le père Pocquet demandait une lanterne pour éclairer notre chariot de déménagement, en route pour St Pol. Nous rencontrons le père Laplace.

Voila le trou de St Pol, tant connu. J’achète une casquette chez Camoril. La cour de la Mairie est remplie d’évacués attendant un bon pour se loger. Bien des Beaurinois sont là. Comme nous n’avons rien à solliciter, nous nous dirigeons sur Ostreville. Il fait nuit quand nous arrivons chez Léonce où nous soupons. Je me repose dans l’ancien lit de l’oncle Achille et le compagnon loge chez Mme Leprêtre, où il est d’ailleurs très bien reçu. 49 Ostrevillois sont à l’armée.

Des visites successives chez Ricart ; chez Béal cantonnier, chez Collier où je dîne, chez Lardé, chez Louchet, chez Dupuis Béal nous prouvent que le souvenir que d’un ancien instituteur est encore vivace. Dausque est plus ou moins estimé ; comme on a besoin de ses services, on ne le critique pas ouvertement. Lors des élections toutefois, il a marché pour Bonnay avec P. Collier contrairement à Louchet. C’est la division là, comme ailleurs, et ce n’est pas la guerre qui supprimera les aménités, puisque Dausque sera remercié par l’administration entraînant avec lui ce vieux réactionnaire entiché qui nom Gallet et cela en 1917.

Nous arrivons à La Thieuloye à la brune. Ma tante Angèle est très surprise, mais heureuse de me voir. Le collègue Buire est très déprimé. Ces bons vieux instituteurs comme lui et Robail ne failliront pas à la tâche, mais ils y perdront la santé au seuil de la retraite !

Octobre 1914

Le jeudi 1er Octobre, le temps est toujours superbe. Nous descendons cette fois la route de Béthune. Des trains militaires remontent la voie. Les Boches envahissent notre région, mais notre état major l’a compris et s’efforce d’occuper la ligne Lille, Lens, Arras, Albert. Le viaduc de Frévent a été détruit ; cela amènera un retard très préjudicieux, forcément. Le [pont] de St Michel a été également remplacé par un pont de fortune, fait de traverses de chemin de fer superposées. On nous dit que les mitrailleuses ont marché à Hénin-Liétard, mais on ne nous dit pas que c’est la retraite de Douai, avec le 6e […] qui a beaucoup de prisonniers.

On ne pense pas que l’ennemi marche sur Arras. La ville de St Pol regorge d’évacués. Nous envoyons une lettre à Beaurains ; cette lettre nous sera retrouvée 4 mois après. Nous revenons à Ostreville et nous dînons chez Louchet. Nous voila de nouveau à travers champs, écornant Marquay où nous disons bonjour à Mme Scache, Bailleul, Chelers, Guestreville et Villers-Brûlin. Le long de la route, c’est l’arrêt forcé devant les bonnes gens qui nous interrogent. Le canon tourne sourdement. C’est du coté de Douai et de Valenciennes nous dit-on mais nous ne sommes qu’à demi rassurés. Léontine repart par Étaples.

Pour éviter les patrouilles allemandes, nous reprenons le chemin de notre village par le Nord, c'est-à-dire par Acq directement, la gare de Mt St Éloi, Wagnonlieu, Dainville et Achicourt. Au pont du Gy, la servante de Mme Parenty et Mme Barthélemy nous apprennent que les habitants de Beaurains fuient sous les obus.

Nous sommes fixés cette fois. Les Allemands bombardent non pas Valenciennes, mais Beaurains où luttent un bataillon de territorial, des chasseurs alpins et des vitriers.

Je rentre, comme éperdu, la gorge brûlante d’avoir couru. Jean ramasse des éclats d’obus et monte un petit musée d’armée. Les shrapnells éclatent ; les obus sifflent ; l’un d’eux recouvre d’une poussière noire la façade de Melle Choquet, manquant de tuer le fils de bon Jésus. Ma femme, nullement impressionnée est dans la cave avec sa mère et Julien. On a descendu des vêtements ; on s’apprête à passer la nuit. Le soupirail de la cave est bouché et la bêche a été descendue.

Melle Choquet trouve qu’il ne faut pas partir ; M. le Curé a dit de prier et d’avoir confiance et les boches reculent. Tel n’est pas mon avis ; apeuré par tous les fuyards, ne voulant nullement écouter les conseils des bonnes vieilles qui ont vu [18]70-71 et qui ne tiennent pas du tout à s’en aller, j’entraîne Julien. Ma femme et Jean me rejoignent et nous nous dirigeons sur Agny. Il fait nuit. La grange de Mme Wartel brûle et jette de sinistres lueurs. Je salue le général de Maud’huy qui se trouve avec son état-major derrière le château De Lignière ; le mercredi, le même état-major était venu pour loger à l’école, puis chez Pagniez, puis chez Mme Bucquet ; en même temps, arrivait l’ordre de se replier vers Ficheux.

Nous arrivons chez Mme Cléret qui nous offre gentiment l’hospitalité. Énervé, je ne puis ni rendre ni manger. Le lendemain matin, alors qu’on déjeune, Bray arrive en coup de vent et dit : « Mais vous n’êtes pas ici en sécurité, pas plus qu’à Beaurains. Un espion vient d’être découvert dans le château De Lignière ; il transmettait des messages par la télégraphie sans fil. C’est alors le désarroi ; on remonte jusque Achicourt et puis Dainville où nous dînons chez Fatoux. L’après-midi on revient à Achicourt ; Mlle Choquet décampe à son tour et nous dit que grand-mère est au pont d'Achicourt avec grand’mère Blondel. Me voici au pont ; je passe malgré la sentinelle. Le cabaret voisin est rempli de Beaurinois. Les grands’mères sont tranquillement assises sur le talus du fossé ; elles pensaient à … s’en retourner. Je crie, je braille pour les faire tourner la tête et je fais signe de venir.

La 1ère nouvelle, c’est de nous dire que nous n’avons plus ni poules, ni lapins. Le clocher sert de point de mire et le premier obus, une marmite, a enfoncé notre mur de clôture , massacré toute la basse-cour sauf le coq, et fait dégringoler les entablements de fenêtre ; que serait-il advenu si nous avions été encore là ? Poules, lapins, poires etc tout cela est ramassé en cinq sec par les civils, entre autres par Ch. Goret.

Grand’mère a le panier avec les papiers et valeurs ; c’est autrement important et nous voila tous les cinq repartis pour Dainville. La ferme de M.Paradis brûle à son tour ; l’huile coule enflammée dans la rue. Les chevaux sont rôtis. Le ciel est tout rouge de feu.

À Dainville

Nous passons la nuit, dans un galetas , à cinq sur une paillasse. On en prend son parti et l’on rit même de bon cœur quand ma femme, se couchant la dernière, ne trouve plus de place.

4 [octobre], on fait comme tout le monde. On essaie de retourner, mais voila que Mlle Balavoine avec grand’mère Blondel nous déclarent que le combat devient plus vif encore. Des zouaves, des turcos , des bat d’Af, des convois interminables arrivent. Cette fois on se rend à l’évidence. Les Allemands arrivent dans la région du Nord, non pour aller sur Paris, mais pour prendre Calais et occuper notre région pour se ravitailler. Ils ne prendront pas Calais, ils n’entreront même pas à Arras, mais la partie la plus riche du Nord et du Pas-de-Calais sera occupée et la ligne de Front sera saccagée, bouleversée de fond en comble. Au préalable, tout est pillé et ce qui n’est mangeable ni buvable et meuble est expédié dans les tranchées ou en Allemagne.

À Warlus

Nous retournons sur nos pas et nous arrivons à Warlus. Grand’mère a profité de l’occasion d’une voiture et Julien est poussé dans sa voiturette. Le cher petit ne se rend pas compte, et il a beaucoup de plaisir. Nous descendons chez M. Boildieu où l’on nous donne à dîner et à coucher. On manque déjà de pain et de bière. Le village est occupé militairement par différentes troupes, y compris les […] de tous genres. Les Beaurinois passent nombreux ; d’aucuns se dirigent sur Wanquetin, d’autres sur Habarcq ; la direction de Berneville est interdite.

5 Octobre. Les nouvelles sont encore moins rassurantes. [Quelques] Beaurinois ont essayé de retourner ; ils sont allés jusque chez eux pour donner à manger aux bêtes. Tu n’oublieras pas le serin, dit Mme Bray ! L’autorité militaire les prie de partir séance tenante. Les obus, d’ailleurs, tombent drû. La maison d’habitation de Piémont est incendiée ; celles à gauche de l’église ont beaucoup souffert. Grand’père Pagniez se décide à partir ; il a faim d’ailleurs ! Encore un qui avait vu Jo et qui croyait que c’en était simplement la répétition.

Voici Hauteville, Wanquetin. On ne trouve pas un morceau de pain. C’est une suite ininterrompue de voitures, les unes descendant sur Avesnes, les autres remontant sur Warlus. À Avesnes, Madame Liéval nous offre à dîner à l’école des garçons. Nous prenons la longue route de Grand-Rullecourt. Nous arrivons chez Deleury, où nous allons séjourner désormais, en famille. Le collègue Bauchet nous offre un lit, chez lui. C’est le bon accueil, accueil généralement réservé aux réfugiés, aux évadés, aux […], mais qui forcément ira en s’amoindrissant.

6 [octobre]. Les Allemands avancent sur Beaumetz, Arras, Lens. Les bonnes gens de Neuville-Vitasse, Beaurains, Mercatel, Hamelincourt, Boiry, Ficheux, Foncquevillers, Bienvillers, Blairville, Adinfer, Rivière débarquent en masse dans la région d’Avesnes, Frévent, Doullens.

À Grand-Rullecourt

Ici, Omer Ledru, Ferdinand Ledru, Omer Caron, Capy Ferdinand, Georges Ladan, Allart Albert ont été faits prisonniers à Maubeuge. A Beaurains, Molin et Desmyttère sont dans le même cas. Fernand Leclercq, de Saint-Pol, a trouvé le moyen de s’évader. Le Comte de Hauteclocque est mort de ses blessures. 85 hommes se sont rendus sous les armes, ce qui fait ici, comme à Ostreville, la proportion de 1/7. Dans ces conditions, l’armée française grouperait un effectif de 5.400.000 hommes et il reste à appeler les classes 1914, 1915, 1916, 1917, les services auxiliaires, les exemptés et les réformés et les indispensables ou-et les embusqués. Des embusqués, il y en a : Ex : Dorez, Caron et celui de Diéval ; le 1er est borgne, le 2e et le 3e qu’ont-ils ? Nous savons qu’ils sont allés à Montreuil, expressément pour passer devant une Commission de réforme spéciale. Enfin.

7 [octobre]. Nous entendons le canon tirer dans 3 secteurs : 1° le secteur de Neuville-Saint-Vaast et Souchez, le secteur d’Arras, et le secteur d’Hébuterne. Les gares de Savy-Berlette et de Mondicourt sont les gares de ravitaillement. Doullens, Frévent, Noyellette sont les centres d’exportation de la viande. Les autobus de Paris transportent la viande ; les Berliet transportent les hommes et les munitions.

Arras est bombardé. Les faubourgs de St Sauveur, Ronville et la rue de Saint-Quentin sont atteints. Théodosie Létoquart ramène son gamin, tué par un éclat d’obus, rue Méaulens.

8 [octobre]. Les goumiers séjournent dans la pâture Fiquet, derrière la poste. Ce sont toujours les mêmes brillants cavaliers, mais aussi les mêmes gaillards sans scrupules. Leur arrivée fait sensation ; leur départ n’est pas regretté.

Je vais à Sombrin. Je refais connaissance avec Léopold Roussel mariée à la fille Lajus, avec Gadoux et Compagnon de Bienvillers, Lavigne, ex-Directeur. Je pousse une pointe jusque Saulty. M. Debuire et sa fille ont l’amabilité de me conduire jusqu’à la Bazèque. Nous voyons les obus éclater derrière Berles, La Cauchie, Humbercamps. Le canon gronde. Un train militaire est en gare. Les biches nous regardent traverser l’allée des hêtres. La lutte est vive sur Bucquoy ; le général Marcout y a trouvé la mort ; des jeunes filles, dit-on, agitaient des mouchoirs blancs pour repérer pour repérer l’artillerie ennemie ?? Il y avait là une ferme boche, et par conséquent tout un système d’espionnage.

9 [octobre]. Le seul moyen sûr de se rendre compte de telle chose c’est d’y aller voir. Me voila donc parti sur Arras. Villette me conduit un bout en voiture ; je descends à Hauteville. Je préfère la marche à pied. Grand-père Pagniez me raconte sa fuite. Wanquetin est toujours rempli de troupes et d’émigrés. Je continue avec Jean jusque Warlus. On ne passe pas dit la sentinelle. [Quelques] Beaurinois, plus entreprenants, passe à travers champs. Ils iront jusqu’au faubourg Ronville. L’octroi est balayé par les mitrailleuses boches. Nos lignes sont à l’entrée du village, à 200 mètres de celles des boches. Un passage souterrain ? part de chez Mennebo ; la scierie de ce monsieur est épargnée, dit-on ? Encore un vendu, alors ? On revient, ayant contemplé avec une joie mêlée de tristesse, la haute silhouette du beffroi et des tours du Mt St Eloi.

Les tours du Mont-Saint-Éloi détruites par les bombardements

10 [octobre]. Le trajet d’Avesnes devient presque journalier. Cette fois, les éclopés arrivent. Les écoles, la Mairie sont transformées en ambulance. Le Général Inspecteur des Services sanitaires sort de la maison de M. Le Tellier, notaire. Les éclopés nous regardent béatement passer. Le fantassin voisine avec le tringlot , le vitrier, le zouzou , le tabor , le bat d’af , le marsouin et le canonnier. Très rares sont les cavaliers et les canonniers blessés. C’est l’infanterie qui « trinque » toujours. Arras est bien endommagé autour de son hôtel de ville qui sert de point de mire.

11 [octobre]. Il est entendu qu’on a quitté son foyer avec ses habits de travail, sinon avec ses loques. Il faut, derechef aller à Avesnes. Et voila comment la capitale de la région voit arriver une dame, son mari et leurs 2 enfants pour s’acheter une chemise. Après Paris, ch’est Avesnes. La boutique de Mme Biguet n’est toutefois pas la Samaritaine. Il y a 2 comptoirs surchargés de marchandises à tel point que la patronne oublie de mettre la chemise de Jean dans le paquet, chose qui m’obligera le lendemain à trier 10 km pour réparer l’oubli involontaire de la vendeuse.

On a ainsi passé le dimanche à s’acheter une chemise. Où est donc l’homme heureux qui n’a pas de chemise. Celui là n’a sans doute pas encore visité Avesnes-le-Cte, avec sa rue principale, ses trottoirs raboteux, son clocher bicarré, son château d’eau Kolossal, son marché couvert, sa petite gare, sa gendarmerie très à l’écart et ses basses rues boueuses.

12 [octobre]. Le collègue Bouchet tient absolument à lire un journal chaque jour. Me voila donc parti pour Liencourt trouver la cheffesse de gare qui sûrement doit avoir des journaux. C’est le contraire qui existe tous les trains sont réquisitionnés par l’autorité militaire. Je m’en doutais bien. Au surplus, les journaux ne disent pas tout ce qui se passe ; ils ne le diront jamais. Dame censure est là, et les récits de batailles sont exacts, mais on brode ; la confiance, d’ailleurs, restera presque générale.

13 [octobre]. Voila la pluie. Des fusées, hier soir, ont indiqué l’emplacement de nos troupes. Donc, rien ne bouge. Notre village sera pillé, incendié, saccagé, démoli ; il faut en prendre son parti. Les goumiers, ou plutôt les spahis auxiliaires font leur réapparition. Cette fois, ils sont au complet et l’on ne fait plus un pas sans rencontrer ces arbicos .

14 [octobre]. Les denrées se font rares. Alors que les demandes sont aussi pressantes que nombreuses, il est difficile de contenter tout le monde. M. Deleury se rend donc à Frévent, chez Dépierre ; nous revenons avec une petite commande. Je dîne chez Berquin. Bijou nous ramène vers les 5 h du soir à Rancourt. En route, bonjour à Guillot qui loge chez son beau-fils !?? Il me dit que lorsqu'il est rentré chez lui le dimanche, il ne lui restait déjà plus une chaussette.

15 [octobre]. Les routes sont boueuses et caillouteuses. Le citoyen Mercier parle de jeter le manche après la cognée… le marteau. On achète une paire de souliers, chez Sellier, à Avesnes.

Le canon tonne fameusement, et si ce n’était l’allée et venue de gens affairés mais paisibles, l’on serait tenté de rebrousser chemin.

16 [octobre]. Plus de bières ! Et du café sans sucre. A la guerre comme à la guerre. Me voici en route pour Noyelles-Vion pour commander 2 fûts de bière. Les indigènes sont peu accueillants. Le village par contre est joli. Les cabarets sont fermés. L’après-midi, je vais à Liencourt avec Dufrenne et Deteuf. On passe une heure chez Maria en compagnie de Villette et de Cottel.

17 [octobre]. Me voila reparti avec Jean ; au petit bonheur. On passe Avesnes, Hauteville, Wanquetin. Il fait bon, si bien que nous continuons sur Dainville, en plaine ; la route est longue. Nous arrivons au faubourg d’Amiens. Partout les vitres sont brisées. Un brigadier de gendarmerie nous arrête à l’octroi ; Inutile d’aller plus loin, dit-il, vous n’avez plus d’école et d’ici 8 jours, il n’y a rien à espérer. 8 jours ? c’est long ; et 2 ans après c’est encore absolument la même chose. Une batterie se démasque derrière nous.

Ça craque joliment, mais je me familiarise vite. Les obus passent en ronflant au-dessus de nos têtes et on les entend éclater sur Beaurains. Nous examinerons [quelques] tranchées et nous ramassons des éclats d’obus allemands. Nous mangeons un morceau chez Fatoux. Nous retraversons la ligne de chemin la ligne de chemin de fer. Des dragons emmènent des réfugiés à Warlus, à l’état-major. On est arrêté mainte et mainte fois par les sentinelles. Nous avons ainsi parcouru 50km. C’est beaucoup pour Jean qui devra s’aliter en rentrant.

19 [octobre]. Cette fois je me dirige sur Sombrin. À la sortie du village se trouvent 8 canons longs de 120. Le ravitaillement en munitions se fait à mi route entre Sombrin et Warluzel. Un avion boche a lancé des proclamations boches, toutes mensongères.

20 [octobre]. Impossible de rapprocher. Les mouvements de troupes sont de plus en plus nombreux. On trouve difficilement du pain ; le beurre est d’ailleurs presque introuvable.

21 [octobre]. Inutile d’aller plus loin qu’Avesnes. On sait maintenant que les boches sont terrés comme des lapins et que les obus font surtout sauter des betteraves. Arras est bombardé. Le beffroi est tombé à 10 h du matin. Je vais à Warluzel où j’ai vu Hanot. Une lueur rouge éveille notre attention le soir. Je me rends en haut du bois. L’orientation m’est alors donnée. Je suppose que c’est la stéarinerie de St Nicolas qui flambe : c’était exact.

22 [octobre]. Canonnade violente sur Arras. Deleury mène une vache à l’abattoir de Noyelette ; il rapporte des cervelles de mouton, des débris donnés par la troupe aux solliciteurs.

23 [octobre]. Encore à Avesnes, cette fois pour dénicher des allumettes. Le tabac devient très rare. Il ne reste que des cigares et du caporal à 10 sous. Le temps est superbe. Un ballon captif est en permanence sur Mt St Éloi et un autre sur La Cauchie. Les évacués doivent quitter la zone des opérations et se réfugier vers Doullens, Frévent, Abbeville. Les Lefrère, Lequette, Varlet, Dubron, Lemaître, Mme Pecqueur, Me Lemaître sont à Avesnes. Je rentre le soir à la lueur des coups de canon et je distingue une comète, à droite de la grande ourse.

24 [octobre]. Un ordre n° 19 du Général de Maud’huy enjoint aux réfugiés de quitter la région, à cause des espions ? L’autorité militaire, seule, doit délivrer les laissez-passer. L’ordre est brutal. Le collègue et Maire Bauchet veut l’exécuter mais on rouspète. Les Arrageois, ceux de Ste Catherine, de St Nicolas, Anzin, Marœuil quittent leurs pénates.

25 [octobre]. Je vais à Beaufort, à Liencourt, et au Cauroy. Les ordres militaires sont différemment interprétés. Je redis bonjour aux Candas, Bray, Villette, Anthyme. Les [quelques] vieux restés à Beaurains, comme les Doinart, Mme Delaleux, sa cousine, le père de Me Guilmant sont morts d’inanition.

26 [octobre]. Voici les accommodements : les employés, les ouvriers agricoles, ayant un contrat de 3 mois, les parents jusqu'aux neveux et nièces, les personnes ayant un logement peuvent … rester. Très bien ! On s’en doutait un peu. Les indigents ont le tort d’être indigents ; on hisse les vieux et les vieilles dans un chariot réquisitionné et en route vers une destination inconnue ; d’aucuns iront jusque dans la [Haute-]Garonne et les Basses-Pyrénées comme les Quignon. D'autres seront séparés en cours de route ; le père devra devenir militaire s’il ne l’était pas ; les jeunes gens et les jeunes filles seront dirigées sur une usine et la mère restera avec les mioches. Tout cela est embarqué dans les trains ou sur les bateaux comme des vulgaires colis.

27 [octobre]. Hanot a élu domicile à la briqueterie et Ficheux chez J.Caudron. Je leur fais un bail, provisoire d’ailleurs car Ficheux s’en ira à Avesnes et Hanot quittera sa boîte pour tacher de gagner sa vie, dans la rue de Sus St Léger. 50 militaires sont enterrés au cimetière d’Avesnes. Ceux là auront leur famille prévenue ; mais les autres ; d’aucuns sont enterrés vivants sous un bloc d’argile ou de craie.

28 [octobre]. Je ne ménage pas mes jambes. Me voila parti commissionner à Avesnes ; je fais la rencontre d’Honoria Roussel et de Tavernier et me voila reparti pour le Sour[…]. On pose à Sus St Léger chez Petit Balavoine et chez Gaze à Ivergny. Je rencontre Victor. Je mange un morceau. Martin surveille les voies dans le centre et Zéphyrin est à Verdun. Je dis bonjour et au revoir à la tante Nonie, à cousine Berthe, qui se plaint toujours et à cousin Benoit qui débite un porc. Je reviens nuitamment après avoir posé chez « Marie Pessi » et à Sus St Léger. Je passe par la fenêtre de la chambre, chemin déjà connu dans mon enfance.

29 [octobre]. Ça tonne sur Arras et sur Beaumetz. Il y a des marsouins, des sénégalais, des Hindous au front. Va-t-on avancer ? Une promenade dans le village. Je reconnais les anciennes pâtures où j’ai tant couru ; mais je constate qu’elles sont moins soignées qu’avant et qu’on en a créé beaucoup de nouvelles dans les champs. Les sentiers dans les près ont disparu. Les « reulettes » sont beaucoup moins fréquentées. Des fils de fer drus et serrés avec des ronces entourent chaque propriété. Le paysan, devenu aisé, a senti le besoin de se renfermer, de se limiter. De mon temps, il y avait [quelques] mauvais fils de fer à la pâture du château et cloués aux arbres. C’est le progrès.

30 [octobre]. La température se refroidit. Le journal Le Matin annonce la mort des sportmen Cosnès, Trousselier, Friol, Hourlier, Jean Bouin. Paoli, Hogan, André sont blessés. Notre national [Georges] Carpentier est aviateur. À Sombrin, loge un régiment d'[Artillerie] volante.

31 [octobre]. Jour de commissions. J’accompagne Deteuf jusque Berlencourt et l’épicerie Casse. Nous rapportons fort peu de chose comme d’habitude. Les dames sont allées à Saint-Pol ; je repars jusque chez Doré. Les dames n’ont pas été plus heureuses que nous. Les épiceries de Saint-Pol sont aussi dénuées de marchandises. Plus de sucres, ni de pétrole, ni de savon, ni de bougies. La canonnade est intense.

Novembre 1914

1er [novembre]. Dimanche Jour de la Toussaint. Il y a plus d’un mois que je me suis fait raser. J’assiste à la messe, dans la tribune. Cette église me rappelle tous mes souvenirs d’enfance, mon arrivée comme enfant de chœur, alors que c’est le [Saint] Sacrement ; comme je suis le 6e, matante me confectionne ma soutane, mon surplis ; j’émerveille les habitants en chantant au reposoir en face de chez Charles Petit. Autre souvenir : le jour où je suis allé au catéchisme, malgré moi, car la botte du père m’a relancé jusque dans la porte. Je […] le 5e sur 7 et bien que le 1er en Composition générale je resterais le 5e. Souvenir : on descend dans les carrières, on monte dans le clocher, on sonne la cloche, cloche très mal montée- tour très sombre ou il faut quand même pénétrer le soir pour sonner l’Angélus, etc. ; souvenirs d’enfance pendant 6 ans et 4 mois, de juin 1886 à Octobre 1892, de 10 ans à 16 ans ½.

Je vais dîner chez le camarade Liébert, ami d’enfance, et nous allons faire une promenade dans les champs. À l’horizon, raids d’aéroplanes.

2 [novembre]. À 10 h du matin, je pars avec MM. Plomb, Marquis pour le « mont » de Wanquetin. Une batterie française tire près de nous, près de Simencourt et l’ennemi bombarde Beaumetz. Une lunette marine, puissante de chez Mr Callinaud nous permet de sonder l’horizon. Le clocher de Beaurains est tombé. La briqueterie est rasée. Les autres cheminées sont encore debout et l’on distingue les pigeonniers de chez Wartel « le gros Wartel » et de chez Degand. Le moulin de M. Marquis est écroulé. On distingue la toiture rouge de chez Souillart- Madame Souillart est restée avec sa fille ; elles seront rapatriées plus tard. Pourquoi être restées ?

3 [novembre]. De nouveaux Beaurinois arrivent à Rocourt ; le jardinier de chez Me Parenty (mort depuis) avec sa femme et son chien. Le cantonnier « Mamape » avec un petit éclat d’obus au front, reçu dans la rue Baudimont.

4 [novembre]. Je monte en voiture avec Bauchet jusque Lattre-Saint-Quentin. La route est très défoncée et c’est miracle si l’on n’est pas accroché par les autobus. Je descends. Je préfère aller à pied, car le bidaillon de Mme Charles Petit à peine à tirer. Me voici devant l’abattoir de Noyellette ; j’oblique à droite traverse le Gy près de l’école ; les obus ont tombé là. Trois autos grises me passent en toute vitesse ; n’est ce pas l’auto présidentielle.

Une batterie française tire de Dainville sur Saint-Laurent. Les Allemands ne répondent pas. Me voici à la porte Baudimont, ayant ramassé un culot d’obus de 75. La consigne n’est pas sévère et je foule le pavé d’Arras. La rue Baudimont a une maison effondrée. La caserne a son toit éventré. Le boulanger Laflute fait le pain au sous-sol. Les vitres sont brisées ; toutes les persiennes sont poussées et les portes bien closes. Je dépose mon pardessus au café Hiver et me voila parti au trot au Palais St Waast. L’hôpital St Jean est endommagé. Place de la Madeleine, le mess s’écroule. La cathédrale est écornée. Me voici dans une cave, au dessous du Musée : c’est la poste. Fermé, me dit-on. J’arrive tout de même à obtenir un paquet de lettres pour Beaurains, mais rien pour moi. On me dit qu’on ne conserve que les lettres nouvellement arrivées et qu’on renvoie les autres à Boulogne. En réalité c’est le fourbi . Je demande du café au café du coin près de chez Fournaux libraire ; le vieux réchaud à alcool ne marche plus. Je bois une chope que je ne puis payer le patron ne pouvant faire la monnaie.

Ah ! Cette fois, voici le désastre ; tout le carré entre la rue des Grands-Viéziers, la rue de la Madeleine, la rue Saint-Géry et le coté droit de la petite Place n’est plus qu’un morceau de ruines. Le beffroi n’est plus qu’un tronçon informe à travers les murs éventrés de l’hôtel de ville incendié ; je vois les fondations en gris de ce qui était l’orgueil de notre cité.

La rue Ernestale a peu souffert ; la tour des Ursulines est découronnée.

Au quartier de la gare, le coté gauche a beaucoup souffert. Le Courrier, le café du Globe, le café Boursier, la pharmacie Dehay et la pâtisserie Doria n’existent plus.

Seule, une cheminée reste debout et j’aperçois à chaque étage la prussienne sous la tablette de marbre et la garniture de la cheminée.

J’absorbe un vin blanc chez Hénocque et j’avance vers la gare. L’entrée est interdite. J’arrive au pont de Ronville. Je fais le bon enfant, si bien que les gendarmes me laissent avancer jusque la première tranchée ouverte. Une compagnie française, me dit-on, se trouve dans une tranchée derrière la briqueterie mais nous ignorons ce qu’elle fait actuellement. Je suis édifié. Un moulin à café épuise son ruban ; ne tire-t-elle pas après moi ? Je dégringole le talus du pont, traverse la gare aux marchandises sans mal, toutes les palissades étant sciées. Le tintamarre commence. Je cours. Le Collège est peu endommagé. Me voici à la gendarmerie. Je finis par dénicher le cantonnier Legrand. On boit une bouteille avec lui et Delval, et j’emporte un kilo de sucre dans un sac pour Madame Legrand de Rocourt ; quelle commission ! il va pleuvoir ; le sucre fondra.

Le culot d’obus emplit ma poche de pardessus.

Je fais route avec Mr Proteau et je lui fausse vite compagnie. Je reprends mon pardessus. Les obus allemands sifflent. Une batterie [?], derrière Ste-Catherine, fait rage. Il faut déguerpir ; impossible de m’assurer, si l’usine de Wartelle est encore debout ; je me suis trompé de chemin.

Je fais route avec Cassoret qui vient de sortir un cheval de son écurie à Saint-Sauveur ; la brave bête souffle énormément et ne peut aller plus loin qu’Habarcq. Je rentre à 8h1/2 , crotté mouillé, harassé, avec le culot d’obus. Le sucre a été déposé chez l’institutrice adjointe d’Avesnes-le-Comte qui loge l’institutrice de Mercatel. J’irais le rechercher le lendemain.

6 [novembre]. Les auxiliaires doivent se rendre à Hesdin, devant la [Commission] de Réforme, le samedi 7 à 13 h du soir. Il faut donc partir la veille. Je quitte donc ma famille avec mon baluchon. M. Legrand, vieillard de 80 ans, très bien conservé, nous mène en voiture jusque Rebreuviette ; nous sommes alors quatre conscrits : Julien, Octave Petit, Victoir Cuisse et moi. Nous déjeunons à Frévent : c’est jour de marché. Je dis bonjour à Mme Béghin, à Me Adrielle, à Jeanne, Laderrière et à Adèle Mesureur. Nous avançons joyeusement, traversons Ligny, Boubers, Cauchy, Aubrometz, Fillièvres, Galametz, Wail, Saint-Georges. Il est 5h du soir. Le collège Warembourg nous trouve un bon lit, mais on ne dort guère. Mon compagnon se plaint et trouve que le couet est trop bas. A 4 heures, une flopée d’auxiliaire entre dans l’estaminet où nous logeons. Comme j’ai la diarrhée, je me lève.

À 7 heures, nous traversons Marconne, Vieil-Hesdin et nous arrivons sur la place de l’hôtel de ville à 8 heures. On appelle. C’est le plus beau des gâchis. Bref, il faut se faire inscrire à la Mairie si on ne l’a pas fait précédemment. On balance jusqu’à une heure. Je déjeune. Je refais connaissance avec mes anciens amis de Vacquerie, de Saint-Pol et d’Ostreville. Nous portons notre baluchon et notre argent chez M. Fortin. Courtin est là ; il a jugé bon de se faire réformer en fin Août, devant une Commission ??

On appelle, mais on n’entend rien. C’est le tour de Laderrière G. cl. 1888. Je finis par deviner qu’on appelle par classes ceux du recrutement de Béthune. Peu de réformes, peu d’auxiliaires. Service […] renvoyés dans leurs foyers à titre provisoire, comme Julien Legrand. Les autres en route pour St Astier. Le recrutement d’Arras sera appelé une autre fois. Je m’en doutais. Il est 3h1/2. Il faut repartir : clopin-clopant, sonnant à droite à gauche, ne trouvant d’asile nulle part, échouant sur un banc sur la route au Car[…]ay, nous arrivons, par un coup de force à rentrer à Rocourt à 2 h du matin, plus que fatigués. Il nous restera toujours le souvenir de cette longue étape inutile, mais où la gaité française a pris ses droits en la personne de Jules Friquet Call[…] dont les réparties sont vraiment drôles.

8 [novembre]. Jour de repos. J’accompagne ces dames jusqu’à Sus-Saint-Léger, chez Mr Tripet. Nous rentrons le soir à travers un épais brouillard. La canonnade reste très intense entre Arras et Béthune.

9 [novembre]. Le service du ravitaillement est installé au bout du village sur Avesnes. Les autobus sont rangés sur la place. C’est alors une procession de quémandeurs, de solliciteurs, sinon de mendiants. On récolte les têtes, les cervelles, les cœurs et les langues et on se régale.

10 [novembre]. On s’occupe des fonctionnaires évacués, sans emploi. Il est temps. Comme Bauchet est souffrant, je fais la classe à sa place et me voila pérorant dans le local où j’ai passé mon enfance. Mercredi 11. J’ai pour m’aider une Adjointe, ex-suppléante de Bauchet. Tout irait bien, si les élèves étaient munis de fournitures.

12 [novembre]. Le canon s’éloigne. On se figure qu’Arras est dégagé. Léontine nous écrit ; elle ignore la situation des réfugiés, situation morale et matérielle.

13 [novembre]. Le temps est mauvais. On réquisitionne alors des chevaux.

14 [novembre]. Un agent de la police secrète et le frère de de Maudh’uy s’amènent. On me demande des renseignements sur M. Dumont de Beaurains, ce monsieur parait louche. Je l’ai vu à Avesnes, joliment maigri. Une enquête a été également faite sur d’autres personnes. C’est Delemott et Bauchet qui sont les inquisiteurs. Ils font fausse route lorsqu’ils soupçonnent Hanot.

15 [novembre]. Il gèle ; il pleut ; il neige. Mme Dauchez me fait faire une lettre pour son mari à M. Paradis ; que fait donc Quillot ? Les Boches bombardent Marœuil et Mt St Éloi.

18 [novembre] . Je vais toucher mon mandat et les bons d’assistance. Je rencontre Ringeval, […], Lequette, l’instituteur de Roclincourt. Est-il vrai que les Boches se sont rendus à Beaurains, que votre artillerie a bombardé les chateaux de Lignières, Pagniez et Lequette pour déloger l’état-major allemand qui y faisait bombance. Est-il exact qu’on prend les noms des réfugiés et que la classe 14 est divisée en 1ère ligne de feu ? Stéfanelly père est incorporé à Tulle ; ses 2 aînés ont été dirigés sur Clermont-Ferrand et Madame dans l’Eure et Loir.

19 [novembre]. On craint une poussée allemande sur Arras ou sur Doullens ; il neige. Le 13e, Bussard rejoint d’autres régiments dans la plaine de Berneville, mais ce n’est qu’une démonstration ou diversion.

21 [novembre]. Bauchet va au charbon à Tincques.

22 [novembre]. Il gèle fortement. Nous voila partis à Villers-Brûlin par Blavincourt, Lignereuil, Givenchy, Manin, Izel Berles. Monchel et Villers-Brûlin. Ce sont d’abord des reproches… que j’attendais ; viennent les explications. Les allemands étaient à Villers le 21 [septembre]. Les Français ont été chassés par surprise et le village a été bombardé. Nelly et Lucile ont été suppléantes à Calais pendant le mois d’octobre. André a son brevet de conducteur d’auto. Pierre est sergent instructeur de la classe 14 au camp de la Courtine. À Villers-Brûlin loge ce qui reste du 41e de ligne, régiment très éprouvé au combat de Neuville-Vitasse et de la Targette. [?] gendarmes sont également là, pour la police ??? L’école est remplie d’éclopés ; 24 brancardiers s’en donnent à cœur joie dans la Mairie. C’est l’occupation militaire dans son plein. Nous couchons tous les 7 à l’extrême droite ; on fend du bois dans la classe à 2h du matin.

23 [novembre]. Le temps est neigeux ; nous repartons à 10h. Eugénie a remonté notre garde-robe. Un bonjour en passant au Bar aux Boulets, à Marie-Louise à Givenchy. Un ordre s/préfectoral enjoint aux immigrés de 17 à 48 ans de partir sur Montreuil, Bourbourg, Amiens. Les femmes peuvent se diriger sur Rouen. C’est plus qu’il n’en faut pour m’inciter à f.. le camp. Je suis très surexcité, car je sens bien que nous ne sommes pas au bord de nos peines.

24 [novembre]. Il dégèle. J’expose ma situation à l’Inspection académique. Le Curé m’envoie 4 pélerins. A Rocourt, toujours, le 13e hussards. Les bouchers sont renouvelés en partie. La Croix- Rouge est installée aux chateaux de Lignereuil et de Givenchy. A Izel, spahis réguliers. À Berles, parc de ravitaillement d’Artillerie.

25 [novembre]. L’ordre sous préfectoral s’amène. Je vais à Avesnes. Accart pérore. Lefrère est convaincu, comme moi, qu’il n’y a plus rien à prétendre à Beaurains. Les femmes ne sont pas convaincues. Elles espèrent toujours rentrer et faire du café en arrivant. Le brigadier Delval donne la note juste. Mme Legrand n’est plus si confiante. Tous les réfugiés qui doivent passer le Conseil doivent se diriger vers Montreuil et Bourbourg : c’est loin. Les familles ne peuvent être évacuées gratuitement si elles sont admises à séjourner dans l’arrondissement.

26 [novembre]. Brouillard intense et froid. Je vais porter des prises à la briqueterie. Plomb m’invite à monter avec lui pour aller acheter des galoches à Sus-Saint-Léger. En route, je rencontre Martin et Berthe. Je descends et je les accompagne jusque Sombrin, chez Allart. Ils sont ainsi au courant de ce qui se passe. Je les quitte au chemin du Warluzel.

27 [novembre]. Le Petit Parisien présente un article sur le 3e bombardement d’Arras. C’est un superbe coup de brosse à ces messieurs Préfet et édiles arrageois. On fait beaucoup de réclame pour les [quelques] vieillards caduques qui s’obstinent à ne pas vouloir quitter l’hôpital St Jean. On ne parle jamais des réfugiés, des évadés, des évacués, des rougueux ! Alors que je devise gentiment avec Berthe Héroux à 11h1/2, j’apprends que les SAx doivent se présenter à Saint-Pol, devant la [commission] de Réforme, à 1 heure. Je fais mes préparatifs. Le Maire Capy me signe un certificat comme quoi j’ai été prévenu trop tard. J’en profite pour emmener ma famille avec moi et à 1 heure avec Gustave, nous quittons, dans les pleurs, Delevery, Bauchet, Deteuf. Je règle la pension : 120 francs. J’arrive trop tard. Par une action d’éclat, le commandant de recrutement consent à prendre copie de mon fascicule. Une séance de cloture aura lieu prochainement ?? Bar aussi est arrivé trop tard. Donc, on me préviendra tout de travers ; le Lesieux Jules, instituteur à Grand-Rullecourt n’est autre que le frère Léon de Calais qui, lorsqu’il recevra une communication, ne me l’enverra pas et dira « ah ! On la trouvera toujours ». Oui, on me collera dans le service armé, comme bon absent… Le hasard a probablement bien fait les choses. Si j’étais arrivé à l’heure à Saint-Pol, j’eus peut-être bien été versé dans le service armé ; j’ai gagné du temps, car je ne passerai le Conseil qu’à Jarnac, le 21 juin. Mais d’un autre côté, cette situation irrégulière restera telle qu’elle jusqu’au 14 septembre 1915 ; la fin de la guerre dira si j’ai toujours eu le filon car, en somme, j’ai toujours bien passé. Nous arrivons tous les cinq à Ostreville, la nuit, par pluie ; le hasard a voulu qu’on nous laisse passer à Calimont sans laissez passer. Grand-mère veut tout porter et traîner Julien. On échoue, c’est le mot, chez Leprêtre ou l’on nous loge pour la nuit après avoir dit bonsoir chez Léonce, chez Lardé et chez Perry.

28 [novembre]. Nous voici à La Thieuloye, chez la tante Angèle. Louise est partie voir son mari, à Dunkerque. On s’arrange. Nous demeurerons dans le fournil où nous ferons notre cuisine à part. C’était le meilleur parti à prendre. Nous avons là un avantage marqué sur Rocourt ; nous sommes chez nous, et nous pouvons tout au moins raccommoder nos loques. Ma femme regrette Rocourt ; le poêle va plus ou moins bien et elle doit faire la cuisine, etc., etc. ; évidemment aussi, elle ne plus trouver la table mise et gagner sa croûte, mais nous ne pourrions pas non plus toujours rester chez Deleury.

29 [novembre]. On va désormais à Saint-Pol, avec un laissez-passer en règle. On trouve du lait chez Meurisse, du pain chez Destrehem, du charbon chez Cornu ou chez Bara.

30 [novembre]. Le voisinage d’un centre est très pratique. Nous voila encore à Saint-Pol, malgré le très mauvais temps pour faire ses emplettes. Là, on peut retirer de l’argent de la caisse d’épargne et toucher des coupons.

Saint-Pol-sur-Ternoise - La place de l'Église

Décembre 1914

1er [décembre]. St Éloi. Les coutumes locales sont négligées. Ici, les deux Gavory sont tués. Le soir, on va à Monchy-Breton, chez la belle-mère de Caron, chez Basquin et chez Robail. Il y a là dans le village 59 réfugiés. L’instituteur les aide et les protège.

2 [décembre]. Je rends visite à Buire dans sa classe ; le local est trop petit, mal bati, humide, poussiéreux. Il n’y a pas moyen d’y caser ni Jean, ni Julien et je ne puis non plus y faire classe. Je vais à Ostreville chez Thellier E. chez Collier et chez Léonce ; il est visible qu’on s’intéresse encore à moi et qu’on eût voulu me savoir resté. Me Taffin, avec sa sœur, loge chez Mr Collier. Le soir, souper en famille, chez Buire.

3 [décembre]. Retour à Ostreville : on dîne chez Dupuis Béal. Le bonjour chez Herbet ; Melle est suppléante à Valh[…] ; Gaston est au bois de la Gruerie : c’est un très bon soldat.

4 [décembre]. Il faut rester couché pour que l’on puisse réparer votre unique pantalon ; pantalon du beau-père Pierre, ainsi que le veston d’ailleurs. Jean n’a rien pour travailler. Rien à faire avec le fils de Théret.

Les boches se concentrent sur Ypres et Arras, dit-on. Succès russe au nord de Lodz  ??? Les collègues Chopin, Phalempin et Bachelez d’Hermies ont été emmenés en Allemagne ; les reverra-t-on, comme on a fait de l’hôtelier D’Hermy ? Le général Joffre est décoré de la médaille militaire.

5 [décembre]. Malgré le mauvais temps, nous arrivons à Villers-Brûlin à une heure pour repartir à 3 heures. La classe est remplie de soldats ; la Mairie est occupée par ces messieurs les officiers et la cuisine par les cuisiniers. Eugénie est reléguée dans un coin de sa chambre. Grand père Découdu va s’aliter et c’est Flippe qui prendra les fonctions. Je reçois l’ordre d’écrire à Émile ; je ne me suis pas dérangé pour Mme Ernest Cailliez à Rocourt c’est exact ; il ne me plait nullement d’étaler ma misère devant out le monde. On en conclut que je fais tout pour me retirer de la famille. C’est une flèche décochée à ma femme qui, on le sait bien, subit toujours l’influence de sa mère, influence qui s’est toujours manifestée et qui ne disparaîtra sans doute jamais, totalement du moins ; il ne peut guère en être autrement.

6 [décembre]. Nous recevons l’ordre de passer devant la [commission] de réforme, ordre militaire. L’ordre est impossible à exécuter. D'où contre-ordre : les classes 15, 14, 13 devront se présenter. On fait la rencontre de Basquin à Orlencourt.

8 [décembre]. Nous progressons vers Vermelles. On creuse des chemins pour amener la grosse artillerie. La France du Nord nous dit qu’on peut retirer ses correspondances en retard au bureau central de Boulogne.

Ruines du château de Vermelles (détruit en 1914-1915)

J’écris à André et à Émile ; enfin ! Le collègue Robail me prête [quelques] manuels et [quelques] cours qui vont me permettre de faire travailler mon fils. L’emploi du temps est tracé. La matinée est réservée à l’étude ; l’après-midi à la promenade et le soir à la lecture. On se procure le Petit Parisien, la France du Nord.

10 [décembre]. Mauvais temps ; alors rien à signaler, dira l’officiel. On dit des services pour les premières victimes : J. Bte Candelier. Charles Hoguet est décédé à l’hôpital de Châlons. Ma tante va aider Virginie à Averdoingt et Me Leprêtre vient dire bonjour ; la rue de Brias vit en meilleure intelligence. Mr Paradis donne l’adresse du maire de Beaurains dans le Télégramme.

11 [décembre]. Je m’ennuie ; heureux d’avoir 2 enfants qui travaillent sous ma direction. Les femmes caquettent en faisant la cuisine c’est monotone et peu intéressant.

12 [décembre]. On s’achemine volontiers sur la route de Valhuon jusqu'au passage à niveau, là où le 33e et le 73e évoluaient il y a 2 ou 3 ans. Un gros coup se prépare sur Lille ??? Allons à St Pol 1°pour passer le temps 2°pour faire [quelques] commissions 3°pour acheter des journaux. Les Russes abandonnent Lodz, mais attaquent Cracovie . Les Serbes refoulent les Autrichiens en Bosnie. Que vont faire l’Italie et la Roumanie ? Toujours l’exhibition des laissez-passer à la barrière de Brias et à l’entrée de Sain-Pol.

13 [décembre]. Ma femme va à la messe. Cette messe est réservée aux intentions des évêques qui demandent que les relations diplomatiques soient renouées. La question est soutenue par G. Hanotaux dans l’écho de Paris. L’avenir ramènera-t-il la paix dans les consciences ? Il y a peut-être trop d’indifférents et trop de curés intransigeants. Les habitants de St Nicolas ont évacué la nuit. Nous voilà partis pour Ostreville. Je cause avec MM Collier et Taffin. Paul est en Flandre ; il s’en est allé sans dire au revoir à ses parents et sa dame suit les conseils de Dausque qui fait congédier « Ch’dragon ». Toujours le même refrain, chez Béal ! Mme Bocquillon devait rentrer le 5 [octobre] à Brebières ; elles exercent à Croisette et à Héricourt, quand les locaux scolaires sont libres.

14 [décembre]. Les jours se suivent et se ressemblent. Chaque matin, c’est la réunion des femmes chez Louise. On lit les lettres reçues et on échange ses impressions.J’écris à Émile qui, ma foi, a écrit gentiment hier.

On appellera la classe 16 et la classe 17, dit-on !Du tam-tam pour la nuit, dit-on.

15 [décembre]. Le tam tam annoncé a brillé par son absence ! Des cantonniers auxiliaires, des inaptes, des évacués grattent le pavé. La Thieuloye est un village aux rues très boueuses ; par contre, l’intérieur des maisons est très propre.

Le Ministre de la Guerre demande des S. Ax ; que diable me laisse-t-on ainsi moisir, alors ?

16 [décembre]. Les exemptés et les réformés passent le Conseil à St Pol. Les S.Ax qui n’ont pas passé seront pris comme bons absents ; c’est mon cas. Toujours le même fourbi et ce sera pareil pendant toute la durée de la guerre. Les classes 14, 13, 12, 11 sont incorporées de suite. Devigne, Julien Daussé, Ernest Cavrois sont pris « bons ». Lardé est dans les S.Ax ; Cailliez […], le Président d’une société de tir, réussit à se faire réformer ainsi que Poulain et le camarade Liébert qui a simplement un doigt de pied en moins depuis son enfance. Rencontré successivement Bar, sa famille, Gallet, Villette, Cottel, ceux de Rocourt, Grenu, Damiens. Bar ne sait sur quel pied danser ; sa femme le suit toujours et trouve que la vie est insupportable ainsi.

On boit un verre chez Sécutier. Mon Villette me paraît un peu « abruti » ; il attendait mes ordres, lui a dit Hanot ; qu’ils se débrouillent donc. Bref, on commence tous à s’étonner, d’être encore là, sans emploi ! Moi aussi !

Bref, je fais mes commissions : boucher, cordonnier, épicier. La chicorée est devenue une denrée très rare. Le temps est bon ; nous rentrons pour souper. Les aéroplanes, biplans, monoplans réapparaissent. Le général de Maud’huy, toujours seul, circule dans les rues. On dit toujours que le gros coup va être donné cette nuit.

17 [décembre]. La séance de Conseil de révision continue à St Pol ; me voila reparti avec Jean. C’est toujours l’acheminement sur la grand’route, à pied. Les forestiers, les cantoniers auxiliaires réparent la route. De la grande borne jusque St Pol, on élargit le pavé de 2 mètres avec des haies d’arbre et des shistes provenant de La Comté. On enlève, dans les bas-cotés, tous les chemins d’accès dans les champs. Toujours des aéroplanes. Voici un Morane Saunier, l’appareil de Brindejone. Voila un monocoque. La séance de révision continue mais pas d’auxiliaires. [Quelques] prisonniers boches reviennent de corvée. Tous font bonne figure. Nos poilus commencent à porter l’uniforme bleu horizon et tous le même horizon. Je bois une chope avec Flanquart de Courrières ; on se remémore les Berlinguez, Bouchez, Desailly, Dufour, Carpentier, Pierre Baune , Lottin, Mastani Louis, Rigoulet, Flanquart Gaston, Sorriaux. Joseph Paulin est moribond à l’hôpital de St Pol. Louis Devisse garde la barrière de Brias, Boulogne est major à l’ambulance du Collège.

18 [décembre]. La S. Préfecture demande dans les Mairies la liste des auxiliaires qui n’ont pas encore passé le Conseil !! Le Maire le dit du moins. Notre progression se dessine sur Nieuport, Ypres et la Bassée. On bataille ferme le lendemain ; les aéros sont entourés de flocons de fumée noire. Le village de Saint-Laurent-Blangy est criblé d’obus ; mais nous reperdons les tranchées occupées alors que les boches les font sauter. Les Anglais sont à Neuve-Chapelle. La lutte est vive sur Maricourt, Mametz. Il est midi. Un cortège de prisonniers boches s’arrête en face de chez Bach pour boire de l’eau dans des boîtes de singes vides. Tous ont l’air martial, bien que jeunes pour la plupart. Ce sont des Prussiens, car ils ont le liseré rouge à la calotte. Les capotes sont recouvertes d’une boue jaunâtre.

20 [décembre]. On se dirige sur Ostreville. Nous allons chez Mouton, Gallet Leprêtre et Léonce. Chez Mouton, c’est toujours « le chien » qui fait principalement les frais de la conversation. Le fils « Paulin » est prisonnier civil en Allemagne. A Combles, comme ailleurs, on était confiant. Les allemands ne sauraient faire de mal à un Receveur d’enregistrement chez Gallet ! Le fils est fermier au Gueschart et la fille fermière à Œuf. Cela ne plait pas au père qui boit de dépit. Le bonjour en passant à Béal, à Dupuis.

On s’étonne de me voir encore là. On mange un morceau chez Leprêtre et on revient avec Louise et ses enfants. Ma tante est rentrée ; elle a ramené Simone et Claire ; nous voila donc 2 vieilles, 5 gosses et 2 femmes sous le même toit […] s’il faut déloger. 21 [décembre]. Il est lundi : il pleut et l’on se rend à St Pol, à pied. C’est l’habitude. On s’abrite donc derrière les meules. Nous voici cette fois chez Delalain, c'est-à-dire chez Mme Choisne. Très bien reçu : on dîne en famille. Grand-père Delalain a quitté Beaurains le dimanche. Sa femme et sa belle-sœur ont laissé aussi leur or. On fait le sacrifice des bâtiments et des meubles, mais on ne peut se résoudre à voir son or enlevé ou perdu. Il est convenu que MM. Paradis, Pot, Quillot sont partis un peu trop vite ; si on n’a rien caché dans la Mairie, ça va être drôle Si j’avais été là, on aurait tout au moins enlevé le budget, le Cachet, les ma[…] et cadastres et l’on aurait enfoui l’état-civil. Maël est dans les postes, à Casablanca. L’état major a quitté St Pol ; il se rend à moitié à Bouvigny, moitié à Aubigny. Nous rentrons sous une averse de neige. Le domestique de chez Cléty nous dit qu’il a été réformé au Corps sans être malade et sans le demander. Mercredi dernier, il a été réformé d’emblée sans se déshabiller alors que son voisin alors que son voisin, muni de certificats, a été pris bon. Ceci s’est passé en décembre 1914.

23 [décembre]. Temps froid, neigeux. On ramène 400 prisonniers boches. De quelle façon sont faits ces prisonniers ? Est-ce dans la mêlée ? Est-ce par surprise ? Est-ce au fond de leur trou ? Se rendent-ils de gré ou de force ? Ont-ils faim ??? Nous allons chercher des commissions chez Léonce. Chellier Émile m’apprend que Dausque joue au grand seigneur, qu’il favorise ceux qui lui plaisent, qu’il tourne le dos aux électeurs de Rodem, qu’il touche de l’argent des Maubeugeois ; il écrit contre la Garde ; il réglemente la délivrance des laissez-passer ; le système boche.

Le bonjour chez M.Collier. Mr Taffin est affecté. Un obus a éventré son arrière cuisine et sa domestique a reçu une balle de shrapnell dans le mollet. Les demoiselles Plaisant ont dû aussi évacuer ; tout ce monde est à Monchy-Breton, échoué, en attendant mieux. Le soir, causette chez M. Buire. Madame, comme beaucoup de femmes d’ailleurs, détourne la conversation quand celle-ci devient confidentielle ou épineuse. En temps de guerre, il est cependant permis de dire la vérité.

24 [décembre]. Canonnade sur Carency. Est-ce pour démolir encore les betteraves ou pour faire peur à l’ennemi ? Rentrée de la chambre : de très beaux discours. C’est le chien Auguste qui amuse le père et les enfants.

Noël 1914. Je vais à St Pol : j’achète [quelques] journaux, 1 paquet de sel fin et de chicorée (objets rares) et voila. Le hasard veut que nous rencontrions Omer Beaurain avec son char à barre, un cheval des mines, et sa famille. Les gendarmes l’ont fait quitter Barly, et il faut qu’il s’en aille bien loin, laissant là son attelage. Je le mène à la S. Pr : aucune réponse catégorique ; le S.P n’est pas là ; J’engage Beaurains à différer son voyage d’une journée et à « bazarder » son attelage en route. J’ai su par Drouvin qu’il avait rencontré M. Paradis le lendemain, et qu’il était allé à Tangny ; et voila un cantonnier de plus. Et voila le jour de Noël 1914.

26 [décembre]. Je rédige des lettres de nouvel an pour les soldats, lettres de circonstance. Personnellement je trouve que les militaires seuls doivent recevoir des lettres de ce genre ; les civils doivent attendre des jours meilleurs. Pourquoi souhaiter une bonne année, alors qu’on sait qu’elle ne le sera pas ; il faudrait trouver une autre formule que celle-ci toute sorte de bonheur que je vous souhaite ! Un homme, en temps de guerre, ne doit avoir pour devise que la suivante « Fais ton devoir ; advienne que pourra ! », les femmes, les bonnes vieilles n’ont pas cette mentalité !

27 [décembre]. Promenade à Diéval ; joli groupe scolaire. On ne va pas dire bonjour à l’abbé Bouttemy : on n’arrive pas à étaler sa détresse. Les Anglais sont à Lens, mais les Boches ont repris Vermelles et sont près de Béthune ???

30 [décembre]. Le temps redevient clair. Vite, à St Pol par Ostreville et le Mont. Le bonjour au Garde Duhautois, nous rencontrons Mr Taffin ; au même moment, un avion boche jette une bombe sur le pont St Michel ou à côté. Une mitrailleuse crépite. L’avion, très haut, fait demi-tour et s’en retourne tranquillement. Les notres sont bien là, mais ce ne sont pas des avions de chasse. Le boche pouvait bombarder à son aise, et de moins haut. J’achète beurre, fromage, sardines, savon, laine, lard, pâté, galoches, peigne, journaux. La cousine Louise est ennuyée de ne pas avoir de nouvelles de son fils Fernand.

31 [décembre]. La situation demeurera inchangée jusqu'à la fin de l’année. Les Anglais ont effectué sur la Luxhaven, avec des croiseurs, des destroyers et des hydravions. Ils ont lutté contre 2 zeppelins et des sous-marins. Le spectacle n’est pas banal, mais ne vaut pas une bataille navale rangée bataille qu’on escompte prochaine ??? Les on dit : Lens est dégagé. Les boches coupent les doigts et les lobes des oreilles pour voler les bijoux. On va employer la poudre Turpin ! En fait-on du bruit pour cette fameuse poudre. On ne l’emploie pas parce qu’elle est dangereuse pour les artilleurs et les populations civiles ??? La vérité c’est que nous avons des obus de 79 à la mélinite ; la fusée dans ces obus éclate avec l’enveloppe et la force explosive est considérable ; de plus, les gaz dégagés peuvent figer sur place tout être vivant qui les aspire ; ces obus échauffent l’intérieur du canon et déforment les rayures, ce qui fait qu’on ne les emploie que lorsqu'on tire dans le tas. Le général Joffre compte en finir dans 2 mois ?? Et Kitchener qui assure que la guerre durera plus de 2 ans. Celui là se rendait compte de la situation.

1915

Souhaits traditionnels en famille, mais seulement en famille et avec raison. Mauvais temps. Chaque soir, la retraite est à 8 heures ; ce qui n’empêche d’ailleurs pas les beuveries au cabaret. On va profiter de la guerre pour détruire l’alcoolisme ; il est bien temps. Supprimer la bistouille de l’ouvrier et du commerçant qui voyage sera chose difficile. On ne traite plus les affaires qu’au cabaret et l’on boit. Evidemment, il faut réagir : augmenter les licences, les droits sur l’alcool et supprimer le privilège des bouilleurs de cru, limiter le nombre des cabarets ; chez nous, dans le Nord, ils abondent, signe qu’ils font leurs affaires. Dans la Charente et dans un joli site comme Rancogne, on a peine à se faire servir un verre de vin chez le bistro, marchand de tabac. Un estaminet à Marillac, un seul pour Taponnat ; il faudrait cela chez nous, où non seulement les cabaretiers sont des empoisonneurs publics mais aussi des brouilles-ménage et des électeurs influents.

En guise d’étrennes, je reçois les 2 lettres écrites à ma femme il y a 3 mois ; où il est alors démontré que je tenais à voir ma femme et mes enfants partir de suite pour Villers-Brûlin ; grand’mère serait restée et aurait gardé la maison. 5 Janvier. A St Pol - Beaucoup d’autos, beaucoup d’estafettes. La bocherie bombarde Louez-lès-Duisans et Beaumetz ; donc elle ne recule pas. Les territoriaux réparent les routes. Les Anglais amènent des renforts. La classe 16 sera appelée en fin mars, si besoin en est … Pour sûr.

Les facteurs n’ont plus le droit de vendre des journaux. Il faut se contenter de voir manœuvrer une section d’alpins dans la plaine. Louchet vient dire bonjour ; tout en buvant la bistouille chez Meurisse, Louchet me met au courant de la situation à Ostreville ; Mon Dausque a trafiqué avec les Maubeugeois ; il n’est pas capable de rendre ses comptes. Le Percepteur et le s/préfet sont au courant de la question. La question de ne pas oublier l’allocation à Me Hoguet est aussi sur le tapis.

Grand-mère Taquette touche ses bons d’assistance selon le bon plaisir de Dausque.On ne délivre des laissez-passer que de 7h à 8h du matin et de 1 à 1 h 1/2 le soir. Ordre de l’état-major Dausque.

Passeport, (Madame est sa soi disante maîtresse) touche ainsi que Duhautois Édouard parce que ce dernier a des dettes dit Dausque. Il s’est plaint du Garde à la s/Pr, a fait congédier ch’dragon a défendu au garde d’aller chercher des pommes chez Marguerite. Il fait des bons de charbons ; il signe des laissez-passer. Bref, lui et Gallet, ont reçu un blâme, sur l’initiative de Louchet convoqué, lui, à 9h ½ du soir au lieu de 9h1/2 du matin. En revenant de chez M.Bruire, le soir, je prends un bain de pieds en règle pour traverser la route.

8 Janvier. Evidemment, il est drôle qu’il y ait, comme moi, des fonctionnaires à ne rien faire ! Mais qui puis-je ? Ma situation militaire n’est pas réglée et ma situation civile est fausse. Et ma situation matérielle : on n’en parle pas. J’ai pris le parti de rester dans mon fournil et de prendre le temps comme il vient. Nous ne sommes pas envahis par les troupes, comme à Averdoingt, Bailleul, Chelers, Villers-Brûlin et Tincques.

10 [janvier]. Nous dînons chez Louchet en revenant de Saint-Pol, et entrons chez Collier le soir. Il est convenu que Gallet n’est maire que de nom et qu’il est mené par le Maire du palais Dausque. Au surplus, tout tourne au comique puisque le Maire Dausque envoie demander à Louchet la permission de signer … un bon d’accouchement. La canonnade continue sur Arras et sur Béthune et l’on commence la guerre de sape et de mine. Une compagnie de cyclistes revient de Calonne ; elle est en piteux état physique du moins. Nos braves poilus à Berthonval sont dans l’eau jusqu’au ventre ; on ne peut plus y séjourner et cependant il faut veiller. Les diables bleus repartent pour les Vosges, parait-il. Mais que fait donc notre 1er corps ? Le Petit Parisien n’en parle jamais. Chez nous, ce sont des Charentais, des Limousins et des Bretons principalement.

Je retourne à Ostreville ; comme je ne vais jamais au Café, j’ai garde de parler du Maire à qui que ce soit. On ne m’accusera pas de venir semer le trouble, la division.

15 [janvier]. L’inspecteur Mercier demande enfin la liste des instituteurs évacués. Une séance de Conseil de Révision doit avoie lieu à Aubigny, le 10 février, pour tous les exemptés et réformés de l’arrondissement d’Arras nous envahi. Je dîne avec le collègue Caron. Il est démontré que l’ordre d’évacuation a été mal donné, mal interprété. Des fonctionnaires comme Taille ont dû rejoindre leur poste alors que Mmes Boucy, Bocquillon, Desplanques ne l’ont pas bien fait. Il eût fallu empêcher l’investissement de Lille, de Lens, d’Arras. Les journaux ne disent pas la vérité, pas plus en France qu’en Allemagne. On ne [parle] que très peu de l’invasion ; cependant elle existe et l’autorité a bien soin d’envoyer les réfugiés dans toutes les directions et de les clairsemer. Impossible ainsi de se grouper, de s’entendre. Il existe bien à Paris un journal « le journal des réfugiés » ce journal donne surtout des adresses et des faits divers. Il faudra bien, après la guerre, parler plus que jamais de la question sociale et de la solidarité nationale. On d[…]be parfois sur le gouvernement qui n’a pas su prévoir l’invasion de la Belgique et qui a sacrifié le Nord.

16 [janvier]. Les Allemands remportent un succès marqué à Crouy près de Soissons ; ce succès n’aura aucune répercussion immédiate, car il ne sera suivi d’aucune autre conséquence. Un prisonnier boche s’est enfui à travers champs profitant d’un embarras d’autos. On l’a rattrapé à Catherinette, mais là il se trouvait en compagnie d’un artilleur français ; un complice ? Arrêtés tous les deux. Avance boche sur Carency ; avance française sur Blangy. Le jeu de la navette, en somme.

18 [janvier]. À Saint-Pol ; on a l’air de se promener toujours. Le temps est très mauvais. Louchet me dit que Dausque est allé de suite porter […] à la poste de St Pol pour les Maubeugeois et qu’il a fermé sa classe pour cause de maladie. On mange chez Leprêtre. Louise a été voir son fils Fernand, à l’hôpital de Dieppe le « bleu » avait les pieds gelés. De l’artillerie de campagne passe chez nous et les autobus reviennent du front. Les régiments opérant sur Ypres et la Lys vont être remplacés par des contingents anglais. Le secteur d’Arras est réservé aux nôtres ; on s’en félicite. On ne méprise nullement les Tommies, mais on préfère les poilus puisqu’ils sont d’abord plus aguerris. C’est ainsi qu’arrive à [[La Thieuloye}}, le 53e d’[Infanterie] de Perpignan, venant de Ypres [barré] Morbecque et allant cantonner à Frévillers.

Le haut du faubourg Ronville et Mercatel sont rasés, d’après Mme Sauvage. Il ne restera rien chez nous ; il ne restera rien chez nous ; il ne restera rien chez nous ; il ne restera rien là où il faudra déloger les boches ; il restera un peu [quelques] chose là où ils auront à décamper vivement. En attendant ils essaient de prendre Arras ; ils s’avancent par quatre, jusqu’à la Grand’Place. Prévenus, nous étions sur nos gardes. Heureusement le 9e d’[Artillerie] qui avait défendu Beaurains revient d’Ypres et va cantonner à Izel-lès-Hameaux. Les chevaux ont beaucoup souffert, beaucoup plus que les hommes dont le moral reste bon. Très peu de maladies contagieuses et courantes. L’hygiène a fait des progrès, et le gros de l’armée et du public d’ailleurs s’en soucient bien peu : on devient ainsi plus résistant, plus réfractaire, probablement. Il appartiendra sans doute à la classe 15 de rapporter d’Allemagne de glorieux trophées, écrit Jean à André. Hélas ! Bien peu de ces jeunes verront le succès final.

21 [janvier]. Un réfugié à Pernes a été arrêté comme espion ; c’est plus qu’il n’en faut pour décider les autorités compétentes à faire le recensement desdits réfugiés dans chaque village. Un beau matin, un auto s’arrêtera à la porte de la Mairie et en route… pas pour Berlin mais pour la gare de St Pol et une destination inconnue. Une affiche blanche «Les exemptés de tous genres et les réformés des territoires envahis doivent se faire inscrire la veille au chef lieu de canton et à la Mairie, là où ils doivent passer devant la [commission] de réforme ». J’irai donc à Aubigny. On règlera enfin sa situation ! ??

23 [janvier]. On se borne à des duels d’artillerie. Je crois bien que chacun masque son infériorité et son manque d’organisation par des tirs d’artillerie qui démolissent au hasard. Promenade par Bajus, Ourton, la Crincône, Houvelin, Magnicourt et Rocourt.

24 [janvier]. 500 chevaux et artilleurs du 9e reviennent d’Ypres. Ils sont bien heureux de se retrouver en France. La vie est trop chère en Belgique et il y a trop d’espions. Les généraux Léman et Bertrand ont seul soutenu le Roi et l’honneur national. Mme Dhollande Roux nous apprend qu’elle était garde-barrière à Dainville, et qu’elle est partie ayant tout laissé. Mr Paradis loge avec sa famille chez Leroy à Tangry. Ses demoiselles vendent de l’épicerie comme Mr Pot d’ailleurs. On dit que les nôtres occupent Beaurains. Mon Villette est allé jusqu’au pont d’Achicourt, déguisé en fermier il a encore […] les maisons de chez Dauchez et de chez Matthieu. On est sans nouvelles de Triot, de Lemaître Raymond, de Mme Souillard et de sa fille. Notre artillerie a démoli le clocher et la cheminée de la briqueterie le 1er servait d’observatoire ; la 2e de [point] de repère.

Lundi 25 [janvier]. Toujours à St Pol pour prendre l’air, et les commissions. Nos territoriaux entretiennent les routes. Les garde-voies sont remontés jusque Bruay et Béthune. Trois généraux se promènent dans St Pol. On laisse les réfugiés tranquilles. Tout cela nous rassure un peu. Une pause avec Drouvinchez Lefelle. Grégoire est à Paris avec sa famille ainsi que Cocquelet. Blondel Leloir est sans ressources. Ronnel est à Bouquemaison. A Fosseux, Lucas et Houilliez sont cantonniers. Bray à Barly Villette, les 2 Anthymes à Le Cauroy ; avec l’argent de leurs moutons ils auraient pu faire du commerce.

26 [janvier]. On construit un champ d’aviation au bois de l’Abbaye. On a un hl de charbon, on avance le poèle et on gèle un peu moins dans le fournil. Le journal signale Ger[…]re, Lobbedey, Delseriès, Mathon, Rohart, Mlle Marie, Quignon, Proteau Godefroy, Lacroix, Latour, Bessac à l’Ordre du jour pour héroïsme civil : il y a lieu de retenir ces noms, sans faire de distinctions de partis.

27 [janvier]. Les réfugiés demandent l’allocation laquelle ils ont droit. Mme Leleu réclame en ce sens à M. Paradis. Son frère gagne sa vie à Paris avec sa famille. On appréhende de bouger plus loin, puisqu’on espère toujours rentrer. Est-il exact qu’un train blindé boche soit arrivé à Béthune en criant « Kalais » notre artillerie a répondu et Guillaume, pour son anniversaire, a endossé un nouvel échec, à Arras, à Ypres et à Craonne.

29 [janvier]. Les Voisin, les Farman, et plus tard les Nieuport et les arrivent chez Boutin. Nous voila partis pour St Pol ; sous prétexte que le facteur a dit qu’il y avait de bonnes nouvelles. Le communiqué est bon en effet, mais au retour, comme notre laissez passer n’a pas été visé par la prévoté, nous sommes arrêtés par un lieutt patrouillard ; un dragon nous ramène à la Mairie ; j’attrape le savon, mais comme il est 4h1/2, on nous relâche. On cause avec l’estafette et la sentinelle ; elles étaient sur Arras le 3 octobre.

Dimanche 31. Il neige. Je suis nommé instituteur intérimaire à Frévillers. Tant mieux. Le mauvais temps fait que je ne vais que jusqu’à Monchy. Le 15e d’Albi s’amène. Les réfugiés ne savent sur quel pied danser. Si vous voulez toucher, dit le Maire, vous partirez ; au surplus, ils ne touchent que la moitié. Ceux qui rendront l’argent touché pourront rester. Les esprits s’animent avec le Maréchal de Neuvireuil, le domestique de chez Mercier de Lens, de Marquilly et de Vitry. 1er Février. En route pour Frévillers. Nous montons la côte 172. Le général Joffre vient justement de distribuer des décorations nous arrivons ¼ d’heure trop tard. Je pénètre dans la classe et je refais connaissance avec Mlle Gouillard que je remplace. Le Maire, M. Averlan, est un républicain connu. Mme Delamotte n’est pas d’accord avec Mlle Gouillard pour le traitement de Secrétaire de Mairie. Personnellement, je ne toucherai rien, mais je ne paierai rien de ma pension chez Averlant quand je partirai. Je n’ai pas de logement et ne sais même où manger. Faut pas se la faire. Le collègue Legru, étant reçu dans les mêmes conditions à Béthonsart, refuse net lui. J’aurai pu en faire autant.

2 Février. On va incorporer les auxiliaires qui ne sont pas en règle : je me fais donc inscrire, pour la 4e fois, avec force détails mais tout cela ne servira à rien ; l’administration militaire ne transige jamais. J’arrive à Frévillers, à 8h1/2, crotté, mouillé comme un barbet. Je réclame du charbon et du feu. Mlle Gouillard ne cède le reste de ses fournitures et me cède la place au bureau sur une vieille chaise branlante et dépaillée. Je fais connaissances avec mes élèves et je suppose que c’est le jour de la rentrée. Ces demoiselles sont animées d’un beau zèle, mais leur enseignement n’est jamais à la portée des enfants ; elles ne voient qu’une chose ; suivre l’emploi du temps et les nouveaux programmes ; on se lance alors dans des leçons comme celle-ci : la fusion et quelle leçon ?

Midi : je ne trouve ni un morceau de pain, ni une allumette. Le Maire me rencontre : il m’emmène dîner. Il me conservera ainsi chez lui pour l’aider dans son secrétariat de Mairie, mais il n’arrivera pas à me faire coucher chez lui, sauf une fois où l’on couche à 4 dans la même chambre et où je me réveille lorsque Mme crie, assise sur son matelas : ça roule. En effet ; çà roulait sur Louches.

Mme Delamotte consent tout de même à allumer le poèle pour quand j’arrive mais la fine m[…]che ira au charbon de l’école ! Je vais souper et coucher à Villers-Brûlin ; la sœur me reçoit fort bien, mais elle est joliment déballée depuis qu’elle a appris que son mari était parti au front. Le 53e d’[Infanterie] loge à Frévillers et à Villers-Brûlin. Les autobus emmènent des hommes pour faire des tranchées. Les demoiselles Blondel Montigny de la rue de la Madeleine sont toujours là et l’on couche six dans la même chambre.

Le lendemain, j’ai attrapé mon premier rhume et le soir je reviens à La Thieuloye. On fait table avec des lignards de Castres, des disciples de Jaurès. Par hasard, Jean déniche dans « le Journal » une photo de l’entrée d’un village du front : c’est sûrement l’entrée de Beaurains. La maison de Féron est toujours debout, mais je ne distingue rien de celles du Garde et du boulanger. Jeudi Jour de repos. Je contrôle le travail de Jean qui prépare le brevet, à tout hasard. Ma femme s’arrange au [point] de vue pécuniaire : 20f tous les 3 mois. Le fournil est débarrassé de ce qui pendait au plafond. Le soir, réunion dans la grande chambre avec les 7 soldats d’Albi ; on reçoit en échange du bon accueil [quelques] vivres ; il faut bien avouer qu’au front, le militaire s’arrange avec le civil. Quel gachis lors d’un départ subit ! On en ramasse des cartouches, des chemises, des bas, des chaussettes, des boites de singe , des tricots, des caleçons, des flanelles, des mouchoirs.

Le mois de février se passa ainsi en allées et venues, de La Thieuloye à Frévillers et vice-versa de Frévillers à Villers-Brûlin. Je ne suis pas toujours de bonne humeur. C’est le Colonel du 53e qui refuse de m’accorder un laissez-passer permanent ; ce sont les sentinelles qui m’arrêtent après 6h du soir et me conduisent au poste, c’est Eugénie qui fait trop voir que tous les hommes devraient être au front comme son mari, ce sont mes allées et venues par des temps plus ou moins mauvais, c’est ma situation d’instituteur qui veut que je sois constamment dans le cabaret d’Amerlant pour faire du secrétariat de Mairie, c’est la situation des réfugiés qui commencent à être traités de « bêtes noires » comme à Tincques, ce sont les réflexions décochées à mon adresse par les soldats etc, etc ; j’en ai assez de cette situation fausse.

Les 10, 11 et 12 je vais à Aubigny ; je me démène et j’en suis toujours au même point ; on dira encore que je ne me suis pas dérangé. Le 10, je parcours 95 km, pour me faire inscrire chez le Collègue Randoux. Obsédé par les observations de la sœur je reviens à La Thieuloye avec Jean.

Le 11, je vais en voiture avec Averlant par Béthonsart et Mingoval. Je dîne à l’œil, chez Me Podevin, sœur de Barbier. La classe 16, seule, est visitée et je reviens coucher à Frévillers. Le 12, encore la classe 16 toute la matinée. Je mange chez Averlant avec Chabé de Wanquetin et l’instituteur Beaumetz que je reverrai plus tard à Jarnac, sans intimité, toutefois. Entrevu Astina, celui, de Roclincourt, des adjoints d’Arras. Il est prouvé que nos officiers ne respectent pas plus les papiers de Mairie que les boches et que, uniquement, par esprit de parti, on fait classe à Arras dans les caves.

Boutillier, me dit-on est décédé lors de son 2e départ d’Arras, en arrivant à Arras. Sans doute l’impression et affection cardiaque. [Quelques] réfugiés, tout de même, quittent Arras : Ex : Mme Bourdon. Il est prouvé que toute « la chique » reste à Arras, quitte à ramasser ce qui reste dans les maisons abandonnées à faire bombance.

Bref, après force dérangements du camarade Randoux, et malgré l’assurance de pouvoir être visité, assurance donnée par Mr Gerlivre, quand j’arrive devant le Major, je m’attire cette réponse « Veux-tu bien te sauver ; je ne visite pas les auxiliaires aujourd’hui » évidemment ; la bureaucratie de la Préfecture soutenait d’abord, qu’aucun Réfugié ne devait passer. Zut ! Je ne bougerai plus. Et je rentre crotté et mouillé comme un barbet, et maintenant voyons que les vacances de Carnaval amèneront de bien neuf.

15 [février]. Il est convenu avec l’Inspecteur que j’ai droit à un logement à l’école et que c’est au Maire de me le procurer. Mme Delamotte est partie ; son logement, sauf sa cuisine est retenu par les officiers : je puis me brosser ; je resterai donc à Frévillers jusqu’au 15 Mars, quitte à faire constamment la route de Frévillers à La Thieuloye ou à Villers-Brûlin, à pied et par tous les temps. Un beau jour, je trouverai ma classe occupée par un poste de secours ; alors, je ne ferai plus que du Secrétariat de Mairie. Les vacances de Carnaval se passent le lundi à St Pol, le mardi à Villers-Brûlin ; toujours les promenades ou plutôt les sorties pour tâcher d’apprendre un peu de nouveau ; mais c’est toujours la même chose. Le génie a fait sauter la maison toute neuve de Mme Sauvage et le paquet de chez Delalain ; cela a permis de démasquer un peu les boches et de « démolir [quelques] tranchées allemandes à Beaurains » dit le Communiqué. Donc, les boches sont encore chez nous. Le dimanche, c’est généralement l’ennui. On se cause entre réfugiés (Concierge d’Aix-Noulette, mineur de Liévin, le marchand de journaux, domestiques Mercier, maréchal de Quiéry-la-Motte). On cause aussi aux soldats. Le lundi, c’est le marché de St Pol, les rencontres habituelles (comme M. Delalain, fils qui dit carrément la vérité) les commissions habituelles et le retour habituel par Ostreville avec un bonjour chez Louchet et Léonce.

À Villers-Brûlin, c’est plus gai qu’à La Thieuloye. On est mieux logé et la sœur est devenue plus accomodante. Ces messieurs les Officiers boivent le champagne, et il n’est pas rare de fraterniser avec eux. Le 21e [régiment d’infanterie] est remplacé par le 21e [bataillon de chasseurs]. Les réfugiés sont de plus en plus tracassés.

Un beau matin, un autobus s’amènera à 7h1/2 ; à 8 heures les réfugiés touchant l’allocation sont partis avec leurs baluchons : destination inconnue. En Algérie ? peut-être bien.

3 Mars. Ma femme et les enfants sont à Villers-Brûlin pour 15 jours ; voila qui est beaucoup plus pratique et je n’ai plus que du secrétariat de Mairie à faire.

Eugénie part voir son mari à St Astier ; elle rentre le dimanche 14.

1[…] Mars. Je reçois un ordre d’appel ; le recrutement m’appelle comme si j’étais classé dans le service armé au 5e […] à Jarnac. Me voila donc à mon tour parti pour rejoindre mon corps, avec le calme et le courage qui seyent en pareil cas. Je prends donc le train en gare de St Pol le mardi 16 Mars à 5h. du soir ; j’arrive à Jarnac le Vendredi 19 Mars à 8h du matin, et je suis incorporé à la 24e Compagnie avec […] copains du Nord et du Pas-de-Calais, des régions d’Armentières et d’Arras principalement.

Je resterai à Jarnac du 19 Mars au 31 Juillet. Pendant mon absence, ma femme recevra 81 lettres. Voici le résumé de ce qu’il se passe de saillant à La Thieuloye. Ma femme passera son temps à coudre, à jardiner, à faire des commissions et à m’écrire.

Grand’mère fait la cuisine et reprise des bas.

Jean sera tantôt à Villers-Brûlin, tantôt à La Thieuloye. Il préfère Villers-Brûlin, où il vit en bons termes avec les Officiers et les soldats qui logent à l’école. Il construit des tranchées avec Félix, monte en auto et fait un peu de photo avec Mr Brin. Julien finira par aller en classe après Pâques ; le reste du temps, il joue avec François, avec Sophie, Louise, Henriette, Alphonsine et la petite Hélène. Le principal passe-temps consiste à aller voir évoluer les aréoplanes Caudron, Morane, Voisin, Rep, Farmon sur Ch’Cray. On parle toujours d’attaque prochaine ?! Les fantassins ont la nouvelle tenue bleu horizon sauf le casque. Les cavaliers sont transportés en autobus aux tranchées et font ainsi le coup de feu ; les chasseurs d’Afrique et les dragons se signalent particulièrement. Loge successivement à La Thieuloye le 15e Ch. A cheval (Chalons), le 47e d’[infanterie] avec la nouvelle tenue (St Malo), le 13e du Train des Équipages (Clermont Ferrand), le 54e [d’artillerie] (Lyon). Le 29 Mars passe un millier d’autobus Berliet et White avec le 37e d’[Infanterie] (Troyes), le 66e (Tours) le 135e (Angers), les 8e ( ? ) et 3e Zouaves (Sathonay), le […] Loge à Ostreville, le 29e [d’artillerie] de 90 ( ? ), […] le samedi 1er Mai, passent le 90e […] (Magnac Laval), le 7e hussards (Niort), le 13e Dragons (Melun) […] . Le 54e d’[artillerie] est toujours à La Thieuloye jusqu’au 10 Mai. En fin juin, logera le 10e train, des équipages 1 Compagnie, 2 [compagnies] du 5e (Fontainebleau) et 1 [compagnie] du 11e (Nantes).

Tout ce monde cantonne dans les patures à Sinot à l’entrée du village. La 5e [compagnie] loge dans le bas-fond de la pature Charles Roger. La 1ère [compagnie] du 11e est du coté de l’église et la dernière après la Chapelle. Quand il pleut, et il pleut souvent, les chevaux sont dans la boue et il faut les changer de place ; d’aucuns enfoncent dans le gazon, des briques, des pierres, des grés comme pavé ; d’autres construisent des hangars faits de branchages. La gare de Brias sert de gare régulatrice pour les approvisionnements. Les hommes couchent au petit bonheur dans les granges sur la paille ou sur une toile tendue sur 4 piquets.

À Villers-Brûlin

Jean est plus souvent à Villers-Brûlin qu’à La Thieuloye ; ma femme et Julien font la navette. Contournent successivement à Villers-Brûlin, le 3e [bataillon de chasseurs] à pied avec Martin et Duru (Langres), les 12e et 14e [artillerie] de 79 (Tarbes), le 57e et le 60e [chasseurs] à pied, (Brienne). Le 57e avait été à Beaurains ; ils ont ramassé le chariot de Ch’Goret. La Mairie sert de bureau au Cdt ; les mitrailleurs logent dans la cour de derrière. 6 saucissons et 2 ballons sphériques se détachent à l’horizon, depuis Souchez jusque Hébuterne.

Le dimanche 2 avril cantonnent les zouaves dans le village les turcos à Guestreville ; l’ambulance de la division du Maroc loge à la Mairie.

Le 5 Mai passent le 146e (Melun) et 97e (Chambéry). A Frévillers logent le 66e [d’infanterie] (Tours) et le 33e [d’artillerie] (Angers). On parle d’un gros coup depuis 15 jours, car on constate l’activité des avions et l’arrivée des renforts. Il faut d’ailleurs que la liaison avec les Anglais sur la Bassée se fasse sans heurts.

Le 6 Mai, fausse alerte.

Le 7 Mai, Villers-Brûlin, est sans troupe et le lendemain à 10h commence le fameux gros coup. Reprise de Carency de Souchez, d’Ablain-Saint-Nazaire, de la Targette, de Neuville-Saint-Vaast et du fameux Labyrinthe. Il est désormais convenu que cette attaque n’a pas réussi. Le général Joffre avait donné 2 jours pour avancer sur la Targette ; nos premières lignes mirent 3 heures pour culbuter les Allemands ; nos cavaliers allèrent jusque Brebières ; les renforts n’arrivant pas assez vite, la cavalerie fut prise et notre infanterie eut beaucoup de peine à se maintenir sur ses premières positions conquises. Somme toute, beau fait d’armes : prise d’une position fortifiée, mais sans portée sur la suite des événements ; la ligne de chemin de fer d’Arras à Lens la grand’route, les bois de Vimy et le bois de la Folie restent entre les mains de l’ennemi. Le 20 Mai, Villers-Brûlin est le siège du secteur postal 150. A Aubigny, deux pièces de 75 sont montées sur des camions automobiles, ainsi que 6 caissons ; 2 trains blindés sorte de gare. Un Taub survole Cambligneul. Le 282e d’[infanterie] (Montargis) revient de Carency.

Des séances de Conseil de guerre ont lieu à l’école. Le Maire de Bernicourt écope 15 [jours] de prison et 50f d’amende sa femme 150f d’amende pour avoir appelé « boches » 2 officiers français. Un [caporal] récolte un an de prison pour injures envers un sergent. Un chasseur d’afrique est condamné à 10 ans de travaux publics pour avoir donné un coup de couteau à un [maréchal] des Logis. 30 Mai. Le village est rempli de troupes revenant du front et de l’attaque du 9 Mai avec leurs trains régimentaires. Quel fourbi. Artillerie : 14e Tarbes, 20e Poitiers, 54e Lyon, 59e Vincennes 8r camp de Mailly 44e Le Mans 6e Génie Angers. 29e […] Laval 262e [infanterie] Lorient 97e Chambéry 159e Briançon [Chasseurs] à pied : 4e Brienne 42e Troyes 57e Brienne 60e Brienne 61e Langres 45e [artillerie] Besançon 37e [artillerie] M. Bourges. Une édition Campbell, à la date du 31 Mai, fait passer la ligne de front à Fampoux, Monchy, Wancourt, Mercatel, Courcelles, Achiet-le-Petit. Nous n’avons jamais eu connaissance de cette avance !? 7 Juin Un bataillon de grecs, volontaires, cantonne dans une pature. Le mois se passe, sans aucun fait saillant à noter. À Rocourt loge le 14e d’[infanterie] ; ce régiment a flanché à l’attaque du 9 Mai ; il a fallu tirer dessus. 14 Juillet. Le 246e Fontainebleau revient des tranchées, et le 204e Auxerre le remplace ; les artilleurs font bombance à Villers-Brûlin. En fin de mois, logent à Frévillers le 159e Briançon le 97e Chambéry le 83e St Gaudens le 57e Libourne le 60e Besançon le 159e Briançon le 37e Troyes à Magnicourt et le 5e Falaise et le 10e Fougères [Train] des équipages.

Le gros coup … n’arrive jamais. Il n’arrivera qu’en

À Jarnac. Voila le résumé des 81 lettres que j’ai envoyées à ma femme, durant mon séjour à Jarnac, du 20 Mars 1915 au 31 Juillet 1915. En route pour Jarnac. Le train à part en retard ; je me trouve dans le train en compagnie de plus ou moins gais lurons qui, comme moi, rejoignent leur dépôt. A Amiens, commence le fourbi. Il faut aller de la gare St Roch à la gare du Nord. Rien d’ouvert. Je déniche un litre de vin blanc ; je brise mon canif pour enlever le bouchon, et ensuite je brise mon litre encore plein, sur le macadam du vaste hall de la gare où nous sommes gardés et parqués jusque 1h du matin. Paris : 6h du matin. Je finis par dénicher le n°19 de la rue de la Chapelle et Léon[…]ie au 6e. Je déjeune. Je vais au devant d’Émile jusqu’à l’Institution et je ne pars que le lendemain Jeudi soir en gare d’Austerlitz, bien en forme, car je ne me rappelle nullement comment j’ai pris le train. Je me suis réveillé à Poitiers, en compagnie de dames. On m’a refait mon cache-nez ; on eût pu me refaire en entier. J’ai certainement bien dîné la veille, car j’ai la g.. de bois. Jarnac !

J’ai bien soin d’être très sérieux ; j’arrive au bureau de la 62e où je retrouve Magniez, Defermand et Lesnelle. J’ai une place de secrétaire sans plus tarder.

Le St Briot déclare que je dois rester dans l’auxiliaire jusqu'à nouvel ordre et donne ordre de ne pas m’armer. Le Major, après un semblant d’auscultation, me trouve bon pour le service armé, mais le Lieutenant me renvoie à la visite avec la mention : « Passé à la visite du 20 Mars, n’ayant encore passé devant aucun Conseil de réforme restant ainsi chassé dans les Sax, sera sans doute à présenter devant la Commission des 3 Médecins. Le Major ajoute en marge : Vu : proposé pour la [commission] des 3 Médecins ; et me voilà chair et poisson jusqu’au 19 [septembre] ; je ne passerai la contre-visite que le 19 [septembre]. Il aura ainsi fallu un an pour régler ma situation. On juge des appréhensions successives que j’ai eues. Situation irrégulière ! Quelle obsession, mais je me disais : Autant de temps de gagné et dans le militaire il faut se laisser aller tout en employant le système D à l’occasion. Première journée d’un troupier : 4 h du matin : une colique. La camoufle est éteinte. Il faut descendre un escalier plus qu’abrupt, traverser corridor, rue, corridor, bûcher ; heureusement qu’on a des allumettes ; -6h moins le ¼- Lever : on se désaque de son sac à viande à moitié engourdi, car on est logé dans un chais. On va faire ses ablutions à la fontaine voisine ; l’eau mouille vos chaussures. On a le jus pour la baie d’une fenêtre ; mon quart est troué et le jus est brûlant, si bien que je me brûle la langue pour avaler le breuvage.

À 7h, rassemblement place de l’église ; à 8h, Visite. On vous trouve bon et on vous pique le bras sans crier gare 1ère inoculation ; j’en supporterai ainsi huit, successivement.

10h. Aux pommes. 10h45. Soupe et rata. La viande n’est pas cuite et le cuisinier m’a flanqué une sale portion en disant : « Tiens ! […] t’as cher du gras ! »

11h. Lecture du rapport. J’explique mon cas au Lieutenant. J’ai des papiers heureusement. Le [Lieutenant] poussera la condescendance jusqu’à les présenter lui-même au Major ;

1h1/2. 1ère séance de vaccins contre la typhoïde.

On se figure que les boches vont reculer et que nous serons affectés au service de place !? La nuit, je me réveille à côté de ma couchette, sur les pieds du caporal. Quel beau rhume en perspective. Un copain, blindé, a lâché ses écluses sur la tête du voisin. Comme vêtements, j’ai un treillis neuf ; le pantalon est beaucoup trop grand, la veste beaucoup trop petite. Je reste donc en civil, avec un képi toutefois. J’ai acheté des godillots à Paris ; j’ai un paletot à Poyez et je me paie un pantalon gris boche en velours et des molletières à l’anglaise.

Je déniche une chambre : 30f. C’est très cher, vu que les sous-off. sont presque tous logés pour rien.

Le cuisinier flanque ma gamelle dans l’eau chaude sous prétexte qu’elle est graisseuse et le cabot trouve qu’il faut enlever ma paillasse parce qu’elle est tâchée ; il me demande si je n’ai pas une maladie de vessie. Zut ! J’ai un chez moi, mais c’est chose défendue. Aussi, je ne dors pas souvent tranquille, j’ai toujours peur de manquer à l’appel du matin et chaque nuit, je me réveille une demi douzaine de fois pour regarder l’heure.Ma bouteille de vin de Paris est toujours là, car, contrairement aux copains, j’ai bien eu soin de ne faire aucun excès de boisson. Je dîne en ville pour 28 sous, et j’achète des œufs frais à 0,10f la pièce.

Les recrues, les hainards, les embusqués s’amènent chaque jour. Jules Engrand et Anthyme … sont là ; plus tard, arriveront le fameux Fifi et Blondel le boulanger. On incorpore tout ce monde dans les 21e, 22e, 23e et 24e [compagnie]. Je suis incorporé à la 24e [compagnie]. J’ai comme [Lieutenant] Briot, un Ingénieur des mines de Courrières, homme plutôt brusque, détestant les buveurs et les carottiers, plutôt mal vu. Je n’aurais jamais à me plaindre de lui, toutefois, pas plus que le copain Lenglet qui trouvera moyen de traîner un […] dans les bureaux. Le chef est Dubromelle il loge chez Bouin avec sa dame, une parisienne et son petit ; il est mal avec le [Lieutenant] Le fauvrier est Magniez. L’amitié existera bien entre nous, mais pas la franche camaraderie pas plus qu’avec Defermand. Un autre fourrier, Resset s’occupera des cantonnements. Le petit chef Crocfer ira embusquer son insuffisance dans une usine, comme manœuvre, quitte à rendre ses galons. L’adjudant est Mairesse ; il est bien à son affaire, arrivera comme 3e Secrétaire, le nommé Sperry, Directeur d’agence commerciale, polyglotte distingué ; sous prétexte qu’il est né en Alsace en 1869 et qu’il n’a opté pour la France qu’en épousant une Parisienne, on va le laisser moisir dans un bureau ; pas même bon pour faire un garde-voie : inapte. Ce sera le bout en train de bureau.

Cas de corvée, pas de garde, pas d’exercice ; je n’irai même pas au tir une seule fois. Par contre, travail de bureau depuis 6h1/2 du matin jusque … . 9 heures si l’on veut. Généralement, après le dîner, je ne reviens pas au bureau ; ce qui ne plait pas toujours aux autres.

Le 5e Territorial comprend des hommes de la classe 90 à la [classe] 1900, je crois bien ne pas exagérer en disant que 10000 hommes ont passé par ce bataillon. D’aucuns paraissent très âgés le grand Minart est là. François Douvart, dit-il, a été blessé en Champagne. Delahaye est mort près d’Hesdin. Engrand a laissé toutes ses économies soit 4500f à Beaurains. Vendredi Saint. Avec le 14 Juillet ce sont les seuls jours où l’ordinaire change soupe à 10h, puis morue avec sauce. A 5h, fargots, thon fromage… café. Mais la morue était trop salée. On a soif, et rien à boire sauf l’eau de la fontaine. 8 jours de prison au premier qui pénètre dans un café avant 5h1/2 du soir. Un Adjudant est constamment de service dans les rues et il est très vigilant et impitoyable, jour et nuit.

Les 4 vaccinations antityphoïdiques m’ont fait maigrir. Le foie me fait mal et j’ai un peu de goutte dans le gros orteil gauche. Que de suées j’ai poussées la nuit.

Mon service consiste surtout à inscrire les arrivants sur mes planchettes d’appel, sur le cahier de profession à compléter le livret et à y coller une fiche sanitaire. Le [lieutenant] me fera faire une belle ronde bien des titres, bien des épitaphes, des pancartes ce qui n’a pas le don de plaire à Magniez qui me repasse les états d’usure de vêtements (quelle scie) et les feuilles de prêt par escourdes. Le camarade François, me passera aussi son cahier d’habillement. Je calcule aussi les indemnités de route en faisant montre de mes connaissances géographiques. J’ai une idée des situations et des feuilles de journées, et du cahier de mutations. On ne s’ennuie guère, car il vient toujours quelqu'un au bureau.

Combien as-tu fait de service ! 3 ans- Abruti

[Combien as-tu fait de service !] - Rien- Imbécile

Pour manger, je fais bande avec les 3 plantons. Le vin me monte à la tête, et j’ai des envies de dormir très difficiles à surmonter. Je porte mon linge chez une bonne femme qui ne m’écorche nullement comme je l’ai été par Me Précieux. Je salis d’ailleurs très peu. Le collègue Defermand distribue le courrier au bureau et nous raconte des bonnes blagues. Ex : Dans le train une grosse dame fait pipi sous la portière et lâche un bruit en coulisse ! Les spectateurs sont interloqués, si bien que la grosse mère leur dit « Messieurs, quand vous faîtes pipi, vous secouez l’instrument » Nous, nous soufflons dessus. »

6 Avril. Voici le printemps : les hirondelles sont très nombreuses les fusains, les lauriers sauces sont de vrais arbres en fleurs ; les jacinthes sont de toute beauté et les tulipes ouvrent leurs calices. Le pays est pittoresque la vallée de la Charente est une des plus de France. La rivière elle-même est large ; elle roule beaucoup d’eau, des eaux très claires, ce qui fait qu’il est difficile d’y prendre les poissons. (brêmes, anguilles.) Un pont en pierre relie la gare à la ville. La ville elle-même n’offre rien de particulier, mais dans les faubourgs se trouvent de jolies villas, avec de très jolis châteaux : il y a de gros propriétaires et des exportateurs de vrai cognac. Berchon arrive à la 24e ; c’est le cabot de la 15e ; il aura sous ses ordres Delarouzé de Beaulencourt et Omer Fontaine, ex-caporal. Berchon est très sérieux.

Comme journal, on lit le Petit Parisien le matin et le Matin le soir. Le communiqué est placardé à la poste, chaque matin ; peu de nouvelles importantes.

Les Charentaises sont en général des femmes brunes aux yeux noirs ou verts, à la taille fine et élancée. Elles ont le genre espagnol. Elles causent fort bien le français, mais parlent avec volubilité. Sur le chapître de l’amour, elles ne sont certainement pas en retard, et bien des jeunes filles sont femmes à 13, 14 et 15 ans. Il y a là des dames très sérieuses, il y en a qui sont débauchées : c’est partout pareil. Nous savons que la guerre aura eu pour effet un redoublement de coquetterie et un relachement des mœurs scandaleux dans de certains milieux.

12 Avril. Je fête mes 39 ans par un souper de 30 sous et une régalade aux plantons. Je couche toujours en ville ; je suis dans ma chambre comme un ignoré. La santé est meilleure. J’envoie une procuration pour que ma femme puisse toucher mon mandat et je reçois un secours de 90f pour faits de guerre. Par exemple, le Percepteur fait poliment des manières pour me le payer. L’animal ! Nous sommes des bleus, des bleus aux cheveux gris. En fait d’cheveux, y en a qui sont déjà chauves. Nous apprenons c’qu’on n’a jamais appris. Mais après tout, n’y a que la foi qui sauve.

Déjà faut voir comment.

On fait à gauche par quatre ou à droite alignement

L’adjudant fait d’un ton nerveux.

« Marquez bien l’pas ! Un ! Deux. Un ! Deux ! Tendez la jambe ; ça ira mieux ». À notre âge, on tend comme on peut.

Je loge chez Mme Veuve Carré, une propriétaire âgée de 60 ans ; son petit-fils me réveille chaque matin : je suis là très bien, mais comme le camarade Lenglet intrigue et que j’ai peur de me faire repérer, je découvre une autre chambre à 25f, chez Mme Veuve Dexant. Là, je suis mieux encore et dans la porte du bureau de la 24e, je bois du bon lait le soir ou le matin et l’ont fait aussi causette avec Madame et sa servante « La blonde » Plus tard, quand la 24e ira prendre les cantonnements de la 23e, je logerai au bureau même chez Mme Ballouet, d’abord avec Magniez dans la même chambre luxueuse, puis seul ; ah ! ce que je me reposais bien le soir, et pour 15f par mois.

« On n’a jamais eu d’fusil entre les doigts

Et comme tireurs on n’est pas précoces

Pourtant, on sait faire mouche quelquefois

Car presque tous on a, 3, 4, 5 gosses.

On n’a rien, c’est certain,

De la dégaine d’un zouave ou d’un chasseur alpin

Mais après tout, bien qu’on soit vieux,

Si nous devons aller au feu

Avec courage, on fera d’son mieux.

C’est pour la France, nom de Dieu »

Oui ; d’aucuns ne traînent pas ; au bout de 6 semaines de service, on les envoie directement aux tranchées. Un bataillon de 1000 h. est en formation pour partir.

Les gaîtés du régiment. Communiqué officieux. Cette nuit, nous avons tenté de percer, mais tous nos efforts sont restés infructueux. Pourtant la prise de 2 mamelons et de plusieurs positions ont enfin permis à notre tête de colonne de se redresser devant l’ennemi. Malgré une résistance acharnée la colonne tout entière soutenue par deux batteries lourdes d’arrière a réussi à contourner l’Aisne, à traverser le petit bois et à pénétrer dans la tranchée.

Après différentes alternatives d’avance et de recul, une violente décharge de nos batteries a arrosé la tranchée et les broussailles adjacentes ; nous étions maîtres de l’entonnoir quand tout à coup, faute de munitions, les coups vinrent à manquer : la colonne a fléchi et s’est repliée le long du corps, près du bois de la Grurie…

23 h. Les Anglais ont occupé toute la ligne des tranchées.

Ma gamelle : c’est l’heure de la soupe. Pas de clairon dans la garnison. L’odeur de la cuistance et la queue de tourlourous à la fenêtre indiquent l’heure. Tantôt, j’arrive le premier : alors j’ai tous les yeux du bouillon avec tout le poivre à la surface. Tantôt, je suis le dernier : alors, c’est la bouillabaisse. J’arrive le premier quand je veille au grain ; j’arrive le dernier quand les copains rentrent de l’exercice avant 10 heures.

J’attrape ma gamelle : bon, le planton s’en est servi et ne l’a pas relavé. Zut. Courons du bureau à la cuisine : il y a encore du rabiot. Retournons à la salle de service qui sert de salle à manger.

Le copain, va chercher 1 [litre] de bière (à la cantine : 0,25) ou 1 litre de vin rouge, à la dérobée, (0,35) ; retirons le couvercle. Pas gros le morceau de bidoche et pas cuit. La soupe n’est plus que de la purée, j’avale les ronds de carottes, le poireau et je laisse la ratatouille. Le couvercle sert d’assiette et j’y découpe ma portion ; j’ai ajouté 1 sou de sel et j’y joins mon œuf cuit dur ; j’avale 1 quart de vin, ce qui me fait monter le sang à la tête, car l’estomac n’en veut pas. Un copain a parfois du dessert. Je finis le dernier, et je m’achemine à la pompe ; j’use un décalitre d’eau pour enlever la graisse (par pression) et je frotte le fer blanc avec le journal de la veille. La gamelle, comme le quart, a un avantage : c’est qu’elle tient chaud longtemps.

« Au fond de ma sacrée gamelle,

Il y a un bout de semelle,

Des pommes de terre, des zharicots,

Des carottes, du chou, des poirots

Vive quand même ma gamelle

Il ne faut pas se moquer d’elle »

En attendant la fin de la guerre, je touche 3 sous par jour pour l’usure de mes vêtements et 10 sous le jour du prêt moins 3 sous pour le paquet de tabac.

Heureusement que la petite femme est là pour vous envoyer des pièces 5 francs. Cela permet le souper sa chambre le soir, et un petit dîner de temps en temps chez la mère Joubert.

25 avril. Les opérations sur le front n’offrent guère d’intérêt ; j’envisage même un recul de notre part, et j’ordonne à ma femme de partir à la 1ère alerte sans demander le mot d’ordre des bonnes vieilles de tout calibre. Nous savons qu’il faut beaucoup plus de canons et plus de munitions. Les Boches en prennent à leur aise ; ils font ensemencer notre sol en blé et pommes de terre ; on affirme qu’ils ne les récolteront pas !!!

J’ai le cafard de temps en temps et ma correspondance qui est généralement celle d’un amoureux qui veut remplacer ses douces lettres de fiancé (lettres conservées, mais détruites depuis) est parfois un peu sèche. Je souffre de savoir ma femme, logée dans un fournil, plus ou moins nippée, réduite à écraser des roques dans le jardin pour se faire bien venir et plaire à sa mère en tous points. Je souffre de savoir 2 enfants, s’occupant presque uniquement de courir les rues. Et puis, les opérations traînent.

1er Mai. Ah ! Les fleurettes

Du ravissant muguet de Mai. Les muguets, les lilas, les marronniers, les iris sont en fleurs et il fait bien chaud déjà. Il fait bon de prendre l’air le matin le long de la Charente. Les lessiveuses battent déjà le linge à genoux dans leurs siège-planche. J’arrive à la cuisine ; je récolte un quart de jus de rabiot. J’arrive au bureau le premier : l’Adjudant, le fourrier, le Chef s’amènent. Je prends mes planchettes d’appel, allume une pipe et part au rassemblement, place de l’église, avec Lenglet.

J’achète le Petit Parisien, mais toujours rien.

Au bureau, on ne relève pas la tête quand le Lieutenant est là ; mais quand il part à l’exercice le copain Sperry raconte des blagues.

Toujours des histoires de femmes, naturellement.

10 h Rassemblement pour les lettres.

11 h Lecture du Rapport.

12 h à 5 h. Travail de bureau.

5 ½ Souper

6 h 1/2 : Je rentre au bureau avec l’intention arrêtée de ne rien faire. 7 h Je bois le café classique

8 h Je rentre

9 h Je m’endors, en pensant aux miens.

J’ai le cafard. J’écris à ma femme qu’elle vienne tout au moins me voir. Les Anglais disent que la guerre peut encore durer 2 ans ! Nous, on trouve que dans 3 mois on en aura assez. Et l’on arrive ainsi à l’Ascension. Alors la situation s’améliore. Je vais manger le soir chez la mère Balin avec Lenglet ; comme je mange peu à midi, je dévore le soir de faim et de soif : on s’enfile une omelette aux asperges, la bidoche de la cuistance de la salade et du cabillaud froid avec vinaigrette, et une chopine de vin. Café filtre avec cognac au café du théâtre. Voila qui vous remonte, mais inévitablement mon estomac de papier, aux premières chaleurs, va redevenir capricieux et paresseux. Il m’arrivera d’ingurgiter 1 litre de pinard en soupant : c’est trop évidemment, mais on a très faim et très soif.

15 Mai. On passe la nuit pour permettre un départ de 45 h. de renfort sur le front. Les premiers copains comme Pentel, Fichaux, Dehollain, etc sont déjà enlevés, et le 1er Octobre 1916, il y a encore a dépôt de La Rochefoucauld des hommes plus jeunes, des s/off. du service armé qui n’ont pas encore bougé. Il y a alors, et encore, des gens du service armé de tout âge qui sont embusqués à l’arrière du front avec des brisques comme blessures de guerre.

18 Mai. Nos poilus de la classe 90 : Defermand, Fontaine, Berchon, Minart sont partis au front ; on se figure que c’est la fin. Le souper copieux et le travail de bureau ont pour effet de me rendre l’estomac malade. Il faudrait aussi ne pas se la faire, se laisser aller, mais c’est bien difficile : jamais rien de saillant au communiqué, et on se demande si les Sax ne seraient pas plus utiles chez eux, ou ailleurs, qu’à Jarnac. Que font-ils en effet ? Puisqu'ils se trouvent avec ceux du service armé qui s’arrogent toutes les meilleures places. On aura beau par la suite transformer la 24e [compagnie] en une compagnie d’inaptes, composée de 4 catégories et d’auxiliaires, obligés de passer la visite tous les 8 jours, puis tous les 9 jours, puis tous mois puis plus du tout ; la moitié sera versée dans le [service auxiliaire], d’emblée ; l’autre moitié sera appelée en renfort. La garnison ne comprendra plus que 2 Compagnies : la 21e et la 22e : et il arrivera qu’une demi douzaine d’hommes iront à l’exercice ; et le dépôt finira par être supprimé et rattaché au 233e de Cognac.

Et la vie de dépôt continue ainsi, fastidieuse, monotone sinon abrutissante. Quelques copains, heureusement ont toujours l’esprit gai.

2 Juin. Je vais à la Visite, commandé ; on me prie de repasser le lendemain. Je repasse donc le lendemain : à force de m’ausculter, le Major finit par découvrir que je suis cardiopathe  : arythmie, souffles à la pointe du cœur verrai-je plus tard. Proposé pour la visite des 3 Médecins. Visite du général : alors, tout se passe en règle : on couche au cantonnement ou au bureau. A 4h. du matin je fais une situation de prise d’armes avec l’adjudant Mairesse ; au bureau, les secrétaires service armé ne sont pas là ; les 111 disponibles sur 191 présents sont partis en marche jusque Chassors, malgré la pluie.

On ramène, dit-on, le 1er corps dans notre région et le gros coup va recommencer. L’Italie va bien ; et la Roumanie, et la Bulgarie vont aussi marcher avec nous. Les Boches, à Souchez, sont démoralisés. Autant de leurres, autant d’absurdités. La vérité, c’est que les boches sont toujours les maîtres de la situation, qu’ils bombardent toutes nos lignes arrière qu’il faudra tôt ou tard évacuer, et qu’ils ont repris Premzil en attendant qu’ils refoulent les Russes jusqu’au Pripet.

9 Juin. On change de cantonnement ; nous sommes 55 macchabées qui restons à la 24e devenue compagnie d’inaptes ; au revoir Mr et Mme Bouin ; au revoir Mme Descant. Cette fois, on est mieux encore.

L’habitation de Mme Balouet est un petit château avec parterre et jardin ; on fait la sieste dans le jardinet à l’ombre d’un arbre du Japon et sur un banc de circonstance ; on se promène au jardin et on se régale de framboises. Le bureau du Chef est distinct du nôtre ; je finirai par me fourrer dans un coin où je serai plus que tranquille pendant le mois de juillet. Par exemple, nous sommes plus que nombreux comme employés ; il y a successivement 3 [lieutenants commandats] de [compagnie] […] du 33e ; jamais une observation. 2e le [lieutenant]; celui-la fait du zèle ; çà chie joliment, le jour où je dois contrôler l’appel. 3e Le [lieutenant], un très bon homme. Le Sergent fourrier Deburie, d’Arras, fait fonctions de Chef. Nouveau maître nouveau sifflet ; celui-là n’a pas peur de faire user du papier. Le Sergent 1er Magniez est au 2e plan ; çà ne va pas avec le Chef, et il s’en ira avec 5 inaptes à Boulogne-sur-Mer. L’Adjudant est ? ; comme secrétaires, le caporal Binet, un ingénieur, qui s’occupe du prêt ; le sergent … qui fait le travail du Chef ; Vie[…]e qui s’occupe du cahier de visite, des vaccinations, et des fameuses catégories d’inaptes ; Sperry, qui s’occupe des permissions ; Carpentier de Chelers, qui s’occupe des renforts et des fiches ; Audiguet et Marconnet qui viennent de la 21e et qui s’occupent du contrôle nominatif et moi qui s’occupe des arrivées, des fiches de renseignements et des professions et de l’effectif . En fin Juillet, il restera au bureau Lenglet pour faire le travail du Chef, Sperry, Marconnet et moi. Il faut ajouter à cela le Vaguemestre Lepagnot aidé par Wintrebert et 3, puis 2, puis 1 planton. La [compagnie] loge tout entière au chai Bouju ; des sentinelles sont aux issues, route de Signogne, route de Julienne et route de Chassors ; et au pont de la Charente, et route d’Angoulême. Quelques prisonniers boches se sont enfuis du centre de la France, et tous ces inaptes montent la garde. Le jour, simple promenade pour la 4e [compagnie] ; d’aucuns marchent avec un bâton : Ex : Blondel, de Beaurains.

Je mange avec les [sous-officiers] mais comme nous sommes trop nombreux, il faut reprendre la gamelle. Le brigadier d’ordinaire, toutefois, nous passe le café et le sucre et la popote le reste et nous mangeons dans la cuisine de Mme Ballouet. Cela dure 8 jours. On revient à la popote où l’on est moins nombreux ; les sergents et caporaux qui sont venus passer le Conseil, se voient collés dans le service armé, ou maintenus dans les Sax, et alors envoyés à droite et à gauche avec un service spécifié ; les braves se figuraient tout simplement être venus pour passer la visite. En fin Juillet, nous ne sommes plus guère nombreux ; les sergents convoient, et à table, ne se trouvent plus généralement que l’[adjudant] Batillat, le chef Debuire, le sergent de Surabaya , le brigadier-fier de l’habillement chef de popote, son aide, un inapte, Sperry, Vienne et moi ; aussi on est très bien, mais je souffre toujours de l’estomac : chaleurs, fruits indigestes (tomates, concombres) vin rouge, et … le cafard, car on se demande pourquoi on nous garde nous autres les auxiliaires, alors qu’on les libère ailleurs et que de bien plus jeunes ne sont pas encore convoqués.

Le jour du 14 juillet, on nous demande l’état des Sax ; c’est moi, naturellement, qui m’en charge ; on nous le renvoie en disant que c’est un état « de 14 juillet », j’avais fait des omissions, paraît-il ; tout cela nous mènera jusqu'au 31 ; d’ici là, toujours les mêmes questions, les mêmes suppositions ; ce brave Laflute n’en démord pas ; c’est une obsession. Cependant, il n’y a lieu de s’en faire ; sauf les quelques alertes dues à la visite du Général, on est tout à fait tranquille ; le chef relit Thiers et va à la pêche.

Je ne me lève plus à 5 h pour donner le cahier de visite au brigadier Thomas. Je ne vais plus à l’appel et Magniez ne me crie plus : « eh ben quoi Lesieux ! » Je ne vais plus au Rapport. On se distrait avec les facéties de Sperry, du caporal Dupire et du sergent Demailly qui élève un cochon pour la popote.

Le dimanche, je fréquente le camarade Lièvre ; on se paiera ainsi un bon dîner à Bourg Charente et 2 autres à Gondeville ; sa femme viendra passer un mois avec lui, et cet excellent copain partira pour le front alors que je serai libéré. Le 20 Juin, dans la Mairie de Jarnac, la [commission] des 3 M. examine 161 poilus ; 120 restent proposés pour le service armé. 5 vont partir immédiatement ; aucun réformé à titre définitif. Me voila à moitié fixé : je dis à moitié, car je me doute bien que je dois encore passer une 2e fois, à Angoulême, mais ce n’est pas à moi d’en parler et je serai libéré le 31 juillet, mais rappelé ensuite pour passer la contre-visite.

La fin de juin se passe à broyer du noir ; les communiqués sont laconiques ; l’Italie avance peu, les Russes reculent ; les Dardanelles ont été un four. Nous avons des hommes, mais nous manquons de canons et de munitions. Et nous savons cette fois, qu’après la guerre il faudra fonder un nouveau foyer. J’en ai assez de savoir une femme passant son temps à coudre à côté de sa mère reprisant toujours les mêmes chaussettes, et 2 enfants qui courent les rues. Et je crains toujours une poussée boche sur Arras. Les explications de ma femme qui me dit tout prévoir ne me rassurent qu’à demi ; il est trop certain qu’en cas d’alerte, elle ne lâchera pas sa mère, ni pour elle, ni pour les enfants.

Juillet. Nous voici en Juillet. Le mois se passe dans cette alternative : que va-t-on faire de nous ? Nous traîner jusqu’au dernier jour du mois. Les cultivateurs obtiennent facilement des permissions agricoles.

Je suis très tranquille au bureau et prends le temps comme il vient et surtout, je ne demande rien. Pour vivre heureux, vivons caché ou couché. Je suis scribe, pas secrétaire, car les secrétaires, on les tient. Et l’on tue le temps au milieu de compagnons, gais, tristes, mufles, abrutis, indifférents, rouscailleurs.

Un sergent s’amène de Surabaya ; il est parti depuis le 12 février et il est convoqué pour passer devant les 3 Médecins ; il sera d’ailleurs maintenu service armé.

Un brave campagnard s’en va en permission agricole à Berny Charente ; à peine arrivé, il reçoit l’ordre par dépêche de partir comme manœuvre à la poudrerie en construction de Toulouse.

Un poilu est arrivé du matin ; il a donc passé la visite du Major ; comme on passe l’après-midi la visite des poilus il doit retirer sa liquette. C’est comme le très myope qui doit se déshabiller tout de même. Faut pas se la faire.. et au régiment on déteste ceux qui sont de mauvaise humeur.

Les poilus du front ont enfin 4 ou 9 jours de permission, cela leur permet de rentrer chez eux sans prévenir et de constater ainsi ce qui se passe en son absence. Les épouses infidèles ne sont pas rares, précisément et on recense déjà la classe 1935. Fumisterie ! On attend toujours les coups, les gros coups ; ce sont sans doute et surtout les femmes qui les reçoivent. Qui n’a pas son p’tit Belge ? Qui désire un p'tit anglais ? Les jolis ménages après la guerre ! Les jolis divorces en perspective ! Les concubinages et les pupilles de l’assistance publique ! et les tuteurs sociaux.

Et le mois de juillet se termine par le départ pour Gray de tout un Bataillon et le départ du camarade Lièvre. Il reste à peu près une trentaine d’hommes allant à l’exercice.Je suis désigné pour donner des leçons aux enfants de […] Grand à partir du 1er Août. On se figure que la fin de la guerre sera amenée par la misère et le manque d’argent. Et ma dernière lettre, c’est pour dire que j’en ai assez tous les copains se défilent en permission agricole et moi ; il y a 4 mois et ½ que je suis là sans avoir jamais bougé. Le 30 Juillet, je réussis d’être libéré provisoirement.

On s'arrête, pour les secrétaires, à la classe 1897. J’envoie une Dépêche à Gouillard pour qu’il prévienne ma femme qui doit se rendre à la Caisse d'épargne, ainsi dit, ainsi fait. Adieu Jarnac et les Jarnacaises.

À La Thieuloye

31 Juillet 1915

7 heures du soir.

À La Thieuloye

Le retour d'Ulysse près de Pénélope.

Adieu Jarnac ! Adieu la Charente aux eaux limpides ! Voila justement un poisson qui passe et qui court après l'hameçon du chef.

L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours. Adieu les jolies Jarnacaises, à l'œil noir[1], à la chevelure épaisse à la poitrine opulente, à la taille souple, au babil trompeur aux jolis yeux. Qu'ils soient bruns ! Qu'ils soient bleus ! Tous beaux ! Tous trompeurs ! Tous rieurs !

Adieu […] Bouju, bureau de la 24e, popote des sous-off la jolie chatte blanche et les deux maîtresses à la monnaie du pape du 14 juillet. Adieu les copains. Au revoir mon Adjudant.

Un coup de sifflet ! Nous voilà partis. Pas de tapage pas de manifestation ; on pense qu'on va rentrer au milieu des siens. C'est le calme complet ; le boute en train, le loustic n’est plus là. Angoulême ! Il fait nuit. Le cuisinier Delaporte est médiocre cicérone. J'ai un caniche qui va me suivre jusque Anvin, c'est le copain Laflute, d'Arras. On boit un verre de bière mais il faut manger, car dans la boite, il faut manger en buvant ; c'est le règlement. Voila l'alcoolisme vaincu : buvez mais mangez en même temps, au cabaret !

11 heures. Le hall est rempli de monde : des permissionnaires et des femmes baladant leur [?]. On se case enfin dans un wagon rajouté en queue ; la voiture est petite et elle tangue joliment ; je heurte furieusement les genoux de ma voisine, sans engager toutefois la conversation.

À Saint-Pierre des Corps, on […]lle le wagon. Sans voir goutte, on se dirige vers le train venant de Brest.

Je laisse tomber toute ma correspondance sur le bitume.

L'empressé Laflute disparaît dans un bac réservoir. Mon brave Laflute, tu n'iras pas dans les tranchées ce soir, et nous allons arriver à Paris avec 5 minutes de retard, tu vas voir. Chateaudun, Vannes, Dourdan, Arpajon, quai d'Austerlitz. Quelle sale gare ! Le camarade Delaporte, célèbre pour sa grande bravoure et sa haute entaille redevient le conducteur ; il viole la consigne pour prendre 3 billets de métro Gare du Nord ! Le train est parti depuis 5 minutes, en effet. Il est 8h10. Le célèbre Laflutte passe par tous les états physiques, physiologiques, mythologiques psychologiques et psychiques. Un train à 9h35. Flûte ! On ne passe pas. Le train est à 1h15 pour les militaires libérés. Mon fidèle Laflutte en devient tout jaune. Faut se dégrouiller. Toi, Laflutte, vas chez Nénesse et tu soigneras les ballots et moi je vais me caler les joues chez la sœur Léontine.

À 12h, j'essaie de passer aux barrières ; le cerbère me reconnait et me dit que j'ai vraiment trop de constance. Ce brave Laflutte devient vert.

10h. Étaples. Il faut aller coucher ailleurs que dans les salles d'attente dit un gendarme et nous voilà à quatre dans une grange sur la dure : un peu de paille, la toiture comme ciel de lit, une porte disjointe. N'oubliez pas, vous le caporal de souffler la camoufle !

C'était pendant l'horreur d'une profonde nuit.

La ronde passé. Défense de fumer. On peut toutefois chiquer. Réveil demain à 5 heures. Mon Laflutte est devenu tout noir. 4h du matin_ Debout ! les morts ! On s'est couché tout habillé. Où se laver ! Je déniche enfin une fontaine. Laflutte est tout blanc. Rien d'ouvert en dehors des heures réglementaires. Le train n'est qu'à 9h20.

Errant chemineau, sans logis, ni harde

À quoi rêves-tu ?

10h. Montreuil . Ce brave Laflute est devenu pourpre. Le train pour Fruges ne part qu'à 2h1/2. Des prônes. Anvin ! il pleut  ! à la re[…]e ! Faut pas se la faire ! On se reverra ! On se reverra, en effet, à la Rochefoucault.

Éreinté, moulu je regagne mon très modeste logis et les tranchées.

Jarnac, Chateauneuf, Angoulême, Ruffec, Civray, Poitiers, Chatellerault, Tours (St Pierre des Corps) Châteaurenault, Vendôme, Chateaudun, Bonneval, Voves, Dourdan, Arpajon, Juvisy, Choisy le Roi, Ivry, Paris, St Denis, Chantilly, Creil, Liancourt, Clermont, St Just en Chaussée, Ailly sur Noye, Amiens, Abbeville, Rue, Étaples, Montreuil, Hesdin, Auchy-les-Hesdin, Anvin, Wavrans […]. Saint-Pol[2].

Me voici à La Thieuloye jusqu'au fin 5 septembre ; à peine étais-je rentré que le camarade Vienne me faisait savoir qu'il avait été question de moi au bureau de [commune]. Nul doute ma situation n'est pas régulière en ce sens que je n'ai passé qu'une visite. Evidemment, si l'on a consulté mon livret matricule avec la mention inexacte qui s'y trouve, je n'ai passé qu'une fois et je dois être contrevisité. Quelle obsession ! Je passe donc un bon mois à faire travailler Jean le matin et le soir on reprend ses promenades habituelles aux alentours, à Ostreville, à Saint-Pol et au camp d'aviation.

Toute la lutte sur le front belge se borne à des tirs de destruction ! Un an après, le communiqué mettra encore : tirs de destruction au sud de Dixmude, à Stenstraete, sur le canal d'Ypres à Comines.

Sur le front occidental, il faut envisager de violents duels d'artillerie en Août ; le chemin d'Ablain à Angres passe de main. L'ennemi fait souvent usage de gaz asphyxiants au Linge, à Hartmanswiller . La canonnade est générale. Une offensive britannique se déclenche à Loos, l'offensive française se déclenche au Nord d'Arras et en Champagne où nous faisons 29.000 prisonniers avec 144 canons. Nous reprendrons ainsi Souchez, Loos et Tahure et les crêtes de Vimy. Beau succès, mais chèrement payé. Le 15 Octobre, ces offensives seront enrayées. Elles ont montré que nous n'avons pas encore assez de canons et de munitions ?

Les Russes, faute d'armes et de munitions, reculent. Les Allemands prennent Kov[…], Novo Georgievsk, Ossovietz Brest Litowski, Grodno, Loutsk en Août.

En septembre, l'offensive russe se déclenche avec succès en Galicie où elle fera de nombreux prisonniers.

Au Caucase, le grand duc Nicolas reprend Van.

Sur le front Italien la lutte est vive sur le Carso et l'Isonzo sur Tolmino.

Aux Dardanelles, on avance mais très peu. Cette expédition est un « four » ; on l'abandonnera par la suite.

L'artillerie serbe tient à distance les Autrichiens. Combien n'a-t-on pas ri en disant « Les Autrichiens bombardent Belgrade ». La vérité est que lorsque les Boches avec Mackensen feront une attaque en règle, les Serbes reculeront jusque l'Adriatique et leur pays subira le sort de la Belgique. L'avenir nous dira si la Roumanie aura le même tour.

Dans les Balkans, les débarquements continuent à Salonique. Heureux que les Grecs nous laissent à moitié tranquilles et que la Bulgarie ne fonce pas sur nous de suite ; il faudra plus d'un an pour amener à Salonique les forces nécessaires : Français, Anglais, Serbes, Italiens, russes et volontaires grecs. Grâce à Briand , on arrivera enfin à couper l'Allemagne de ses alliés en Orient.

Les Zeppelins allemands exécutent des raids sur l'Angleterre. Les avions, tant boches que français bombardent les lieux stratégiques et les villes ouvertes comme Nancy, Stuttgart. Pégoud est tué.

À Jarnac

Le 7 Septembre, me voila donc de retour pour Jarnac, pour régulariser ma situation militaire. Le collègue Maresville nous égaie dans le train pour Étaples. Des gens d'Arras s'en vont vers d'autres cieux plus cléments. Un train anglais pour Salonique par Marseille quitte la gare.

Toujours beaucoup de monde.

Je vais voir Léontine et Émile comme d'habitude et j'achète [quelques] livres pour Jean.

J'arrive à Jarnac le lendemain matin. J'y retrouve Vienne, le chef Deburie, Marconnot, Lenglet, Mairesse. Je suis reçu en ami, et c'est en buvant le café que je suis réincorporé à la 24e Sperry, Batillat, Lepagnot, Dhouailly sont partis, les uns au front, les autres chez eux.

Je retrouve un képi, une casaque, un ceinturon.

Je retrouve ma place au bureau, la chambre de Sperry et ma place à la popote : voila qui va bien.

Il reste 150 hommes au 5e, 50 à la 24e avec les mêmes entrées et sorties.

Le personnel est bien restreint au bureau : c'est le planton qui est coiffeur, lampiste, vaguemestre et figaro.

Le Major me colle à la 24e [compagnie], 4e [compagnie] et me propose pour la prochaine visite ; pour une fois, les affaires sont poussées rondement et jusque la veille de la séance de la [commission] de Réforme, on inscrira tous ceux qui arrivent à la 24e [compagnie].

C’est d'ailleurs Vienne et moi qui activons les affaires auprès du Major, et qui aidons le brave Dupire, devenu Secrétaire à l'infirmerie, mais bien malade. Bref, toute la 24e [compagnie] va passer ou repasser le Conseil, nous sommes 50 auxiliaires ; dont 2 pour la contre-visite. Je reste, comme tous les autres d’ailleurs, proposé pour les Sax ; Delahaye arrive au bureau de détails ; les tranchées boches passent devant la minoterie Doutremépuich, derrière la malterie, le cimetière d'Arras, route de Tilloy, la briqueterie de Beaurains, le Cabaret rouge. Il y a des souterrains chez Delignière. Nos soldats, à Arras, logent surtout dans les caves sur la route de Doullens.

Les poilus sont peu nombreux et […] les besoins des poules restent toujours pressants ; c'est le moment pour les flirteurs comme Legrand et Leuglet d'entrer en chasse.

Je ne m'ennuie pas trop parce que je revois [quelques] connaissances qui restent estomaquées de me savoir rentré ; d'un autre côté, la guerre prend bonne tournure.

Quel fourbi ! Nous partons demain pour Cognac et la 24e [compagnie] chez Cormont ou à la 22e chez Dubronelle et que les Sax seront pourvus d'un emploi. Faut pas s'en faire.

Fini la popote, et le bon frichti apprêté par le Brig. Fier Rotier, un numéro ; finies aussi les histoires de Rosmans de l'habillement ; comme inapte il sera remis service armé et restera à Cognac avec le planton Bacqueville de Neuville-Vaast-Vaast ; maintenu service idem, l'Adjudant Delattre de Gouyens ; armé aussi Bachelez le sergent venant Surabaya versé dans les Sax, Vienne, l'adjudant Lancry Greffier du Juge de paix de Vimy.

Le mercredi 15 [septembre], nous voila donc partis avec musette, bidon et sac de voyage, comme si on ne revenait pas. Je paye 40 sous pour ma chambre chez Ballonet et 5 [sous] pour ma nourriture depuis 8 jours et la veille on a vidé la cantine. Le lendemain matin, pas de jus ; me voila parti avec un verre d'eau dans le coco. On fume des pipes, pour se désenerver. Vienne et Delattre s’achemineront à pied pour se fatiguer ; ils seront moins fatigués que nous, parce qu'ils ont les bras ballants.

À 9 heures, visite devant un Général. C'est rapide. Mettre à nu la partie malade seulement.

Auxiliaire, dit le général, il l'est déjà ! Maintenu, dit le Major après simple auscultation.

Les inaptes […] service armé restent à Cognac ; les autres reprennent le train et sont incorporés à leur rentrée à la 21e [compagnie]. Il s'agit désormais de f… le camp ; mais voila ! il faut attendre le retour des livrets, signés par la [commission] de réforme ; il faudra attendre jusqu'au lundi suivant.

Donc, grâce à l'[adjudant] Mairesse, j'entre au bureau de la 21e avec Cormont, Lenglet, Deruytter, le [lieutenant] La Bastie. J'ai faim, je mange des fayots grâce à un copain. Les lendemains, j'irai manger en ville chez la grand'mère Joubert, sans me faire voir. Je coucherai 2 jours au dortoir. Comme j'ai l'esprit un peu plus tranquille, je me plie davantage aux exigences militaires. La première nuit, j'ai peu dormi. Il y a des puces, et il faut coucher tout habillé. Le voisin de droite tousse et le voisin de gauche a une crise d'épilepsie.

Le lendemain, je m'endors de suite. Le lendemain, j'entre au bureau de la 21e, mais la moitié du temps je retourne à la 24e [compagnie] pour assister au déménagement. Les copains font des corvées plus ou moins ragoûtantes.

Quel fourbi au dortoir ! On enlève une paillasse, une couverture, on change les lits si bien que ma couchette n'est plus la mienne ; l'oreiller est vert de sueur.

Pouah ! Je f. le camp en prévenant le Brigadier je me raye d'ailleurs moi-même de la liste des occupants. Je me classe avec Vienne sous la rubrique bureaux. Et ces braves auxiliaires déménagent les cantonnements de la 23e et de la 24e.

Dimanche. Je finis par croire qu'on va nous libérer.

Comme je cours ! Comme je fais les états nécessaires ! Au moment du départ, on dresse aussi un état destiné au Commandant de recrutement. On sera rappelé dans 15 jours. Allez-y.

Je laisse mon képi en souvenir : après avoir payé le cigare à Engrand, à Vienne, à Lenglet, à Deruytter, je quitte à l'Habitude et en route pour la 2e fois. Adieu Jarnac. Cette fois, j'ai la cholérine. Aucun agrément en route, ni à Paris, où je monte dans le wagon à 10h du soir. Ça va mieux à partir d'Amiens et je rentre à La Thieuloye à 2 heures le mercredi 23 [septembre].

À Magnicourt-sur-Canche

Je rentre pour être nommé Instituteur intérimaire à Magnicourt-sur-Canche. Je vais voir mon poste le dimanche, alors que MM. Petit et Béal réclament un Instituteur. Jolie, la succession ! Un local habité par des [sous-officiers] depuis 6 mois. L'école ? Une étable.

On s'amène le jeudi suivant avec la voiture de M. Béal. Ma foi, on nettoie et on répare tant bien que mal. J'ouvre la classe le lundi suivant avec une quarantaine d'élèves ; rentrée superbe ; la classe que j'allais avoir ! Une demi-douzaine de certificats d'études et Jean pour le brevet. Alors, que je vais me mettre au travail de Mairie, crac ! ordre d'appel pour la Rochefoucauld ; je m'y attendais car il était question, enfin, d'envoyer les services armés au front. La salle est occupée par le bureau du gestionnaire ; tous les secrétaires sont jeunes et du service armé. Mais pourquoi m'envoyer si loin. Ma famille est disposée à me suivre, mais la population escompte mon prompt retour, et veut voir Madame rester. Jean reçoit mes confidences à savoir que je ne compte pas être libéré, vu qu'on m'envoie dans un régiment en formation. Il comprend qu'il faudra me rejoindre. Ce sera bien plus dur pour convaincre sa mère qui se trouve là bien parce que principalement, sa mère lui a dit qu’elle était là bien. La population est très sympathique ; bien sûr, elle a tant besoin des services de l'instituteur, mais quand celui-ci sera parti pour ne plus revenir, on ne portera plus à l'école force légumes comme on l'a fait à notre arrivée. Il me faudra écrire une trentaine de fois, pour faire comprendre à ma femme que sa place n'est plus à Magnicourt. La grande question c'est de savoir où loger grand'mère. Cette dernière est butée comme toutes les bonnes vieilles ; elle ne veut pas entendre parler de Paris, et elle ne peut venir jusqu'ici, à cause du long voyage ?

À La Thieuloye

Septembre

Le 6 Septembre, Marie-Catherine a la preuve qu'il existe des femmes honnêtes ; elle a laissé le montant de son mandat dans une enveloppe chez Bocquillon (vannier) ; l'objet égaré était déjà déposé à la Mairie.

Le brave Auguste est mort. Nous a-t-il amusé à chasser les taupes et les rats. La pauvre bête était devenue neurasthénique ; elle ne pouvait entendre la trompette sans hurler.

Les aéros font toujours des essais de tir. Ce sont des avions canons de 37 mm ; la cible est en plein champ, on n'ose ramasser les obus non éclatés. Les tirs ont lieu nuit et jour.

Le 9 Septembre et le 10[3], la canonnade est violente sur Arras ; des renforts arrivent et descendent à Brias. Jean m'envoie ses devoirs chaque jour ; je lui retourne annotés.

Les chevaux sont toujours sous les haies dans les pâtures ; comme le temps est détestable, il faut les changer journellement de place ou empierrer le sol herbeux.

Nous quittons La Thieuloye le jeudi 30 septembre.

On a acheté une malle chez Chornéty, du matériel de cuisine chez Garçon. Sénéchal et c’est le facteur Delbarre qui amène le mobilier avec sa « carrette ». Ce facteur a toujours été gentil à notre égard, comme tous les gens de la région, d'ailleurs. Au revoir !

À Magnicourt

Nous conserverons un excellent souvenir de ce petit village où l'on croyait me voir rester ! On s'y plaisait fort bien. On avait déjà pris son tour de promenade, sur Houvin, de préférence. Les enfants étaient matés et très empressés pour venir en classe. Il y avait des occasions pour St Pol, Frévent. Le Maire, un de ces bons vieux instituteurs, était très heureux de se sentir aidé par un Secrétaire qui n'avait nullement à ménager ses électeurs ou plutôt les bonnes femmes qui viennent … réclamer. Logent à Magnicourt le 5e d'[Infanterie] (des Parigots) puis le 21e [chasseurs à cheval]. Nous avons chez nous le bureau d'un gestionnaire du 12e C.O.A, la salle de visite, et pas mal de chevaux. Nous prêtons notre cuisine au Secrétaire cuisinier Dupuy qui mange avec Faye, Catois Sergire Java[…]on et Bijoule ch[…].

On a des patates dans le village ; et les Secrétaires nous laissent beaucoup de viande, cuite selon les procédés chers aux Limousins, cuisine qu'n retrouvera à la Rochef.

Du 28 [octobre] au 23 [novembre], arrive le 54e d'[artillerie]. Il y avait 2 abattoirs dans le village, maçonnés ; à peine installés, il faut aller chercher ailleurs ; manque d'eau et fièvre aphteuse.

On avait été 5 jours sans troupes, mais voici que tout rapplique du front pour partir pour Salonique ; on en conclut que le gros coup est encore raté. Un jour, le dépôt de torpilles aériennes de Roëllecourt saute. On n'est pas toujours en sécurité, étant à proximité de dépôt de munitions.

Nous allons à l'épicerie chez Darlencourt et chez Mme Lesieux ; dans le village logent des évacués de Neuvireuil. Mon Carpentier ne reçoit guère d'éloges : Cré Tutu[…].

À l'école, se trouve l'oncle de Guilbert, un nommé Courmont ; il a la garde du mobilier de Mme Goffart retirée chez ses parents.

Marie Catherine s'occupe des laissez-passer, ce qui la rémunère un peu et lui permet de faire connaissance avec les habitants : chez Prévost, chez Lefebvre chez Decroix, Demazure[4]. On a du lait chez Macron. Jean travaille dans la chambre du haut et Julien va en classe avec Mlle Fabien. Ma femme trouve qu'elle est très bien et elle espère sur mon prompt retour. Les enfants font leur boursette.

Le 7 Novembre, voila ma femme et sa mère « estomaqués » parce que je leur fais entrevoir qu'il va falloir tirer des plans ; et la conversation, parfois acerbe, va continuer jusqu'au 23 [novembre]. On dit dans le village que je vais revenir ; on me réclame à grands cris.

Le 9 Novembre, arrive enfin une institutrice. C'est une demoiselle du Cauroy que Mercier a dénichée et qu'il colle bien vite chez nous pour la nourriture et le logement ; on l'acceptera pour le logement seulement, après bien des pourparlers, car en somme la maison appartient à elle la première, chose que ma femme ne se figure pas assez.

On lui, « bazarde » toutes les fournitures classiques que j'avais déjà achetées à St Pol, chez Mme Robbe, installée rue d'Aire.

Le 11 novembre, Marie Catherine est très ennuyée parce qu'elle ne sait que faire de sa grand'mère ; pour cette bonne vieille, il va donc falloir que Jean néglige ses études et compromette son avoir et que je reste sans femme et que ma famille continue d'habiter un local auquel elles n’ont plus droit au milieu d'une population qui, forcément, deviendra indifférente et au milieu de troupes diverses en attendant les Anglais. Bref, on pense mettre grand'mère chez Eugénie.

Le 14 Novembre, Melle Deaucourt, institutrice à Liévin réfugiée à Frévin-Capelle arrive muni d'une nomination régulière pour prendre possession de son poste.

Le cas n'est pas banal. Melle Fabien est nommée à Jiraumont (Oise). L'Académie de Boulogne la nomme à Boubers. Elle avait fait une demande dans l'Oise, et elle déclare qu'elle n'a pas de chance !

Melle Camus, de Rocourt, est placée dans l'Oise. On préférerait, de beaucoup, voir rentrer Mr Lesieux. J'aurais même eu des pensionnaires. Bref, Melle Deaucourt est nommée ailleurs[5], et Melle Fabien, revient ; elle y restera toute l'année scolaire et arrivera à faire recevoir 2 élèves au C. d'études Humetz, un réfugié, et un de 14 ans que je n'avais pas encore eu en classe.

Voici pour terminer sur Magnicourt la copie de la lettre n° 26 :

« Chère adorée,

Je n'ai pas dormi la nuit : je pensais à toi, à tes beaux yeux sans doute remplis de larmes. Oh ! ces yeux. Je vivrais 1000 ans que je ne les oublierai pas. Ils ont éveillé et maintenu dans mon âme tout ce qu’il y a de plus noble, de plus pur, de plus aimant, de plus passionné.

Chère femme, cesse tes pleurs. Le sacrifice que tu vas faire te grandira encore, si possible, dans mon estime. Cette fois, tu montres de la décision, du courage, de l'abnégation. Oui, il faut venir rejoindre ton mari avec tes enfants. Je l'ai voulu et pour cause. Je pouvais me perdre ici.

À ton grand honneur, tu as trouvé une solution, solution qui sera sans doute mise à exécution. Allez jeudi à Villers-Brûlin avec le bataclan. »

Voici la lettre pour Eugénie.

« Je t'écris aujourd'hui une lettre toute de circonstance et bien sérieuse. Je vais t'exposer une situation : la mienne et celle de ma famille. Cette situation n'a que trop duré et puisque la sœur Léontine aide le frère Léon, il ne sera pas dit que la sœur Eugénie n'aidera pas son frère Jules.

Voici donc la situation en question. Si j’étais militaire sur le front ; je ferais comme les braves qui s'y trouvent, comme ton cher Pierre en particulier. Je ne me plaindrais pas et je dirais « à la grâce », que la bonne chance me favorise. Ce n'est pas cela ici : Secrétaire au bureau du Trésorier je suis une machine qu'on remonte chaque matin de 7h à 10h- et de 12h1/2 à 5h et qu'on ennuie ensuite. L'emploi est défini et jusque la fin de la guerre probablement (dans 3 mois, dans 6 mois). Il est entendu qu'on ne nous rappellera pas. Tout pour la guerre et je compte bien passer l'hiver ici.

C’est dur dans le cantonnement ! Défense de coucher en ville si on n'habite pas en famille. Depuis 3 semaines, j’ai les pieds mouillés, ma pèlerine pleine d'eau, des rhumatismes au cœur et dans le dos, et je mange peu.

Jean a essayé de continuer de travailler seul, mais ça ne va pas en sciences mathématiques. Le mettre en pension ? Où ? Je ne veux pas d’ailleurs le séparer de sa mère. Et j'en ai assez de le savoir là-bas au milieu des militaires et des paysans, alors qu'ici, il y a un collège.

Je suis remplacé par une Adjointe, qui a droit au logement à l'école, avant tout autre.

Et j'en ai assez aussi de savoir ma femme l'obligée et de Mme Goffart, et des secrétaires, et des cuisiniers, et de l'institutrice, et du Maire et de tout le monde.

Du matin au soir, il faut aller quémander. C'est intolérable. Je n’en dors plus et la correspondance avec ma femme subit une crise ; les propos ne sont pas aigres doux parce que je l'aime trop pour lui faire du chagrin.

Que faire ? Venir ici ? Mais oui, c’est entendu. Ce serait fait s'il n’y avait pas chez moi une vieille mère qui n'est plus transportable, « qui ne peut pas venir ici ». C'est la mort pour elle, et pour nous, dit ma femme. On connaît l'amitié sans bornes que la fille professe pour sa mère ! J'en arrive ainsi à la conclusion.

Tout serait résolu si tu voulais bien me faire le grand plaisir de la prendre chez toi ; je t'en prie ; rends moi ce service ; rends ce service attendu à une femme déplorée et à 2 enfants désorientés. Ma belle-mère est une femme qui vit de peu et qui peut encore t'aider.

Exauce aussi les vœux que je forme du plus profond de mon cœur et rends moi mon épouse et mes enfants et sois bénie. Guerre affreuse, quand donc finirez-vous ?

Je terminerai en te disant que c'est ma belle-mère qui a demandé à aller chez toi. Pense quel sacrifice et que de pleurs que cela va leur coûter mais il le faut ; le sacrifice est consenti.

Ma femme va aller le voir sans plus tarder. Qu'il soit réservé à ces « épaves » tout l’accueil qu'une sœur de cœur peut réserver à un frère très ennuyé. »

Le dimanche 28, le fils de M. Béal mène grand'mère et notre matériel de cuisine à Villers-Brûlin ; Marie Catherine et Julien les accompagnant.

En route pour La Rochefoucauld

Lundi 29 Novembre. Il fait froid. On quitte Magnicourt avec les voisins d'en face comme conducteurs. On emballe sac de pommes de terre, malle, baluchon, serviette. Arrivés Saint-Pol, la Sous Préfecture refuse le laissez-passer nécessaire pour traverser la zone des armées, sous prétexte que la Mairie de Magnicourt n'a pas fait le nécessaire.

Il faut alors revenir et laisser les bagages en consigne.

Le soir, on mangera ainsi comme on pourra et on se couchera dans les lits sans drap.

Le lendemain, Mr Béal reprend son attelage et le cachet de la Mairie ; le fameux laissez-passer est délivré.

À 1 h 1/2, on monte dans le train pour Abbeville avec Mme Tempez jeune, de Bouret. On avance à l'allure de la tortue et on pose à toutes les gares plus longtemps que de coutume. À Conteville, un employé fait payer un supplément de 3s7s, sous prétexte qu'on va prendre l'express qui passe par le Tréport, Beauvais, Paris ; en voila un qui fait son service avec zèle , mais il est en règle ; on paye. Abbeville : 4h50. Plusieurs trains sont en gare. Des Hindous Sicks, Kourfas quittent le Nord pour aller en Mésopotamie. Cohue ! En traversant les quais le sac de toile bleue crève et voila la paire de souliers de l'oncle Émile qui s'étale sur les rails. Il faut se hâter, car un train arrive. Un litre de bière est vidé à la buvette. L'express pour Paris par le Tréport ? premier quai ; il suit celui pour Amiens ; l'avis est renouvelé. À 5h15, un train arrive : express pour Paris, 5e quai !

Vite ! Dépêchez-vous ! Recommandation inutile ! On court vers le train désigné en ce bousculant ; on se case tant bien que mal et ¼ d’heure après, le train n’est pas encore parti. Un troupeau de moutons, quoi ! Le gros ballot déménage au départ, en vertu des lois de l'inertie. Voici Le Tréport, mais la nuit très noire empêche de voir quoi que ce soit. L'express pose souvent et va lentement : Grandvilliers, Aumale, Abancourt. Le train va de plus en plus lentement, si bien qu'on s'endort sans voir les gares de Beauvais, Creil. [Saint] Denis ! On se réveille : 11 heures. On débarque dans la capitale à 11 h 3/4 avec 3 heures de retard. On se tasse dans la salle d'attente, impossible de sortir et de se restaurer. Qui dort dîne. On sommeille ainsi jusque 4 heures. Jean sort de la gare et va aux provisions. Il s'aventure ensuite jusque 19, rue de la Chapelle et revient vers 7h en gare pour y reprendre sa mère et son frère. En route avec le ballot pour aller voir la sœur Léontine. Julien s'extasie devant les tramways et le métro. Au n° 19 de la rue de la Chapelle, ma femme finit par dénicher la sœur qui lui colle d'abord un abattage. C'est de mode chez elle !

Ma femme ne devait pas venir rejoindre son mari ; elle doit faire comme les autres. Bref, on déjeune et on accompagne Léontine au n° 11 de la rue Arsène Houssaye. On dîne. Julien s'extasie devant l'Arc de Triomphe et la Tour Eiffel. Vers 12h1/2, visite aux magasins de Pygmalion pour se renipper, car ma femme traîne toujours son éternel costume gris. Retour en tramway au n°19 de la rue de la Chapelle, puis à pied de la gare du Nord.

On retire ses bagages et on se dirige vers la gare d'Austerlitz en déchargeant en passant le sac de patates au n° 33 du Bard Arago. Il pleut ; le vernis de la malle dégouline et les employés enfonceront un côté. Les bagages sont enregistrés et les billets sont pris. On soupe chez Émile, et, accompagnés de Léontine, on monte dans le train pour Angoulême vers 8h05. Le compartiment n'est pas comble, si bien qu'on peut dormir jusque [Saint] Pierre-des-Corps. La maman, elle, ne fait que dormir sur un œil ; elle a près d'elle sa cassette, et dame, elle la soigne avec tous les honneurs dus à son contenu. On passe Poitiers, [Saint-]Saviol. À Ruffec, on s'étrille… et on attend encore ½ heure pour arriver à Angoulême à 4h du matin. La buvette fonctionne. À 7h50, débarquement à la Rochefoucauld. Je suis sur le quai ; car depuis la veille je ne savais que penser, ne pouvant me figurer que le retard d'une journée était dû à un laissez-passer non réglementaire.

Le ballot et la malle sont arrivés également.

À La Rochefoucauld

Logement[6]. Les logements ne sont pas drus en novembre 1915 pour 2 raisons. Certaines gens ne veulent rien louer, pour être tranquilles.

Quantité de [sous-officiers] et de canonniers veulent loger en ville. À la 62e, ma pièce cantonné dans une maison inhabitée, basse, très humide ; l'eau suinte partout. Je loge donc chez Mme Précieux, sur les conseils de Colin, pour 15s par mois.

J'ai ainsi un débarras, un petit lit avec un matelas de copeaux. La nuit, les chevaux de l'écurie Montaricourt ruminent avec bruit. Les chats, les rats dégringolent sur la véranda et il faut rentrer à l'heure. J'en ai bientôt assez. Pour loger ma famille, je cours de droite et de gauche ; je finis par découvrir, une maison déserte. Voilà ce qui me faudrait : pas de luxe, mais la tranquillité. On est chez soi, contrairement à ce qui se passe en généralement ailleurs.

Je finis par convaincre grand'mère Riffaud du jour où je lui dis que ma femme va arriver certainement ; j'exhibe la photo de ma famille et mon livret de caisse d'épargne car je dois prouver que j'ai une femme et de l'argent.

Je paie donc 45 francs, en fournissant le linge. Je dois payer d'avance ; tout cela va bien pendant 3 mois, mais la vie devient chère ; je trouve exorbitant de payer 500f par an pour un logement qui n'en vaut que la moitié ; la propriétaire d'ailleurs, ne paie que ladite moitié au véritable propriétaire et encore elle ne paie rien pour le moment, sous prétexte que son mari est au front. Inutile de réclamer à Mr le Préfet de Boulogne, l'indemnité de résidence à laquelle j'ai droit. Que d'aucuns s'enrichissent et que d'autres se ruinent, c'est dans l'état des choses actuelles, mais il faudra bien nous rembourser un jour.

Le 1er Novembre 1916, Marie Catherine s'arme d'un beau toupet et réclame à Mme Riffaut une diminution de loyer. La réponse reste évasive ; la patronne trouve qu'elle a des ennuis ; elle est convaincue cependant que la cuisinière tire mal, qu'il n'y a rien pour faire la lessive, rien pour accrocher ses vêtements et remiser son linge ; le matériel est insuffisant.

Enfin, c'est trop cher. Les copains en ville, paient 10, 15, 20, 25, 30f pour une chambre. D'aucuns ont le gaz l'eau, l'électricité. Le capitaine Deffrenne occupe un logement de 6 pièces, avec parquet ciré et vaisselle de choix, et le gaz et un jardin de plaisance ; il paie 60 francs.

Ma femme réussit à payer 32,50 pour novembre, mais il a fallu chicaner tout l'après-midi. Grand'mère a été rechercher des histoires de brigands : les enfants font du bruit.

Saloperie, audacieuse etc etc. On se quittera en termes très froids, probablement.

1916

Le 101e d'[artillerie] lourde

Le 101e a été formé le 1er Octobre 1915 avec des éléments des 15e, 41e, et 27e d'Artillerie venant de Thiviers, St Junien. Il comprend la 65e devenu 61e [batterie], la 66e devenu 62e, la 63e et le P.H.R.

La 61e Batterie a pour chef Lecuppe et pour capitaine, Dutreuil. Elle se compose de 10 logis, 11 Brigadiers, 2 [maîtres pointeurs], 236 C 260 C 114 chevaux. Le [capitaine] Dutreuil retourne au front ; il est remplacé par le [capitaine] Deffrenne.

La 62e comprend 2 Adjudants dont Leleu d'Arras ; 2 chefs dont Dubois 1 aspirant, 22 logis, 1 Br.Fier 30 Brig. 10 M.P 299C=367 147 chevaux Capitaine. Gouverneur.

Ce sera pendant les premiers temps, la batterie la plus importante et la mieux administrée, mais après l'affaire Pizot ce sera la moins importante et le capitaine Gouverneur s'en ira en disgrâce vers fin octobre 1916.

La 61e deviendra la [batterie] la plus importante parce qu'elle aura à son effectif toute la classe 17, dont les éléments ne commencent à partir comme volontaires qu’en octobre.

La 63e est celle qui atteindra à cette dernière date le chiffre le plus élevé : 500 hommes environ ; elle comprend tous les récupérés des classes 16 à 17.

Ladite 63e comprend au début 1 Adj., 2 chefs dont Marsil, 10 logis 1 Brig.ier 16 Br. 211C.= 241 h. et 134 chevaux.

Capitaine Mercier. Doué de connaissances étendues, le capitaine Mercier sera envoyé au front pour inconduite

Buveur et coureur de femmes remplacé par le [capitine] Spitzmülller, un alsacien, renvoyé du front !

La 64e Batterie se forme le 1er décembre avec 2 A. 1 chef 14 Logis 16 Brig. 14 M.P 199 C = 246 h.

Elle est formée avec des éléments venus de la 45e [batterie], du 4e R. Artie lourde_ Lt Macharet, Chef Bigot. P.H.R. Le Colonel du 101e est le Lt Colonel Vaché. Il sera mis hors-cadre le 6 [novembre] 1916, sur sa demande. On suppose qu'il n’était plus d'accord avec le général Abirral.

À son départ, il laisse la proclamation suivante : Je remercie tous ceux qui ont collaboré avec moi dans des conditions très difficiles à la formation du Dépôt du 101e et à la création de 15 unités nouvelles qui sont actuellement au front où elles ont déjà été l'objet de nombreuses citations et ont ajouté des pages nouvelles à l'historique de notre nouveau régiment. C'est avec regret qu'il quitte un commandement qui lui a fait connaître et estimer les gens du Nord si cruellement éprouvés par la guerre. Il leur souhaite un prompt retour dans leur foyer libéré et la réunion de leur famille dispersée.

Le P.H.R comprend 2 chefs, 9 M. des logis, 2 Br. Fer, 4 Br. 30 […] = 37. Sont rattachés au P.H.R le Cdt Allenet, Major, le Cne Bremont, Trésorier, le M[…] Major Gros Devaux, le Cne Vétérinaire Beausoleil, le Chef fourrier Brabant, l'Adjt Bouvaille du Casernement, Mallet Adjt de l'habillement, Wiel Bureau du Trésorier Dujardin, Chef au parc, Cotigny à la Compte. spéciale avec Collin. Chef. Potié frère du sénateur, Chef à la salle de service, Leignel, bureau de la mobilisation, Coppée Secrétaire du Cne Trésorier, Roussel Victor Vaguemestre puis Fier à la 64e Duriez, le garde de Bauvin Provin à la Trésorerie puis vaguemestre avec sa dame, Gourbe des cantonnements, Dubois du matériel, Damgremont du Major, Mabillotte de l’ordinaire, Gombert de l’habillement (magasin) Jeannot, secrétaire du Vétérinaire Waeterloot de la mobilisation, Ghilbert Secrétaire du colonel Delbende et Desmurs à la Trésorerie, les Brig. Thélu et Warrot du P.H.R. Le 14 Novembre 1916, le Cdt allenet est mort et remplacé par Jacquemaire, puis par Lavaud de Laurencie puis par Verdenal. Seront partis dans les sections de Munitions : Collin, Potré, Roussel V, Gombert. Duriez, Dujardin sont versés dans les Sax. Delbende est avec le Cne Dubreuil au front. Desmurs est chimiste, Ghilbert est réformé ; les autres sont encore là.

Comme nouveaux secrétaires, viendront par la suite Corduan du bureau du Major, Six, Lesieux, Carpentier, Gillies, Michel Van der Mesh à la Trésorerie, Moreau au P.H.R, Lallez salle de service, Steibach au casernement, les coiffeurs Meurin et Dubois, les secrétaires Patyn, Bailleul à la 62e.

Débusquage

Le souci du moment de ne pas encombrer les dépôts a conduit à n'admettre dans les rangs de l’armée que des hommes dont la force anticonstitutionnelle dépassait la moyenne. Pour cette raison, les conseils de révision ont été autorisés notamment à statuer sur pièces dans de nombreux cas, ce qui n'a pas manqué d'engendrer des erreurs et de faciliter des abus. Il en est résulté, ainsi que la hâte avec laquelle furent menées les opérations, que nombre de mobilisables susceptibles d'être incorporés ont été maintenus dans leur situation.

Mais pour une appréciable minorité, il n'en va pas de même.

L'opinion publique n'admet pas que ces derniers, abrités derrière leur statut légal, demeurent simples spectateurs du drame quand ils ont l'âge et la force soit de combattre, soit d'être utilisés dans les SAx [Services auxiliaires].

Le combattant, de son côté, s'indigne de trouver dans son village, quand il y vient, des hommes valides qui demeurent sans raison apparente exempts du devoir le plus sacré. Il n'est pas possible de refuser à une nation épuisée d'égalité la garantie que personne n'a échappé au devoir commun. etc. On oublie de dire que ces messieurs les spectateurs gagnent beaucoup d'argent.

Nous verrons sans doute ce qui va se passer et si les commissions de réforme sont vraiment des commissions de réforme. Nous verrons ce qu'il va advenir du frère Henri, des instituteurs adjoints d'Arras, de Caron le socio, de celui de Diéval qui a couru se faire réformer à Montreuil, comme Caron, de Courtin, des 2 beaux-fils de Deleury, des embusqués de Rocourt ; de Cailliez, le Directeur de la Société de Tir, de Poulain, de Liébert, de Tahon et de Talmant gros brasseurs, du docteur Lamy, de Parazard, Forgeaud, du clerc de St Sornin, etc.

Le service

Dimanche 26 Novembre 1916. Je suis de service. Le Collègue Carpentier quitte le bureau sans me passer un mot de consigne. Alors ! le planton de la 61e s'amène pour faire rayer 2 permissionnaires. Je rouspète à bon droit, mais je finis par régler l'affaire. Le copain revient et me dit ce qui reste en suspens : alors, je veux bien. Il est 2h ; il pleut. La petite M. Delage vient de se lever. Coppée est allé à Bordeaux, promener sa belle sœur ! Quinze jours sans bouger. Chaque matin, il faut aller à l'appel ; le logis de semaine ne s'occupe que d'une chose : qu'on réponde [quelques] chose à l'appel de chaque nom : présent, même si le type n’est pas là ; permission, infirmerie, à l'écurie, hôpital ou malade ! Au régiment, aucun droit : rien que des faveurs. Chaque mois, visite sanitaire. Un naïf ou un trop zélé a attrapé une maladie honteuse ; vite ! visite générale pour les hommes de 40 ans, les curés et les mariés !

3h. Le Capitaine m'apporte 2 plis à expédier… Mince affaire Pas besoin d'aller faire le poireau chez le Cne Major et le Cdt.

Le copain Carpentier revient une 2e fois pour s'assurer de son service ; diable ! il redevient loquace ! Et le voila parti pour aller à l'guerre ! Bon voyage ! L'ami Vandermersche vient chercher son courrier et le planton Moyaux m'invite à aller boire une bistouille que je refuse d'ailleurs, ne voulant pas laisser la maison ouverte, sans homme de service. Je tamponne des lettres de service et mon courrier du matin et je fume des pipes au balcon en attendant 4 heures. Mr Cenot et Cordouan me disent que ma femme m'attend et que j'aille prendre l'air : la France ne serait pas perdu .

La situation 28 novembre 1916

Depuis plusieurs jours, rien à signaler sur l'ensemble du front français, Anglais, Russe, Italien. À Monastir, il a fallut sacrifier nos zouaves pour prendre la côte 1020 défendre par les chasseurs de la Garde. Guillaume, Hindebourg, le prince Ruprecht etc. assistent aux obsèques du petit vieux bien sale. La Roumanie est dans une position critique. En fin Août, son entrée en scène faisait escompter des changements à notre avantage ; en effet, son armée franchissait les Carpathes, prenait Brasso et menacé Tenesvar.

Aujourd'hui l’armée de Falkenhayn a opéré sa jonction avec celle de Mackensen ; la première a pris Craïova et se trouve sur l'Oltu ; la 2e tout en étant toujours en Dobroudja , a traversé le Danube en deux endroits et a rejoint la 1ère sur l'Oltu ; c'est la marche vers Bucarest  ; ainsi se traduit la dictature du tout-puissant Hindebourg qui fait annexer la Pologne, la Lithuanie, la Belgique en attendant le Nord de la France et la Serbie et qui proclame la levée en masse, c'est-à-dire le service auxiliaire national pour tous ceux et celles âgés de 16 à 60 ans.

Attendons l'arrivée des renforts russes en Valachie, un mouvement roumain dû à l'initiative du [général] Berthelot et une avance russe en Dobroudja et une avance sur Prilep  ; dans le cas contraire, la Roumanie aura le sort de la Belgique et de la Serbie. Pendant ce temps, nos députés déblatèrent en comité secret et propose des amendements sur la révision des exemptés et des Réformés. La Roumanie sert de paratonnerre.

Le 3 Décembre 1916 – une promenade

Le temps est très beau ; il fait même chaud. Il est 11h1/2 et me voila parti avec Jean à la campagne : route de Braconne, Beaumont, Yvrac Malleyrant, la Vache, St Adjutory, les Mas, Fleurignac, La Laugeaude ? La Rochefoucault. Retour à 6h : 20km. La campagne est déserte ; les vieux, les réformés, les jeunes gens vont se faire raser à l'unique estaminet et commencent une interminable partie de cartes avec des vieilles cartes élancés et des haricots pour gages. On ne boit pas en jouant et les esprits ne sont pas surexcités ; on n’entend pas crier « fils de loup, fils de garsse ! ». L'endroit est pittoresque, mais plutôt triste.

Pittoresque car ce ne sont que des fermes au milieu des champs, fermes en pierres blanches couvertes en pannes, des ravins, des boqueteaux, des ruisseaux au milieu des herbages et des prairies rustiques[7]  ; triste, car trop de vieilles boutiques à l'aspect minable, fumier au milieu des rues ! Trop de broussailles sur le bord des routes ; [quelques] bien inspirés, sans doute sur les conseils des poilus du front qui ont vu nos riches plaines d'Artois, commencent à raser ces buissons inutiles qui délimitent chaque lopin de terre sur le bord des grandes routes, des chemins et des sentiers nombreux. [Quelques] bergères, de ci de là, avec une demi douzaine de brebis, un chien au poil hirsute, et […] tout en marchant ; [quelques] « pétras » lavent des topinambours dans un lavoir installé sur le bord du chemin. Beaucoup de noyers, des châtaigniers, [quelques] vignobles, des arbres rabougris auxquels on ne touche jamais, des champs de topinambours. Une charentaise herse un champ. Les instruments aratoires ne restent pas dans le sillon inachevé ; le terrain est formé d'une argile rougeâtre ou brunâtre mélangée d’une quantité de cailloux qu'on ne ramasse pas. La région produit le blé, l'avoine, la luzerne, le topinambour, la pomme de terre, le maïs ; beaucoup d’arbres fruitiers : noyers, châtaigniers, vignes, pommiers, poiriers, pêchers, amandiers, abricotiers, pruniers, cerisiers, figuiers ; on essaie un peu toutes les cultures, mais aucune d'elle n'est intensive. Les femmes ramènent les les balles des épis serviront à confectionner des paillasses, ou plus exactement une paillasse.

L'école d'Yvrac ouvre son cours d’adultes de 2 à 4 heures.

On entre dans l'unique estaminet de l'endroit, avec sa branche de cyprès comme enseigne ; on fait bande avec les consommateurs, assis sur un banc devant la longue table sans tapis posée sur deux tréteaux. On boit le vin rouge ou le vin blanc : 1 franc le litre.

Le vin blanc est nouveau ; il a le goût de vert ; il saoule inévitablement celui qui en boit trop devant la même table ; il donne au contraire des jambes et ouvre l'appétit, si l'on n’en abuse point. Et voila une promenade.

La maman et Julien se sont contentés d'aller jusqu'au cimetière et la soirée se termine dans l’intimité avec Mme Delage, Mme Mautoux.

15 Décembre 1916

La situation : Les alliés remanient leurs systèmes de gouvernements et leurs gouvernants. En Angleterre, c'est Loyd G. qui s'est mis à la tête du comité de guerre composé de 5 membres avec Bowar, Law, Henderson, Curzon. En France après 10 séances secrètes, Briand, aux Affaires étrangères, Ribot Finances, Lyautey Guerre, Lacaze, Marine, Thomas, armement & munitions, Viviani, Justice, I.p Intérieur : Malvy Travaux publics, transports et ravitaillement : Henriot. Agr. Ind. Commerce, Travail. […] Clémentel Colonies : Doumergue. S. Secrétaires d'Etat : Godart Service de santé blancville : transports Loucheur : fabrications de guerre. Cambon Secrétaire au Ministère des Affaires étrangères.

Le Général Joffre reste généralissime, à voix consultative au Comité de Guerre. Le général en chef est Nivelle avec de Castelnau et Foch comme seconds Sarrail reste général en Chef de l'armée d'Orient. L'amiral Gaucher remplace l'amiral Dartige. On regrette le départ de Painlevé et de Roques. Ainsi constitué, le Ministère se présente devant la Chambre qui adopte par 315 voix contre 165, l'ordre du jour de M.Roden : La Chambre approuvant les déclarations du gouvernement et confiante en lui pour poursuivre énergiquement la conduite de la guerre et repoussant toute addition, passe à l'ordre du jour.

Pendant ce temps, Konstantin nous tape dans le dos plus ou moins ouvertement et les Roumains reculent toujours pour rejoindre les Russes derrière la rivière Bozeü.

L'Angleterre porte ses effectifs à 5 millions d'hommes.

  • 128 divisions allemandes sont sur le front occidental.
  • 106 [divisions] sur le front russe dont 65 All. 39 Au. 2 Turques
  • 29 [divisions] roumain, dont 12 All. 11 Au 4 Bulg 2 […]
  • 12 [divisions] macédonien, 3 All. 9 B 1 […]
  • 33 [divisions] autrichiennes sur les fronts italiens et albanais.

On se demande si Falkenheyn ne se dirige pas sur le front macédonien pour forcer la main à Konstantin Bet[…]an Holweig dans un discours pompeux au Reichstag offre la paix par l'intermédiaire des neutres, mais il n'en fixe pas les conditions : c'est un piège grossier. Cette note a pour but de faire une impression politique en Allemagne afin de permettre au gouvernement de demander de plus grands sacrifices au peuple et, en cas de refus, de pouvoir recommencer la guerre sous-marine à outrance, même si l'Amérique menace, l'Allemagne de déclaration de guerre.

Cette offre de paix sera évincée, et on nous parle déjà de terrorisme : bombes remplies de germes. !!! 400 sous marins bloqueraient l'Angleterre.

20 000 rapatriés doivent rentrer en France et être répartis dans différents endroits désignés d'avance. Ceux qui réclament des parents doivent produire un certificat d'émargement.

16 Décembre 1916

À ce qui a été relevé hier, il faut ajouter ceci : S.Secrétaires d'État. Inventions : J.L Breton Marine Marchande : M. Nail. Finances Métin. Blocus : Cochin. Justice et Inst. P : Dalisnier Economie nationale : M. Roden . J'envoie de suite à ce dernier la lettre suivante : Permettez à l'un de vos anciens électeurs de vous transmettre respectueusement, mais simplement, ces [quelques] mots :

Étant de passage à Avesnes le Cte, en octobre 1914, je lus une affiche de la dernière période électorale ; il me semble avoir relevé ceci : il nous faut une armée forte, principalement sur notre frontière du Nord, où une invasion de l'ennemi est toujours à craindre. C'était signé : Roden et je m'en étonnai nullement ; je fuyais alors devant l'invasion.

Aujourd'hui, il m'est permis de présenter mes modestes mais sincères félicitations au Député devenu Sous Secrétaire d'État. J.Lesieux ex Inst. à St Pol, de V. et d'O.

2) Si Constantin 1er ne cède pas, la rupture diplomatique sera immédiate. Il a l'air de vouloir céder.

3) Un coup de main heureux sur Verdun réussit. Conçu par les généraux Nivelle, Pétain, 4 divisions [françaises] avec Mangin Maud'huy enfoncent la ligne allemande sur une largeur de 10 km et une profondeur de 3 km ; nous faisons 9.000 prisonniers, dont 250 officiers ; nous prenons 81 canons de tous calibres. Aux offres de paix, comme dit Hervé, nous répondons « aux boches » le mot de Cambronne

Un lundi

7h25 : J'arrive au bureau. Mon Carpentier est toujours là en train d'établir son bon de fourrages : Pas un mot à mon adresse : c'est l’habitude. Maître Gilles ou Gillis arrive à son tour : même mutisme. Ces messieurs vont à l'appel du matin, et n'admettent pas que j'en sois dispensé. Ces messieurs sont des égalitaires. L'abbé arrive après sa Messe : il a le cafard et c'est lentement qu'il relève les vivres en nature, le gras double, le lait concentré etc. Le platon Moyau qui a fait une sacrée noce la veille n'a pas balayé le bureau les langues se délient ; mon C. a été ramené dans sa chambre comme d'habitude ; il s'est retrouvé dans son lit ce matin toutes ses conneries de la veille le font sourire plutôt qu'autre chose ; il ne se souvient d'ailleurs que de peu de chose. Les pipes s'allument. Le bureau de la tabagie. 8h : Arrivée des dames, et lecture des journaux. Aux situations, le Capitaine a adjoint Mmes Magastoux, Carnin et Melle Dubois. Ce comique C. se démène comme un beau diable : il a fait mettre sa poule » à la correspondance ; il n'entend pas qu'elle fasse des situations ; pour être sincère, il n'a pas pu il y a 9 mois lui donner les situations du Dépôt ; il m'a trouvé sur son chemin. Cette « fouine » qui a nom Maga doux n'est elle pas venue au bureau hier dimanche pour demander à son chevalier d'amitié ce qu'il fallait faire pour lever la consigne sur le restaurant de sa mère ? On met donc Carpentier à la porte comme un petit polisson, une mauvaise langue et quand le café est consigné on va lui demander conseil.

On parle de partir en permission pour faire la nique au chef. Mon C. est surexcité. Des potins, des cancans toute la matinée. Ces dames se mettent bravement aux situations. Mme Magadoux qui ne voulait rien savoir la veille, prend, avec profit d'ailleurs, les leçons de M. Gillis toute la journée. Mme Carmin est perdue dans ses rations « Cuisson ». Une nouvelle secrétaire est arrivée au bureau du haut : le chef Cottigny n'avait-il pas demandé à être relevé samedi, parce qu’on lui avait retiré 2 dames ? Petit va-t-il prendre ma place ? Vais-je passer Brigadier ? Le Capitaine doit aller à Angoulême et voir le Gal Abinal ? En cas de départ du Chef, il faut quelqu'un qui ait de l'autorité m'a dit Coppée : je lui ai répondu que je n'en avais aucune si je n'étais pas gradé. Nous verrons ! Faut pas se la faire. J'écris des lettres, je rédige mes mémoires, je copie des morceaux d’auteurs choisis, etc. Il faut tuer le temps, en dehors de son travail. Il pleut : la 63e Batterie arrive au Dépôt avec tout bon matériel. Les literies reçoivent toute l'eau. Mervaud Delcourt vient nous voir à 5 heures ; je le ramène à son cantonnement à 8h, impasse du ruisseau ; Quelle bidouille à La Braconne ! Ici, quelle humidité ! J'ai des souliers qui prennent l'eau ; quand j'ai chaud, j'ai les pieds gonflés et des engelures. À 9h, je me couche, toujours le premier, après avoir lu « le Matin ». Le chat de chez Magret nous tient compagnie.

Une Visite

Le 22 Décembre, visite sanitaire mensuelle. Il n'y pas un mois que nous avions passé cette visite ; avec l'histoire de Radez et de Meurisse et la décision qui disait que le Major devait profiter de la visite sanitaire pour constater la santé générale des auxiliaires, on se demandait ce qui allait se passer, et on était dans l'appréhension et dans l’énervement ! Et tout s'est bien passé.

M.le Major nous fit un exposé des maladies vénériennes qu'on peut contacter après avoir eu des rapports sexuels avec une femme qu'on croit être contaminée. S'il y a échauffement, écoulement de pus, au bout de 8 jours c'est la blennorragie ou goutte militaire ; alors, il y a lieu de prendre des injections de permanganate de potasse. S'il y a rien qu'un petit bouton ou chancre mou sur la verge, c'est la syphylis, il faut appliquer une couche de pommade Mechnikoff ; ces traitements sont des palliatifs et non des curatifs si on les applique trop tard. Donc, tout homme ayant eu des rapports avec une femme qu'il croit suspecte, n'a qu'à venir le lendemain à l'infirmerie, où un traitement de circonstance lui sera appliqué ; la chose se passe à Angoulême, pourquoi ne se passerait-elle pas à la Rochefoucault. Commence alors une visite qui n'est visite que pour la forme. Mon Carpentier a vous pété ; question de service, question de pudeur, etc. Vous n'avez donc jamais vu de femme depuis que vous avez quitté la vôtre, répliqua le Major ? Non !! Voila un non qui manque un peu de sincérité ! Encore une séance de passée.

Les amis à la Roche…

Très peu de fréquentation ! Aucun rapport avec le Directeur de l'école : Bertrand. Je ne connais pas l'Adjoint Tarda qui a cependant son fils au Collège avec Jean. Des instituteurs retraités ? On ne fait qu'en entendre parler ! Il est joli l'esprit de solidarité dans le corps enseignant. Le bavard a voulu que nous connaissions Mme Delage parce que son petit est le camarade de Julien. Là, nous trouvons de l'amitié, toute faite de franchise.

Madame est une femme très intelligente, énergique qui se plait certainement à recevoir les gens du Nord : Mr. les docteurs Remy et Baudet, le [maréchal] des logis Coppée, le capitaine Deffrenne. Son mari, professeur, est au front à l'Intendance. Il y a bien aussi Mme Gendron dont le mari est également professeur. Cette femme, toutefois, a la conversation moins agréable et je trouve ridicule qu'elle ose nous dire ceci « comment ! Vous touchez votre traitement ? » Son mari, service armé, est Adjudant … dans un hôpital d’une plage à la mode. Elle s'occupe un certain soir de calculer la retraite militaire que lui laisserait son mari s'il venait à être tué : il faudrait d'abord qu'il aille au front et qu'il soit officier, madame !

Ma femme va à l'épicerie chez Noailles, chez Ferrer, et à l'Alimentation du centre, à la boucherie chez Bertrand, à la boulangerie chez Michaud à la cordonnerie chez Richeboeuf. On parle à l'occasion, avec les voisins : Me Courbain, Mme Précieux (pas sa fille, trop fière) Mme Magrez chez Montaricourt. On se rencontre aussi parfois avec Mme Mantoux institutrice : et c'est tout.

Le collège

Il y a ici un collège communal installé à la Rochefoucauld. Le Principal est M. La Bracherie, excellent homme, mais un peu mou vis-à-vis des élèves qui en prennent à leur aise au point de vue discipline. Le Collège, ancien cloître, sert lui-même d'hôpital temporaire ; on y loge 5 ou 6 blessés ; il est vrai qu'il y a un personnel de 45 hommes ou femmes pour vaquer ... ô combien aux besoins du service. Le 1er Octobre 1916, les classes recouvrent leur ancienne destination ; les blessés sont cependant plus nombreux et les 27 inutiles qui, au moins, entraient dans le personnel de service, sont remplacés par des Annamites, des Tonkinois, soit-disant infirmiers, à la solde de 0,75 par jour. M.Labracherie fait place à Mr Ducos_ Melle Treffaudier remplace Lareng, embusqué à titre civil dans une Trésorerie M.Moreau est soldat. M. Bonne a trouvé mieux : comme réformé, il est allé enseigner à la Martinique. Mr Prado quitte également : restent M.M. Varin, Tenot, Pascaud 3 excellents professeurs. M.Varin, ex-professeur du lycée de Nancy, réfugié, initie Jean aux beautés de l'algèbre Mr Tenot est ennuyé par son « repassage » dans le service armé ; sa femme professe à Chatellerault ; il se montre strict en latin, en français. Pascaud, service auxiliaire pour blessure, est un primaire : c'est assez dire. Le Principal enseigne l'Allemand. Les camarades de Jean sont Marchasson, Bonnin, très fort pour aller à la pêche. Ses condisciples sont Tardat, Lecla[…]re – Gauthier, Tetot, Varrache.

1917

Le Nouvel an

C'était dimanche le 31 décembre et à 10h. du soir je quittais la 62e pour affaires de service et de clôture de fin d'année en joyeuse compagnie ! Beaucoup de travail vraiment ; alors il faut courir pour faire coller les situations et courir pour prendre un verre. Le lendemain, on s'est donné rendez-vous au café de France à 5 heures.

À 3h, je bois un verre de nouvel an avec les bleus c'est-à-dire avec Laigle à la buvette de la gare, et avec Legrand, Mille et Delcourt chez Ratier : c'est le commencement, et le matin on avait déjà vidé 2 litres de blanc chez Lavenac. À 4h, mon Carpentier offre les cigares et une boite de bonbons de … 5f à Françoise, chez Bertranet. Puis, c'est le vin blanc ou rouge à l'hôtel du Commerce. Mon Carpentier, comme la veille, montre des signes de lassitude et de vive appréhension, car sa belle Louise doit venir au rendez vous : ce n'est plus qu’une loque, une épave quand je lui cède ma place dans le salon réservé de chez Martinetti ! […] apéro, vin blanc vieux, vin blanc mousseux, mais on oublie le souper. On reconduit l'amoureux chez Mayoux ; on plaint et on blague le pôvre homme. On se décide je ne sais comment, d'entrer chez Montaricourt, alors que grand'mère n’avait pas voulu admettre Carpentier dans notre société. Maître Gilles joue de déveine : alors que précédemment, il avait été pris à parti par Joubarroux, cette fois c'est Patin qui l'invective de la plus belle façon pour une vieille histoire de bureau ! Bref, j’échoue avec Moyaux au café des sports devant une chopine de mauvais vin et chez Léger où je n'avais pas mis les pieds depuis 6 mois et où Mme Delage me voit à 9 h 1/2 du soir. Le nouvel an ne finit pas dans la joie. Ma femme n'admet pas qu'on s'amuse entre copains et ce sont des reproches … immérités.

Les gradés auxiliaires

Il y en a très peu et alors qu'un Canonnier du service armé passe d’emblée [brigadier] Puis Logis par simple ordre du [commandant], pour les Sax [Services auxiliaires], il faut l'avis du chef de service, du Cdt, du Général et de l'Artie et du Général Cdt la Région. J'ai été proposé pour passer Br. par le Cne Brémont, et présenté au général Abinal par le Lt Cel Vaché. Rien, sous le prétexte que j'étais instituteur ? Nous étions 5 présentés. 1 seul, Patyn fut nommé Brigadier ; il passera logis fourrier en cinq sec… et sera chef de la 62e ; c'est juste. On grade Delebois, secrétaire de la 64e, un Récupéré : c’est juste et Bailleul. Br. à la 62e : encore juste. Mais alors et mon tour.

Le 13 Février, Brémont envoie le rapport suivant sur mon compte

Secrétaire Comptable digne des plus grands éloges. Depuis la formation du 101e est chargé de la vérification des pièces administratives des Bies de Dépôt et de la mise au courant des nouveaux secrétaires comptables. Tache très ardue surtout au point de vue de la vérification des situations admives qui sont, la plupart du temps, un tissu d'erreurs. Lesieux n'a jamais ménagé ses peines, travaillant après la fermeture des bureaux. Le Cne Trésorier serait heureux de voir récompenser par la nomination de Brigadier cet homme d'un esprit militaire très élevé, très travailleur et qui rend de grands services dans ses fonctions. Attendons !

Lettre du front aux bourgeois parisiens

« Fini le pain de fantaisie

Le pain doré, le pain gâteau.

Le pain de l'aristocratie

C'est le régime du pain bouleau

Cré bon Dieu ! Les gens de l’arrière

Vous pouvez bien souffrir aussi.

Ça vous f'ra voir qu'on est en guerre.

Allez, bouffez du pain rassis !

Eh quoi ! cela vous met en rage ?

Ça va vous abîmer les dents ?

Pauvres mignons, c’est bien dommage !

Y vous faut du pain croustillant ?

Si dans Paris y avait les boches,

Si leur coup avait réussi,

Vous fabriqu'raient-ils des brioches ?

Allez ! bouffez du pain rassis.

Ça n’est pas beau sur une table

[…] de dentelle et de fleurs ?

Ça vous donne un air misérable ?

Çà choqu’dans un bel intérieur ?

Si l’on bombardait votre ville,

Si cà sentait partout l’roussi,

Vous n’seriez pas si difficiles.

Allez, bouffez du pain rassis.

Nous, les poilus dans les tranchées,

Croyez vous qu’on a des p’tits fours ?

On nous sert, comm’bombes glacées

Des quatre cent vingt tous les jours


Mais nous leur donnons la réplique.

Sans çà, bourgeois dis-toi ceci :

A c’t’heur’ vous boufferiez des briques.

Vous plaignez pas du pain rassis.

Oser parler de vos misères,

Vous qui dormez dans un bon lit

Vous qui vivez loin de la guerre,

Loin du repaire des bandits !

Taisez-vous ! Gardez le silence !

Devant ceux qui se sont battus,

Ne parlez pas de vos souffrances :

Vous feriez rire les poilus »

Montebus

À propos des prisonniers boches – Prose de M. Cotelette

MM. les Boches n'étaient pas contents. La nouvelle de la rupture des relations diplomatiques entre l'Amérique et l'Allemagne nous fut apportée lundi par les journaux du matin. Justement notre équipe de boches, gras frais et roses comme des embusqués et qui se pourront se vanter plus tard d'avoir passé ici un hiver très supportable bien à l'abri et sans grande fatigue, au contraire de ce que sont les nôtres en Allemagne, messieurs les boches donc étaient occupés à casser la glace dans les caniveaux lorsqu'ils furent à même eux aussi de voir cette nouvelle, qui figurait en gros caractères sur les journaux. Ce fut leur interprète, établi peintre en France avant la guerre, en qualité d'espion, qui traduisit cet incident à ses camarades et à son chef, un bellâtre plein de morgue insolente, officier dans la garde impériale.

Est-ce cette nouvelle qui mit en rage M.l’officier ? Toujours est-il qu'on le vit sortir et allumer un gros cigare, regarder les passants d'un air de défi et, les mains dans les poches, aller poser aux devantures des magasins détaillant leur contenu.

À l'une d’elles était exposé, ouvert à l'une des scènes de barbarie qui se sont passées en Belgique. Le livre rouge des atrocités allemandes, représentant une scène où des officiers boches crevèrent les yeux à des vieillards inoffensifs.

Cette vue eut le don d'exciter l'hilarité de M.l’officier et de l'une de ses épaisses brutes sous ses ordres .. mais cet accès de gaieté fut de très courte durée car le commerçant dans des termes appropriés pour la circonstance, se chargea de rappeler à un peu plus de pudeur monsieur l'officier boche qui, rouge de fureur contenue, s'en retourna au milieu de ses hommes.

Si MM. les boches gardent le souvenir de miranderies, de chatteries et de prévenances que l'on reproche, à tort ou à raison, à diverses personnes, Monsieur l'officier boche, blessé dans son orgueil de Teuton qui se croit au-dessus du commun des mortels, se souviendra certainement aussi de l'algarade du 5 février 1917. Pour ma part, j'aime mieux ceci que de leur offrir des douceurs.

La mise en sursis des membres de l'enseignement

Le corps enseignant primaire présente un déficit de 857 maîtres sur le personnel de l'an dernier. Dans ces conditions, nous avons le droit de dire que la situation de l'enseignement, loin de s'améliorer, va empirer, au cours de la présente année scolaire, si le gouvernement ne prend pas d'urgence la décision que lui dictent en même temps l'intérêt général et le simple bon sens…

Une seule considération prime toutes les autres : où le professeur et l'instituteur R.A.T auxiliaires sont-ils les plus précieux les plus indispensables ? Est-ce au régiment, où les emplois sédentaires qu'ils occupent peuvent être du jour au lendemain, tenus par le premier venu ? Ou est ce dans leur classe, dans leur école ? La réponse n'est pas douteuse.

Les Amicales de la région parisienne ont fait des démarches auprès du Ministre de l'I.P (Instruction publique] et la commission de l'enseignement.

Attendons la parole de Lyautey. À propos des exemptés et réformés, il va décider si ces messieurs plus ou moins embusqués vont rester chez eux en sursis d'appel jusqu'au 31 Juillet, mais alors, du même coup, il va falloir aussi mettre en sursis les R.A.T, inaptes et auxiliaires des dépôts. Mais nous sommes désormais aptes à aller au front, et l'on va nous retenir comme indispensables ; comment va-t-on concilier tout cela ?

La paperasserie - Demande d’évacuation d'un cheval

1° Demande signée par le Vétérinaire chargé de ce service.

2° ‘’ par le [capitaine commandant la batterie]

3° Avis favorable : chef d'escadron.

4° Transmis par le Colonel

5° Vu et transmis par le [général commandant] l'armée

6° Etat Major du 1er C.A au Quartier général-

Autorisation accordée par le chef d’Etat-Major.

7° Renvoyé au Colonel Cdt_ du Groupe Tardy

8° Reçu du 101e un cheval.

Sailly Laurette le 13 [septembre]

Le Chef de l'établissement

À propos des SA-x

Ne recruter pour les services importants de l'armée (intendance, recrutement, renseignements, bureaux des trésoriers) que des femmes capables. On peut les trouver. Encadrer ce personnel féminin par des auxiliaires bien au courant du service. Il y en a partout qui sont là depuis bien longtemps. Ce cadre, il faut le maintenir absolument. Il faut donner à ce personnel, qu'il soit gradé ou non, l'assurance qu'il restera jusqu'à la fin des hostilités à son poste. Comme on est susceptible d'être balancé tous les jours, on ne s'intéresse pas à ce que l'on fait. On ne rend pas le maximum. Les services de l'armée sont des immenses maisons de commerce et d'industrie ; il faut conserver le personnel au courant ; c'est une cause du succès. Qu'on nous donne un statut définitif bien garanti… ! Ce statut … définitif… bien garanti n'arrivera jamais. Le lundi 19 Février, une visite rapide colle 102 auxiliaires aptes pour partir au front ; va-t-on distraire de leurs fonctions ces 102 Sax ; il y en a bien tout de même [quelques-uns] qui sont indispensables.

Les Auxiliaires gradés

Nous avons ici comme gradés : Canonne, Delebois, Gérard, Patyn, Bailleul, bien que proposé depuis 9 mois, je n'arrive à rien. Pourquoi ?

On ne grade plus les SAx qui n'ont pas été au front et je n'ai personne à commander au Bureau, dit maître Gilles ! Bref, le Cdt Maury a tranché la question : il m'a nommé 1er jus avec Moreau, Corduan, Jeannot et Dubois.. le perruquier lampiste, Directeur des Concerts du 101e. Attendons. Il m'a été toutefois obligé de constater qu'à ma rentrée de permission j'ai dû refaire le travail des gradés .. en mon absence.

Le 1er […] Gérard arrive en fin de trimestre avec un trop perçu de 200f ; sa mutation est simplement portée du côté n'affectant pas l'effectif, ce qui est inexact ; on a quand même retiré un Brig.er, sans mutation, à l'effectif.

Quant à Canonne, sa mutation a subi 3 rectifications :

1° Elle a été portée du côté n’affectant pas l'effectif

2° Elle porte un rappel en D. de 4 journées au lieu de 3

3° Ce rappel n'est fait que pour la solde, il y a aussi à y ajouter les vivres puisque Canonne est à la s.m à partir de sa date de nomination de [maréchal] des Logis.

N'est-ce pas que c'est amusant à constater ?

Il est vrai que Canonne n'a jamais fait de situation et que, somme toute, ces gaffes ne diminuent en rien son mérite ; quant à Gérard, c'est autre chose. On l'a gradé ; va-t-on l'envoyer ailleurs et le remplacer définitivement par Waterlot ?

Le jour de Pâques 8 avril 1917

Le personnel au Bureau du Trésorier est remanié ; est-ce pour la dernière fois ? Le Bureau du haut est transféré au bureau de Mon avec Cottigny comme chef. Mme Carnin et Magadoux ont été remerciées pour histoires de femme. Mrs Gillis & Vandermersh sont remerciés et passent à la 64e. Quel emploi vont-ils y tenir ? Reste alors Carpentier qui part au bureau du haut avec son service.

Mon bureau est ainsi composé : Chef Viel ; sous chef ?? Lesieux chargé de faire l'eunuque avec Melles Bridoux […], Melle Mondoux […]. Mme Jousseaume […], Melle Vidy […], Melle Dubois […], Melle Magret […].

Comment ces dames vont-elles sans tirer ?

Le jour de Pâques je vais avec Jean faire des fouilles aux grottes de Roche Berthier.

Le lundi, je suis de service l'après-midi.

Il pleut d’ailleurs.

Le planton Mesmaker va passer secrétaire chez nous.

Les instituteurs en sursis

Le 14 Avril 1917, seulement, on sait à quoi s'en tenir.

1) Les S.A.X R.A.T seront mis en sursis dans le courant de ce mois. La mesure entrera entrera en application dans les délais les plus brefs.

En effet : Carpentier dit que son ordre de mise en sursis est arrivé. Le [commandant] ne s'y oppose pas, mais le [capitaine] Trésorier lui dit de rester pour mettre son successeur au courant : comme le travail abonde, comme le successeur. (un gendarme retraité) n'est pas à la hauteur de la tâche, comment Carpentier va-t-il s'en tirer ? Il a accepté de rester un moment encore, mais il le regrette aujourd'hui.

2) Les instituteurs récupérés versés dans les S.A.X à la suite de la loi de février 1917 seront maintenus à la disposition du Ministre de l'I.P jusque la fin de l'année scolaire autrement dit jusqu'au 1er Octobre ; si à cette date en effet, on laisse ces embusqués encore chez eux, il y aura matière à réclamation.

3) Ils seront remplacés au mois d'octobre par des maîtres appartenant aux classes 1888 et 89 : on dit par des maîtres.

Que fera-t-on placer dans les pays libérés d'ici là ?

Attendons, et n'oublions pas que nous sommes en guerre et que, pour beaucoup, la seule chose à envisager c'est que tout le monde doit aller se faire casser la g. au front.

La reprise de la vie économique

Le [capitaine] Dorchy, directeur des officiers experts, envoie la lettre qui suit à M.Decamp, Prst du Comité des réfugiés de l'Aisne. L'accès de la zone des armées est, en principe, interdit à tous. Exception sera faite pour les fermiers et propriétaires exploitants qui pourront travailler utilement.

Il faut donc être exploitant et pouvoir travailler utilement. Une entente interviendra facilement entre l'armée et les préfets en ce qui concerne l'utilisation des bonnes volontés.

Pour se rendre dans les villages libérés

Les habitants qui désireront rentrer chez eux pour des motifs graves et urgents et pour 24 heures devront adresser aux préfets dans les ressorts desquels se trouvent les localités des demandes de sauf-conduits. Ces sauf-conduits seront délivrés par le Préfet pour tous les moyens de locomotion autres que les automobiles.

Les localités actuellement visées sont celles qui font partie des cantons de Ribécourt, Noyon, Lassigny, Roye, (Nesle, Chambres et Péronne) à l'ouest de la Somme…

La vie chère. 15 avril 1917

Avant la guerre Pendant la guerre : 15 avril 1917
1 Kilo de pain : 0, 4 francs 1,2 francs
1 ‘’ de viande pot au feu 1,60 2,5
1 ‘’ de pommes de terre 0,15 0,5
1 ‘’ de sucre 0,70 1,6
1 ‘’ de café 5,40 7
1 ‘’ de pâtes alimentaires 0,70 2
1 litre de bière 0,20 0,6
100 ‘’ de charbon 3,00 15
1 complet pour homme 60 80
1 paire de chaussures 25 44
1 chemise : 3,00 4,5
Total : 100,15 158,9

soit 58f,65, soit 66% de la vie actuelle sur la vie d'avant la guerre de Majoration ?

Le pain

La vente des petits pains et pains de fantaisie est interdite. Le pain ne peut être vendu que 12 heures après sa cuisson.

La vente au poids est exigible. Prix : 17 sous la couronne de 3 livres.

Le blé vaudra 40f, mais la déclaration des céréales deviendra obligatoire, car le cultivateur ne touchera 40f que pour la quantité déclarée. L'augmentation du pain de 8 à 9 centimes par kilo qui en résultera (le blé vaut 33f) sera supportée par l'État.

On va bientôt fixer le taux des mélanges de farine du blé, et taxer alors l'orge, le seigle, le maïs, le sarazin 25% ;

Gâteaux

[8]À partir du 15 avril sont interdites sur tout le territoire la mise en vente et la vente de toute pâtisserie fraîche c'est-à-dire de celle qui doit être consommée dans les 4 jours de sa fabrication. Sont maintenus la vente des pains de régime, des pains à soupe et des pains briés.

Fourrages

Le son ne pourra être vendu ou réquisitionné aux moulins à un prix supérieur à 21f les 100kg. L'avoine ne pourra être vendue plus de 31f les 100kg. Paille de blé : 16f les 100kg paille d’avoine : 12f ; luzerne 28f foin 28f_

Ici Avoine : 15 et 16,50 les 50 kg

Maïs : 32 et 34f l'hl

[…]ez des pommes

Pommes de terre Suisse 8 et 9f Beauvais 12 et 13f

Saint Jean 12 et 14f l'hectolitre. On n'en manquera pas dit-on.

La viande

[9]Fin Mai : Bœuf : le kg : de 9f le filet à 3,60 le collier et 3f le pot au feu

Le veau : de 8f la noix jusqu'à 3,40 le collet.

Le mouton : 6f,40 le gigot à 3,60 la poitrine. Le porc : 6f le saindoux 5,60 l'échine à 3,80 jambonneau de devant.

Poids vif : Bœuf : de 2t,24 à 3t,22 Vache : 2t,14 à 3,24_

Taureau : 2t,38 à 2,80_ Veau : 1,90 à 3,80 Mouton :3t à 4,90

Porc : 3,28 à 4,20_

Un porc gras vaut ici 250f Un nourrain : 230f un porcelet de 45 à 75f ; un mouton de 50kg 60f un agneau 65f_

Bœuf de harnais : 2050 et 2250f la paire.

Poulet : 1,70 la livre Lapin : 1,50 le kg Œufs : 1,60 la douzaine

Le beurre et le fromage

Ils sont taxés, ce qui amène forcément la disparition de cette denrée ; on l'a taxé 3f ; on l'a vendu 4 et 4,50 la livre. Le petra engraisse désormais des veaux.

Qu'on ne taxe pas ces marchandises et surtout le lait. Le lait est taxé 0,22f le litre ; une vache en donne 10l par jour ce qui fait pour 2,25 et ladite vache coûte en ce moment 4,50 par jour pour sa nourriture.

La taxe sera levée au 1er Mai ; d'ici là on épurera.

Les fromages cuits ont disparu. Nous mangeons le petit fromage blanc, de ferme, à 7 sous ; le beurre vaut 18 sous les 125 grammes ?

Le riz

Il se raréfie et ne cesse d'augmenter ; cependant, des stocks importants encombrent les ports de Marseille et de Bordeaux.

La vie chère

À Angoulême, les revendeuses vendent les choux et les carottes à 0f,80 le kg ; or l'autorité militaire les achète 0f,30 le kilo.

Les légumes

[10]Ces légumes se vendent 4 et 5 fois plus chers qu'ils ne valent ; un gros producteur a consenti le prix de 15f les 100kg ; nos ménagères les achètent jusqu'à 80f.

Essence

Règlementé pour les automobilistes ; carte pour le consommateur

Huile de pétrole : 43f l'hl à Rouen

Essence 76,50 l'hl à Rouen

Semez des pommes de terre !

Pour les soldats ! pour la France ! dit le Ministre de l’Agriculture !

Le Gouvernement a décidé de supprimer la taxe sur les pommes de terre il y a bien de démasquer les agissements des spéculateurs qui vont Jusqu'à réaliser 3000f de bénéfice, sur un wagon de 10000kg de pommes de terre.

Les affameurs achètent au producteur des pommes de terre, dites de semence, un ou 2f de plus cher que la taxe. Ces pommes de terre sont ensuite expédiées dans les grandes villes où on les paye de de 60 à 65f les 100kg ; d'autres sont expédiées en Suisse (directement de cette, de St Nazaire, de Bordeaux).

On expédie aussi énormément en Hollande, en Danemark. La Hollande qui n'expédiait rien en Allemagne en 1913, a expédié en 1916. 8800 tonnes de patates en .. Allemagne.

Le voila bien le blocus.

Le sucre

Nous avons notre carte de sucre jusque Février 1918 : 3kg par mois, 3 coupons de 1kg par mois à détacher.

Il donne droit à 750gr. de sucre par personne et par mois.

Comme je suis au prêt franc, je touche mon sucre. Et désormais l'on trouve du sucre, du sucre cristallisé le plus souvent.

Le pétrole

Il vaut 0,65f le litre, et quel pétrole ; on en trouve difficilement.

Le sel

Il manque par place ; 0,35 le kg.

Le charbon

Nous achetons du coke à 4,50 le hl, à l'usine à gaz. Comme celle-ci est fermée, on brûle du bois. Jean et Julien sont réquisitionnés chaque jour par la maman pour aller ramasser du bois mort qui brûle très mal ensuite à cause des cheminées mal agencées.

Chocolat

Le Meunier vaut 1,60 la demi-livre : la vente est interdite pendant 2 jours par semaine, mais ma femme l'ignore.

Divers produits

Alcool à brûler Introuvable ; 3f le litre

Chicorée 0,40 le paquet de 100gr. : chicorée de Petite Synthe

Café 17 sous le quart.

Vin 1,20 chez le débitant ; 1f chez le commerçant au lieu de 0f,40 il y a 2 ans.

Bière 0,60 chez le débitant ; 0f,35 à la salle de récréation

Savon 18 sous le gros morceau. Le savon est inconnu.

L'alcool Il est prohibé depuis longtemps. On boit ici un café pour 7 sous chez Montaricourt, 0,3f un cognac chez Martinetti ; dans vos régions du Nord on paie la bistouille 4 sous quand on en trouve. L'importation des alcools est prohibé à titre absolu.

Entrée libre Animaux vivants, viandes, graisse, œufs, lait, fromages, beurre, miel, poissons, Céréales, semoules, pâtés, légumes secs, coton, lin, chanvre, nombre de légumes, matières premières, produits fabriqués nécessaires à l'existence.

Entrée réservée Volailles truffées, conserves de gibier, plumes de parure, huîtres, homards, fruits primeurs, sirops, bonbons, parfumerie, linges fin, dentelles, bijouterie, appareils photographiques, cheveux ouvrés, les yachts.

Les voitures de commerce, vélocipèdes et automobiles feront l'objet d'un arrêté spécial.

Pour que revivent les arbres fruitiers

Les arbres fruitiers des régions envahies ont été sciés par les Allemands. Beaucoup pourront encore être sauvés, si avant le 15 Mai on peut les greffer en couronne. Les greffons doivent être coupés avant le départ des yeux ; à arbre poussant, œil donnant dit Forest.

Pommiers : Fréquin rouge, […] Legrand, amère de Berthecourt, Martin Fessard rouge bruyère, pomme de Bra[…]ot, Bedan des Parts, peau de vache. Marin Suffray, chataignier, court pendu.

Poiriers à cidre : Carisi blanc, poires de souris.

Pruniers : Quetsche d'Alsace. Les greffons sont centralisés aux pépinières nationales de plants de Trianon, gare Versailles chantiers.

Les bleuets de la classe 1918

Voila Albert et Serge militaires ; qui eût dit cela en août 1914, alors que je m'étais permis de dire à Alice qu'André était appelé à partir par la suite.

Comme bleus au 101e [classe] 18, j'attends l'arrivée de Dulary et de Gallet d'Ostreville, le même qui me disait dernièrement qu'il aurait bien voulu être au 101e. Specq de […], Houillier de Beaurains, Duprez et Lefranc de Saint-Pol, Théret de Brias, Déclocquement de Le Souich.

Permissions exceptionnelles N° 10.017K. Les militaires dont les parents viennent d'être délivrés de l'occupation allemande pourront bénéficier d'une permission à titre exceptionnel conformément aux dispositions de l’article 4 de l’instruction 9

2°. 249K du 28 Janvier 1917 relative aux congés de convalescence et permissions. Les demandes pour se rendre dans les localités reconquises doivent être adressées pour décision au Gal Cdt- en chef au […]. En conséquence les intéressés adresseront leurs demandes au Chef d'Escadron Cdt le Dépôt qui fera le nécessaire pour les faire agréer.

Ceci n'est point pour ceux qui voudraient rentrer dans leur pays, débarrassé, alors qu'il n'y a aucun parent de libéré.

7 mars 10h. Il pleut à siaux ; heureusement que je suis bien vêtu. […] dit bonjour à Gillis au carrefour des 4 rues ; Dubois et Carpentier sont à la gare ou j’attrape la cliche en arrivant ; pourvu que ça ne reprenne pas dans ce wagon vieux système.

Peu de monde dans le train. Il pleut. « Saillat Chassenone ». En voilà un patelin ! Une usine à droite ! Papeterie ?_

Paysage joli ; vallée de la Vienne, bordée du coté nord par des coteaux boisés ; du coté sud, je ne distingue rien.

La ligne longe parfois la rivière même ; la flotte « en plein ».

Le terrain est humide ; les labours sont faits billons et le blé, le trèfle poussent sur des mottes à la façon des pommes de terre ; système de drainage à ciel ouvert.

Les pâturages sont sillonnés de rigoles qui suivent la déclivité du terrain. Les jardins sont bien entretenus du moins dans le voisinage des gares, fait constaté partout ailleurs, en général.

On traverse la Vienne cette fois ; rivière large plutôt rapide, au lit parsemé d'îlots, de rochers, de vieilles souches, avec des cascadelles assez nombreuses.

10 heures. Il pleut toujours dans le compartiment, 4 femmes et un poupard  ; la voisine d'en face lit un roman de la collection à 0,65 ; j'engagerai bien la conversation mais je ne suis pas loquace et je tiens à me reposer tout en observant le paysage.

À gauche, la Vienne. À droite, le roc : des chênes rabougris, des genêts, des genévriers, des fougères et des ronces.

Un tunnel. J'ai traversé les monts du Limousin, sans avoir eut toutefois la même aventure que celle que j'ai racontée dimanche dernier, au couvert. Il y a bien le gosse aussi, mais bon D., c’est la guerre.

Aix-sur-Vienne cette fois, c'est la plaine : des troupeaux moutons ; la pluie va-t-elle cesser ? Encore un tunnel ! Et Limoges Montjovis.

Vivement la descente, car il fait frais.

Midi- Dans un train pour Paris. Vas-y ! ou plutôt dans la guerre d'un train stationnée sur une voie de garage, guerre qui sera rattachée à l'express venant de Toulouse.

Limoges ? bien moche ! Une simple rue avec un holley comme perspective en sortant d'une gare qui rappelle en petit les abattoirs de Chicago.

J'étais très gêné en arrivant, par un besoin d'uriner. Les pissenlits, n'est-ce-pas ? J’ai mangé un œuf avec pain et beurre et bu une canette de bière, épatante ma foi.

J’ai dépensé 16 sous pour de cartes illustrées.

Il était temps que je me restaure. Le café restaurant buvette où je suis allé est bien placé pour faire du commerce mais les tenanciers sont bien peu agréables vis-à-vis du soldat de passage.

2h soir. Encore des tunnels ; je viens de faire un somme je crois que l'express vient de brûler La souterraine ; dans le compartiment, on est cinq, plus ou moins poilus : l'un du 5e, l’un du 20e et l'un du 234e d'[Infanterie] ? ; le 4e n'a pas d'écusson. Le silence est complet ; un seul d'entre nous fume. Ce que l'on est cahoté : la queue d’un train, rien de plus mauvais.

Le pays ? Rien d'intéressant à signaler. Des fermes isolées, des boqueteaux, des ronciers- Personne dans les champs- Une emblavure avec rigoles d'assèchement, un bosquet et la brousse, les guérets  : voila cette partie de la Creuse. Peu d'arbres fruitiers et pas de noyers. Les maisons sont en pierres liées par de l'argile jaune clair et couverte en tuile ou en panne à courbures connexe comme à La Roche.

Une rivière ? Une ville, avec une statue colossale surmontant le porche d'une église, une gare avec embranchements, un tunnel encore ! C'est probablement Argenton-sur-Creuse. Quelques vignobles nouvellement plantés.

Cette fois, c'est la plaine ; les bois sont en coupe réglée. Plus de haies embroussaillés autour des propriétés ; terrain argilo-calcaire : terre à faïence, c’est le Berry. Voila Châteauroux. On est en avance ! Sapristi ! Le fait est à noter- Plus de tunnels ; les becs électriques du wagon sont éteints. Mr le Chef de Gare est coiffé d’une casquette blanche, très blanche ; il n'est pas co- celui-là et n'a pas encore été emmené jusque […]

La cathédrale ! Un joyau !

Des roues de canons sur les quais- Des casernes modern-style en pleine campagne, mais vides ? Issoudun : les toitures sont en ardoises.

Des vignobles bien entretenus sur les coteaux. Dans la plaine, des flaques d'eau sans écoulement : c'est un coin de la Sologne.

Vierzon

Nous avons dû traverser le Cher, canalisé. On est 7 dans le compartiment, 7 hommes et c'est le silence complet.

Gare de trafic, comme celle de Lens. Toutes les maisons sont cimentés et recouvertes en ardoise.

Tiens ! Une gare de ravitaillement !

Les bouleaux et les sapins voisinent avec le chêne désormais et les plants ont de la rigueur.

Nous traversons la Loire ; la Loire est 3 fois plus large à Orléans que la Seine ne l'est à Paris.

Mais voici la nuit et il neige ; il ne reste plus qu'à sommeiller jusqu'à Paris.

À 7 heures, j'arrive chez Émile, après avoir bien secoué mes vêtements chez le bistro du coin. Temps affreux. J'arrive au 4e étage ; Alice ! Ca va bien ? Oui, oui. Oh ! vous autres, vous êtes en famille. Le père pleure, Émile pleure. Voila encore un soldat qui revient, mais ce n'est pas le nôtre.

Papa est vieilli, mais c'est toujours l'homme solide : mémoire étonnante et bon appétit. Le tabac que j'apporte est arrivé à son heure. Je soupe. Bien reçu, après avoir reçu l'apostrophe, comme d'habitude. Je couche avec papa ; je me promet déjà de rappliquer à La Roche dès que je me sentirais patraque, ce qui ne tardera pas.

Papa ne doit pas rester longtemps chez Émile ? Pourront-ils s’entendre ? Tous ses malheurs à lui, toutes nos tribulations à nous, ne sont rien à coté de leur situation actuelle.

Ce sont des choses qui ne doivent pas se discuter, ai-je dit à Alice. Chacun a le droit d'étaler un peu sa misère mais doit se taire quand il a devant lui une personne qui se plaint davantage : c'est le cas d'Émile. Ce sera aussi le cas de la sœur Eugénie, probablement.

8 Mars. 11h. Je suis chez Léontine avec papa qui m’en raconte sur tous les tous. J'écris à Carpentier pour lui dire que sa sœur de Beaulencourt ne doit pas avoir eu misère, vu qu'elle a continué son commerce de boulanger.

8 Mars : soir. Je rentre avec papa chez Émile après être allé à la basilique de Montmartre ; et au comité des réfugiés, rue Foyatier. On revient prendre le métro en gare du Nord après que je suis allé dire bonjour chez Billaudot

J'ai envoyé un mot à Vandermersch et à Gillis. Il est entendu que les Boches vont reculer mais qu'ils ont une ligne puissamment fortifiée en avant de Cambrai ; l'avenir prouvera la vérité de cette assertion.

9 Mars. Mauvais temps. Je vais rue A. Daudet mais ne trouve pas l'éditeur cherché. Je vais chez Talliandier, mais ne trouve rien ; je remonte la rue d'Alésia mais ne voit aucune connaissance ; par contre pas mal de femmes réfugiées qui attendent à la porte d'un bureau, sous la neige qu’on veuille bien leur ouvrir pour leur donner des pommes de terre.

Je remonte jusqu'à l’Odéon mais j'achète peu de chose : je pense à notre futur déménagement.

L'après-midi, je vais à la librairie Hachette avec le père que je quitte à 5 heures au métro de la Glacière. Je vais souper chez Léontine et je prends le train à 11h. en Gare du Nord pour Amiens. On joue à la manille avec des copains qui s'en vont en sursis aux mines et l'on s’endort.

À Amiens, je vais boire un café au lait et une bistouille chez le bistro voisin, le seul qui soit ouvert. La police en gare est moins sévère que lors de mes précédents passages.

À 6h., je prends le train pour Doullens, Frévent, Saint-Pol ; le train va d'une lenteur désespérante. Je ne vois que le bout d'arriver à Doullens, car j'ai besoin d’aller au cabinet ; on s'y précipite à 25 à l'arrivée ; il y a 3 loges pour tout ce monde ; à Amiens, elles sont d'une saleté repoussante.

En gare de Petit Houvin, 6 trains se suivent bloqués ; je finis par descendre et je suis la ligne à pied jusqu'au passage à niveau de Ramecourt ; la ligne est dédoublée depuis [Canaples] jusque Frévin-Cappelle. Je [rejoins] Saint-Pol sans poser. Je me débarbouille chez Lécutier. Des Anglais, des autos, des gendarmes qui visitent les cafés et de la boue, une boue liquide qui vous éclabousse.

Je dis bonjour chez Perry ; comme Jeanne et sa mère n'y sont pas, je promets de repasser, mardi. Je serai contrecarré dans mes projets par la suite, et m'en excuserai par lettre.

Je profite d'une occasion avec la voiture de Berthe Bailly et je descends « incognito » chez Collier où je surprends Mr Mme Martha et Armand ; accueil tout spontané et excellent ; je couche dans un petit lit de la salle contre la porte de communication de la cuisine de Mme Paul et jusqu’à 11h. j'entends ces messieurs les Anglais en dire de plus ou moins vertes à Mme Paul, dont le mari vient justement de repartir pour Crépy.

Toujours le même ménage, toujours le même froid entre parents toujours le même refrain avec Dausque qui intente une action judiciaire contre la commune : Dausque est vraiment le type à tout faire ; on voudrait me voir revenir ici.

10 Mars. Je garde la maison Collier pendant le temps qu'ils sont à la Messe. Le bonjour chez Lardé à Madame, à Lucie et ses sœurs chez Leprêtre, chez Léonce. Je dîne et je soupe chez Louchet. On boit une chope chez Thellier le père Collier, Louchet père et fils et moi ; je dis bonjour à Dupuis Béal, à Béal, à Foucaut.

Pas moyen de faire la noce. De la bière fadasse et du café sans goutte. Et je renttre : je vais assez bien.

Lundi 11 Mars. Le bonjour à Mme Hugot et à Jean Gallet dans la rue ce dernier voudrait bien venir au 101e (il y viendra).

Le bonjour chez Ricart, chez Béal, chez Debrue.

[Classe] 18 : Les 2 Hugot, Pocholle, Gallet, Lombart, Thellier Ludovic, Dulary.

C'est la bedouille plus que jamais ! Des Écossais ! La boutique de Jules sert de cantine quand j'arrive à La Thieuloye vers 6 heures. François est alité ; il a la diarrhée comme sa mère, toujours délicate. Ma tante est gratifiée d'une bronchite en règle. Ferdinand, avec son bras ankylosé, se chauffe au poèle ; une infirmerie, quoi.

Tout ce monde, comme partout où je suis allé, nous fait les meilleurs compliments.

13 Mars. On enterre ce matin Aimé Pau, l'évacué de chez Julia en attendant l'arrivée d’un bébé à Mme Hélène.

Je dîne chez Buire, gentiment. Le fils est toujours vivant et c'est bien tant mieux pour ses bons parents. Et me voila parti à 3h pour Villers-Brûlin, à pied.

On parle un peu toujours de la guerre, mais la question économique est surtout à l'ordre du jour.

Il fait peu froid ; il est vrai que je vis bien et que partout les foyers marchent, contrairement à ce qui se passe à La Rochefoucauld.

Je pose chez Robail et chez Carpentier ; j'arrive fourbu, éreinté, à Villers-Brûlin ou Eugénie me dit que je suis en retard, sous prétexte qu'une lettre à mon adresse ce sera tout par la suite. Il fait très sale, et j'ai poussé une forte suée pour arriver.

14 Mars. Pluie fine. Le bonjour chez Flippe et chez Découdu. M. Decoudu dit qu'il perd la tête ; le pauvre vieux constate sans doute que la guerre amène bien des perturbations dans un village ; il ne fait pas de raison, tout comme Émile. Pourquoi tout déplorer l'état existant ? Il faut être fort et en sortir … dignement.

15 Mars. Me voila parti à Aubigny par Savy ; Mme Delannoy fait ma rencontre et je dois renseigner cette bonne vieille sur un tas de gens que je ne connais pas. Enfin ! Il faut contenter le père Lesieux qui ne voit que son Villers et Eugénie qui ne voit que son Villers, également.

Je m'em… le matin et je ne vois pas Albert au rendez-vous. Je vais faire signer ma permission chez Delalé qui m'invite à boire une bistouille classique et une pipe de tabac de feuilles : le bon gendarme.

Le bonjour à Mme Cramet. Je dîne copieusement chez Guilbert en compagnie de Mademoiselle, personne fort bien, et de son père qui est heureux de causer avec un instituteur à l'esprit large.

Le bonjour à Mme Defossez, à Collet de Berles-Monchel et je rentre pour aller souper chez Mr Decoudu ; quand je rentre, on est couché, alors que la veille on s'veille tard ; c'est une façon de dire que je suis en retard ; il n'est cependant que 9 heures.

16 Mars. Je prends le train à Savy, vers 5 heures. Mme Grandel m'a ramené en voiture car j'ai des pommes de terre pour Émile, (un plant, mal choisi) du tabac de Carpentier et d'Eugénie, des vivres, mon sac, ma musette, un paquet de Carpentier, et une grande boite à biscuits chez Delcourt : toujours chargé. À Saint-Pol, je vais boire un verre chez Léontier et j'attends sur le quai, sans lumière, de 9h à 11h. le départ du train pour Étaples. Je monte dans un compartiment sans lumière, avec une vitre de brisée à la portière. Je ne puis dormir, tant je suis transi.

J'ai acheté chez Lequien la tisane de l'abbaye fleur de Lys. Mon voyage m'a très peu coûté, et me coûtera fort peu

17 Mars. On arrive à Étaples à 5h. du matin ; on va boire le jus dans un baraquement voisin de la gare. Mais voila qu'un gendarme annonce l'arrivée du train des permissionnaires pour Paris. Voila mon affaire. Erreur ; j'apprendrai que ce train ramène les permissionnaires … du front à la gare régulatrice de Crépy-en-Valois. Il fait un temps superbe.

Le système D

11 heures : Mon képi déménage sous la banquette du coup, je me réveille. Abbeville ! Le magasin dock de la gare achève de se consumer et menace ruine : exploit d'avion boche, probablement.

Je déjeune : j'ai 3 tartines dans ma musette.

On fait la récolte des joues dans les marécages. Amiens ; faut-il descendre ? Non, dit un gendarme, car vous n'êtes pas sûr d'avoir un autre train.

Je remonte et je m'aperçois que nous sommes sur la ligne de Montdidier.

C’est l'arrière du front, derrière Roye et Lassigny.

Tiens 1° un camp d’évacués du front, un vrai village de baraquements. 2° Une gare de ravitaillement. 3° En plein bois, une scierie avec tout ce qui constitue les boiseries des tranchées : des français et des prisonniers boches-

C'est intéressant et le ciel est si bleu. Une saucisse ! 3 saucisses- Lyautey a démissionné et le Tsar a abdiqué, et la Chine a rompu les relations avec l'Allemagne.

Bouillancourt- Une batterie de 75 au repos.

Montdidier : La ville est bâtie sur un roc : point de vue joli. Rien que des Français ; pas d'Anglais. C'est l'encombrement. À 1h1/2 un train pour Paris. Zut ; je continue.

Des vignobles ? Non ; des champs en friche, recouverts de fils barbelés. Des voies sont établies et vont directement au front. Tel est l'aspect de la campagne au nord de Tricot.

Des boches au travail dans une gare ; des baraquements ; une briqueterie. C'est Moyenneville, joli pays. C’est la plaine ; des bœufs labourant la terre sont conduits par des soldats.

Un hôpital d'évacués en plein champ.

Estrée-Saint-Denis : Des autobus marque « De Dion ».

Un régiment de cavalerie hindoue sur la route poudreuse encadrée par des officiers français.

Nous sommes dans le départ de l'Oise ; les routes sont bordées de pommiers.

Un système de tranchées, avec une compagnie d'instruction au milieu des champs.

Les routes sont poudreuses. Les toitures en pannes, couleur prune, et en ardoises, sont toutes rejointoyées par une couche de chaux bien blanche, et tout cela miroite au soleil. Du gui au peupliers.

Longueil-Sainte-Marie : le pays du grand Ferré, il me semble nous coupons la ligne de Compiègne Saint-Quentin et traversons l'Oise, belle rivière analogue à la Vienne, sauf les chutes.

Un train sanitaire en station : des gabions, des fascinés, des ronduis, des claies, des pilots et des pierres de taille à l'orée d’un bois.

Les poilus, à l'arrière, construisent des voies de garage (une douzaine, côte à côte) puis tout ce faisceau forme plus qu'une voie unique qui va au front avec bifur. On s’apprête, quoi !

Nous voici dans le Valois ; le pays est accidenté comme du coté de Rancogne. On récolte les joues sur le bord de l'eau, comme dans la vallée de la Somme.

À l'est Pierrefonds, à l'est Senlis.

Les poilus qui retournent au front ont l'air très calme.

3 heures. En plein dans la pierre de Creil et la meulière. Nous coupons la ligne Paris Hirson. Voici la plaine de nouveau.

Crépy- Je suis pompé comme un colis dans un camp de concentration. On me f… dans le train. F. malgré mes réclamations : on ne veut pas que je repasse par Paris et on m'expédie pour Noisy-le-Sec ; tu te démerderas dit le Lieutenant.

Je saute la palissade haute de 2 mètres avec tous mes baluchons au disque d'arrêt de la gare du Bourget. Chargé, à bout d'haleine, je remonte jusqu'au pt de départ de la station du tramway pour Paris ; bref, j'arrive en Gare du Nord et je dépose tous mes paquets rue de la Chapelle.

Je prends le métro pour l'Étoile et jarrive rue Arsène Houssaye ; le magasin est fermé ; je cogne ; Léontine est encore à : crissi que j'ai soif, n'ayant bu qu'une tasse de jus depuis le matin ; je soupe ; je retire mes tartines réduites en miettes et je couche par terre dans la chambre de Léontine : exténué, je dors bien.

18 Mars. Je cours près de la place de la Bastille pour porter le paquet de Carpentier. Je pars pour St Brice avec Léontine, où je vais relancer Alice dans son incognito. Je retrouve Émile et papa. Je tue le temps. Émile jardine à tour de bras. On rentre et on se couche chez Émile.

19 Mars. Je cours avec A. Daudet pour la 2e fois ; cette fois je trouve l'éditeur en la personne d'une dame accompagnée de 2 gros matous. Je repars pour chez Léontine où il est convenu que papa viendra me rejoindre pour déjeuner. Je vais chez Billaudot où j’achète pour […] de chansons. J'arrive à 11h. rue Arsène Houssaye et papa arrive à son tour et nous voila partis tous les trois pour la rue de Vaugirard, 362, où nous déjeunons chez Émile. On remonte la longue rue de Vaugirard, et l’on se quitte gare Montparnasse.

Émile n’est pas rentré, et je reprends mon train […] 8h en gare d’Austerlitz. Le voyage de Paris […] Angoulême n'est rien, mais quand il faire le pied de grue en gare d’Angoulême de 4h à 7 heures, c'est cela qui vous éreinte.

Je […] rentre à la buvette, où il faut consommer debout devant le comptoir.

À 8h. je descends, très heureux, en gare de La Roche. Du coup je ne suis plus patraque. Je retrouve ma femme, mes enfants, et mon bureau où l’on n’a pas touché à mon travail en mon absence.

[…] heureux, d’être rentré, je le répète.

1er Mai 1917

Temps splendide, mais le muguet est à peine fleuri.

Le départ d'un copain

Le copain Carpentier est parti hier  ; il s'est mis en sursis pour 3 mois, comme instituteur, à Bimont, petit patelin près d'Hucqueliers.

Donc, depuis 15 jours, mon Carpentier était pressenti de partir mais il n'était pas bien fixé, comme d'habitude. Il resta donc pour mettre son travail à jour et pour mettre au courant son successeur en l'espèce, un bon vieux gendarme retraité qui est parfois en contradiction avec les 4 opérations. Enfin !

Bref, le samedi 28, le sursis tant attendu, tant sollicité arrive mais ce n’est pas pour être Directeur ; c'est pour aller remplacer le bon vieux retraité, usé ? à Bimont. Le copain s'étonne que l'Académie ait pour lui si peu d'égards ; il ne tient guère à partir ; il a du regret de quitter les copains, les femmes de sa connaissance entre autres Mme Lavenac et Magavoux à qui il n'a pas parlé cependant depuis 2 mois ; sa femme dit-il peut arriver d'une minute à l'autre ; il préférerait rentrer à Plouvain directement ; bref, si on le déclarait indispensable, il resterait. Le dimanche soir, il rentre blindé ; c’est de mode ; je le deshabille, le met au lit et il m’embrasse ; le lendemain, il va, dit-il partir au train du matin.

Le lendemain sollicité de rester par toutes ces braves cabaretières qui vont perdre en lui un client attitré, le copain n’est pas encore décidé à partir ; alors que le [commandant] déclare au bureau du bas que si Carpentier avait été indispensable, il ne serait pas parti et que si Lesieux est indispensable, que lui ne partira pas, le brave comprend qu'il dit : si j'avais su cela, Carpentier ne serait pas parti. Le Capitaine Brémont n’est pas là ; heureusement ; son fils reçoit les impressions du liberé qui ne veut pas partir.

En tête à tête chez Quira, je lui fais comprendre qu'il n'y a plus, depuis la visite du Général Vincent, aucun indispensable et qu'on a soupé de sa fiole. À 8h. je le trouve affalé sur une chaise dans la cour chez Lavenac ! Mon vieux il faut partir lui dis-je ; tu n'as plus rien à faire ici ; c'est le cœur rempli d'amertume qu'il quitte les copains.

Le 2 Mai 1917 et impression de guerre

M. Wilson a reçu à la Maison-Blanche Mr Viviani, le Maréchal Joffre et les autres membres de la mission française (les journaux du 27 avril). Comme dit H. Bérenger , le concours des Etats-Unis ne doit pas être accueilli comme la panacée qui nous dispenserait du suprême effort de mobilisation de toutes nos ressources nationales.

Entre les États-Unis et nous, il n'y a pas seulement l'espace, il y a le temps. Il y a l'espace, qui est un océan hérissé de sous-marins, et il y a le temps qui, pour de longs mois, nous sépare encore de la nouvelle flotte et de la nouvelle armée américaines.

On ouvre le Petit Parisien du 2 Mai ; comme il n'y a aucun titre en manchette. On dit : il n'y a rien. C'est une erreur, car.

L'état d'esprit de l'Allemagne avant la guerre

L'Allemagne voulait la guerre. Le devoir de la guerre était chez eux depuis 1910 un thème courant de conversation « Plus vite on l'aura mieux ça vaudra ! » disait-on. La nation demandait à son maître de disposer d'elle à la vie à la mort. Et dans les quatre années qui précédèrent la mère, le doute n'était plus permis qu'aux illuminés du pacifisme, aux chimériques et aux ignorants, quant à l'imminence d'une catastrophe. Le peuple allemand voulait vivre sa vie. Il s'estimait assez fort pour que personne ne put lui tenir tête, et partout, dans tous les milieux, la perspective d'une guerre certainement victorieuse, pensait-on qui serait une bonne affaire, était favorablement accueillie. Mille raisons avaient créé cet état d'esprit d'où sortit de plus en plus impétueux, de plus en plus irrésistible, le courant belliqueux. (D'accord, Mr x).

La guerre sous marine

Il n'est plus permis de penser de nier la guerre sous-marine dit Tissier. Sir Carson déclare qu'il a été coulé 6 millions de tonnes pour le 1er trimestre 1917, alors qu'il n'en a coulé que 3.500.000 depuis le commencement de la guerre.

Où est elle la vérité ? Les Boches attendent tout de leurs sous-marins ! Et nous, on s'en est désintéressé- On a jamais prévu à multiplier les moyens défensifs contre les sous-marins, pas même les boches. Les Boches ont 75 submersibles sur cale, et ils en achèvent un par semaine ; ce sont des instruments militaires d'un prodigieux rendement. Et on prend cependant des moyens de défenses énormes : armement des navires marchands avec canons de 47 mm, patrouilleurs, convoyeurs, filets armés, estacades, aviation, aéronautique, sous-marins, etc…

Les résultats obtenus sont faibles. M. Lloyd dit : des navires, encore des navires, toujours des navires. Un navire est détruit ; il est remplacé immédiatement.

Bombardement de Calais et de Dunkerque

M. le Ministre Lacaze est allé inspecter sur les fronts de Belgique les fusiliers marins et visiter à Calais et Dunkerque les escadrilles de torpilleurs, sous marins et hydravions. Qu'en pensent les Calaisiens et les Dunkerquois qui sont bombardés à bout portant par les torpilleurs boches ? Que n'a-t-on pas créé un port militaire dans le Nord à la place de Lorient et de Rochefort.

Il faut harceler l'ennemi

dit Rousset, pour découvrir un point faible. À quand donc l'offensive générale ? Nous n'en finirons pas si cette offensive ne se produit pas. Actuellement, les Anglais s'acharnent sur Roeux et les Français sur le [Mont] Cormillot, et c'est tout. On dit que notre offensive de Champagne n'a pas réussi : c'est certain, et nous avons éprouvé, dit-on, de fortes pertes ; le Ministre de la Guerre, Painlevé, a eu l'excellente idée de placer Pétain à la tête de l'état Major Général et plus rien ne se fera sans ses ordres. Attendons.

Les Russes s'occupent de quelle façon ils vont voter.

Les Italiens attendent l'attaque autrichienne et à Salonique on n'avance pas parce qu'on craint que les Grecs nous tapent dans le dos ?? Donc, les Boches prélèvent des renforts sur les fronts italiens, russes et roumains et nous tiennent tête avec 40 divisions ; mais à quand la grande offensive ; attend-on la mise en rang des 500.000 Américains qu'on nous promet ?? Les nôtres en ont assez.

Les emplois inutiles

Le Général Vincent, hier, a déclaré dans sa visite qu'il ne devait plus rester aucun Sax et service armé [générale] au Dépôt ; Bien, nous verrons. Mais voici le complément : le Ministre de la Guerre, d'ici le 20 Mai, veut grouper les emplois existants dans les dépôts et remplacer les officiers inaptes par des officiers énergiques et actifs

2° Remplacer les off. d'un grade déterminé par d'autres d’un grade inférieur.

3° Suppression absolue de tous les emplois inutiles ; qu'en disent les Profilet, Deffrenes et Liénard ?

D'aucuns seront rendus à la vie civile.

Nouvelles restrictions du format des journaux

Journaux quotidiens vendus au public au prix de 0,05 l'exemplaire avec une superficie supérieure à 2137 […] : 2 pages le lundi, le mardi, le jeudi et le samedi ; 4 pages les autres jours.

La taxation du beurre

Étant donné l'intérêt qu'il y a à essayer de faire reprendre la fabrication du beurre trop abandonnée dans les campagnes au profit de la fabrication des fromages, je vous invite, dit Mr Violette à rapporter pour le beurre seulement l'arriéré de taxation.

Le charbon Mr Violette veut taxer le charbon. Quel charbon ; il y en a de 42 sortes, variant de 70 à 200 francs. Le seul remède est dans l'intensification de notre production. Grâce à la libération des mineurs jusqu'à la [classe] 1906 inclus, l'extraction de nos houillères a augmenté de 20 à 30%.

Le rapatriement des régions libérées

Zone permise : à l'est de la route Sailly-Saillisel, Péronne, Ham. La demande est transmise au préfet de la Somme par l'intermédiaire du Préfet du département de refuge après avis de l'autorité militaire et dans la mesure où le permettra la situation des communes. Le demandeur doit justifier l'octroi de son autorisation !!

Mon séjour à La Rochefoucault avant l'arrivée de ma famille

Le 22 Octobre, je quitte Magnicourt ; ma femme, Jean et Julien m'accompagnent jusque Occoches. A St Pol, je fais la rencontre de Mme Pouillaud, de Détourné. Le grand Gallet est au 27e [d'artillerie] alors que son frère et Joseph Lebel sont … embusqués_

À Étaples, un train d'Anglais est en partance pour la Serbie. Je me trouve dans le train avec des permissionnaires, des convoyeurs, le voisin qui est de Tincques, vide son panier.

Il fait frais la nuit ; dans le train on parle des embusqués et l'on déclare qu'on ne fera pas sortir les boches hors de France.

Je passe chez Émile et reprend le train de 8h. en gare d’Orléans.

J'arrive le dimanche 24 à 8h à La Roche. Je suis piloté par le camarade Colin, « le bon Siméon » garçon un peu prétentieux qui sera éconduit par la suite. Je suis classé à la 66e. J'ai loué un galetas pour 15f chez Mme Précieux.

Mon Carpentier est arrivé depuis 4 jours. Il y a ici 600 artilleurs avec 3 batteries et un P.H.R où se sont bien vite placés ces messieurs venant de Thiviers et de St Junien.

Le lendemain, le [maréchal] des Logis Coppée m'envoie à la 66e, avec un billet ainsi conçu : Prière d'envoyer au bureau du [caitaine] Trésorier l'auxiliaire Lesieux … à titre d'essai. Le Capitaine Gouverneur a quitté la 62e après le suicide de Pizot, le Brigadier d’ordinaire gérant de la coopérative.

25 Octobre 1915. Je suis assis sur un banc, devant une table en bois de sapin toute neuve. Le feu marche ; le bureau est vaste bien éclairé par le soleil et l'électricité. Les 2 chefs sont à coté dans un autre bureau ; le vrai chef c'est le cabot du logis Coppée à qui je dis bonjour en entrant. J'ai à ma table un Brigadier […], Duriez, de Provins. Je vais remplacer un Secrétaire quelconque, sourd comme un pot, qui est chimiste de métier. Bref, les meilleures places sont pour ces messieurs du … service armé ; même pendant toute la guerre ; on ne les envoie pas au front se faire casser la g… mais on les abrutit par des services disparates sinon inutiles. Les SAx ne sont pas faits pour remplacer les SAx ; ils sont ici pour les aider et pour être compressés ou ennuyés avec des visites.

Je dis à ma femme que seule la fin de la guerre liquidera la situation ; dans sa candeur naïve elle attendra mon retour à Magnicourt et il faudra employé les grands moyens pour la faire venir ici avec son […].

La guerre à cette époque ? Voici ce que j'en pensais. Les Boches prendront l'offensive et nous la prendrons à notre tour s'ils ne réussissent pas, avec une préparation intense d'Artie Je ne m'étais pas trompé. Les Boches ont voulu prendre Verdun ; ils n'ont pas réussi. L'offensive de la Somme a été faite pour décongestionner Verdun ; quant à l'offensive générale, elle ne s’est pas encore produite. Les Anglais sont à Monchy-le-Preux et nous à Craonne, mais nous sommes arrêtés par la ligne Hindenburg, Siegfried. Cà n'a pas marché à Berry-au-Bac ; on a même été trahi et pour ne pas recommencer le four de [septembre] 1915, on en est resté là ! On s'occupe beaucoup des Balkans alors ; la Grèce veut rester neutre ; la Roumanie ne marchera qu'avec les Russes ; les Français rejoignent les Serbes et menacent les Bulgares. Il est convenu que les Serbes luttent désespérément sur le Danube et la Save ; je crois que plus nous irons plus nous serons écrasés. Oui, ils seront sinon écrasés, tout au moins refoulés jusqu'à la côte de l'Adriatique par les armées de Mackensen  ; la France leur livrera asile à Corfou, pour les réformer ensuite et les diriger sur Salonique.

Je vais au magasin d'habillement. Pantalon graisseux que je ne mettrai jamais, veste aux manches trop longues. Je refuse Képi, godillots, chemise, nuisette, treillis mais je prends pèlerine, caleçon, mouchoir, cravate, brosse.

Je suis conciliant en affaire, dit l'ami Bailleul.

Me voila artilleur lourd, c'est-à-dire secrétaire auxiliaire, devant remplacer les S.A, dit-on, chose qui n’existera sans doute jamais.

Le 26, je suis appelé par l'Adjudant Leleu parce que je ne suis pas à l'appel. Oui ; la 62e [batterie] veut me prouver que je reste sous ses ordres tout en étant à la Trésorerie.

Le 28, je tache de faire comprendre à ma femme que je ne puis être rappelé : je lui dis que je vais écrire en ce sens à M.M. Petit et Béal, mais je sais bien que je n’arriverai à rien et je n’écrirai même pas.

Millerand , est remplacé à la guerre par Gallieni et Sarraut par Painlevé. Les noms changent et c’est à peu près tout. N’oublions pas que c’est la bureaucratie qui gouverne en France.

La [commission] d'hygiène demande à ce que la [classe] 17 ne soit incorporée que le 15 Mars : alors, j'en conclus qu'on n’a pas besoin d'eux ; suis-je encore naïf car le 16 Mai 1917, la [classe] 17 est au front en attendant les volontaires de [classe] 18.

Toutes mes lettres du n° 17 au n° 35 ont ensuite pour but principal de prouver à ma femme qu'il faut venir me rejoindre. Bon Dieu ? Ce sera dur, très dur ! Et il faudra des arguments. Ma femme ne veut pas quitter sa mère, qui ne veut pas venir ici, par principe, espérant ainsi trancher la question.

Bref, on la remettra aux bons soins d'Eugénie où elle gagnera sa croûte, mais elle aura bien mieux fait encore de venir ici.

À propos des exemptés d'avant-guerre

Le 5 Mai arrivent ici 15 auxiliaires de la [classe] 18. Le 16 Mai, on attend 60 récupérés des [classes] 96 à 1917. Que vont faire ces braves … plus ou moins en forme : je n'ai pas vu hier de monsieur, sauf un prêtre : rien que des paysans et des pétras car ; les Re[…] de La Roche sont au 101e comme Hospitalier, Cacou- Mr le Commis du Percepteur lui, reste là ??? Après tout, c'est sa place mais ce fameux principe d'égalité qui veut que tout le monde aille se faire casser la g… ?

Bref, les décisions nous disent ceci :

Les exemptés et réformés des [classes]1902 à 1914 doivent recevoir les éléments d'instruction militaire dans les mêmes conditions que les SAx de la [classe] 18.

Au bout d'un mois après leur incorporation ils doivent être inscrits sur la liste du tour de départ.

Ceux des classes 1901 et plus anciennes jusqu’à 1896 doivent remplacer les SAx des [classes] 1902 et plus jeunes, aptes à faire campagne.

Et c'est Fer[…]d , reçu au peloton n° 2, avec le n° 8, mais […] 1er […], qui commande : à droite, alignement.

On les aura ! Il est vrai que celui qui a prononcé cette parole est aujourd’hui le généralissime avec Foch comme Chef d’Etat-major.

À propos des concerts

C'est par de tels spectacles qu'on entretient dans l'âme du soldat une saine gaieté ennemie du sombre cafard ; qu'on remue en lui les fibres du patriotisme ; qu'on élève son cœur et on en fait des vaillants toujours prêts à l'accomplissement du devoir ! aussi appartient il à la population civile, dont les membres ne sont pas frappés par un deuil cruel, d'apporter leur concours à ces belles fêtes dont le but est d'entretenir chez tous un bon moral.

Que ceci soit dit pour ceux qui, loin du danger, prétendent voir dans ces fêtes comme un défi porté à ceux qui luttent et qui souffrent. Que ceux là sachent bien, dont la bourse s'ouvre que pour entasser, que des blessés convalescents réclament des soins, que des enfants sont orphelins, que des soldats séparés des leurs par l'ennemi sont sans ressources. Qu'ils sachent bien que la charité s'impose, sous toutes les formes, qu'il ne leur appartient pas d'en étouffer l'essor sous une sentimentalité hypocrite.

Une lettre du Maire d’Arras au maréchal Douglais Haig

« Arras, 13 Mai.

Monsieur le Maréchal

Le 9 Avril après trente mois de luttes à ses portes, Arras a vu l'armée britannique broyer les lignes formidables creusées par l'ennemi jusque dans notre sol.

Permettez, Monsieur le Maréchal, au Maire de la pauvre ville martyre de vous dire, et par vous à la grande nation britannique et à sa splendide armée, la joie profonde et la gratitude des enfants d'Arras.

Cette gratitude sera éternelle comme l'œuvre de paix que fonde en ce moment le succès de vos armes ; et point n'est besoin d’objets matériels pour en animer le souvenir. Mais nous le savons, parmi les nombreuses batteries capturées le 9, celles du groupe Olga.nord d'Athies, est de Tilloy et une batterie lourde de Monchy-le-Preux avaient pour mission spéciale de bombarder la ville et ses faubourgs. Certains canons encore utilisables ont été emmenés vers l'arrière les autres demeures sur le champ de bataille.

Daignerez vous, M. le [maréchal], en souvenir de nos souffrances et de votre victoire, laisser à la ville d'Arras [quelques-]unes de ces pièces qui ont fait son martyre et sa grandeur ? Mutilées par la mitraille anglaise, capturées par votre infanterie, au soir du jour le plus glorieux de la campagne elles resteraient chez nous symboles de la force barbare brisée le 9 avril 1917 par la vaillance britannique.

Et demain, après le triomphe définitif, quand les fils d'Angleterre viendront pieusement visiter nos ruines comment pourraient-ils se sentir étrangers dans cette ville-défendue et sauvée par eux, devant ces canons conquis par eux, au prix d'un sang que nous vénérerons à l'égal du sang français ? »

Une meilleure administration du pays est la condition de la victoire

Bravo Mr Chéron ; les embusquophobes et les pessimistes ne voient la guerre qu'au front. C'est vous qui leur dit que la désorganisation administrative dont nous souffrons risque d'imposer à la nation une crise économique redoutable et de compromettre les résultats de la guerre.

Ex : On ne sait où s'adresser pour avoir du charbon, l'industrie du gaz, en province, est paralysée. Des boulangeries ferment faute de pain.

Comment nourrir les porcs à qui les fermes de céréales sont interdites ? La question des pommes de terre n’est pas résolue. Les départements attendent des semences pour planter. Le fonctionnement des transports est devenu insoluble.

Plus d'essence.

Les administrations comptent des hommes distingués et très dévoués mais les services changent trop souvent.

La bonne organisation de l'arrière est la condition essentielle du bon fonctionnement de l'avant.

En Russie

Depuis 2 mois, la Russie est en République, mais tout n'est pas pour le mieux. Les extrémistes sont des anarchistes tout à leurs rêves nébuleux, incapables de se rendre aux réalités.

Le Matin du 18 Mai nous dit que le Tsar et Guillaume avaient signés une convention secrète à Björke, et contre la France après la guerre russo-japonaise, d'après Mr Whitte.

Le 20 Mai, cependant, Kerensky proclame la Patrie en danger. Chacun doit tendre ses forces à l'extrême limite pour assurer le salut de nation. Je n'ai jamais su ce que c'était que la discipline, mais néanmoins, je me propose d'introduire dans l'année une discipline de fer et je suis sur que j'y réussirai… Attendons.

La Guerre

Mr Painlevé nous dit que la fin n'est pas encore en vue. Un journal boche, le Volksblatt ne semble refléter la vérité quand il dit : Qu'adviendrait-il si, par suite de grands événements intérieurs ou extérieurs, notre espoir de conclure la paix avec la Russie nous était servi ? Il faudra alors que la guerre dure encore longtemps que le sang d'un nombre considérable de fils et de pères continue à couler à flots. Durant un long hiver encore, ils devront saigner et geler sur les champs de bataille. Cela peut avoir des conséquences incalculables pour tous les peuples. Malheur au peuple qui succombera le premier…

Ce peuple dira alors à ses dirigeants « Il faut qu’on crucifie ce qui nous ont conduits là. »

Le 26 Mai

3 événements attirent notre attention :

1° Nos alliés sur le Carso enfoncent les lignes autrichiennes : 9000 prisonniers dont 300 officiers : Prise de Ja[…]ano. 10 batteries anglaises du modèle le plus récent ont prêté leur concours.

130 avions ont contribué à l'attaque. Cadorna a fait semblant d'attaquer sur les Alpes Juliennes et a devancé l'offensive autrichienne sur le Carso  ;

2° La chute de Tirza premier ministre hongrois ; c'est un échec pour Guillaume II  ; l'empereur Charles veut sans doute faire prévaloir ses tendances personnelles ;

3° Le discours de M. Ribot.

La Russie libre n'oubliera jamais l'élan avec lequel la France est entrée dans la lutte par fidélité à sa parole donnée. Elle se rappellera toujours qu'au moment de la crise salutaire survenue en Russie, c'est encore l'admirable effort du peuple français qui attire vers l'ouest la pesée de l'ennemi et permet à la Russie de constituer ses forces.

Et maintenant, il faut que l'armée russe comprenne son devoir, qu'elle fasse une offensive victorieuse pendant que les États-Unis se préparent à envoyer des divisions sur notre front.

Alors nous n'aurons plus aucune crainte ni aucun doute.

Quand en Russie, l'attitude énergique du nouveau ministre de la guerre et de la marine nous permet d'envisager avec sérénité l'avenir.

Le libre développement du peuple allemand

On parle depuis [quelques] temps un peu trop de respecter le libre développement du peuple allemand. Trente cinq mois d'une guerre inexpiable ont ouvert là-dessus les yeux de toute l'humanité. Allons nous maintenant pour nous concilier [quelques] misérables défaitistes, rétablir des comparaisons et préparer les [?].

Quelle est cette besogne ?

Ce n'est pas ainsi que nous rétablirons la justice et le droit dans le monde.

Et ce n'est pas ainsi non plus qu'un peuple envahi peut répondre au peuple envahisseur.

Si les Allemands ne sont plus à Noyon, ils sont toujours à Saint-Quentin, à Cambrai, à Vouziers et à Lille. Ils bombardent toujours Reims, Verdun, Nancy, Belfort avant de vous occuper du libre développement du peuple allemand, occupez-vous donc de la libération du peuple français ! Tachez que cette libération soit digne de ceux qui se sont sacrifiés pour elle.

Vous vous attendrirez ensuite sur les droits à l'existence de vos implacables ennemis. Si vous avez encore la sensibilité du reste.

La guerre sous-marine

Les sous-marins allemands ont envoyé en 1917 au fond de l'eau une flotte de 2.400.000 tonnes c'est-à-dire l'équivalent de ce qu'était la flotte française avant la déclaration de la guerre.

Mais nous ne sommes pas bloqués car le nombre des bateaux français de plus de 500 tonnes qui continuent à circuler ne fait que s'accroître. 118 en mars, 128 en avril, 139 du 1er au 18 Mai.

Une nouvelle conférence s'est réunie à Corfou. La France, l'Angleterre et l'Italie ont adopté ses conclusions. On va les mettre en œuvre et c'est aux chefs militaires responsables devant moi …. et devant la nation dit M.Berthon.

La nation, c'est moi, répondit l'amiral Lacaze

Paroles de marin

Le chef de nos forces navales est un grand marin en qui j'ai une absolue confiance. D'ailleurs, aucun des chefs ne doit être mis en cause, c'est moi seul qui suis devant vous et qui dois être jugé par vous.

M.Lloyd G. exhorte au calme et au sang froid ; depuis 3 semaines, les ravages des pirates ont sensiblement diminué et le concours américain a commencé à porter ses fruits ; le concours japonais aussi.

L'intervention américaine

C'est le jeudi 24 Mai que la 1ère unité combattante américaine est arrivée au front, sous le commandement du capitaine E.I […]ikham et du Lt Sailly. Les instructeurs sont des officiers français. Tous ne viennent pas d'Amérique ; un certain nombre employé dans nos lignes de l'arrière passe dans les unités combattantes.

La vie de l’ex tsar à Tsarkoé-Selo

Nicolas II, sa femme et ses enfants sont gardés à vue dans leur ancienne résidence de Tsarskoé Selo au palais Alexandre. Nicolas habite un appartement séparé de celui occupé par sa femme et ses enfants, au 2e étage du palais Alexandre. Il dut donner sa parole de ne jamais chercher à se rencontrer avec l'ex-tsarine Alexandra, si bien qu'au moment de ses visites à ses enfants, qui logent avec leur mère, celle-ci est isolée par l'officier de garde, dans une pièce de l'intérieur du palais.

Quand la Tsarine n'est pas auprès de ses enfants, elle s'absorbe dans la lecture des livres de piété. Les lettres de la captive, écrites sur des cartes illustrées de sujets religieux ne contiennent que des prières ou des poésies pieuses, le tout signé de l'initiale A et d'une croix : disposition mystiques.

Nicolas se montre absolument indifférent à tout, sauf quand il demande ce qui se passe au front ; il est vrai que ses entretiens et sa correspondance sont contrôlés,

Kerensky. 29 mai 1917

M. Kerensky est parti pour le front avec une suite des plus simples. Sur la route, paysans, ouvriers, femmes le regardent avec une émotion quasi religieuse tandis qu'il déclare que par ses actes seulement le peuple russe démontrera qu'il est digne de la liberté !

À l'armée et à la flotte il envoie un ordre du jour les plus vibrants (voir carnet de morceaux choisis).

La dernière guerre ?

Mr Daniels, Ministre de la Marine aux États-Unis, a prédit pour après la guerre la création d'un Parlement mondial ayant pour objet d assurer la paix définitive. Les États-Unis se sont engagés dans une guerre qui sera la dernière et dont la fin victorieuse manquera l'heure où la liberté et la justice auront si complètement triomphé qu'elles ne pourront plus jamais être remises en péril. Et le général Pershing dit que 10 millions d'hommes, de 21 à 30 ans, vont travailler et s'animer pour nous aider à partir du 5 juin.

Lundi de Pentecôte. 28 mai 1917

Le matin, il pleut ; les hirondelles sont immobiles, posées sur les fils télégraphiques de la halle aux grains. À 10 h. le temps s'éclaircit. À 12 heures, on se décide à partir pour la Braconne ma femme, Julien et moi ; à 1 heures moins le ¼, on gravit la côte qui mène à St Pr[…]et à 3 heures nous voici dans le camp ; ma femme n'est pas contente parce que je ne demande pas de renseignement pour dénicher les copains de connaissances ; le hasard fera très bien les choses. Car 1° Nous voici à la cantine, où nous faisons connaissance avec des gens rapatriés de Vitry 2° Face aux cuisines de la 15e nous rencontrons successivement Lambin, Oudart, Bernard, Gallet, Théret, Specq, Houilliez et son copain, Lefranc et les briquets. Je ne verrai par contre ni Waguet, ni Patin, ni Bailleul. Maître Gilles arpente une allée, le cabot sur la tête, les mains dans les poches

Je ne vois que son dos … et n'en veux pas savoir davantage.

Nous lâchent successivement Lefranc, Houillier, Theret, Oudart, Specq, Gallet. Ce dernier nous mène avec Specq à la maison forestière, où Dulary vient nous repérer.

On vide 2 litres de bière et Gallet nous fait entrer aux Petits Lignons, là même où se trouve le camp des boches là même où s'st déroulée 6 jours auparavant une tragédie ; un fonctionnaire, devenu subitement fou, a tiré dans le tas et a tué l'un de ses camarades du 33e ; celui qui le remplace n'est autre qu'un ouvrier huilier de l'usine Wartel, habitant Mercatel.

À 7h ½ , on quitte Gallet et le cimentier de La Roche passant avec son attelage nous invite à monter avec lui, et nous rentrons à 9 heures. Jean nous rencontre à la Basse-Ville ; personne n'est trop fatigué et l'on est content de sa journée.

Des armes perfectionnées

Le 17 Avril 1917, le fusilier mitrailleur Bigorne a réussi à lui seul à arrêter net une contre attaque allemande, grâce à la précision de son tir.

Nous avons aujourd'hui l'excellent fusil mitrailleur C.S.R.A ; il ne pèse que 9 kg. Il est à très long recul, son mécanisme est simple et robuste. Le tir est à volonté, coup par coup, ou 120 à 200 coups à la minute. Il est alimenté par des chargeurs de 20 cartouches. 3 servants, mais à la rigueur 1 homme ayant des chargeurs, peut faire seul, même en marchant et sans fourche.

Des points de vue

D'après la Section rhénane de la ligue pangermaniste : L'Allemagne doit incorporer la Courlande et doit également annexer les territoires de l'est et du Nord de la France, de telle façon que les lignes de la Moselle et de la Meuse avec Belfort, Épinal, Toul, Verdun et les lignes de l'Aisne et de la Somme, avec St Quentin, Amiens et Dieppe, reviennent à l'empire allemand.

La France est envahie ; sauvons la France. Quand elle sera libérée, elle saura exiger, puisqu’elle n’y pourrait renoncer qu’en se suicidant, les restitutions et les réparations les sanctions et les garanties que veulent ses sacrifices, ses intérêts et ses droits. (Barthou)

Nous n’avons pas de fins égoïstes à servir. Nous ne désirons ni conquêtes, ni domination. Nous ne cherchons ni indemnités pour nous-mêmes, ni compensation matérielle pour les sacrifices matériels que nous ferons sans compter. Nous ne sommes que l'un des champions des droits de l'humanité. (Sharp)

La formule de la paix sans annexions ni indemnités est par trop simpliste. Aucune nouvelle nation ne devra être crée sans le consentement des cinq grandes démocraties des deux mondes. (Ferrero)

L'offensive diplomatique

L'offensive n'est pas arrêtée, mais l'offensive diplomatique est commencée. Il semble que pour celle là encore, nous ayons été devancés. L'Allemagne est toujours impatiente. Aveu de faiblesse, disent les uns ; question de faiblesse, disent les autres.

Ce ne sont plus des individualités, des journaux et des partis que l'Allemagne essaye de gagner ou de retenir à sa cause. Ce sont des nations et des gouvernements qu'elle essaye d'intéresser à sa paix. Ce n'est plus de la propagande ; c'est de l'offensive. Il faut le savoir et le dire. Il faut surtout déterminer quelle sera notre attitude en réponse à cette politique. L'expectative.

On ne causera pas. Trop tard après la Révolution russe, après le congrès socialiste, après la convocation de Stokholm. Il y aura des colloques cependant où les Français prendront part. Mais si les socialistes français vont à Stockholm, si les catholiques à Rome se conjuguent avec d'autres catholiques étrangers, qu'on le veuille ou non, les points de vue français seront exposés et défendus face aux neutres et aux ennemis.

Juste réclamation

Les SAx classés […] loi du 20 Février 1917 sont maintenus à la […] de l'administration qui les occupe, jusque […] 13 inclus.

De cette décision, il résulte que tous les jeunes fonctionnaires classés dans les services auxiliaires continueront à exercer leurs fonctions civiles, alors que leurs collègues plus âgés, classés dans les mêmes services, mais présents aux armées depuis deux ans et plus, resteront dans les casernes.

Il y a là une injustice flagrante. Il serait plus équitable d'envoyer au régiment les jeunes gens de vingt-trois, vingt-quatre, 9 ans et de renvoyer à leurs anciennes fonctions les vieux territoriaux et les R.A.T qui depuis 2 ans, sont sous les drapeaux.

Nos buts de guerre

La Chambre des Députés, expression directe du peuple français, adresse à la démocratie russe et aux autres démocraties alliées son salut.

Contresignant la protestation unanime qu’en 1871 firent entendre à l'Assemblée nationale les représentants de l'Alsace Lorraine, malgré elle arrachée à la France, déclare attendre de la guerre qui a été imposée à l'Europe par l'Allemagne impérialiste, avec la libération des territoires envahis, le retour de l'Alsace-Lorraine à la mère patrie et la juste réparation des dommages.

Éloignée de toute conquête et d'asservissement des populations étrangères, elle compte que l'effort des années de la République et des armées alliées permettra, le militarisme prussien abattu, d'obtenir des garanties durables de paix et d'indépendance pour les peuples grands ou petits dans une organisation dès maintenant préparée de la société des nations, confiante dans le gouvernement pour assurer ces résultats par l’action diplomatique de tous les alliés, elle repousse toute addition et passe à l'ordre du jour.

Adopté par 413 voix contre 55 celles des socialistes minoritaires entre autres Brizon, Blanc, Raffin, Duygens,

Avant de donner l'ordre de tirer un coup de canon inutile. Songez à ce qu'il coûte.

Canons de tranchée 58 N°2 115f Calibre 150 110f

Mortier V.D 70f 240 330f

340 700f

65- 30 ___ 100 115- 155 225__270 850- 320 2200 ___

75- 60 ___ 105 115- 16 260__274 1200-340 5200 ___

80- 50 ___ 120 120- 19 510__280 1180-370 2750 ___

90- 60 ___ 14 285-220 540__293 1380-400 3850 ___

95- 75 ___ 145 290-240 890__305 2800-520 6300 ___

L'effort américain

On dit que le contingent américain amené en France permettrait de

1° Libérer les R.A.T et les SAx

2° Le 101e, quitterait La Rochefoucault pour Versailles

La 1ère armée américaine comprendrait.

16 divisions d'[infanterie] 913 officiers et 27.243 soldats, 16 hôpitaux avec chacun 24 officiers 222 soldats, 64 infirmeries de campagne 2 divisions de cavaleries avec chacune 607 officiers et 16021 soldats 2 hôpitaux divisionnaires avec chacun 24 officiers et 238 soldats 6 infirmeries de campagne. service de santé. 288 off. et 100 soldats ; artillerie de côté 666 off. et 20000 hommes ; 16 brigades d'[artillerie] de campagne avec chacun 48 off. et 1319 soldats. 8 escadrilles d'aviation avec chacune 10 officiers et 154 soldat. 10 hôpitaux de campagne avec 6 off et 75 soldats ; 10 cie d'ambulanciers avec 5 off. et 150 soldats 22 boulangeries de campagne avec 1 off. et 69 soldats ; 6 bataillons de téléphonistes, avec 10 off. et 215 soldats ; 6 trains de munitions avec 4 officiers et 852 soldats ; 6 trains de ravitaillement, comptant 2 officiers et 120 soldats.

L'aéroclub d'Amérique a adressé à M.George Chamberlain une lettre lui demandant de déposer une motion en vue du vote de 2 milliards 500 millions pour développer l'aviation militaire américaine :

100.000 aéroplanes. Qui les montera ?

Les Américains ont des destroyers sous marins contre les pirates. Ce sont des contre torpilleurs biens armés et qui peuvent s'immerger rapidement sans pouvoir toute fois voyager sous l'eau ; ce qu'on leur commande, c'est d'attendre l'ennemi dans des endroits propices.

Clémenceau à propos de la Russie

La plus belle révolution, hors du maintien préalable de la patrie, n'est qu'un rêve d'enfant. La terre russe, aujourd'hui, est foulée par le bocheplus sauvage que le Turc. Que fait le soldat russe ? Je ne veux pas douter qu'il revienne au combat. Alors, qu'il traduise en acte les paroles de Kerensky et qu'il choisisse sans retour, entre le joug du Kaiser et la discipline de Gourko.

M. Wilson

Aucun peuple ne peut être forcé d'accepter la souveraineté qu'il repousse ; aucun territoire ne pourra changer de mains excepter dans le but de procurer au peuple qui l'habite des chances de développement et de liberté ; on ne devra insister sur aucun paiement d'indemnités excepté quand elles représentent le remboursement des torts causés ; aucun changement de pouvoir ne pourra être effectué, excepté s'il a pour but d’assurer la paix future au monde et la prospérité et le bonheur des peuples. Et alors, les peuples du monde entier, libérés, devront se grouper sous une forme de convention commune quelconque dans une coopération pratique et sincère qui aura pour effet de combiner leurs forces au pluriel pour assurer la paix et la justice dans les rapports des nations entre elles.

3 Grands Artésiens

Ribot Alexandre, Président du Conseil ; Pétain, généralissime ; Jonnart, haut commissaire des puissances protectrices le 12 Juin, va parler à Athènes au nom[11] de toutes les puissances alliés. En effet, le 13 Juin il reçoit de M.Zaïnis, le message suivant : La France, la Grande-Bretagne, la Russie ayant réclamé par votre note d'hier, l'abdication de sa Majesté le roi Constantin et la désignation de son successeur, le soussigné Président du Conseil ministres des Affaires étrangères, à l'honneur de porter à la connaissance de votre excellence que S.M. le roi soucieux comme toujours, du seul intérêt de la Grèce, a décidé de quitter avec le prince royal du pays et désigne pour son successeur le prince Alexandre.

M.Viviani est allé en Amérique

Jamais je n'ai tant senti cette profonde vérité de Chicag[…] la plus grande ville allemande après Berlin, où, pressé par 20000 poitrines, fatigué par l'effort et les émotions je clamais en votre nom à tous la vérité sur l'Alsace-Lorraine, je répudiais la fraude historique et juridique qui découlerait d'un plébiscite mensonger.

Et j'entends la clameur enthousiaste qui me répondait, et la parole du gouverneur, l'élu de plusieurs millions d'hommes « Jusqu'au dernier sou, jusqu'au dernier homme, jusqu'au dernier battement de cœur »

Du camarade Hervé, à propos de la paix

La seule question qui se pose et celle de savoir si nous resterons des français libre, ou si nous deviendrons des français esclaves. Que par notre indiscipline, notre bêtise et notre lacheté, les Allemands victorieux annexent le bassin de Briey et nos départements du Nord et du Pas-de-Calais, qu'on ne se figure pas que ceux là seuls parmi les Français qui seraient annexés seraient soumis au régime de la Kultur » sous la férule de fonctionnaires allemands occupants toutes les places dans l'administration locale, sous la schlague des officiers et des s/officiers allemands : les Français à qui l'Allemagne victorieuse aurait laissé une apparence de liberté sur leur territoire amputé auraient un sort à peine plus enviable.

Les socialistes majoritaires et les buts de guerre

Nous réclamons la réparation des dommages qui nous ont été causés. Nous qui avons été dépouillés en 1871 de provinces qui nous appartenaient, nous en demandons la restitution. Les Kamarades répondent : Les territoires d'Alsace Lorraine ont été, au cours des temps, séparés de l'Allemagne par la France par voie d'annexion forcée ; »

Les mêmes Kamarades demandent la libération de l'Irlande, de l'Égypte, de La Tripolitaine, de l'Algérie, du Maroc, de l'Inde du Thibet et de la Corée.

Toute discussion est superflue avec ces imprudents agents de la mégalomanie germanique. Comme ils nient éperdument que l'Allemagne est voulue la guerre, ces plats valets du gouvernement impérial refuse brutalement sanctions, réparations, restitutions. Ils veulent traiter avec la France mutilée, agenouillée mise dans l'impossibilité de se relever.

Ils veulent que chaque paysan, chaque commerçant, chaque ouvrier français payent pendant des siècles la rançon de la criminelle agression. Leur réponse est claire ni Alsace Lorraine, ni indemnités, mais une humiliation sans précédents. Voici ce qu'ils proposent pour la conférence de Stockholm.

L'Autriche soutiendra l'Allemagne jusqu'au bout dans la question d'Alsace-Lorraine qui ne sera rendue à la France que si l'Allemagne est complètement vaincue.

Démobilisez les auxiliaires

M. l'[Intendant] Général Pollacchi vient au bureau pour inspecteur le service civil et féminin ; il interroge le chef, ces demoiselles ; on ne lui dit pas l'entière vérité, on lui raconte des blagues ; Lesieux et Petit passent inaperçus ; ce sont des scribes… qu'on laisse au bureau[12] par protection sans doute. Rosiaux est un commis !

Mr B… est arrivé depuis 15 jours, chez nous, pour éviter la mobilisation civile ; on va lui octroyer 6 f par jour pour « relever » simplement notre travail ; les petites saletés, il les passera à ces demoiselles, voir même aux auxres scribes, copistes, bouche trou ; voilà où j'en suis le 18 Juin 1917 ; je n'ai même pas figuré cette fois sur l'état de propositions pour passer Brigadier.

Le docteur Toulouse a bien raison lorsqu'il dit à Painlevé : Il ne doit plus y avoir de demi-soldats ; rien que des combattants Qu'on réquisitionne le travail, non la personne. On doit organiser le travail civil parallèment au travail militaire.

[13]L'incorporation du combattant est légitimée par des mesures militaires. L'homme qui est envoyé à la bataille a fait le sacrifice de sa liberté en même temps que celui de sa vie. Mais quelles raisons techniques obligent à dépouiller de toute liberté celui qui va servir de scribe dans un bureau militaire ou continuer son métier d'ouvrier.

Il est arraché, lui, fragile par définition, à son foyer, placé à des conditions de vie nouvelles et souvent dangereuses pour lui, parqué sans motif en troupeau, et soumis aux périls de la contagion tuberculeuse ; il versé comme au hasard et par force dans un service sans rapport logique avec ses préoccupations. Il subit des brimades superflues ; on l'empêche de sortir le soir, de coucher avec sa femme de s'absenter pour de graves raisons, il est astreint à des revues surannées. On le ramène à l'état d'un écolier, et souvent un chef de maison, est obligé à un travail qu'il confierait dans son bureau à un groom.

En ce qui concerne les auxiliaires[14], la cause est jugée depuis longtemps ; il n'y a pas un Français qui ne sache que l'administration militaire, à qui les auxiliaires ne coûtent rien, les emploient en dépit du bon sens ; qu'elle met dix auxiliaires là où un seul suffirait, et que les trois quarts d'entre eux éprouvent un profond sentiment de dégoût en pensant que leurs champs restent incultes, leurs affaires en souffrance, pendant qu'ils se tournent les pouces à longueur de journée, où qu'on les emploie à toutes sortes de métiers pour lesquels ils sont impropres et où leur rendement est nul.

La protection du docteur Toulouse a été entendue

L'auxiliaire est un simple travailleur ; or, l'on réquisitionne son travail,ce qui est légitime; mais aussi sa personne; ce qui est injustifiable. Il faut démobiliser des S.A.X. Il n'y a qu'un soldat : le combattant.

Il y a une arrière pensée inspirée par un sentiment d'égalité.

Tout le monde soldat ; mais alors les réformés, les mis en sursis ! Et qu’est ce que c'est que cette pitoyable raison de sentiment ? En quoi la souffrance des auxiliaires augmentera-t-elle la résistance du service armé ?

Et à coté des SAx qui gagnent 5 sous par jour, il y a des mobilisés qui gagnent 8 et 10 francs.

Le Dépôt le 16 juin

61e [batterie] [capitaine] Servois. 1 Adj. 1 logis 6 Bi 1M.P 113 Cers

62e Bie Cne Defrenne 1 ‘’ (Leleu) 1 Chef 6 Logis 14 Br. 545 Cers à la Braconne.

63e Bie Cne Malaud 1 Adj 1 Logis 8 Brig. 117 Cers

64e Bie Cne Barbier 4 Logis 7 Br. 1 M.P 131 Cers

P.H.R 7 Adj. 6 Logis 1 Brig. armurier 5 Br. 1 M.P 33 CERS

À l’hôpital 1 Adj. 2 Sergents 12 Infirmiers 26 Annamites.

Au total 951, soit 1000 en chiffres ronds, (soit 2000f par jour)

La Braconne comprend les bleuets de la [classe] 18.

Toujours au Dépôt : Coppée, Wiel, Duriez, 2 Dubois, Daulle, Goube, Dupont, Wacguez, Gresse, Chavrier, Cottigny, Delebois, Dangremont, Leignel, Mabillotte, Leleu Patyn, Marvilet, Thiault, Couchoud, Gauthier, Br. Bailleul, Ramat, Hujeux, Mournier, Charbon, Darragon.

Comme secrétaires : Br. Cordriau, Waterloo, 1er Ces Lesieux, Petit William, Rosiaux, Delpech, Cocq, Lallez, Bergdoll, Stebak, Vandermersh, Moreau, Coiffeurs : Dubois, Daussy, Semet, Meurin.

Au 16 Juin

Le temps s'est radouci, et c'est heureux car le thermomètre est monté jusque 36° à l’ombre, (sur un mur) et sans aucun souffle de vent. La saison, des fraises est presque déjà passée ; celle des cerises bat son plein ainsi que celle des champignons cèpes ou bolets et chanterelles. La Tardorie roule de l'eau après les orages et Julien, cette fois, y taquine le goujon, le gardon, l'ablette, le rouget, la courcie ou chevesne, le chabot. Les roses ont déjà donné en masse ; voila les lis. Les pruniers, pêchers, abricotiers, brugnons promettent une récolte abondante.

On en a assez. Fin juin 1917

Nous avons traversé une période critique certainement, alors que la Grèce était plutôt contre nous et que la Russie faisait sa révolution avec le sang français, car nous avons eu à supporter le choc de 153 divisions allemandes sur le front anglo-saxons.

Thomas A. qui n'est pas un bavard, est plutôt optimiste : Attendons.

Les on dit : Les permissionnaires ne peuvent plus aller à Paris. L'émeute couve dans cette ville.

[15]Un [régiment] au front s'est mutiné, tuant ses officiers ; la 1ère ligne est tenue en respect par les vieux de l'arrière avec des mitrailleuses.

Au front, la viande de par ces temps de chaleur est immangeable ; et l'on mange du cheval. Ce n'est pas tout le[…] civil qui demande la paix, car d'aucuns y trouvent dans la guerre une trop grande source de bénéfices ; un simple mercan[…] au front vent 2f un litre de vin qu'il a payé 0,60 et ce vin est frelaté et donné par charité au poilu qui doit être, là, très plat.

L'infanterie en a assez. Les R.A.T à l'arrière[16] sont également menacés et bombardés. Elle ne se dérange nullement quand les S.M.A passent sur la route : Tu peux m'casser une patte, j'men fous.

Ce n'est pas l'argent qui manque, au contraire ; il abonde, sauf entre les mains des hommes des régions envahies.

On attend une offensive en Hte Alsace ; une offensive russe ; l'arrivée des Américains qui reconduiront les boches chez eux mais qui seront obligés par la force, de maintenir l'ordre chez nous.

Les tantes ? fiasco ! 150 sont restés sur le front de l'Aisne.

Un boche dit : « Allons nous jouer le dernier acte du drame mondial. Je l'espère. Ou est-ce que l'affaire américaine apportera une décision plus rapprochée ? Alors tant mieux. Je crois que chacun de nous, du soldat au Cdt de la Cie, on a assez, aussi bien que toute la population civile de l'Europe entière, à l'exception, bien entendu, des fournisseurs aux armées, et des trafiquants qui spéculent sur la Misère du Peuple » On doit reconnaître que cet Allemand a raison.

Nos députés au front

Sont tombés au champ d'honneur : Pierre Goujon, Chevillon, Chaigne, Proust, Nortier, Thome, Driant, de Rohan, Reille-Soult. À ajouter Maurice, Bernard aviateur et Briquet et Tallandier qui ont péri dans l'explosion de l'hôtel de ville de Bapaume.

La Guerre

Le député Lebey déclare que le seul moyen de ramener dans le monde une paix durable est l'effort militaire de tous les alliés. J'te crois ! On nous rabache encore cela le 28 Juin. Il est vrai que l'article s'applique aux Russes qui doivent comprendre désormais qu'ils n'ont rien de bon à attendre du peuple allemand, éternellement muet, par ordre.

Des canons ? Lesquels ?

Les 75 furent impuissants dans la guerre de tranchées. Le canon de 155 Qui représente le type normal de l’A.T le sera bientôt aussi ; et il va falloir construire un matériel de 210, 240, 280. Les Boches ont le canon de 200.

À Stockholm

La fameuse conférence internationale est remise les Russes, à une date ultérieure, les français ne pouvant pas y venir à temps ??

À propos de patates

En France, des accapareurs ont gardé jusque maintenant des stocks de vieilles pommes de terre pour maintenir les cours ; elles vont être perdues ? 1.500.000 kg encore existants en juin.

50% des pommes de terres peuvent être expédiées, dont moitié en Allemagne.

Les Pays-Bas essaient d'éluder leurs engagements en ce qui concerne le stock encore dû à l'Angleterre[17] et ils veulent réserver à l'Allemagne les premiers envois de la nouvelle récolte.

Ce procédé est scandaleux et l'Angleterre menace de tenir internés les navires hollandais amarrés dans ses ports. L'heure des tolérances est passée.

En attendant, nos ennemis font de plus en plus de la propagande en Suisse, en Espagne, en France aussi bien sûr ; ils dépensent pour cela 400 millions par an.

On restreint la consommation d'alcool ?

La vente des spiritueux est interdite en dehors des heures des deux repas principaux (On ne dit pas l'heure). L'alcool est interdit aux femmes et aux mineurs au-dessous de 18 ans. La vente au détail est interdite au-dessous de 2 litres sauf pour les boissons hygiéniques, les liqueurs sucrées (23°).

Une qui reparait. Mme Steincheil épousera le mardi 26 Juin à Londres, lord Abinger, un officier de la marine britannique.

Sur Lens

28 Juin. Les Anglais sont en avance directe vers la cité de Moulins ; ils occupent la Coulotte, la fosse n° 3. Il est évident que leur but est d'envelopper cette dernière ville par des cheminements latéraux, et nous devons reconnaître que[18] si ce procédé est un peu lent, il est aussi parfaitement expédient et raisonnable. Une attaque directe coûte cher, et pour l'assaillant et pour la cité elle-même.

Lens étant devenue un des pivots de la défense allemande la menace constante dont elle est l'objet l’oblige à y maintenir des forces qui, pendant ce temps là, ne peuvent pas servir ailleurs.

La Suisse

En Suisse alémanique il y a 2.600.000 habitants qui parlent l'allemand ; en Suisse Romande il y a 800 000 h. qui parlent le Français.

Le Conseil Fédéral comprenait jusqu'ici 5 Alémaniques, un Tessinois et un Romand.

L'équilibre est rétabli si l'on considère que M. Ador succède à M.Hoffman au Ministère des affaires étrangères ; M. Ador détient de plus le portefeuille du département politique jusqu'en fin 1917. Il va ramener la politique suisse à la neutralité officielle stricte.

26 Juin. La coopération américaine

Le temps travaille pour nous ! À la fin de ce mois, cinq milliards de francs auront été payés aux alliés. Des ordres sont donnés pour l'expédition d'un corps de 25 000 hommes, plus 15 000 soldats du génie et l'infanterie marine. Le général Pershing est en France. Les navires de la flotte américaine coopère sur nos cotes avec ceux de la flotte anglaise à la dangereuse chasse des sous-marins.

Léon Daudet

Dans l'Action française dévoile le système d'espionnage boche. Les sous-marins allemands sont renseignés sur les mouvements des navires alliés par deux procédés

1° L'espionnage direct, par sans fil, employé notamment à Mouries.

2° La réassurance

Les [compagnies] d'assurance inscrivent sur leurs contrats le nom des bâtiments, leur tonnage, leur cargaison, le jour probable du départ, le lieu d'arrivée 2° Repassent ces contrats en réassurances à d'autres cies françaises et étrangères 3° Qu'en France toutes les cies d’assurances maritimes ont du personnel suisse et espagnol. 4° Les agences de réassurances en Suisse et en Espagne ont toutes au moins 2 portefeuilles

La marine (anglaise) la Concordia (allemande)

[…] tenus au courant du mouvement maritime. Dans ces […], les […] dans le monde entier d'où les torpillages.

Clémenceau

Mr Léon Bailly traitait Mr Clémenceau de vieux polémiste. On peut penser de Mr Clémenceau tout ce qu'on veut : son activité extraordinaire, sa science débordante, sa brutalité parfois excessive - souvent justifié - autorisent toutes les divergences et toutes les critiques. Il n'est qu'une chose qu'on peut dire de lui, vu l'œuvre immense qu'il a accomplie depuis cette guerre, c'est qu'il soit vieux.

Hervé

Aux drapeaux, alternativement rouge et noir, qu'il brandissait la veille, il substitue le tricolore, qu'il est allé arracher au tas d'ordures où il l'avait fiché. Ou bien il est sincère, et alors sa versatilité extraordinaire, anormale, n'est autre que de la folie. Ou bien il a obéi à ce sentiment - pas très reluisant, mais très humain en somme - qui fait qu'on ne se soucie guère de tâter du poteau… d'exécution - ce poteau qui attend tous les saboteurs de la patrie.

Estimez vous que ce que vous voyez, faites, sentez ait été rendu exactement par les gens de lettres de l'arrière selon le style et les procédés qui conviennent.

Les miroirs de Poilus

Le poilu dit Jean des Vignes rouges, commence à exagérer sa bonne humeur pour rassurer les siens et son courage pour mieux se faire comprendre. La littérature, selon ses habituels procédés accentué encore cette attitude. le guerrier s'efforce par crânerie d'y ajouter, et les écrivains emballés ne connaissent plus de mesure. Inconsciemment, ils poussent le portrait au poilu légendaire, presque fantoche dans son faux réalisme romantique.

D'ailleurs, c'est normal. L'art littéraire, comme tout autre, interprète, transpose, arrange, chiffonne à sa guise cette vérité qu'on croit devoir rencontrer partout et qui n'existe en réalité nulle autre part que dans votre crédulité.

Écrire ou peindre, c'est toujours mentir un peu, puisque c'est voir avec son individualité, originale et exprimer sa vision d'après son propre tempérament d'artiste.

Une décision qui arrive à son heure

Les étrangers doivent présenter à la Mairie 1 carte d’identité avec 3 photos le 1er juillet ; dans le cas contraire, ils seront reconduits à la frontière. Ceci dit, ici, pour les Espagnols. Il est temps, après 3 ans de guerre !

Des permissions

Toute la [classe] 18 devra être envoyée en permission d'ici le 31 juillet, pour pouvoir être mise en formation dès le mois d'août.

Le 29 Juin, 225 bleuets quittent ainsi La Braconne. (Gallet, Specq, Lefranc) L'un d'eux, arrivé depuis 8 jours, repart déjà en permission.

30 Juin. Au dépôt

Le [lieutenant] Liénard passe à la 64e, comme Lt Cdt de [batterie] ; le S/Lt Lucas reste au P.H.R et le rossard Barbier retourne à la 34e Batterie.

On liquide ! Presque tout à refaire : les rations des chevaux ne sont pas exactes ; rien de relevé pour les rations supplémentaires aux feuilles de journées. Je revois le travail du chef Wiel : 2e Tr. 1916. Erreurs consécutives déjà pour les 4 premiers. Mr Bise voudrait simplement relever ce qui est bien ; Petit ne veut pas être son sous-ordre ; ces demoiselles sont plus ou moins folâtres et le chef ne sait pas commander ; le travail devrait être refait en commun, mais chacun va continuer de tirailler, de se rejeter l'un sur l’autre les fautes, erreurs, oublis, négligences qui forcément, ont été commis.

Les serranos- Sur nos front dans les Flandres. Juin 1917

Légion d'esclaves, ont dit les Allemands des Portugais ! Ils ont fait parler d'eux et de leur chef le général Tamagnini. Les premiers contingents portugais étaient débarqués en Février ; ils descendaient aux tranchées par un froid de -18°, eux qui ne voient jamais la neige. Montagnards de la Serra, pêcheurs du littoral, agriculteurs de la terre basse, tous bons chasseurs de loups et de sangliers. la baïonnette est aussi pour eux une arme de bon rapport.

Le recensement professionnel

Il devait avoir lieu le 8 Juillet ; il est ajourné à une date qui sera ultérieurement fixée- Cet ajournement a pour but de permettre à l'administration de prendre les dispositions nécessaires pour qu'il soit procédé, non plus seulement au recensement des hommes de 16 à 60 ans non présents sous les drapeaux, mais aussi en recensement par ménage de la population civile toute entière.

Les pertes de la marine norvégienne

Au 1er Juillet, le total des bateaux norvégiens coulés jusqu'à ce jour à 572, représentant un tonnage de 8[…]95 tonnes. Ces sinistres ont coûté la vie à 585 hommes.

Les terres cosaques

Toutes les terres appartenant aujourd'hui aux cosaques et constituant leur patrimoine historique restent en leur possession. 2° Toutes les terres se trouvant en territoires cosaques et attribuées par le vieux régime à des particuliers, ainsi que les terres qu'y possèdent l'État et les Églises sont à restituer à leurs propriétaires primitifs 3° Les terres qui sont situées en territoires cosaques mais appartenant à des paysans restent en possession de ces derniers.

Indemnités de la vie chère

Elle est de 180f pour moi ; mais comme j'ai un calot sur la tête au lieu calotte, je ne touche rien. Je dois toucher 100f pour Julien, soit 8,83 par mois ; attendons ; nous verrons bien si on nous oublie ! On parle d’augmenter nos traitements de 380f mobilisables compris. Nous verrons.

2 Juillet. L'armée russe attaque

Depuis plusieurs jours, les communiqués allemands et Autrichiens signalaient canonnade croissante dans la région Lembert Brody et la moyenne ZlotoLupa.

Samedi, les communiqués attribuaient à cette canonnade la valeur d'un tir de destruction préliminaire à une opération d'envergure ; hier, ils annonçaient qu'une partie des forces russes s’était mise en mouvement.

Les Communiqués russes n'en disent trop rien ? Est-ce calcul ? L'avenir nous le dira.

Notre front

[…] Georges, Maison du passeur, Dixmude, Steenstrake-Hetsas, Comines, Le Quesnoy, Houplines, La Bassée, Hulluch, Lens, Méricourt, Fresnoy, Oppy, Neuvireuil, Plouvain, Vis-en-Artois, Chérisy, Fontaine-lès-Croisilles, Quéant, Pronville, Boursies, Gou[…]eaucourt, Le Catelet, St Quentin, Brissay, La Fère, Servais, St Gobain, Anzy, Concy, Laffaux, Vauxaillon. Jouy, Aizy, Ossel, Bray, Cerny, Ailles, chemin des Dames, Heurtebise, Vauclerc, Chevreux, Craonne, Corbeny.

Nos adversaires jouissent en Champagne de la supériorité de positions à cause des bois qui masquent leurs préparatifs et leurs mouvements à la situation dominante de leurs feux, à l'organisation du sol et des communications exécutée et perfectionnée depuis 2 ans, tandis que nous devons nous organiser.

[19]En réponse à votre note du 2 juillet, j'ai l'honneur de vous prévenir que je n'ai rien reçu depuis bientôt 3 ans aucun Bulletin d'enseignement primaire, il m'a été impossible ainsi de répondre à un questionnaire dont je soupçonnais l’existence même et cela contrairement aux collègues du 101e, qui eux, m'ont dit être en règle.

Je prends également la respectueuse liberté de vous signaler et de nouveau que mon adresse est inexacte. (La 12e [Batterie] est une batterie combattante du front).

Ci-joint la note retournée, avec qques renseignements concernant ma situation, j'espère que ces renseignements vous seront suffisants. Je suis toujours, Votre très respectueusement dévoué,

5 Juillet

L'offensive russe est réelle et se développe avec succès : 15.000 prisonniers.

Entre la Stripa et la Narayemba, (30 km) les russes ont entrepris une attaque considérée comme très grave. Des 2 côtés de Konianski nous avons cédé ; l'activité de l'artillerie s'étend de Loursk jusque Stanislau. Les Autrichiens vont avoir à se défendre contre les Italiens et les Russes ; la trouée gagne 3 km en profondeur avec des hernies marquées de 5 km.

Nos bourrins

Le 3 Juillet, le Capne vétérinaire Mallet se retire dans la vie civile ; le Cdt Maury fait alors grandement son éloge !! Et pourtant. Rien de plus éloquent que les chiffres M. le Cdt qui allez signer cet état que j'ai tant de peine à établir.

Sur 770 chevaux à l'effectif il y a 25 chevaux trop jeunes (5ans) 156 indisponibles 55 à l'infirmerie, 111 fatigués ou trop âgés : Total 347.

La 61e n'a que des […]ponibles.

10 Juillet 17. Une crise en Allemagne

L'Empire de Guillaume II, qui dans un but de conquête et de domination a déchaîné cette guerre atroce, est dans la nécessité d’attendre le dénouement militaire du drame pour déterminer son attitude. La politique impériale est liée à la décision militaire. Une paix a été offerte mais une paix calquée sur la carte de guerre. [20]Le catholique Erzberger se prononce pour une paix sans annexion et conclut en demandant la démission de Von Cappelle, du chancelier et de tout le gouvernement.

Les conservateurs ont déclaré rompre toutes relations avec Erzberger. [21]. Les journaux sont dans le désarroi : L'avalanche est en marche, dit les […] Stuttgater Tagblatt. Nous sommes à la veille de graves décisions dit « Les dernières nouvelles de Leipzig. Notre gouvernement me semble plus croire à la victoire Taeglische Ruurdschan. Quo Vadis Germania.

Le Comte Westarp adjura le Reichstag de convoquer devant une commission Hindebourg et Ludendorf.

Une note rectificative : Contrairement aux informations des journaux disent les députés, on constate qu'il n'y a pas de flottement et que rien de semblable n'a été exprimé dans les dernières séances ; on a reconnu, au contraire, unanimement l'efficacité dépassant toutes les prévisions de la guerre sous-marine.

L'officieuse Gazette de Cologne dit que le discours de Erzberger exprime les idées d'une homme qui ne retient pas particulièrement l'attention par de grands succès remportés dans le domaine de la politique étrangère puisse causer une telle émotion au Reichstag et dans une partie de la presse, c'est aussi regrettable que les récits exagérés de crise dont les plumitifs à l’esprit inventif l'ont fait aussitôt suivre.

Le Vo[…]aerts n'en reste pas moins satisfait du cours des événements. La majorité du Reichstag semble avoir vu, dit-il, que même en temps de guerre on peut arriver à dire la vérité et la vérité est que nous ne pouvons pas détruire nos ennemis, que nous souffrons atrocement de la guerre.

Le 14 Juillet la crise approche de son dénouement. Guillaume a consulté le Kronprinz qui a consulté le socialiste David, Erzberger du centre, Westarp conservateur et Streseman, national libéral.

La question essentielle est celle de la participation effective de la représentation populaire au gouvernement.

La mentalité d'une jeune fille boche

Le contenu de ta dernière lettre m'aurait blessé, si je ne savais pas que tes pensées sur notre glorieuse guerre résulte de ta saisissante ignorance. Tu vis dans un pays efféminé par l'influence d'idées de liberté et qui est en retard d'au moins deux siècles[22] que nous autres. Il vous manque une forte dose de culture prussienne. Il est évident que, toi, Louisette, aux pensées façonnées à la Française, tu ne peux comprendre, que mon cœur de jeune fille allemande a désiré ardemment et passionnément cette guerre

On en parlait depuis des années, mon père nous disait : Enfant, l'Allemagne devient trop petite, il faudra retourner en France pour nous créer un peu de place. Est-ce notre faute si la France ne veut pas comprendre que nous avons besoin d’argent et de son pays ! Et alors on nous reproche que nos soldats aient sévi contre cette canaille belge. Tu parles aussi des ruines de Reims, des villages et des villes incendiées, cela c’est la guerre.

Comme dans toute entreprise nous sommes passés maître en faisant la guerre. Vous avez de quoi apprendre pour nous égaler et je puis t'assurer que tout ce qui a été fait jusqu'à ce jour, ce n'est que bagatelles auprès de ce qui va suivre.

Dorénavant, il n'y aura qu'un peuple qui soit digne de dominer le monde et qui est atteint le suprême degré de civilisation et ce peuple, c'est nous Prussiens. Car si nous Allemands, sommes en général le peuple des seigneurs du monde, le prussien est incontestablement le seigneur par excellence parmi les allemands. Toutes les autres nations et parmi elles la Suisse sont dégénérées et de valeur inférieure, c'est pourquoi je suis si fière d'être une vraie prussienne. Hier encore, notre pasteur nous a expliqué d'une façon très convaincante que les premiers hommes Adam et Ève étaient aussi prussiens. Cela est facile à comprendre, car il est dit dans la Bible notre Dieu allemand nous a créé selon son image si, donc tous les hommes descendent d’Adam et de son épouse, il ne devrait exister que des prussiens ou au moins des allemands, et toute espèce qui pousse et prospère devrait nous appartenir. Il faut avouer que notre raisonnement est logique et c’est pourquoi notre Devise est Dieu avec nous, l'Allemagne au-dessus de tout. Tu sais maintenant pourquoi nous voulions la guerre. N'est-ce pas honteux que d'autres peuples qui n'ont pas le droit d'exister sur cette terre veuille réduire notre héritage.

Nous sommes fruits divins et les autres ne sont que des mauvaises herbes. C'est pourquoi notre grand Empereur représentant de Dieu sur la terre a décidé de mettre fin à toutes ces injustices et à toutes ces mauvaises herbes. Comprends tu maintenant ?

En te serrant la main à la prussienne je demeure ton amie de pension. Katt Hav

12 Juin

[…] journée sensation […] communication de l'Académie m'avisant que les SAx Membres de l'Enseignement et cl. 96 vont être mis en sursis, au plus tard pour le 15 [septembre] M.Bequignon a l'amabilité d'indiquer les postes que je sollicite par ordre de préférence : je réponds de suite par 2 lettres la 1ère est un accusé réception ; la 2e renferme mes desiderata à savoir que je tiens a être placé provisoirement à Saint-Pol, Ramecourt, Gauchin. Herlin pour pouvoir envoyer mes enfants au Collège comme demi-pensionnaires. Attendons.

L'après-midi Jean chante superbement « flotte petit drapeau » à la distribution solennelle des prix présidé par le Député Weiller, décroche le prix d'excellence ce qui soulève les bravos de toute l'assistance et 8 nominations sur 9 matières et 7 prix, Julien 7 nominations dont 2 prix : Félicitations diverses, notamment du Cdt Maury, des voisins, Fity, Coppée, Mmes Delage et Gendron où nous allons passer la soirée.

Mais comment se fait-il que le Député doive 20f à Mazillier et à Vigniaud et rien ni à Jean ni à Delage. Il faut ménager les électeurs ! Mais c'est peu adroit, Mrs- Et puis on s'en f---

14 Juillet

Temps orageux ! Revue le matin à 9 h tout le monde est là manœuvrant tant bien que mal, sauf [quelques] secrétaires et Chefs de service qui assurent le service courant. Je reste seul au bureau pour rectifier la solde des Officiers du 2e Tr. 1916 travail fait par le Chef, mais cousu d'erreurs !!! Le [capiatine] est à Royan depuis 8 jours.

Ferrand et Lecocq partent pour Angoulême faire un stage de 1 mois comme artificier. Petit, Rosiaux Delebois vont à Bordeaux : beaucoup de permissionnaires. Temps lourd ; Julien va taquiner le goujon à l'écluse d'Glérat, mais çà ne mord pas. Jean rapporte des chabots .

Le recul russe : Gernowitz (3 Août) Kimpolung

Le 29 Juillet

[23]La canonade est furibonde sur le front britannique elle a gagné la rive droite de la Meuse. Les nôtres tiennent sur le chemin des dames où les attaques boches sont furieusement répétées. La Galicie est aux ¾ évacuée par les Russes avec Taniopol et Koloméa. La Sereth est franchie depuis Zalozce jusqu'à Buczacz et la Bukorvine menacée par l'avance de l’ennemi de sur le Dniester.

Où s'arrêtera la retraite moscovite ?

Les troupes russo roumaines ont pénétré sur le front austro-allemand sur une largeur de 30 km et une profondeur de 15 km sur la Putua et la Susita. 1245 prisonniers.

31 Juillet

La température s'est radoucie ; il n'est que temps car la chaleur est dans ce pays insupportable ; comme boisson un vin qui vous aigrit l'estomac, une eau pas fraîche, de la bière pas fraîche ! Boire le moins possible.

Le pain reste blanc, de bonne qualité à 0,85 ; à ce point de vue, nous sommes des privilégiés. Le sucre à 1,80- Le café 3,60 la livre, la chicorée 0,50 les 100gr ; le savon 1,40 le morceau (au lieu de 0,40) l'huile 2,50 la livre, le lait 0,40 le litre, les petits beurre 0,70 pour 12 (1 quart) le cirage 0,70 la boîte au lieu de 0,30 les œufs 56 sous la douzaine, le chocolat 3f la livre, le paté 3f la livre, la laine noire 24f le kg, la pomme de terre 6 sous le kilo, les nouilles 0,90 la ½ livre, le macaroni 11 sous la ½ livre, la boite de sardines 1,10, les cerises 10 sous la livre comme les bolets, les pois 0,60 le kg, la graisse 1,10 la ½ livre, le riz 1,20 la livre, le lait 2,25 le livre, les haricots 1,40 la livre, la bougie 0,30, la bière 0,70 le litre.

Les fruits abondent : pommes à cuire, poirettes, tomates, concombres, prunes d'Agen, mirabelles, pêches, abricots, melons, figues.

Du pain sans son En permission, j'ai mangé du pain de son ; j'en ai encore l'estomac malade. Le pain de son est un mauvais aliment. Il est fait avec une farine blutée à 85% ; le blé ne peut fournir que 78% de farine. Il faut donc ajouter 10% de sous produits, son et recoupettes, impropres à l’alimentation humaine.

Il provoque des troubles digestifs ; il est dangereux chez les faibles, les vieillards ; les enfants ont la diarrhée et dépérissent. Il en résulte une perte d’énergie et partant de santé, de travail.

Le pain noir est […]uil national. Dr Toulouse.

1er Août

[24][…] de l'artillerie ennemie est plus faible […] communiqué boche.

Quand l'artillerie cesse, c'est l'infanterie qui donne dit le Petit Journal. La lutte d'artillerie a dû reprendre dans la nuit du 30 au 31 Juillet, avec cette intensité particulière qu'elle revêt au moment décisif, dit Le Petit Parisien ; bref nous savions par une indiscrétion que l'attaque devait commencer le 31 ; le communiqué de ce jour mentionne en effet le passage de l'Yser, la prise de Bixchote, du cabaret Korteber et beaucoup de morts et de prisonniers. Pris Hooge, Sanctuaire, Westvek, Frezenberg, St Julien, Pilken sur un front de 24 km.

Le 1er Août, Pluie. On consolide les positions.

[25]Le 2 Août, le mauvais temps gêne les opérations. L'armée [française] conserve toutes les positions conquises. Les Anglais ont été furieusement contre attaqués entre Westhoeke et St Julien : St Julien a été évacué. L'ennemi a été rejeté de la voie ferrée Ypres-Roulers.

Le 3 Août : les anglais reprennent St Julien et progressent au sud de Hollebecke[26]. Jusqu'au 8 Août, rien à signaler. La bataille des Flandres doit toutefois décider du sort de l'Empire disent les boches.

Les Français […] un peu à l'est de Bixchote, au sud ouest de Langemarck

17 Août. Les Anglais enlèvent les défenses allemandes au nord-ouest de Lens et débordent maintenant la route de Lens à Lille.

Les Français prennent d'assaut les positions ennemies de la route Steenstracte. Dixmude et franchissent le Stenbeck.

En fin Octobre, la lutte est toujours vive sur Ypres. L'objectif est la forêt d'Hothulst. Les Anglais disent finir la guerre cet hiver. ?? Un français déclare que les boches « la crèvent » et qu'ils sont heureux lorsqu'ils se rendent : ce témoignage est à retenir.

Le 17 novembre, le canon tonne plus que jamais sur Ypres ; les Anglais ont pris Poest Cappelle et on nous dit qu'ils cherchent à envelopper la forêt d'Hothulst ce qui aurait des conséquences moindres.

3 Août 1917. Nous voici dans la 4e année de la guerre. Les Allemands sont toujours chez nous, et par conséquent vainqueurs. Cependant l’Allemagne a subi 3 échecs diplomatiques.

L'Empereur s'était flatté de signer une paix séparée avec la Russie tsariste d'abord, avec la Russie révolutionnaire ensuite. Il avait cru que l'Union américaine resterait neutre. La Grèce offrait aux submersibles allemands l'abri de ses anses et préparait une offensive sournoise ; Constantin a été chassé, la Grèce nous assure son concours avec Vénizelos.

Une certaine presse entame l'apologie de la dictature. En 92, nous avons eu un Carnot, un Hoche, puis un Bonaparte ; en Russie ils ont Kerensky Nous tâtonnons nous, après 3 ans de guerre, à la recherche de celui dont le nom, pour la postérité demeurera uni à cette période la plus prodigieusement épique des annales humaines.

Nos bons alliés et la vie chère Notre franc fait bien triste figure près du dollar. Ayant sur nous la supériorité de leur unité monétaire, ils dépensent sans compter et leur générosité est si tentante que le prix des marchandises se modifie du jour au lendemain. Nos alliés font rafler pour leur usage, sur nos marchés, le beurre, les œufs, les volailles qui atteignent des prix invraisemblables (la paire de poulets 20 f hier à Angoulême). Les Anglais et les Américains devraient se rendre compte que nous ne pouvons pas lutter contre leur prodigalité.

15 Août. La frontière Espagnole est fermée et le pays est en état de siège. Des troubles se succèdent.

Les 4 puissances alliées ont décidé d’une façon définitive, que si les conditions de paix doivent être discutées, elles le seront par la nation tout entière.

Nach Stockholm 14 Août. Question qui fait beaucoup de bruit. Ira-t-on ? N’ira-t-on pas ? La Fédération de la Seine avec Longuet : Le congrès fédérale de la Seine demande qu’un congrès national du parti soit immédiatement réuni au cas où les passeports seraient refusés.

Ira-t-on ? Ira-t-on pas ? A.Thomas : Il ne peut s'agir pour les socialistes de poursuivre à Stockholm, une paix de conciliation et de compromis, mais d’y affirmer solennellement devant l’Internationale et devant l’opinion de tous les pays, une fois recherchées et établies, les responsabilité de la guerre, ce qui constitue pour la France et les nations alliées de la justice et le droit.

Stockholm, oui ! Mais d’abord l'intérêt national.

[27]L'Amérique refuse les passeports.

Le gouvernement anglais ne paraît pas disposé à les accorder.

M. Henderson avait arraché du Labour Party un vote pour se rendre à Stockholm mais il n'avait pas dit que M.Kerensky y était opposé, ce qui fait qu'il a été désavoué et qu'il a dû démissionner du cabinet. M.Michaelis, dit-on, accordera les passeports à condition qu'ils refusent de discuter la question des responsabilités de la guerre. Si la question est portée à l'ordre du jour, les Allemands doivent s'engager à ne pas prendre part à la discussion. La Russie se désintéresse de la question.

Une ville martyre du Nord Armentières a été évacué le 9 Août. Le bombardement du 30 Juillet par obus asphyxiants a décimé la population. Le gaz inconnu qui remplit ces obus est particulièrement subtil : il s'infiltre partout lentement ; il est nocif

Pendant de longues heures ; il accumule ses effets ; il a des affinités dangereuses pour certaines parties du corps ; il pénètre à travers les vêtements et se glisse sous les masques les mieux conditionnés.

Incolore, il ne décèle sa présence par une odeur visible.

Il n'est pas inodore, il sent le lilas, le réséda et il est plus lourd que l'air. Ils roulent sur le sol, pénètrent dans les caves et suivent la pente des eaux. L'atmosphère n'est pas intenable immédiatement ; on absorbe ces gaz sans se sentir grandement incommodé, mais cinq ou six heures après : on est obligé de s'aliter et l'état empire immédiatement. Les malheureux sont pris par les bronches et par les yeux ; toutes les muqueuses sont atteintes ; ils ressentent comme un feu intérieur et des brûlures sur tout le corps. Une toux sans arrêt, accompagné de fièvre, survient ; le teint devient terreux et le dénouement final ne tarde pas à se produire.

Ce n'est que 48 heures ou 3 jours après l'empoisonnement que les pustules de brûlures apparaissent sur tout le corps. Quand les yeux ou les poumons sont fortement pris, c'est la cécité ou la mort. Dans tous les cas c'est la mort atroce avec l'extinction de la voix et les brûlures cuisantes terribles.

Et pourquoi vouloir s'entêter à demeurer dans des villes bombardés ! (26.000 sur 29.000)

Le Saint Siège adresse aux puissances un nouvel appel à la paix Le pape demande, l'arbitrage, le désarmement, la réparation des dommages. L'évacuation de la Belgique et de la France, restitution des colonies allemandes, des arrangements pur le reste ! Rien de précis.

Nos concerts du dimanche On […] toujours les mêmes : Daussy, Semet, moi et Dubois. Le reste constitue des artistes de fortune. Seule récompense : un portefeuille de 3f que j'ai d'ailleurs choisi moi-même le jour de tombola au 15 juillet. Nous avons perdu Dupont, Dassonville, Bernard, Jullien

On parle encore d'un grand concert et de la réorganisation de nos soirées avec les biquets. On parle aussi de transformer le réfectoire de la 62e [batterie] en salle de spectacle. Il y en a, en effet.

Les bourreurs de crâne Il y a 3 ans le 9 Août, le journal La France de Bordeaux et du Sud-ouest met en gros titre « Un appel désespéré de l'Allemagne aux États-Unis » Le Général Joffre adresse un télégramme réconfortant (Notre cavalerie avance sur Sarrebourg et Château Salvis est occupé.

Notre artillerie a des effets démoralisants et foudroyants pour l'adversaire.

Le Kronprinz est blessé et soigné à Aix-la-Chapelle. Il aurait été victime d'un attentat. Cet attentat résulterait de l'exaspération qui se dessine en Allemagne contre les fauteurs de la guerre. Peu de nouvelles de Belgique. L'offensive [française] s’étend sur un front de 200 km.

Le combat de Dinant a été désastreux pour l'ennemi. Le sang-froid de nos aviateurs stupéfie les Allemands. Mutineries et soulèvements de troupes en Autriche. Le tsar va proclamer la liberté religieuse. Les Autrichiens abandonnent Trieste. Les Autrichiens ont été défaits par les Serbes à Chabats. Ça c'est vrai ; tout ce qui […] fait sourire aujourd'hui.

L'offensive. 23 août 1917. Les Italiens ont passé l'Izonzo et attaquent sur un front de 70 km. Ils ont fait 11.000 prisonniers. Les nôtres ont pris l'offensive sur Verdun et ont fait 5 000 prisonniers.

Que signifient ces offensives. On nous signifie que les offensives de Champagne et de la Somme étaient des offensives… géographiques n'ayant pas réussi.

Que nous réserve celle de Verdun ? Il me semble que cette offensive, comme celle de l'Yser ont pour but d'occuper des positions stratégiques permettant sans doute de prendre la suite la véritable offensive qui permettrait de supprimer la guerre de tranchées et de forcer les boches à accepter la guerre de mouvements ; mais, dans 2 mois, c'’est l'hiver et si alors les actions restent localisés les boches auront le temps de fortifier à nouveau, soit en face de nous, soit en arrière comme ils l'ont fait sur la Somme alors qu'ils ont été obligé de reculer, c'est vrai, mais sur une autre ligne formidable et préparée à l’avance.

That is the question. En attendant, les volontaires de [classe] 18 sont désignés pour partir en renfort sur Verdun

18 septembre 1917

Mon départ m'a obligé 1° de ne plus lire les journaux. Et donc, les bochesvoudraient une paix sans indemnités ni annexions et en 1933 ils ont un effectif de 8 millions d'hommes contre 3.300.000 en France ; 9 contre 4 si l'on veut. Donc pas de paix blanche.

Kormlof s'en rendu au général Alexief qui l'a mis en état d’arrestation. Kerenski s’est proclamé dictateur et a pris en main la direction générale de tous les services administratifs et de toutes les forces militaires et navales de la Russie.

Sur le front, les boches ont une attitude étonnamment passive.

Le nouveau cabinet ne comprend comme socialiste que J.Breton aux inventions et D.Vincent à l'Inst.publique, Painlevé président Ribot aux affaires étrangères Klotz aux finances M.Long R.Poret Justice P.Morel Renard Dumesnil (aéronautique) 4 Ministres d’Etats : M.Barthou, Doumer, Dupuy, Bourgeois, Loucheur (armement, fabrications de guerre) Peytral (Intérieur) M.de Monzie

À Villers-Brûlin. Le 19 [septembre] le temps est idéalement beau ; on entend le ronron des avions et l'on aperçoit à l'horizon les flocons blancs des shrapnels.

Les cornemuses et les grosses caisses font une promenade dans le bas du village. Le canon est muet ; on fait la relève paraît-il dans le secteur d'Arras.

La gare de Savy-Berlette est déserte ; tous les garages sont devenus inutiles les baraquements sont enlevés.

Il passe des trains de charbon sur Arras, Albert, Amiens, Paris ? On a tout à fait l'air de se préparer comme si on allait déclarer la guerre.

20 [septembre]. Enfin. Venons à l'instant de chercher à la Mairie nos laissez-passer. (11 heures). Allons demain à Angoulême pour avoir demi-tarif . Partons de La Roche à 8 h 20 le samedi 22. Nos sauf conduits n’ont mis que 3 jours en route. On ne s'y attendait pas si tôt. Il n'est que temps. On a attendu assez.

Ma deuxième permission

Je pars le dimanche 15 Juillet, au train de 7h50 par Limoges. Peu de monde dans le train. À gauche, coté sud, des pentes boisées avec des chênes, des châtaigniers. À droite des champs de blés mûr, des pommes de terre, des pâturages ras et des pâturages tourbeux avec des joncs, des genêts, peu de ronces, peu d'orties, peu de chardons.

St Junien. Une dame très élégante, monte dans le compartiment rien ne manque à cette dame pour tuer le temps ; on en prend à son aise pendant la guerre : chacun sait cela.

Limoges Montjovis : je descend et je remonte.

À Limoges, je choisis ma place de suite et je monte le bon pain blanc de La Roche contrairement aux voisins qui en sont réduits à manger du pain KK on à peu près.

Bassac : pays pittoresque.

Le train traverse la Gartempe, aux eaux torrentueuses où l'on pêche la truite. St Sulpice Laurière, La Souterraine, Argentan, St Marcel, Chateauroux, Issoudun, Vierzon les Aubrais. Le compartiment est comble. Dame les parisiens et les parisiennes sont en ballade.

Austerlitz ; je traverse la gare sans être nullement inquiété ; j'ai comme principe de suivre les civils pour éviter les formalités : ne faut il pas un papier blanc pour avoir le droit de traverser Paris et un autre papier tenant lieu de certificat d'hébergement.

J'arrive à 8h. chez Léontine, comme il était convenu.

À 10 heures, je me case dans le train en gare du Nord. Cette fois, je trouve des connaissances et je fais une partie de cartes. A Amiens, je vais boire la bistouille classique. En route pour Doullens, Frévent, St Pol. J'ai comme voisine, la sœur de Mme Lemaitre Lourdel de St Pol, de Saint-Martin-sur-Cojeul.

J'apprends que Beaurains a été pillé méthodiquement par les boches, en 1914. La brasserie Légentil a servi de fortin et notre artillerie y a tué pas mal de boches.

Frévent : je refais connaissance avec Melle Pasquin.

St Pol. Je descends chez Lécutier, et je refais gaiment connaissance des Ostrevilloises et les St Pollois.

Je dis bonjour chez M. Lefranc. Le fils est à l'hôpital des suites d’une néphrite.

Je prends le train pour Savy. Il pleut. J'arrive à Villers-Brûlin. On bat à la batteuse. J'entre et je dîne : pas moyen de faire autrement une omelette au beurre, de l'échine, de la laitue et du bon pain ; ça irait très bien, si en permission je n'avais pas constamment de la dyspepsie nerveuse et des névralgies intercostales qui gênent passablement les battements du cœur.

Félix continue ses études chez M.Découdu. Grand-mère radiable un corsage. La conversation manque d'entrain.

Le balais marche toujours, et il faut bien s'observer quand on se risque de parler des choses les plus banales. Grand'mère n'ose rien dire même quand Eugènie n'est pas là car, lorsque cette dernière rentre elle attrape un bouchon. Il est vrai qu'une heure après, on ne sait que me dire et que me faire.

Mardi 17. Je pars pour Beaurains.

23 Juillet. M.Poyez est arrivé avec Marie. Et Léontine qui n'arrive pas.

Je suis fatigué et le mauvais pain me détraque l’estomac. Je vais boire du lait chez Cailleret et manger de la tupie chez M. Decoudu. Je ne vais pas au cabaret : La bière est fadasse ; le vin, trop sucré, coûte 7 sous le verre et le café est pur trop nature.

J'ai chanté à l'église le dimanche, le lundi et le mardi on est allé à la Messe dite pour maman. On retourne donc à l'église. Papa est organiste. Félix s'initie au chant liturgique et apprend l'harmonium et j'écoute volontiers le « prêche » du curé de Bersaques sur le scapulaire de Notre-Dame du Mt Carmel.

Que peut en dire M. Mercier, lui qui a voulu saper les idées religieuses dans la région. Je constate, avec bien des collègues et avec la Sous-Préfecture que bon nombre de collègues ont retourné casaque et que son œuvre ne lui survivra pas.

N°8. Lettre n°2.

Nous sommes le 20 Juillet ; il est 8h. du matin ; alors que le canon gronde fortement sur Lens, je suis « réfugié » dans la classe avec papa. On nettoie la cuisine et le plâtre est là, et l’tapissier, etc. A cela rien à dire. Le père, en se levant, fut pris d’un beau mouvement ; il m’invite à l’aider pour faire les comptes et budgets de l’exercice 1916 : je lui réponds qu’en faît de comptable j’en ai par-dessus la tête ! Et voila les jérémiades qui recommencent : Je ne te demanderai rien ! Les voila bien les services qu’on me rend ! Un morceau avalé n’a plus de goût ! etc etc des inepties, auxquelles je ne puis répondre- Encore 3 jours, et la fuite pour La Rochefoucault. Je finirai bien parler à mon tour.

Hier, au récit forcé de mes misères, on m'écoutait, je dis récit forcé, car je n'aime nullement à aller raconter ce que j'ai vu à qui que ce soit : Mr Flippe était ce matin, comme d'habitude ; il ne m'a parlé de rien ni moi non plus, alors ! Et puis, faut pas s'en faire.

Je me suis épanché, avec juste raison, avec Melle Choquet et tous ceux qui sont logés à la même enseigne que nous ; les autres sont trop occupés à leurs affaires pour s’occuper des nôtres ; pas de différence, ici, avec les […]ottiers-

Et maintenant, revenons en arrière et reprenons la suite des événements.

Mardi 17 matin. Papa est allé à Tincques porter un colis pour Pierre ; je ne puis l’accompagner ; il eût été bien plus simple qu’il vienne avec moi jusque Savy-Berlette où je devais prendre le train à 1h50 ; il rentre donc au moment où je finis de dîner pour partir au plus vite. Le train est à l’heure ; j’monte donc à Savy et je n’en descendrai qu’à Mareuil, point Terminus.

Le train file à toute vapeur ; il est traîné par une machine anglaise R.O.D ; à A. à F.C à M.St E à M… ce n’est que travaux de terrassement avec un personnel nombreux pour élargir la voie, la doubler, la tripler, en construire des voies de garage etc etc ! L'organisation anglaise à l'arrière du front est superbe ; cette fois, on constate qu’on les aura ; le matériel est neuf autos, avions, motos, loco, tracteurs, etc.

Au café de la gare, la bonne femme m’apprend que M.Bournonville est décédé à Dainville et qu’il faudrait là un instituteur à poigne pour redresser un peu un tas de vauriens !

Sur un tertre, les armes de l'Angleterre, les insignes de la division en l'espèce d'un bull-dog noir, faite avec des cailloux de différentes couleurs. Je n’ai pas vu de bureaucrate nulle part ; est ce qu’ils seraient moins nombreux que chez nous ? La paperasserie est-elle plus réduite ici ? Par contre un tas de cyclistes et de motocyclistes. Les bicyclettes sont hautes, lourdes, mastoc- Les motos sont petites, avec de puissants moteurs. On quitte le camp et on rentre ; les sentinelles impeccables, arpentent l’entrée des campements, après port d’armes s. une marcje rythmée puis le repos en armes. Un adjudant, à longs pantalons écossais et la calotte de palefrenier fait l’appel ; le silence est de rigueur ; le jouer de cornemuse est présent, avec sa flaüte et son joli costume avec les 2 houpettes blanches sur la cuisse droite !

Un coup de clairon : un petit clairon et l’appel est rendu. Un salut militaire à l’adjudant, et l’on rompt les rangs et nous allons coucher ; Melle Choquet a dédoublé son lit et nous couchons dans la même chambre, dans celle la même que nous avons occupée le 2 Octobre 1914. Il est convenu qu’on part à deux Albert pour Beaurains le lendemain matin il pleut, comme à Warlus on applique encore l’heure ancienne, nous ne partons qu’à 9 heures- Nous avons simplement notre permission de militaire comme sauf conduit ; c’est peu, mais on est décidé à aller jusqu’au bout.

Le pont de D… est bien gardé par des anglais, mais on ne vous dit rien et nous voici dans le village ; pas mal ne nous dit rien et nous voici dans le village, pas mal de maisons ont souffert, mais tout est encore dehors. La maison Patoux est inhabitée et le galetas où nous nous sommes casés un certain soir n’existe plus. Le clocher a beaucoup souffert, mais tient encore.

Route de Doullens ; on boit un coup de vin. La sucrerie est démolie : Voila Beaurains, tel que nous l’apercevons sur une largeur de 1km.

Un bouquet d’arbres chez Pagniez, et des squelettes pour le reste ; qques rares pans de mur encore debout ! Quel contraste avec le cadre de verdure.

Passage à niveau d’Achicourt ; on passe Le Crinchon.

Mon vieux Albert, le 1er qui nous arrête, on l’f… dans l’bouillon. La place ! Les 4 murs à l’école et c’est tout.

Achicourt a souffert comme Arras, en général ; bien peu de civils encore. Voila le pont de chemin de fer. Mon vieux, là, on va exhiber ! Couille, père ; pas l’ombre d’un policeman pour traverser la ligne prohibée- Nous voici dans la zone dangereuse- Ben, mon colon, on a exagéré ! Le terrain est encore cultivable.

Ah, mais voila la route de B. Là c’est autre chose. Un abri s’ouvre sous terre ; des english en sortent ! Permission Yes. Permission ! Belgique, no boue -Yes- Et le geste de se trotter et l’on continue- R. de B.

Les arbres sont déchiquetés, coupés net. Les premières maisons n’existent plus ; minées, elles ont sauté. A droite rien que des trous d’obus, et un fouillis inextricables de fils barbelés ; les piquets de tranchées sont remplacés par des pieux en fer que l’on enfonce à la façon d’une vrille, eux-mêmes étant cont[…]és en tire bouchons. Ah ! Le pavé ; à la place de chez Mathias un tas de terre et en cet endroit le chemin est encaissé comme dans une tranchée de chemin de fer : Ca commence bien, mon bon. Beaurains, yes, at home, house, here, schol master ; permission : Belgique ! Belgique, no home ! Yes. Le pavé et la route de l’Église sont en parfait état d’entretien sauf les trottoirs qui n’existent plus. Le rouleau niveleur fonctionne ; il a derrière lui son wagon rempli de pierres et son tonneau arroseur d’eau ; il est vrai que les matériaux ne manquent pas ; toutes nos maisons ont servi à empierrer les routes, si bien par les boches que par les français et les anglais. Un réseau de fils électriques longue ces routes, les seules qui restent avec la route de Thilloy, passant à la place de la maison Mr Pot. En effet : la barrière de chez Bavreuil tient encore d’un côté : comme troupes, des terrassiers. Un bac à charbon ; mon albert allonge ses longues quilles sur les décombres.

Ca doit être çà, mon vieux, l’emplacement de la mare ; là en haut ! Un pan de mur ; c’est sans doute ce qui reste de l’école des filles et parconséquent le chemin du Petit Val était là ; et puis voila à gauche la « creuse ». Une saucisse s’y étale par terre ; mon vieux, la saucisse est au repos ; nous ne recevions pas de balles de schrapnells, et puis, tu sais, on s’en f… Les obus, on s’en f. tout autant ; il n’y a qu’au sauter 1 mètre et nous voila dans le boyau qui conduit au souterrain voisin.

La brousse, mon cher ! des chaussons, du sureau, des orties. Des boyaux profonds de 3 m ; il faut traverser tout cela pour arriver là-bas chez moi, où je reconnais encore debout la cheminée de la cuisine, justement celle qui était la moins solide ; derrière le mur Paniez, [quelques] chevaux qu’on ferre et notre cuisine, intacte si l’on en excepte la porte la fenêtre et le mur d’entrée sert de forge.

Plus rien aux murs, plus le moindre clou ; les crampons enlevés ; il reste le papier de la tapisserie dont ci-joint une relique ; dans le fond, en haut un nid en mortier et foin, ouvert par le haut-Hirondelle ? La cour, amas informe de décombres ; le mur est encore debout jusqu’à 50cm du sol ; la porte d’entrée et son mur enlevés net par un obus qui a tout enfoncé dans la terre au pied du poirier qui est encore vert mais sans fruit. Un trou de marmite juste en face du poulailler. Albert va chercher un pré et voila une demi-douzaine d’anglais qui arrivent avec pelle et pioches.

On se met à l’œuvre ; on finit par découvrir le pied du mur du poulailler ; on le suit jusqu’à l’endroit ou il se termine à l’angle de l’abri ou s’était déposé le charbon ; pendant 2 heures, on retire des briques des grés et des pierres, mais rien ; il faut en prendre son parti ; les fouilles seront continuées et je laisse mon adresse à un brave anglais, qui parle français et qui nous mène boire le thé chez Albert, la seule maison de B. encore présentable. Je donne la pièce quand même car les copains sont de rudes remueurs de terre. Le jardin est un dédale de boyaux profonds qui tous se réunissent et qui vont tout droit dans nos 2 caves en parfait état de conservation ; un boyau secondaire mène au puits, resté béant qui reçoit ainsi l’écoulement des eaux. Ton père.

Il y a encore des arbres fruitiers dans le jardin : le gros poirier, le prunier (mort), les groseilliers, sans fruits et des tronçons de palmiers ; de jolies fleurs au milieu des orties au beau milieu de la cour ; les cabinets défoncés ; le mur du fond est percé de meurtrières.

Le pignon de la classe entier avec un trou d’obus. Un bout de la façade avec la 3e fenêtre et un pan de mur sur le derrière, là où se trouvait mon musée ; plus rien aux murs, même plus les crampons que je n’ai jamais pu enlever- Un reste de plafond avec un débris de toitures et c’est tout ; sur le sol, comme dans la cuisine le ciment intact. Au milieu de la maison, plus rien de la salle sauf les pignons de réparation ; c’est là que j’ai distingué que dans la salle se trouvaient du côté de chez Morel, 2 cabinets dont nous ne soupçonnions guère l’existence.

Un tas énorme de décombres au milieu de la chambre ; le haut s’est écroulé ; on fouillera cela plus tard.. on verra

Notre lit en fer passe en bout ; j’y distingue une bande de toile qui servait de cache-nez ? Je l’enlève mais il tombe en miettes. Avec ma canne, je fouille sur le dessus du sommier ; il s’en échappe une poussière jaunâtre ! Tout autour des culots d’obus, une grosse lanterne-

Les caves en parfait état avec 2 civières pour se coucher. Un gilet de laine accroché au mur ; de solides piliers soutiennent les voûtes. L’entrée est remplie de sacs de terre. Sur une pierre on a gravé ces mots : justus ?

Les maisons voisines n’existent plus.

L’heure avance. Il pleut. Je me mets à couvert dans un coin de la classe- Albert est plus loin chez lui.

Il fouille ; en manière de plaisanterie il dit qu’il va chercher après son violon et alors il déniche le bout d’ébène où l’on pince les cordes et une plaquette de sapin, puis le crucifix de Melle Choquet, brisé puis des morceaux de marbre. Cristi ! On a soif et l’on prend le thé, le thé anglais liquide jaunâtre que l’on verse à même de la marmite, dans un quart.

Nous voici dans la propriété Paniez.

Un tas de pierres marque l’emplacement du château. Le kiosque en bois est encore debout. Mr Dumont.

[…] au pied ! 60.000f de valeurs, là juste ou l’on n’avait pas fouillé. Qques gros […] encore verts ; le mur de cloture existe encore par endroits- Ailleurs, plus rien. Un obus a ouvert un puits inconnu dans la grange de Piémont- Melle Parenty, Paradis plus rien que des chardons et des orties sur des démolitions. Un tas d’obus, de grenades et de bombes sur le côté. A la place de chez Buquet, un énorme blockauss en béton armé, disloqué- Même blockauss à la place du presbytère, entouré de pierres. La route de Tilloy à la place de la maison J. Pot.

L’église rasée ; à l’intérieur, des débris de chaises et la ferraille de la tribune ; les briques ont été ramassées.

On marche sur les pierres tombales ; beaucoup de monuments encore ; des tranchées profondes. Le monument à M.Paniez intact, mais le caveau est ouvert.

Des mouches vertes ! partons- Mme Delaleux, Hanot, la Mairie rasée jusqu’au pied ; la bascule est remplie d’eau ; les anglais font un caniveau pour l’écoulement des eaux qui sourcent toujours à cet endroit.

Le jardin Hanot, rempli de boyaux avec de l’eau allez fouiller là-dedans.

L’école des filles se réduit à un pan de mur pour la maison d’habitation et aux premières assises de pierre pour la classe ; voici le fournil avec la plaque de bois ou était attachée la pompe- Un escalier cimenté s’enfonce sous terre ; je vois une cave, puis un escalier en dessous de cette cave avec un trou dont je ne vois pas le fond ; sans lumière, je n’ose m’y hasarder. Dans la cour des chardons de toute beauté ; végétation sauvage dans le jardin […] chez moi où poussent encore alors par terre le lierre et la clématite.

La rue du petit Val impraticable.

Le chemin de l’école libre se réduit à un sentier de ce coté les bonnes gens reconnaîtront difficilement l’emplacement de leur maison. La brasserie amas de ruines imposant ; la façade subsiste encore. Le château de Delignière rasé ; les Anglais y installent un garage d’autobus ; l’un d’eux peint en blanc les 2 grés de la porte d’entrée de leur propriété. A droite, je renonce à reconnaître quoi que ce soit.

Au loin, c’est la plaine uniforme car Mercatel est encore plus nu que Beaurains ; je n’y vois plus un seul arbre. En face de chez Gouillard où l’entrée existe encore, les Anglais ont établi une vaste tente avec des banquettes. Churches ou Cinéma ? Je donne avec Albert des renseignements pour reconnaître les grades de nos officiers à un capitaine qui me fait l’effet d’un clergyman et nous revoila sur le pavé, se baladait aussi tranquillement qu’en temps de paix : jusque la sortie du village, je ne distingue rien sauf la barrière de chez M.Plaisant et un bac chez M.Masclef la route est encaissée. Où se trouve la sortie du village ?? Et la briqueterie ; minée elle a sauté.

Des boyaux, des abris, des ferrailles ! Un gros obus non éclaté. Dis donc Albert fourre celui-là dans ta musette. Le faubourg Ronville est moins démoli bien que très malade ; rien du groupe Delalain tout a sauté ; les céramiques de la façade Basquin me disent que c’était là la brasserie. Le reste est ensuite repérable et facilement reconnaissable tout comme Arras qui n’est pas, quoi qu’on en dise, un amas de ruine. Les trains vont en gare. Le pont de Ronville est indemne ; la maison Quillot a peu souffert à l’extérieur ; la gare bravera tout ce que les boches voudront bien encore lui envoyer.

Dans la rue St Aubert, [quelques] librairies et boutiques de bimbeloterie fort bien assorties- Cinéma où l’on fait queue à la salle des concerts et au théâtre.

Il est 5 heures ; on casse la croute à coté du café de la paix, place du théâtre.

Rue Thiers : des maisons ont encore leurs vitres et leurs stores baissés. Le Collège tient encore debout dans son ensemble et sera réparable. Les tables sont encore dans les études, avec les cartes suspendues aux murs. Je traverse le hall, jette un coup d’œil dans la cour et dis bonjour à la Concierge qui est encore là avec sa mère, qui n’a pas bougé et qui couchent au rez de chaussée et sans cave ! Le Principal est à Bordeaux. Franck à Boulogne, avec Gondry et Chabé.

Le clocher de Notre dame des Argents a été épargnée […].

It is six o clock ! Chut ? Open, if you please, et l'on vide une bouteille de mauvaise bière derrière la Trésorerie avec les Anglais qui fraternisent de bon coeur et qui offrent: souvenirs.

La Gendarmerie ; le père Legrand, avec ses 4 brisques sur son arrière costume, nous offre un verre d’excellent cognac Hanot a acheté par son entremise, une cuisinière de chez Brunet. Prix. 195f au lieu de 100f .

Le grand quartier a peu souffert. St Sacrement à moitié démoli. Il pleut, et j’oublie de jeter un regard sur la Normale. On se met à couvert dans le plus fort des averses et l’on regagne Warlus où nous rentrons vers 9 heures, sans plus d’accroc ; le long de la route rien que des dépôts de munitions avec ces pancartes : no smoking, no fires. Un Decauville amène les munitions ; un autre Decauville coupe le faubourg Ronville ; une ligne à voie large aboutit aux réservoirs d’eau du faubourg Ronville.

Pas besoin de demander sa route ; les pancartes, les plaques indicatrices, les flèches abondent.

On entre en parlant musique. Faut pas s’en faire ! On les aura.

En rentrant, maman qui m’avait si bien dit qu’elle avait laissé la cage aux poules sur la cachette finit par comprendre qu’il ne reste plus rien après qu’elle a parlé du vin dans la cave, des caisses du grenier, de la casserole à cuire, du linge. Cette fois, elle est édifiée et supporte vaillamment le choc seule chose qu’il y a à faire. Vendredi. Il n’y a pas moyen de faire partir ses lettres ; je me […] donc à envoyer qques cartes illustrées de Beaurains, quitte à reporter les présents papiers. Promenade à Savy. Pierre a envoyésa photo. Georges père va être libéré. Lucile doit venir ici en Août. Bah !

Pierre a échoué à l'oral du B.E, mais a réussi à l’examen du certificat d’études humaines supérieures. Beau temps[…]

Mon retour à la vie civile

Le samedi 8 [septembre], à 9 h 20 j’arrive chez Georges avec un sac de voyage, une musette, et un paquet de cahiers sous la musette. On est couché. Renée se lève, on se lève. Je crève de soif. On finit par boire de l’eau. Je suis très bien reçu.

Le dimanche, Émélie est de service parce que sa permission est expirée hier soir ??? Georges père est aussi en permission nous allons tous les deux aux provisions : patates à 0,40 le kg, Artichauts à 0,35, gros œufs à 7 sous, ½ livre de beurre des Charentes à 2f, un Camembert à 1,40, 1kg de carrelet pour 1,40 et des poires ; tout cela est pèle mêle dans le filet et la musette. On dîne.

L’après-midi nous voila partis tous les deux pour Charenton par la rue d’Alésia, rue de Tolbiac, rue de Paris. Marie Reine nous dit que Marie arrive en gare du Nord à 4h1/4 ; nous voila partis avec le tramway jusque la place de la Bastille, puis avec le métro. Léopold est là et Marie arrive avec Olympe ; on boit une chope avec Hénocque et nous repartons par la rue de Maubeuge l’Opéra jusqu’au Ministère de la guerre où Emélie nous reprend. Souper. Coucher.

Le lendemain, je vais retirer mon colis à la gare d’Austerlitz, aidé du frère, et je l’emmène à la gare du Nord où je l’enregistre tant bien que mal le service étant mal fait ; le sac est laissé à la consigne. On va dîner rue A.Houssaye ; Léontine nous reçoit malgré le manque de viande.

Nous revenons à pied par les Champs-Élysées, le musée du petit palais où se trouvent le lion du beffroi d’Arras et la tête de la Vierge d’Albert ; on repasse vers les Invalides et on rentre à 6h1/2. La popote est faite par le père, la mère, la fille, ce qui ménage des surprises. Léontine vient souper avec nous. A 10h. je reprends le métro nord-sud porte de Versailles jusque Pasteur, puis Italie gare du Nord où le train interminable est déjà complet. Le temps est superbe. Je fais route jusque Amiens avec des copains en sursis et une grosse cabaretière de Lillers qui nous dit très crûment ce que c’est la vie, parce qu’elle en a l’expérience plutôt cruelle ; d’Amiens à St Pol, c’est la [compagnie]d’une demoiselle qui a quitté brusquement ses patrons pour aller rejoindre son fiancé qu’elle aime d’un amour chaste et pur depuis 7 ans ; celle-là voit la vie tout en rose.

Mardi 10. 11h. Le train n’est nullement en retard, mais le colis n’est pas là ; il ne sera découvert que 8 jours après dans le hall de la petite vitesse, elle voila sorti de la gare.

Le père Junion fait demi-tour en me voyant mais je l’attrape. Il me déclare, comme tout le monde par la suite, que Fontaine ne s’en va pas et que l’Inspecteur a qque chose pour moi, puis il regrette d’en avoir trop dit. Cà débute bien.

Chez l’inspecteur : Malade. Madame me recoit comme un vulgaire client à sa fenêtre ; me propose évasivement Brias, Mons. Fontaine ne s’en va pas ! Madame est malade ! Elle aussi b. D. Ostreville ne s’en va pas.

Et puis, je n’ai rien à vous dire ; je m’excuse de ma visite en disant que je venais tout au moins dire bonjour. Ca va pas ! Je m’en doutais bien. Je sors mes victuailles, et je dîne sur le chemin du petit Gauchin. Je raconte mon boniment à tous les premiers venus dans un style purement militaire et Fontaine, sûrement, sera ainsi renseigné indirectement. J’arrive donc chez Flament où m’on m’apprend peu de chose, si ce n’est que Fontaine est bien ennuyé de partir.

Je suis reçu par les demoiselles. Monsieur et Madame sont partis à Berck ?? J’arrive chez Bourdon ; rien que le fils qui ne m’apprend rien non plus.

Chez le Maire : bien reçu, mais il refuse d’envoyer à un préfet un certificat d’hébergement pour ma famille, sous le prétexte que Fontaine n’a pas de logement ! Encore un qui rallonge le tapis. Je prie le Maire de vouloir bien me délivrer un certificat comme quoi je suis arrivé à mon poste ; cela me suffit ; ma principale idée est faire arriver ma famille le plus vite possible, puisqu’on fait tout pour la retenir à la Roche.

La route est longue et j’ai pas mal absorbé ; je monte sur une loco en gare de Wavrans et je vais me débarbouiller, abasourdi, chez Brasset. Le bonsoir à Mme Sannier (qui me prend pour un autre) à Mme Grébaut, chez Corne, chez Boitel ; j’échoue enfin chez grand’mère Choisne qui me donne l’hospitalité.

Le 12. Je déjeune avec mes restes chez Gallet, où je redige ma correspondance et laisse mes paquets. Je sollicite à l’Académie Brias, Tincques, Mareuil, Dainville.

Je vais me charger chez Lécutier et je dîne chez Samier. Le bonjour chez Lefranc. Je dépose une 2e demande de laissez passer pour ma famille à la mission où j’ai eu tort de parler de permis de séjour, car j’aurais été servi au bout de 2 jours : il est vrai que la Préfecture de Boulogne enverra un laissez-passer pour un mois, heureusement, mais j’ai oublié de produire une demande à Angoulême pour obtenir le ½ tarif. Bref, sur l’injonction d’un gendarme présent, je vais faire régler mes papiers à la gendarmerie ; me voila en règle, moi et pas besoin de laissez passer. Je vais ensuite chez M. Junion faire inscrire Jean comme pensionnaire. Cette fois, on me dit que je dois avoir gain de cause. Est-on sincère. Question d’arrangement, ajoutera Demazure.

En route pour Ostreville.

Jeudi 13. Je déjeune chez Louchet, en famille. Le bonjour chez Leprêtre, chez Dulary, chez Gallet, dîner chez Collier. Bonjour chez Dupuis Béal, arrivée à La Thieuloye, souper chez Buire. Il faut manger alors que je n’ai pas faim et il faut boire alors que l’estomac ne veut rien savoir.

Vendredi 14. Jules rentre de perme alors qu’on boit le vin. Le soir à Monchy chez Robail, Candelier, Roussel et Bécourt. La bonne chère continue.

Samedi 15. Après déjeuner pour Ostreville. Le bonjour chez Debrue Ricard, dîner chez Gallet qui se fait remettre à place dès qu’il parle de Dausque. Le soir, je m’assoupis à une meule dans les champs et je pousse une pointe jusque Marquay où je vois Mme Tabary, Lagarde et Dupuis.

Mme Tabary de Chérisy a eu toutes les bonnes grâces de Mercier à son retour. Mme Lesieux n’a qu’à se morfondre.

J'ai le cafard, suis prêt à pousser jusque Villers-Brûlin. Je reviens avec Béal : toujours les mêmes boniments. Mon Dausque est véritablement mal noté, mais il a l’air de s’en f… Mon petit lit chez Collier m’attend.

16 [septembre]. Le bonjour chez Nonore qui m’admet nullement que Fontaine s’en aille ! chez Carlier, où le brave sert les paysans qui le paient.

Arrivé à Hernicourt. On dîne et de 3h à 9h. je regarde jouer au carabin chez Flament. On soupe et l’on joue au piquet. Je conserve mon sang froid jusqu’au bout. Le collègue voulait mettre sa fille à sa place dans sa classe et l’on devine le reste ; on le lui avait promis. Qui ? Becquignon est un ours. Mercier le soutient mordicus ; et pourquoi ?

C’est un insituteur qui n’a pas de cahier de devoirs mensuels, qui ne fait pas de préparation, qui n’orne pas sa classe, qui fait pas mal de choses irrégulières, qui vit surtout avec les calotins de la région, etc et qui vend du vin en faisant l’article. On a oublié la rentrée des 5000 instituteurs libérés. De dépit, il demande un sursis de retraite comme quoi il n’est plus malade, ce qui est exact .. J’avais prévu tout cela !

17 [septembre]. La situation reste embrouillée. Mme parle de tout vendre et le clapier commence à être vidé ! Fontaine finit par m’emmener au mess des officiers ; c’est n garni composé d’une cuisine et de 2 cabinets qui servait de logement à M. Thibaut père et à sa dame. Le père est décédé. C’est le fils, fermier à côté, qui dispose de la maison et c’est Fontaine qui loue, il l’a dit du moins.

J’arrive à St Pol pour prendre le train de 1 heure pour Savy. J’arrive chez M. Decoudud, où je dîne. Je vois Eugénie papa, Nelly et Lucile. On trouve que j’exagère etc …

Nelly et Lucile partent pour Paris. Les petites suppléantes démissionnent ?? Je vais jusque Aubigny pour écrire. Moi je m’ennuie, condamné à attendre, et à encaisser de la part de la sœur qui est de bonne humeur avec les bonnes gens qui … apportent mais qui est de mauvaise humeur dans la maison ; le père tue le temps où allait boire un verre chez Annebicque, en lisant le journal. Il s’ennuie. Grand’mère est visiblement « agachée » ; elle croit plutôt que je n’irai pas à Hernicourt et que j’ai écouté des contes de « blasses ».

Je vais jusque Étrun poste que l’on me propose, histoire de constater et de payer ma curiosité. Le 22 [septembre] papa part pour Villers.

23 [septembre]. Je quitte Villers-Brûlin avec armes et bagages. Le char à bancs de M.Grandel dépose la mère chez Louchet à Ostreville et le fourbi est amené jusque Hernicourt. On dîne chez Fontaine ; on fait même une partie de carabin chez Flament et on revient à Ostreville où je couche chez Collier sans plus sortir.

24 [septembre]. Je vais à St Pol ; personne au train de 11 heures ; je m’y attendais. Je dîne chez Carré.

25 [septembre ]. Arrivée de la famille au train de 11h1/2 à St Pol. On va manger chez Lécutier et on se dirige vers Ostreville, chez Collier, Louchet Léonce Leprêtre ; je vais coucher à La Thieuloye avec ma femme.

Le 26 [septembre]. Le bonjour chez Buire ; le retour à Ostreville. Dîner chez Théret à Brias avec ma Femme. Jean et Julien nous attendent chez Gallet. Fontaine arrive à 5 h avec la voiture de Mme Hoguet et l’on se dirige chez Hernicourt ; souper chez Fontaine.

27 [septembre]. Avec la voiture de Julien, nous allons chercher nos paquets chez Lécutier nous […] Jean.

28 [septembre]. Nous allons retirer à la gare, la caisse des livres de Jean que j’avais prise à mon départ de La Roche.

29 [septembre]. Jean ramène la commande de fournitures de chez Robbe. En reprenant le train de 5h1/2 pour Wavrans, je revois Quillot et Milléquant et leurs donnes.

30 [septembre]. Maman arrive à 11h, amenée par Mr Boussu réfugié d’Ostreville. L’après-midi, nous allons commander un lit cage chez Dupuis.

Octobre. J’ai écrit à toutes les connaissances et parents ; à noter que seuls me répondent les amis civils : Me Delage, Balavoine, Deffrenne, Warin. Rien des copains ! Rien de la famille Jean va chaque jour au Collège par tous les temps. Il a une bicyclette manque Hayon. 350t, achetée chez M[…]. Mama, touche l’allocation. Les voisins nous donnent des légumes. Ma femme règle sa situation pour les retraites ouvrières -46,f 50- On achète peu, vu qu’on ne sait pas si Fontaine s’en va. Je me démène pour faire marcher ma classe : 42 élèves peu avancés mais sérieux.

Les Fontaine se dérangent à Heuchin, Monchy-Cayeux, Béthune, Ardres, Abbeville, Fruges, Ardres, Guînes, Calais, Berck, Paris-Plage, etc. mais ne trouvent rien.

Mon prédécesseur est un type dans le genre de Dausque : il se distingue par les nombreux services qu’il rend comme secrétaire de tout le monde, services intérressés.

Ex : les 2[…] des réfugiés. Je n’admets nullement sa façon d’émarger au budget ; elle est celle d’un sans-gêne, d’un homme qui ne consulte personne pour mettre dans sa poche.

J’écris au Maire pour régulariser la question des fournitures ; il faudra qu’on me donne satisfaction et nous continuerons par autre chose.

Les Anglais occupent le villlage jusque 18 [octobre] ; il laisse bien des choses à leur départ et leur public ne se fait pas faute de tout ramasser.

Pas mal de réfugiés dans le village ; à Saint-Martin, à Béthonval, à Santricourt. Le Maire occupe la dernière maison de Santricourt, l’Adjoint la 1ère maison d’Hermicourt et le Garde est perdu dans un coin à Béthonval ; rien de bien pratique de ce côté. Le quartier principal est constitué par l’école, le château […]y, le Moulin, le presbytère, l’Église, le cabaret Flament et Cardon. L’endroit est gai, les rues sont très boueuses.

Les bonnes gens ne s’intéressent à l’instituteur que si celui-ci va leur rendre visite et expose carrément ses griefs. A St Martin, rien à prétendre. Une bonne vieille dit à Fontaine de ne pas partir, (en ma présence) Julien va au catéchisme. La demoiselle Lamiot s’occupe de tout ce beau groupe de bambins et y met certainement de la sévérité et du dévouement.

Le collègue est à St Martin ; il place du vi et fait largement de la réclame à sa marchandise.

Retrouvé un excellent collègue de la part de Bourdon de Wavrans. Je ne connais pas encore Melle Duhamel de Saint-Martin. Je dis bonjour volontiers chez Thibaut, route de St Pol, dont le fils Émile est ancien élève de Dufour.

En bonnes relations avec Mme Hoguet, les épiciers Flament, Cardon, les réfugiés Berthe de Beaumetz, Gourmaux d’Angres, Régnier de Roclincourt, Baccart et Beugin de Méricourt, Benoit de Thilloy.

3 bons élèves : Julien, Décobert et Vasseur Olga. A St Pol, on va chez les Léontier, Caïfa, Mme Robbe. Je suis abonné au journal le pays et l’Ecole et la Vie. Jean a pour condisciple Pigelet, Delamotte en C. en D. El[…]cque, Bureau_

28 Octobre 1917

Où en sommes nous ?

Une brillante offensive sur l’Aisne nous rend maître des pentes descendantes du chemin des dames sur le canal, sur l’Ailette. En face de nous, la citadelle de Laon. Nos communications, précaires, jusqu’ici, sont consolidées entre Chavonne et Soissons. Nos poilus vont pouvoir se reposer l’hiver. 11 000 prisonniers, 120 canons, 200 minenwerfer et mitrailleuse. Il y a 8 jours, fiasco pour 5 zeppelins.

On se bataille rive droite de Verdun, bois le Chaume. Les Boches attaquent les Anglais surtout au sud de la forêt d’Hothulst. Les Autrichiens prononcent une offensive sur l’Isonzo ; les Italiens l’attendent avec confiance. Rien en Orient.

En Baltique, les Allemands ont pris les îles d’Oesel de Dato et ménacent Revel via Petrograd ? Ils se retirent derrière la Duna.

Sur le front belge action d'artillerie comme toujours. A l'intérieur, crises allemande, espagnoles, italiennes et françaises. Michaelis restera-t-il ? La vérité c’est que les holiéreaux prussiens dirigent tous les partis. Il faut un Liebkweht pour dire que le salut de l’Allemagne est dans sa défaite. Si elle est victorieuse, elle sera écrasée sous un point de fer. L’Alsace Lorraine est le bouclier de la France et le symbole de l’unité française dit Barthou à la Chambre, le nouveau ministre remplaçant Ribot. Et l’on enquête : affaire Bolo, Jougla, Lenoir Desouches, Turmel, Mahuy Daudet, Goldsky etc etc.

On perquisitionne aux bureaux de l’Action française.

La campagne royaliste

Fin [octobre] 1917. Le 3e emprunt est lancé à 68,50 soit 5,83%.

Les perquisitions opérées dans la nuit de Samedi à dimanche ont permis de saisir plusieurs dépôts d’armes prohibées constituées depuis le début de la guerre, en même temps que des documents d’une haute gravité. Une instruction est ouverte pour manœuvres tendant à provoquer la guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres.

L’écho de Paris. On essaie de nous raconter que la République est mise en danger. Pour qui ? Je ne vois de danger que les Boches. Non, il faut la sauver de Maurras et de Daudet. Quelle grossière malice.

Le Pays. La main au collet et la main sur les papiers. La retraite des armées italiennes, devant des forces écrasantes.

Le recul italien s’effectue sans panique ; On saura plus tard le nombre de prisonniers et de canons capturés. On va essayer de tenir le Tagliamento et le […] avec l’aide des armées franco-anglaises et on prendra la contre-offensive.

Debierre. Les Russes ont lâché pied ; ils s’endorment dans les palabres au lieu de se battre.

De V.Bash à Painlevé. Puisque par bonne foi, par scrupule et aussi par ignorance du maquis de la procédure, vous n’avez pas suivi la bonne voie (juridique) Poincaré , à Painlevé et Painlevé au Garde des Sceaux et non à la chambre, puis au procureur général, puis à un juge qui aurait confronté Malvy-Daudet, vous devriez pour sortir de l’impasse. La vie politique : Saisir la Chambre

Aulard Roussset dit « on s’étonne au moins autant de voir, sur les Alpes, des divisions Turques et bulgares, tandis que nous avons en Macédoine une armée respectable qui ne les a pas empêchés de filer ».

La Censure ne dit rien et les badauds pourraient incriminer Sarrai. Or, le gouvernement et l’état-major savent pourquoi l’armée d’Orient n’a pas agi en cette circonstance. Il eut été sage d’éviter à nos admirables soldats et à leur admirable chef l’amertume de se voir ainsi méconnaître dans une feuille qui passe plus que jamais pour officieuse.

Notes

  1. "à l'œil noir" : cette mention a été barrée par l'auteur.
  2. Dans le texte original, le tout est entouré d'une accolade « gares ».
  3. « et le 10 » a été ajouté dans un deuxième temps.
  4. « Chez Decroix, Demazure » mention ajoutée dans un deuxième temps.
  5. Mention ajoutée dans l'interligne supérieure : « retourne à Frévin-Capelle »
  6. « Logement » : mention ajoutée dans la marge.
  7. « rustiques » a été ajouté au crayon de bois dans l’interligne.
  8. Note insérée dans la marge sous le titre « gâteaux » : «  Les pâtisseries continueront toute l'année à fermer 2j. par semaine. Pas de pâtisserie fraîche en juin & juillet. »
  9. Note insérée dans la marge sous le titre « la viande » : « La vente de la viande est interdite le jeudi à partir du 1er juin cette interdiction portera sur le jeudi et le vendredi.
  10. Note insérée dans la marge sous le titre « les légumes » : « les haricots se vendent 180f les 100kg à Ruffec, 120f à Civray, 150f à Mausle, 240f à La Roche ».
  11. Mention ajoutée dans la marge : « Constantin a abdiqué sur la sommation de l'entente. Son second fils lui succède »
  12. Mention ajoutée dans la marge : « Comme auxilaires on a jusque maintenant, ici, mis l'instituteur en sursis cl. 95 et une cinquantaine de Culteurs. R.A.T ».
  13. Mention ajoutée dans la marge : « La même besogne qui dans le civil, revient droit à un franc coûte cinq, dix, cent fois plus. Et un auxiliaire arrive à ne pas produire le quart de ce qu'il dépense. Pourquoi cela ? Parce que les chefs sont préparés à des opérations militaires et non à diriger des travailleurs. L'incompétence s’allie ici à une autorité absolue. »
  14. À l'origine, il était écrit les « vieilles classes ». L'auteur a barré la mention et l'a remplacé par les « auxiliaires ».
  15. Mention ajoutée dans la marge : « Racontons intéressés : Paris est en feu en flammes ; la victoire des ennemis est certaine les américains viennent à l’arrière pour remplacer les vieilles classes qui iront à l'avant. »
  16. Mention ajoutée dans la marge : « Comme dit Cotelette l futur recensement général devrait avoir pour principal objet de nous débarrasser des boches et des bochisants qui se trouvent encore en France et qui s'y livrent sans que M. Malvy et les préfets l'ignorent à la besogne d'espionnage et de dépression morale que l'on sait »
  17. Mention ajoutée dans la marge : « Les Handelblas déclare que les femmes et les enfants qui volèrent 150 kg de pommes de erre ignoraient qu'elles étaient destinées à l'Angleterre. »
  18. Mention ajoutée dans la marge : « ils occupent Avion le 30 Juin.»
  19. Mention ajoutée dans la marge : «  3 Juillet 1917 Prière à M.Lesieux instituteur au 101e […] Bie de me faire parvenir directement et par retour du Courrier à l'Inspection académique à Boulogne-sur-Mer, la réponse au questionnaire figurant à la page 105 du Bulletin de mars-mai 1917 et concernant l'Indemnité de vie chère.»
  20. Mention ajoutée dans la marge : « Qu'en sortira-t-il ?»
  21. Mention ajoutée dans la marge : « Le discours du chancelier peut être signé Hindeburg. Le Reichstag a voté les crédits de guerre sans discuter les déclarations de Michaëlis. Il a en même temps adopté par 214 voix contre 166 une insignifiante motion de paix »
  22. Mention ajoutée dans la marge : « Francfort sur l'Oder. 20 Juillet 1916. Transmise par une allemande à une Suissesse qui l'a communiquée à la directrice d'une école de Bordeaux, qui l'a communiquée à ses élèves. »
  23. Mention ajoutée dans la marge : « C'est le plus formidable déploiement d'artillerie de cette guerre disent les Boches, en parlant des Flandres. L'offensive doit commencer le 31 Juillet. »
  24. Mention ajoutée dans la marge : « Une offensive qui commence ; que va-t-elle donner ? Et combien va-t-elle durer ? »
  25. Mention ajoutée dans la marge : « Cette bataille des Flandres sera courte, si elle ne dure que 100 jours ».
  26. Mention ajoutée dans la marge : « Nous sommes à la veille de graves événements. Attendons les avec un courage viril et avec résolution. »
  27. Mention ajoutée dans la marge : « M.Lanswig. Les Etats-Unis étant en guerre avec l'Allemagne aucun citoyen ne peut sans tomber sous le coup de la loi de la trahison entrer en relations avec les délégués de l'ennemi. La nation étant en guerre, c'est toute la nation qui doit discuter des conditions de l'autorité et il serait antidémocratique de conférer à une seule classe de citoyens, des privilèges qui appartiennent à tous. »