Conférence du curé de Beuvry sur sa paroisse pendant la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Beuvry établit sa conférence sur les notes de l'abbé Hulo mort en 1918 et dont les notes ont en partie disparu.


Ce témoignage, rédigé le 20 septembre 1919 sur quatorze pages manuscrites, est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 102. Nous vous en proposons ici la transcription[1] ainsi que la possibilité de lire l'original.

Le texte de la conférence

[2]Conférence historique sur Beuvry pendant la grande guerre

Pour déterminer les épreuves de Beuvry, pendant la grande guerre, M. le Chamoine Hulo, ancien doyen, a pris soin de noter, chaque semaine, au bas de son Registre d'annonces paroissiales, les événements marquants de la semaine. Il est probable qu'il avait pris cette habitude, dès le début de la grande guerre. Malheureusement, le Registre d'annonces de cette époque a été perdu, au cours de l'évacuation forcée d'avril 1918 ; et il n'a pas été possible de le retrouver.

Le Registre, conservé, commence au 12 8bre[3] 1916. C'est ce document[4] qui nous donne la mesure des épreuves subies, pendant la guerre, par la vaillante population de Beuvry, restée, pendant plus de trois ans, à quelques kilomètres des lignes ennemies. Il se contente malheureusement de formules assez brèves, mais les événements qu'il enregistre sont tellement suggestifs, qu'il ne parait pas exagéré de leur appliquer l'imperatoria brevitas d'un véritable commentaire de la guerre.

Nous y apprenons que le 12 9bre[5] 1916, le Rosaire se récite tous les jours, dans l'église, encore debout. Il est régulièrement suivi du salut. Et cependant les avions ne cessent de sillonner les airs ; les mitrailleuses s'entendent[6] très distinctement, le canon tonne et le "front" ne bouge toujours pas. Pendant les semaine du 10 au 17 Xbre[7] Beuvry est relativement calme, mais Béthune est moins épargné. Une vingtaine d'obus tombent sur la ville ; heureusement il n'y a pas d'accidents de personnes.

Le 17 Xbre[8] un avion anglais tombe, en feu, au Préolan. Les aviateurs sont victimes de leur intrépidité. La semaine qui avoisine le 31 Xbre, Béthune est de nouveau bombardé ; Nœux-les-Mines, également. Beuvry est épargné. En revanche, la semaine du 7 Janvier 1917 est marquée par un sérieux arrosage d'obus[9] asphyxiants sur Beuvry et sur Cambrin. Le 28 Janvier, les ennemis ont découvert le petit chemin de fer en construction d'Annequin à Beuvry ; le résultat c'est l'envoi d'une salve de gros obus sur la petite voie ferrée naissante. Et les obus asphyxiants continuent de pleuvoir. Et pour comble de détresse, l'hiver se fait très rigoureux ; il est suivi d'un dégel brusque qui inonde le bas-Beuvry dont les fossés et les canaux sont bouchés. C'est la désolation dans ce qu'elle a de plus triste. Et l'activité aérienne ne cesse pas d'être grosse de menaces et de dangers.

[10]Un rayon de soleil glisse dans cette désolation, par suite du ralliement de la Roumanie à la cause de l'Entente, et par suite de la rupture des États-Unis avec l'Allemagne.

La semaine du 8 avril est particulièrement dure pour Gorre qui touche à Festubert. Et le danger persiste pendant la semaine du 1er mai. « Préolan et Gorre très bombardés » dit le journal de M. Hulo ; et il ajoute, dans sa foi invincible « s(?)urgat Deus ». Il en est temps, par la semaine du 13 mai est « terrible » pour Beuvry et Béthune.

Le mois de Juin n'est ni plus calme ni plus sûr. Toujours[11] le même bombardement, gros de dangers. Et cependant, le 6 Juillet, les enfants vont recevoir la confirmation à Essars. Béthune étant jugé trop dangereux. Le 29 Juillet, les ouvriers mineurs rentrent, mobilisés à la mine. La mesure est diversement appréciée. Quelques-uns hasardent le mot d'« embusqués ». Ce qui parait exorbitant c'est la différence entre leur salaire et la paie du soldat dans les tranchées. Il faut reconnaître d'ailleurs qu'il faut à nos ouvriers, un certain courage pour poursuivre leur travail sous les menaces du bombardement.

Ruines du château Jude

La semaine du 1er Août est marquée par un bombardement[12] violent au Préolan, et au quai où un enfant est mortellement atteint par des éclats. La semaine du 5 au 12 août apporte au doyenné une bien dure épreuve. M. Boulet curé de Vermelles, Philosophe, le très lucide secrétaire des conférences du doyenné, a été tellement secoué et ébranlé par les émotions, que le cœur cède brusquement, et il est retrouvé, sans vie, par sa sœur angoissée. La semaine suivante, « 12-19 août », c'est « l'horrible désastre d'Armentières » qui fait saigner le cœur de M. Hulo. « Deus misereatur nostre » ajoute-t-il.

Les premières semaines de septembre sont plus calmes. Cette accalmie cesse à partir[13] du 21 7bre [septembre]. Cette semaine, un enfant est tué au mont de Beuvry par les éclats d'un obus tombé d'un avion. Le danger ne fait pas reculer les princes de l'Église, et dans la semaine du 28 8bre (octobre) au 4 9bre[14] 1917, le cardinal Bourne, archevêque de Westminster, vient donner la Confirmation à 12 soldats anglais, dans l'église de Beuvry.


Le mois de Novembre est un peu plus calme pour Beuvry, Nœux est moins bien partagé[15]. Avec le mois de Décembre, les semaines deviennent plus mouvementées, les avions laissent tomber beaucoup de bombes sur les cantonnements anglais. Heureusement plus de bruit que[16] de mal.

Les débuts de 1918 marquent une recrudescence d'activité qui inquiète, mais qui aussi ranime la confiance, car l'activité n'est guère moindre, de notre côté. Est-ce cette fois qu'on « les aura » ?

L'église détruite par les combats

La soirée du 7 Janvier est « une des plus terribles ». Le passage d'avions ennemis est salué par une canonnade d'une violence inouïe. Et les vaillants Beuvrygeois « tiennent » toujours. Dans la semaine du 13 au 20 Janvier, l'installation de nombreux canons à Gorre et au Préolan accentue l'impression qu'une offensive se prépare, plus redoutable que les précédentes. Donnera-t-elle la victoire, et la délivrance[17] tant désirée. « Faxit » ! En attendant, cette installation même provoque, de la part de l'ennemi, une riposte violente. Le quartier de Loisne, à peu près épargné jusqu'à ce jour a été particulièrement éprouvé, à cette époque. Les bombardements multiples, les raids d'avion s'acharnent sur les mêmes quartiers, pendant la seconde partie du mois de février et la première du mois de mars 1918. Bientôt les ravages s'étendent jusque sur le centre de Beuvry. Pour la première fois, il règne une certaine consternation dans la population fidèlement figée à son sol, et les « annonces » de la semaine du[18] 17 au 24 mars se terminent, sur le registre de M. Hulo, par cette prière : « Que Saint Joseph, patron des causes désespérées, nous protège ! ». Les courages, cependant, se raffermissent. Avec Saint Joseph, les paroissiens supplient Saint Éloi qui les a toujours visiblement protégés. De nombreuses statuettes du saint sont dressées, dans les maisons, à la place d'honneur. On les encadre des rares bougies qu'il est possible de se procurer. On prie devant ces autels improvisés, et on se remet à espérer. De fait, dans la semaine du 7 au 17 avril, au début, la violente offensive des allemands sur Amiens[19] produit une certaine accalmie sur notre « front ». Mais c'est le calme précurseur de la tempête. Dans la journée du 12 avril, les Portugais sont enfoncés à Laventie ; les allemands, passant la Lys qui ne les arrête plus, s'emparent à Estaires de la Gorgue et de Merville. Le flot envahisseur meurt aux lisières de la forêt de Nieppe qui sauve ainsi Hazebrouck et Calais, mais il s'étend, en nappes rageuses et dévastatrices sur la Couture, et sur Locon. Beuvry menace d'être encerclé, et l'autorité[20] britannique ordonne l'évacuation, forcée, de Beuvry ; et par la route de Verquin, le village se vide de ses vaillants occupants.

Là s'arrêtent les notes de guerre de M. Hulo. Il devait être l'une des premières et plus sympathiques victimes de ce déracinement brutal qui devait trop tôt, tarir, en lui, les sources de la vie. Une triste nouvelle a dû avancer sa mort, si elle lui a été communiquée. Au cours du mois d'Août 1918, on pouvait voir de loin les flammes d'un immense incendie qui[21] rougeoyaient le ciel : c'était la belle église de Beuvry dans laquelle il avait tant prié, et tant fait prier, qui était restée, jusque-là debout, et à peu près intacte, qui agonisait, quelques mois avant la victoire, dans les flammes d'un incendie, criminellement allumé par les obus incendiaires de l'ennemi.

Beuvry 20 7bre [septembre] 1919 ».

Le document original

Lien interne

Notes

  1. Transcription originale par Laurence Deyris.
  2. Début de la page 1
  3. 8bre = Octobre.
  4. Début de la page 2
  5. 9bre = Novembre.
  6. Début de la page 3
  7. Xbre = Décembre.
  8. Xbre = Décembre.
  9. Début de la page 4
  10. Début de la page 5
  11. Début de la page 6
  12. Début de la page 7
  13. Début de la page 8
  14. 9bre = Novembre.
  15. Il faut sans doute lire : protégé.
  16. Début de la page 9
  17. Début de la page 10
  18. Début de la page 11
  19. Début de la page 12
  20. Début de la page 13
  21. Début de la page 14