Conférence du curé de Pihen-lès-Guînes sur l'histoire de sa paroisse dans la Grande Guerre

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En 1919, répondant à la circulaire de l'Evêque d'Arras, Boulogne et Saint-Omer, de documenter l’histoire locale de la Grande Guerre dans le cadre des Conférences ecclésiastiques d'après guerre, le curé de Pihen-lès-Guînes apporte son témoignage sur la vie religieuse dans paroisse pendant la Grande Guerre. Ce témoignage est écrit en seize pages manuscrites sur des feuilles de papier simple, pliées en deux et cousues, de manière à former un petit livret. Il est conservé aux Archives du diocèse d'Arras sous la cote 6 V 104.

Doyenné de Guînes – Paroisse de Pihen – Guerre 1914-1918

Récit de ce qui s’est passé dans cette paroisse de l’arrière

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page de garde)
Pihen Bonningues

Texte du curé de Pihen

Introduction

Développement du programme tracé par l’évêché au n° du 20 février 1919 de la Semaine Religieuse d'Arras

Récit de ce qui s’est passé dans cette paroisse de l’arrière.

Nous sommes appelés comme curés de rapporter en témoins les principaux faits de guerre qui se sont passé dans chacune de nos paroisses. Sans doute nous habitons des communes situées dans la zone des armées, mais cependant pouvant, il me semble être considéré comme résidant dans des villages placés à l’arrière.

Nous n’avons donc pas à nous occuper du programme concernant ceux qui ont vécu sur la ligne de feu.

Mouvement religieux et charitable

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 1)
Si nous nous demandons dans un esprit surnaturel, quelle est la cause de cette épouvantable et désastreuse guerre, une des plus terribles que le monde ait connues, serait-ce une erreur que de l’attribuer à un crime national, à l’athéisme officiel, à tout ce que renferme cette neutralité dédaigneuse, qui ne veut voir ni Dieu ni son influence nulle part, qui le chasse de partout où il le rencontre. De là, toutes ces mesures injustes et sacrilèges : expulsions des religieux, de l’ambassade du pape, inventaires, spoliations des morts, etc. etc.

De tels attentats devaient attirer sur la France un châtiment exemplaire et quand il a été visible que Dieu frappait son peuple de sa main vengeresse et miséricordieuse à la fois, nos églises alors se sont remplies de fidèles, venant implorer dans des sentiments de repentir le secours d’en haut.

C’était réconfortant alors de voir tous nos paroissiens, même ceux qui jusque là se tenaient à l’écart des pratiques religieuses, assister aux saluts, aux processions, aux messes, fréquenter les sacrements et communier au divin sacrifice qu’ils faisaient

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 2)
offrir pour leurs enfants ou leurs frères soldats. Une immense pitié s’empara de tous les cœurs français et dans la paroisse de Pihen, comme ailleurs, on fit des vêtements chauds pour nos soldats qu’on savait passer des journées et des nuits dans les tranchées humides et l’hiver surtout au milieu des neiges. Le maire de la commune et les âmes charitables envoyaient des colis de nourriture et de linge pour chauffer et nourrir nos soldats.

Nous devons signaler surtout la charité de nos deux écoles chrétiennes. M. et Mme Vasseur pour l’école de garçons et nos religieuses sécularisées ont envoyé à nos poilus des quantités de linges, de chemises de laine, de flanelle. Outre ces ouvrages de couture, les maîtresses et les élèves se sont mis à confectionner des tricots, des bas, etc. et joignaient des colis de nourriture.

Ce fut un beau mouvement religieux qui malheureusement ne fut que transitoire. Quant au mouvement charitable, il fut maintenu dans les familles par les parents.

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 3)
et aussi par nos instituteurs et institutrices libres dans nos établissements.

C’est ainsi qu’on continua à faire parvenir des colis aux soldats et aux prisonniers.

Il n’en fut pas de même du mouvement religieux. Il diminua peu à peu et finit par cesser sinon totalement, au moins en grande partie. Cependant, il faut dire que si aux saluts chantés, pour le salut de nos armes, la libération du territoire et la victoire finale, un grand nombre de familles se sont abstenues, surtout à Pihen, car à Bonningues on pouvait encore compter sur deux religieux durant toute la durée des hostilités, les messes cependant commandées et dites pour nos soldats ont toujours été très nombreuses dans les deux communes, avec cette différence toutefois qu’à Bonningues la famille communiait à la messe qu’elle commandait, tandis qu’à Pihen cette bonne œuvre de la communion arrivait rarement.

Quelles sont les causes qui ont diminué cette première ardeur ?

Elles sont signalées dans le programme.

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 4)
C’est premièrement la longueur de l’épreuve. [?], dit-on, la foi peu éclairée de nos population, qui avaient voulu un succès immédiat être exaucé après quelques prières et quelques petits sacrifices, oubliant trop que la persévérance est une des qualités de la prière. Cette foi ne les a pas soutenus, et ils se sont retirés. Pour comble de malheur, les troupes ont achevé la débâcle. L’esprit religieux de nos paroisses à été blessé et la mentalité chrétienne a été remplacée par une mentalité païenne et toute matérielle. Les gains, les plaisirs sous toutes ses formes, la présence des soldats au sein des familles, l’absence des chefs de famille ont amené peu à peu l’oubli des devoirs religieux, l’indifférence, l’hostilité même, la désertion de nos églises, la démoralisation et des scandales. On gagnait beaucoup d’argent et l’on ne pensait plus à tourner les regards vers le ciel. C’était alors le Panem et le Circense des Romains.

Contre un état de choses, on organisa

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 5)
avec les aumôniers militaires le service religieux.

À Pihen et à Bonningues, ce furent des messes solennelles le dimanche avec instructions pour attirer les soldats, des confessionnaux furent installés et par des triduum on s’efforça de les ramener au [?] tribunal de la pénitence et à la communion.

La salle de fête fut mise à la disposition des aumôniers et on y fit des conférences, on y joua des pièces patriotiques et religieuses, accompagnées, ou précédées et suivies de chants qui exaltaient la patrie et faisaient aimer la religion. On y installa des jeux. Un grand nombre de soldats s’y réunissaient sous le regard des chefs et de l’aumônier. Parfois à l’église on chantait des services religieux pour le repos de l’âme des soldats tombés glorieusement au champ de bataille.

Mais toutes ces cérémonies diverses, toutes ces fêtes furent sans doute une atténuation, mais n’empêchèrent pas tout le mal, et le désastre fut grand encore, et nous curés de paroisse

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 6)
nous ne pouvons que le déplorer amèrement, et les conséquences hélas ! ne se feront que trop sentir pendant une longue durée encore.

Statistique – Mobilisation

Les gendarmes vinrent à Pihen comme dans toutes les communes apporter l’ordre de la mobilisation, et il nous souvient que l’un d’eux exprimait la pensée que la guerre, avec les engins meurtriers sont on allait faire usage, ne durait guère plus de trois ou quatre mois. C’était une erreur partagée par un [très] grand nombre. Commencée le 2 août 1914 n’a été terminée qu’en novembre 1918. Cette mobilisation appelait sous les drapeaux toutes les classes de 1887 à 1914.

Pour Pihen, le nombre d’hommes s’élevait à 70 environs. Sans compter les classes qui furent ensuite appelées, [19]15, [19]16, [19]17, [19]18, successivement convoquées.

Quant à Bonningues, furent enrôlés en 1914 53 soldats

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 7)
Ce furent pour la paroisse un total de soldat 70+53 = 123 mobilisés.

Ils partirent généralement avec la bénédiction de leur pasteur et après avoir reçu les sacrements. Ce fut le point de départ des relations qui ne cessèrent pendant la durée de la guerre entre ces soldats et leur curée.

Morts. Nous comptons pour la commune de Pihen, seize morts glorieusement au champ d’honneur, en voici les noms :

1. Paul et Laurent Pruvost 1914

2. Louis Dumont, Charlemagne [?], Auguste Delbart, Charles Declémy, Marcel François 1915

3. André pilon, Paul Pourre, Henri Felbart, Lucien Muselet 1916

4. Alfred Pilon 1919

5. Maurice Delsalle, Marcel Bouquillon, René Briez, Auguste Merlin 1918

6. Léon Seys 1916

Blessés : 3 : Julien Gressier, Jules Leuliet et Alfred Leuliet

Disparus : 2 : Paul Pruvost et [?] Seys avaient été déclarés disparus l’un en 1914 et l’autre en 1916.

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 8)
Décorés de la croix de guerre. Bonningues : 9 : Gustave Carlier, Jules [?], Adolphe Leuliet, Ambroise Houzel, André Blanquart, Georges Butor, Joseph Dufossé

A Pihen : Jean Dauvergne, le lieutenant Lenoir

Médaille des épidémies, Dom Paul Isaac, offi du SdS[1]. Médaille militaire : Gustave Carlier, André Blanquart, Jules [?].

Nombreuses citations à l’ordre des armées et du régiment. Bonningues : Dom Paul Isaac, service de santé [.. ?..]

Prisonnier : Pihen : Paul [Nonusse], Louis Briez.

En ce qui concerne Bonningues, les soldats morts au champ d’honneur sont au nombre de 8 : Fernand Blanquart, Émile Dufossé, Maurice Lamirand (1914), Clément Dufossé (1915), Émile Duviquet (1916), Lucien Touret (1917), Georges lamirand et Ernest Joly (1918).

Blessés : André Blanquart, Jules [?], Gustave Carlier.

Disparus : Charles Pottez, Clément Lecoutre, César [Brunes], Fernand Butor, Ambroise Houzel.

Prisonniers : Jules Rigaux, Henri Dhieux.

En 1918. Pendant le Carême, nos troupes ont eu de terribles combats à soutenir, les français ne pouvaient occuper un front aussi étendu ; et nos alliés fléchissaient par endroits, surtout du côté d’Amiens.

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 9)
Il y eut un moment extrêmement critique ou nous dûmes songer à l’évacuation. L’ennemi allait envahir le reste du département. Calais était menacé. Dans la crainte de cet envahissement, on avait ordonné le départ de tous les jeunes gens. Ils furent, étant de Pihen que de Bonningues, au nombre de trente et plus. Ils vinrent tous se confesser le samedi [?] et reçurent la communion. Ils se rendirent à Calais pour aller de là dans des pays et dans des directions inconnus. Après quelques jours d’une pénible attente et d’angoisses terribles, Dieu nous délivra et ramena la victoire de notre côté. Les jeunes gens rentrèrent dans leur famille.

La paroisse avait sous les drapeaux un prêtre chanoine régulier de Latran. Dom Paul Isaac, d’abord sergent brancardier et qui devint lieutenant, officier d’administration, et ensuite officier gestionnaire chef dans un hôpital temporaire, d’abord à Bergues dans le Nord, puis dans le diocèse de Gap et enfin en dernier lieu dans le diocèse de Valence. Il est rentré

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 10)
à Bonningues le mois dernier et il nous quitte mercredi 23 pour aller à [?] son couvent. De plus, Pihen avait aussi sous les drapeaux M. l’abbé Buchert qui fut blessé à Berry-au-Bac. Il fut réformé, reprit le cours de ses études et à la dernière ordination, il recevait le sous diaconat (1919).

Pendant leur service militaire, ces deux soldats ecclésiastiques faisai[en]t de l’apostolat dans l’armée. Et Dom Paul, dans ses moments libres, allait dans les paroisses voisines remplir les fonctions du ministère. Dans les derniers mois l’évêque de Valence l’avait chargé de pouvoir autant qu’il el pouvait aux soins religieux d’un village d’environ 800 habitant[s].

Faits de guerre

Bien que nous ne fussions pas sur la ligne de feu, cependant nous avons couru de très grands dangers à Pihen et même à Bonningues. Nous n’avons pas pu nous soustraire au bombardement. Presque dans chaque année nous

Mémoire du curé de Pihen
Voir l'original (page 11)
avons été bombardée de temps en temps, près du village étaient lancées des bombes. Lors du raid sur l’Angleterre, tout au commencement, vers 9 et 10 h[eures] du soir, nous étions réveillés par l’éclat des torpilles tombées à quelques mètres de la ligne du chemin de fer et jetées par les zeppelins.

La commune de Pihen était exposée aux bombardements aériens, à cause de la proximité de la ligne de chemin de fer qui l’enveloppe de tous côtés, à cause des champs d’aviation et des postes d’observations placé sur son territoire. Il y eut aussi des imprudences, les lumières n’étaient pas éteintes selon les règlements municipaux, les trains si fréquents sur la ligne de Boulogne-sur-Mer à Calais transportant des troupes, des permissionnaires, des munitions, surtout quand les trains montaient de Calais à Caffiers, marchant difficilement, les mécaniciens pour aller plus vite, agitaient souvent le foyer, de sorte que au passage de l’arrête de Pihen, une fumée enflammée illuminait tout le village. C’est ainsi que l’an dernier 1918, à la veille

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Voir l'original (page 12)
de l’ascension, un avion venant de Calais qu’il avait bombardé, quand il vit les lumières du train et aussi d’autres lumières dans le village, il jeta en passant les torpilles qu’il avait encore, et causa des ruines sur un quartier avoisinant le pont du chemin de Wissant, des maisons furent rasées, mais Dieu dans sa bonté providentielle, ne voulut point qu’il y eut une seule victime. De nombreuses toitures, entres autres celle du presbytère, perdirent leurs pannes, les carreaux furent brisés, le bourrelier de Pihen qui donnait des soins à sa vache et à son veau, vit dérouler la toiture de son étable à ses côtés et sentit des éclats tomber sur le dos. Il sortit indemne sans blessure, avec sa vache et le veau. Malheureusement, par le déplacement d’air les vitraux de l’église furent fortement endommagés, le dégât a été estimé par un ouvrier de la maison de [?] Boulenger de Rouen à 2000 francs.
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Voir l'original (page 13)
Pendant cette dangereuse période, nous tremblions pour nos pensionnats, nous avons dû prendre des précautions et avant la tombée du jour, les enfants quittaient le village et s’en allaient portant sur leurs épaules des couvertures, passer la nuit dans les [?] profondes et solides caves de la Rocherie ; les filles restaient dans la buanderie, sortes de caves qui, d’après M. le préfet Leulier et le député Boulanger, en visite à Pihen lors de la catastrophe, offraient un abri sérieux.

Grâce à la protection de la vierge, patronne de la paroisse, nous n’avons eu que des dégâts matériels. Malheureusement, il n’en a pas été ainsi sur la ligne de chemin de fer ; plusieurs catastrophes ont causé des victimes. La femme du chef d’équipe, Mme Gossart a eu les deux jambes coupées, elle a pu cependant être administrée. Un soldat de Lille, blessé mortellement a été amené à l’ambulance de l’école des filles où il est mort après avoir reçu les sacrements. Un peu plus tard, un train venant de Calais a été heurté en face du sémaphore près du pont, par des wagons qui avaient brisé leurs attaches. De nombreux compartiments vides ont été détruits. Le mécanicien et les

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Voir l'original (page 14)
chauffeur ont été tués sur le coup, et coupés en deux.

Transportés dans la salle des fêtes, ils ont été lavés, ensevelis, puis ont reçu les honneurs funèbres et furent remis quelques temps après à leurs parents pour être enterrés dans un cimetière de leur choix.

Tel sont en résumé les principaux faits de guerre, pendant ces années terribles de 1914-1918. Nous les avons pris dans le récit du registre paroissial, récit sans doute beaucoup plus détaillé, mais ce que nous avons dit ici suffit pour avoir une idée de ce qui s’est passé dans la paroisse durant cette période et nous semble répondre aux questions posés dans le programme.

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Voir l'original (page 15)

Liens internes

Notes

  1. Officier du service de santé.