Conférence du curé de Bléquin sur sa paroisse durant la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Bléquin établit sa conférence sur la vie de ses paroissiens pendant la guerre et leur ferveur religieuse.


Ce témoignage, rédigé en 1919 sur huit pages manuscrites, est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 107. Nous vous en proposons ici la transcription[1] ainsi que la possibilité de lire l'original.

Le texte de la conférence

« HISTOIRE LOCALE DE LA GUERRE BLEQUIN 8 pages

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Histoire locale de la Guerre


A) Mouvements religieux et charitable pendant les premiers mois de la guerre

Rassemblement ! Ce bref commandement qui allait, en quelques jours, faire courir aux frontières de l'Est, toute la jeunesse de France, avait retenti dans le pays. Un agent de liaison, dépêché par la gendarmerie de Lumbres, venait le 1er Août, faire placarder partout les Ordres de mobilisation générale ; et les cloches, mises en branle par ordre de la municipalité, avaient annoncé à tous la triste nouvelle. La guerre ! La guerre ! Non, ce n'était pas encore la guerre ; mais en face de tels préparatifs, il était bien facile de prévoir le dénouement fatal qui allait suivre. Décrire l'émotion qui fit alors sursauter la population de Bléquin, serait tenter l'impossible : pour les uns, la guerre c'était le pillage, l'incendie, la captivité, la ruine, la mort ; pour d'autres, c'était la Revanche, l'extermination...

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...des Prussiens et la libération de l'Alsace-Lorraine. Mais pour tous ces cultivateurs, ignorants, ou à peu près, des graves questions qui se discutaient alors dans les ambassades de l'Europe, c'était avant tout la Défense de la Patrie, lâchement attaquée par les hordes d'outre-Rhin. Les travaux cessèrent immédiatement, et ce ne fut bientôt qu'un va et vient de femmes en pleurs et d'enfants courant chercher leur père aux champs.

Les hommes se montraient naturellement plus courageux : on les voyait arriver par groupes, le livret-individuel à la main, et, après avoir pris connaissance des affiches, consulter la marche à suivre prescrite à chacun d'eux.

Ils s'en retournaient ensuite, l'air un peu gouailleur, confiants malgré tout dans les destinées de la France et se communiquant leurs impressions. Les anciens soldats, et surtout les vieux de 70 furent les maîtres de l'heure : les uns, faisant d'interminables théories sur le matériel de guerre actuellement usité : fusils à répétition, mitrailleuses, canons à tir rapide, etc, etc, Bah ! la guerre ne pouvait durer plus de 6 semaines avec de tels engins de destruction - Nous eûmes, hélas, l'occasion de constater, qu'en 1918, avec des armes beaucoup plus terribles encore, la guerre n'en laissait pas de battre son plein -; les autres, racontant tant divers épisodes qu'ils agrémentaient chacun à sa façon, et qui rehaussaient le prestige de ceux qui en avaient été les héros, comme aussi de ceux qui...

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...allaient prendre part à une telle expédition. Nul doute que beaucoup en eussent rêvé pendant la nuit.

Le Dimanche 2 Août, fête de l'Adoration perpétuelle du St Sacrement, Notre Seigneur, fut sûrement ému par la sincérité des prières qui montaient vers lui. Les mères et les épouses demandaient protection pour ceux qui allaient partir, et ces derniers s'en remettaient à la volonté toute puissante de celui qui tient entre ses mains le fil de nos jours.

Monsieur le Curé, en vrai père - (étant depuis 40 ans dans la paroisse, il avait baptisé la plupart de ceux qui allaient partir) - ne voulut pas envoyer ainsi ses enfants au danger, sans qu'ils eussent auparavant mis leur conscience en règle. Toute la journée, le confessionnal fut envahi, et le lendemain, le vénérable pasteur avait la consolation de les voir tous partir, munis du Dieu des forts et revêtus du St Scapulaire. Ils lui en témoignèrent plus tard leur gratitude par de nombreuses et charmantes lettres.

Il faut avoir assisté à l'un des ces départs aux Armées, pour connaître les nobles sentiments dont sont parfois épris ces rudes campagnards : Quelle charité ! Quel affection ! Quel patriotisme ! Quelle abnégation pour la Défense du Droit !

Courageux, ils le furent partout : au départ, aux jours de bataille, comme aux longs séjours dans la boue des tranchées.

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Les nombreuses citations dont ils furent l'objet sont là pour le prouver. Ce n'est pas, chez le fils de nos campagnes qu'il faut chercher les "embusqués", car il n'y en eut pas. Incorporés pour la plupart dans des régiments d'Infanterie, d'Artillerie ou de Génie, ils furent toujours les plus exposés et les premiers à l'oeuvre.

Aux tristes journées de Départ, succédèrent les journées angoissantes et plus tristes encore où l'on était sans nouvelles et des absents et des opérations.

Le bruit du canon, qui se faisait entendre de plus en plus proche, n'était pas sans donner de sérieuses inquiétudes à ceux qui restaient au foyer. Ce fut encore bien pis lorsque l'on vit le flot des réfugies qui refluaient devant l'ennemi, véritable troupeau humain pris de panique et fuyant à la débandade. Aucun d'eux ne stationna dans le pays à cette époque, préoccupés qu'ils étaient tous de gagner une zone où ils pussent se fixer en toute sécurité.

Émues par la misère et le dénouement dans lequel elles voyaient ces pauvres exilés, nos généreuses populations se mirent en quatre, pour leur donner qui des aliments, qui des vêtements, qui un coin pour passer la nuit.


B) Causes qui diminuèrent cette première ardeur

Nous en signalerons 3 principales :

1) la longueur de l'épreuve - Hélas ! la faiblesse humaine est toujours notre apanage ici bas ; comme...

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...cela arrive dans bien des cas, on s'habitua bientôt à la guerre, le bruit du canon n'avait plus rien de bien terrifiant et les nouvelles que donnaient les poilus étaient assez rassurantes.

Il y eut un relâchement général, rompu seulement de temps en temps par l'annonce de la mort d'un enfant du pays, message, hélas, bien attristant, qui avait cependant pour effet de vous remettre devant les yeux la gravité des événements.

2) La présence des troupes alliées. Ce fut un grand événement que l'arrivée de ces troupes anglaises d'abord, puis portugaises et américaines. Elles rassurèrent plus d'une fois nos braves paysans qui doutaient de temps à autre de l'issue de la lutte.

Ce fut vers la fin de Septembre 1914 que les premiers contingents anglais firent leur apparition dans la région. Ils furent salués avec joie et accueillis avec beaucoup d'égards. Certes, leur intervention à une heure si grave, méritait bien quelque considération.

Malheureusement, leur présence prolongée dans nos campagnes, surtout pendant l'hiver, fit que l'on s'absenta bien volontiers du Salut ou du Chapelet du soir. « Ils étaient si intéressants, si sympathiques, les Anglais ! » Et le soir, il faisait si froid à l'Église ou dans les rues.

3) Enfin et surtout la prédominance des intérêts matériels.

Beaucoup de cultivateurs avaient dû quitter la maison en pleine moisson ; les domestiques, les ouvriers manquaient et le travail pressait, d'où surcroît de travail pour ceux qui restaient ; de là également, abandon des...

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...pratiques pieuses au profit du côté matériel.

Il faut bien avouer qu'il ne resta pourtant pas une botte de blé dans les champs, grâce à l'union avec laquelle on travailla les uns pour les autres. La moisson se fit en 1914 et les années suivantes avec autant de régularité qu'auparavant.

Bref on retombait peu-à-peu dans l'ancien mal, et l'indifférence reprenait de plus en plus de terrain.

« Que voulez-vous, quand on s'en ferait mourir, on n'en aurait pas davantage », disait-on.


C) Organisation du service religieux

Pendant les 2 premiers mois de guerre, Monsieur le curé, avec un zèle digne d'admiration, avait dit chaque jour la messe à 5 h, afin d'en faciliter l'assistance aux moissonneurs que le travail appelait de bonne heure aux champs.

Aux jours de Départ, 3 Août, 11 Août, etc, la messe était dite à 4 h pour permettre l'arrivée à la Gare. Chacun travaillant ainsi à concilier les choses, tout se passait pour le mieux.

Le soir, un salut pendant lequel se faisait la récitation du chapelet, réunissait toute la population à l'église. Chacun bataillait à sa façon : les uns par les armes, les autres par la prière ; une telle façon d'agir ne pouvait qu'attirer les bénédictions du Ciel.

Peu à peu, la moisson étant terminée, tout rentra dans l'ordre normal. La Ste Vierge fut vraiment la consolatrice des Affligés en...

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...ces tristes jours, et le grand nombre des messes en l'honneur de N.D. de Lourdes en est une preuve. Bien des mères, bien des épouses vinrent à ses pieds, verser des larmes et égrainer leur chapelet.

Une campagne de communions fréquentes était activement menée pour obtenir du Ciel, salut et protection.

Les Fêtes et les cérémonies religieuses furent plus suivies qu'auparavant et nombreux sont ceux qui, à cette occasion, reprirent le chemin de l'Eglise, depuis longtemps abandonné non par malice, mais par indifférence.

La présence du danger avait manifestement amené un Renouveau très notable et qui n'a fait que s'accentuer depuis lors.


D) Statistique - 1°) Mobilisés

Du 2 Août 1914 au 11 Novembre 1918 environ 208 hommes de toutes les classes mobilisables ont été appelés sous les Drapeaux. Aucun d'eux n'a marchandé son aide à la Patrie. Honneur à tous ces artisans ignorés de la Victoire !

2°) Blessés -

Nous ne donnons ici que la liste des grands blessés ou mutilés :
Monsieur l'Abbé Péron - perte de la jambe droite.
F. Denquin - perte de la jambe gauche.
H. Dacquembronne - énucléation de l'oeil droit.
A. Malbaut - idem.
A. Pruvost - paralysie du bras gauche.
M. Rose - perte du pied gauche.

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3°) Décorés


L. Dumanoir - Légion d'Honneur.
H. Dacquembronne - Légion d'honneur et Croix de guerre.
M. l'Abbé A. Péron - Médaille militaire et Croix de guerre (2 cit).
J. Lefèbvre - Méd. Militaire et Croix de St Georges de Russie.
F. Wenquin - Médaille militaire & Croix de guerre avec palme.
A. Malbaut, L. Monsigny, M. Rose idem.

ont été décorés de la Croix de guerre :


M. Toulotte (4 cit). E. Mobailly.
J. Delaforge (3 cit). G. Mobailly.
G. Caux (2 cit). E. Retaux.
L. Bounaire. F. Rétaux.
J. B. Bounaire. F. Louguet.
G. Dupont. R. Monsigny.
E. Bodart. M. Magniez.
L. Devigne. L. Fournier.
L. Podevin. A. Masse.
A. Telliez. E. Leclercq.
L. Séghin. G. Paquentin.
L. Mismacque. M. Normand.

Brillante légion, exemple vivant de la bravoure des enfants de Bléquin.

4°) Morts


J. Desombre. E. Mauffait. F. Bodart. G. Dupont. A. Thuilliez. M. Piquet.
G. Desombre J. Mauffait. E. Vasseur. G. Coquet. A. Bernard. F. Bohin.
A. Varlet. C. Coquerel. L. Leroy. A. Podevin. L. Wallon. G. Mobailly.
L. Varlet. L. Coquerel. G. Obert. L. Mégret. M. Joly. J. Fournier.
E. Vauriet. E. Delaforge J.B. Pruvost. J. Paquentin. G. Bailly. P. Caux.
J. Vauriet. J. Dourdron O. Mallet. L. Dumanoir. J. Haudiquet. E. Bouville.
G. Boulanger J. Agez. G. Païen. L. Dubuis. E. Retaux. R.I.P.  »

Le document original

Lien interne

Notes

  1. Transcription originale par Laurence Deyris.