Conférence du curé d'Ambricourt et Crépy sur sa mobilisation et la vie de sa paroisse durant la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Évêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé d'Ambricourt et Crépy rapporte en cinq pages manuscrites la vie religieuse dans sa paroisse pendant la guerre et un bombardement subi à Ambricourt. Ces faits, il les tient de paroissiens et des curés qui l'ont remplacé durant toute la guerre car il fut mobilisé du 6 septembre 1914 au 12 février 1919. Un deuxième récit décrit sa vie de prêtre soldat hors de sa paroisse.


Le premier récit a été retranscrit intégralement ci-dessous, en respectant l'orthographe et la casse, seules certaines abréviations ont été restaurées afin de faciliter la lecture. L'original est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 106.


Transcription[1]

Paroisse d'Ambricourt-Crépy

Comme dans la plupart des paroisses, un mouvement religieux extraordinaire se dessine pendant la guerre dans celles d'Ambricourt-Crépy.

Dès le jour même du départ de leur pasteur, les paroissiens remplissent chaque soir la petite église. Une personne de bonne volonté récite le chapelet auquel répond toute l'assistance. De temps en temps, un salut est chanté et la bénédiction du Très Saint Sacrement donnée par un prêtre mobilisé dans la troupe de passage (2e Dragons - 68e Infanterie - 12e cuirassiers - 92e Infanterie - 350e Infanterie - 31e Chasseurs - 90e Infanterie - Convois automobile - 66e Infanterie - 144e Infanterie - 83e Infanterie - 1 régiment américain et plusieurs régiments anglais). On prie avec ferveur, car on implore la protection du Ciel sur la patrie en danger, sur ceux qui partent à son service. L'autel de la Vierge brille de nombreuses lumières ; tous les yeux pleins de larmes se portent sur la blanche Madone qui le domine ; les chants, véritables supplications d'âmes en détresse, montant jusqu'à Marie : Reine de France, priez pour nous ; notre espérance repose toute en vous... Quelles vêpres de foi et de patriotisme ! Quelle douce et réconfortante vision ! Mais hélas, cette vision devait disparaître, et vite... De l'avis de tous, la guerre ne devait durer que quelques mois. Le pasteur lui-même - comme tant d'autres - ne l'avait-il pas fait prévoir dans son allocution d'adieu ?... Par ailleurs, les gens se refusaient à voir dans la guerre un juste châtiment d'En-Haut ; ils ne comprenaient pas que les crimes officiels comme ceux des individus réclamaient une expiation. Ils ne voyaient qu'une chose : la fin immédiate du fléau et le retour au foyer de ceux qui étaient partis au service de la France. Dieu, disent-ils

Mémoire du curé d'Ambricourt-Crépy
Voir l'original (page 1)
reste sourd à nos supplications. Mais Lui avait ses raisons pour permettre

la continuation de la guerre. Aussi le découragement s'empara de la plupart des âmes, et sous l'influence néfaste de certains esprits forts, comme des mauvais éléments qui composaient les troupes de cantonnement, la foi et la confiance baissèrent, et c'est à peine si le soir à l'église l'on comptait encore quelques personnes ! Ajoutez à cela la longueur de l'épreuve, l'insuccès toujours croissant de nos armes, et vous aurez une idée suffisamment juste du découragement et de la torpeur spirituelle dans lesquels étaient plongées les âmes. Mais une des causes principales de l'oubli de Dieu et de la prière, c'était la soif de l'or qui commençait à affluer dans nos campagnes. Dieu était délaissé par la plupart pour le veau d'or. Est-il besoin d'ajouter que la dépravation des mœurs fut pendant la guerre un puissant facteur d'irreligion ? Si vous voulez tuer la religion, a-t-on dit, tuez d'abord les mœurs. Que de troupes sont passées en faisant le mal ! Que de tristes souvenirs, que de remords elles ont laissés ! Ah! Les réjouissances et les plaisirs de l'arrière ! Au front, l'on donnait sa vie ; à l'arrière l'on vivait sa vie ... Aussi, peut-on affirmer hardiment que l'âme, beaucoup plus que le corps, a été la grande mutilée de la guerre.

Si nous considérons maintenant l'organisation du service religieux aux différentes périodes de la guerre, nous voyons qu'à peu de chose près, elle reste ce qu'elle était avant la guerre. Ambricourt et Crépy furent d'abord desservis par Monsieur l'Abbé Lengrand, d'Ablainzevelle (doyenné de Vitry), mis en sursis en tant que classe 1889. Rappelé 7 mois plus tard, il fut remplacé par Monsieur l'abbé Bellenguez, curé de Lisbourg (paroisse distante de 6 kilo(mètres) qui, bien volontiers, consentit à desservir les 2 paroisses, pensant que dans quelques mois le pasteur serait rendu à la vie paroissiale. Mais il dut réchauffer son zèle pour 3 ans ! Il fut à son tour remplacé par monsieur l'abbé Verdière, curé évacué de Saint-Venant et ancien curé des deux paroisses, jusqu'au retour du curé titulaire qui s'est effectué le 16 février 1919. Je tiens ici à rendre hommage aux différents curés intérimaires qui

Mémoire du curé d'Ambricourt-Crépy
Voir l'original (page 2)
par leur zèle et leur dévouement ont contribué à faire revivre ou à

maintenir l'esprit de foi et de religion dans les deux paroisses. Et ce fut la plus grande joie- pour ne pas dire la seule - du curé titulaire, que de toujours savoir son église ouverte au culte, le catholicisme enseigné aux enfants, etc, etc. Malheureusement il n'en fut pas ainsi partout. Combien d'églises fermées par suite du départ de leurs desservants ! Combien de prêtres, et j'en ai connu - qui ont peiné de cette situation dont souffraient leurs paroissiens eux-mêmes.

Mon meilleur merci doit aller aussi aux paroissiens d'Ambricourt et Crépy qui ont rivalisé de zèle et d'entrain dans l'organisation de différents services religieux et qui, de si bonne grâce, ont mis leurs voitures à la disposition des différents curés intérimaires.

Nous ne saurions oublier la large part qu'ont apportée les troupes dans l'organisation du service religieux des deux paroisses. Quel réconfortant spectacle que cette messe de minuit chantée à la Noël 1915 par le curé permissionnaire et durant laquelle un beau groupe de soldats fit entendre leur voix mâle et religieuse. Et ce service funèbre célébré pour le repos de l'âme du lieutenant de la Bour donnaye, tué d'une balle au front ! Assistance composée exclusivement de soldats précédés de leurs chefs ! Attitude recueillie, pleine de foi. Et avec quel bonheur le curé - encore permissionnaire - fit vibrer les âmes de foi et de patriotisme. Et ces centaines de soldats, composés en majorité de Vendéens et d'Australiens, s'approchant de la table sainte, faisant ainsi l'admiration de la paroisse et lui donnant l'exemple ! Autant de souvenirs précieux !

Peu de choses à dire sur le mouvement charitable dans les deux paroisses. Il fut ce qu'il pouvait être dans nos petites campagnes. On a répondu dans la mesure du possible aux appels à la charité lancés tant du côté religieux que du côté laïque, en faveur des blessés, veuves et orphelins de la guerre, etc. Nos campagnards n'hésitèrent pas non plus à verser leur or pour la défense nationale. À signaler aussi le triste et lamentable exode des pauvres réfugiés qui ont çà et là rencontré des cœurs compatissants. Nous ne voudrions pas passer sous silence l'acte incomparable de charité d'une autorité communale qui, après avoir été emmenée en otage durant un an, dépensa le peu d'argent qui lui restait à envoyer des colis aux prisonniers de son pays natal.

Mémoire du curé d'Ambricourt-Crépy
Voir l'original (page 3)
Les réfugiés trouvèrent toujours en elle l'ami le plus sûr, le plus dévoué.

Qu'il nous soit permis de taire son nom. D'ailleurs Dieu le sait et Il lui décernera la récompense méritée, nous n'en doutons pas.

Bien qu'Ambricourt ait été une "paroisse de l'arrière", il est bon de savoir que cette humble paroisse de 140 habitants a connu, elle aussi, les horreurs du bombardement par avions. Bombardement unique et rapidement effectué, je le veux bien, mais ayant cependant suffi à nous donner une idée si petite fut-elle de ce qui pouvait se passer sur la ligne de feu. C'était le 14 août 1918, la veille de l'Assomption, à cette époque où l'ennemi poursuivi par le maréchal Foch, nouvellement promu généralissime des armées alliées, battait en retraite pour ne plus jamais revenir sur ses pas. L'Allemand, sûr de la défaite, apportait dans ses derniers actes militaires toute la sauvagerie dont il était capable. Ambricourt faillit être victime de cette sauvagerie. Le roi d'Angleterre, Georges V, avait tenu à assister en personne à la for midable et décisive offensive qui devait rejeter l'ennemi par delà les frontières. Il avait choisi comme pied à terre, pour y passer la nuit, le château de Tramecourt, gracieuse et vaste propriété du comte de Chabot. L'Allemand, dont le service d'espionnage, élevé à la hauteur d'une science, fonctionnait à merveille, savait tout...[2]

En effet, voici que le soir du 14 août, notre attention est attirée par des avions ennemis qui sillonnent les airs, vont, viennent, retournent sur leurs pas. Ils cherchent leur point de mire, pense-t-on de toutes parts ; gare la casse au château !!!!! Au même instant, un épouvantable fracas se fait entendre. Nul doute : le Boche, en visant le château, a manqué son but ; c'est Ambricourt (1 kilomètre de distance) qui "trinque"... Chacun s'abrite, au petit bonheur... Le bombardement terminé - après une courte durée de 10 minutes - chacun sort de son abri et s'enquiert des résultats du bombardement. L'émotion est à son comble ; grâce à l'instituteur et au curé de la paroisse, le calme revint vite. quel bonheur ne fut pas le nôtre d'apprendre que les 12 torpilles lancées par l'ennemi n'avaient fait aucune victime dans la population. Ces torpilles étaient tombées, les unes dans la pâture du maire, distante de 50 mètres de la maison qu'ha bitaient 10 femmes, les autres çà et là dans les champs. La famille du maire

Mémoire du curé d'Ambricourt-Crépy
Voir l'original (page 4)
n'a dû son salut qu'à l'amortissement de la chute dans la terre.

Le Ciel nous avait visiblement protégé... D'autre part, Ambricourt avait reçu les honneurs royaux... n'est-il pas vrai ? Aussi, le 15 août 1919, fut appelé la "Fête de la Reconnaissance" et fut célébré avec un éclat tout particulier. Le matin, un très grand nombre de fidèles s'approchèrent de la table sainte, et le soir, la procession tradi tionnelle, simple mais grandiose, se déroula dans le village. Durant quelques jours, les avions boches firent encore quelques randonnées, sans se livrer à aucun bombardement. Ils disparurent enfin pour ne plus jamais revenir. Foch avait vaincu l'Allemand ! Il était temps, car nos régions allaient, en quelques jours, connaître les horreurs de l'invasion...

Statistique : Morts, mobilisés, disparus, blessés, décorés, prisonniers

Ambricourt

  • 36 mobilisés
  • 9 morts
  • 2 disparus
  • 3 blessés
  • 1 décoré
  • 5 prisonniers

Crépy

  • 44 mobilisés
  • 13 morts
  • 1 disparu
  • 3 blessés
  • 2 décorés
  • 4 prisonniers

Comme on le voit, Ambricourt (140 habitants) a payé sa large part dans l'impôt du sang.

Mémoire du curé d'Ambricourt-Crépy
Voir l'original (page 5)

Prêtre-soldat du 6 août 1914 au 12 février 1919

Notes

  1. Transcription Laurence Deyris pour Wikipasdecalais
  2. Le curé de Fruges relate le même événement dans sa conférence

Source

  • Archives diocésaines du Pas-de-Calais, 6 V.

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