Oignies première cité martyre de la campagne de France

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Oignies, cité martyre
Couverture du Fascicule
Du 25 au 27 mai 1940, la bataille d’Oignies voit s’affronter les troupes d’invasion allemande et de maigres troupes françaises et anglaises. Les Allemands finalement vainqueurs, voulurent faire payer à la ville d’Oignies et à ses habitants cette résistance inattendue. Le 28 mai, des troupes S.S. perpétuent un carnage qui vaudra à Oignies le titre de première cité martyre de la campagne de France.

Après la guerre, le 13 juillet 1947, le Président de la République, Vincent Auriol, inaugura le mausolée élevé dans le cimetière communal pour rendre hommage aux martyrs de la guerre et particulièrement du massacre du 28 mai 1940. A cette occasion, la comité de patronage du monument publia un fascicule : Oignies, première cité martyre de la campagne de France. Édité par le comité de patronage du monument élevé par souscription publique à la mémoire des fusillés et des victimes de la barbarie nazie.. Inauguration officielle du mausolée, 13 juillet 1947, par monsieur Vincent Auriol, président de la République et les membres du Gouvernement.

Ce fascicule de 22 pages, comporte un historique de la bataille d'Oignies, de la journée tragique du 28 mai, et de la Libération d'Oignies. Il s’achève par les listes des victimes tombées en ces jours tragiques. Il comprend trois illustrations (les tombes des fusillés du 28 mai 1940 au cimetière d'Oignies ; les tombes des soldats français mort pour la défense d'Oignies ; les tombes des soldats britanniques morts pour la défense d'Oignies).

C’est la transcription de ce fascicule qui est proposée ci-dessous.


Le Comité de patronage du monument

Présidents d’honneur :

  • Son Excellence Si Kadour Ben Gabrit, ministre plénipotentiaire du Sultan du Maroc à Paris
  • M. Phalempin, préfet du Pas-de-Calais
  • M. Lanquetin, préfet du Nord
  • M. Pinel, Préfet des Landes
  • M. Pé, sous-préfet de Béthune

Membres actifs :

  • Président : Émile Vendeville-Faideau, maire, vice-président du comité local de Libération.
  • Vice-président : Louis Desprez-Coasne, président du comité local de Libération.
  • Secrétaire : Henri Delbaere, président de l’union des familles nombreuses.
  • Secrétaire-adjointe : Lucia Poulain, culte protestant.
  • Trésorier : Abbé André Bourdrel, curé d’Oignies
  • Antony Gronier, 1er adjoint ; Émile Vendeville-Delfosse, 2e adjoint
  • MM. Augustin Cachera, Nestor Delecolle, Aimable Fontaine, conseillers municipaux
  • MM. Louis Bouquet, Georges Defretin, René Sylvain, Maurice Parmentier, Augustin André, Lucien Périn, Auguste Boursin, D’jelloul Yagoubi, membres du comité local de Libération

Alfred Courtecuisse, président de l’union des poilus ; Louis Mastin, président des prisonniers libérés ; Ernest Lejeune, responsable Voix du Nord ; Marcel Grauwin, responsable Libération ; Valentine Hiolle, présidente de l’union des femmes françaises ; Robert Berruyer, directeur du groupe de Oignies des Houillères du bassin du Nord et du Pas-de-Calais ; Paul Meunier, ingénieur ; Gaston Bétrancourt, ingénieur ; Planckaert, du groupe d’Hénin-Liétard ; René Darre, du groupe d’Hénin-Liétard ; Philogone Parent, président de la caisse de secours des ouvriers et employés.

  • Les docteurs Gaston Horel et Alfred Boulanger ; Maurice Descamps, pharmacien ; Mme Grandclaude-Petit ; Noël Wolff, directeur de la SIAL ; Victorine Thedrel-Lafléchelle ; Pierre Martinet, commerçant ; Achille Davrillon, prisonnier libéré ; Maurice Cornil ; Victor Hottin, entrepreneur ; Joseph Schipman, cultivateur ; Germain Pruvost, cultivateur ; René Hinaut, représentant les victimes du carnage (grand mutilé) ; Emma Olivier, victime civile.

Oignies, première cité martyre de la campagne de France

Avant propos

Nous n’avons pas eu la prétention, en vous présentant cet opuscule, de faire œuvre littéraire. Un écrivain trouverait, dans la relation des événements tragiques dont notre malheureuse cité a été le théâtre, la matière d’un volume important. Le récit qui suit n’est qu’un résumé succinct des principaux événement qui se sont déroulés dans la journée sanglante du 28 mai 1940, événements qui, par leur sauvagerie, ont classé Oignies, avec Oradour et Ascq, parmi les cités les plus éprouvées de France et qui ont mis au début de la guerre l’Allemagne au ban de l’Humanité. Le comité

Historique de la bataille, des incendies, du carnage et du massacre de la population

La bataille d’Oignies

Les 16 et 17 mai 1940, les nouvelles étaient mauvaises, l’ennemi était signalé un peu partout, on le disait notamment à Douai. Les premiers réfugiés commençaient à sillonner les routes ; quelques habitants d’Oignies étaient déjà partis et ceux qui possédaient des moyens de locomotion faisaient leurs préparatifs de départ et se hâtaient car, par intermittence, dans les colonnes de réfugiés, des agents qu’on a su depuis être de la « Cinquième Colonne », faisaient courir les bruits les plus fantastiques sur la terreur qu’inspirait l’ennemi et sur l’évacuation presque totale de tous les pays qu’ils venaient de traverser.

Les renseignements et les bruits étaient confus et on ne pouvait déceler à travers tout ce fatras de nouvelles plus ou moins vraisemblables, de quel côté l’ennemi ferait irruption dans notre cité.

Le 19 mai, dans la matinée, un avion allemand en difficulté lâchait ses chapelets de bombes derrière l’école Sainte-Henriette ; dans la rue Henriette-Crombez et la rue Jean-Jacques-Rousseau. Toutes les vitres volèrent en éclats, les dégâts étaient importants et il y avait des victimes. A partir de ce moment, les préparatifs de départ de la population s’intensifièrent et une partie assez importante de celle-ci s’élança à la remorque du flot toujours croissant des réfugiés.

Les maisons, vides de leurs occupants, se remplirent de fuyards, Belges pour la plupart, qui s’arrêtaient pour passer la nuit et repartir le lendemain vers leu calvaire inconnu. Leur nombre augmentait sans cesse, embouteillant les routes et créant les graves désordres de la circulation, concertés et voulus par la « Cinquième Colonne ».

Devant cette marée humaine qui augmentait sans cesse, les pouvoirs publics étaient débordés par cet afflux de réfugiés qu’il fallait nourrir ; les vivres commencèrent à manquer et il fallut avoir recours aux mesures extraordinaires nécessitées par la situation. Pendant ce temps, l’ennemi se rapprochait. Des pointes d’avant-garde étaient signalées dans les environs immédiates et les dispositions étaient prises pour la défense, qui s’’avérait particulièrement difficile.

Les obus venant de la direction d’Hénin-Liétard commencèrent à pleuvoir, surtout aux environs de l’église et de la place. Contrairement aux prévisions, l’ennemi tentait de pénétrer dans notre cité par le Sud, c'est-à-dire par la route de Courrières. Pour ce faire, il devait traverser le canal de la Deûle au pont de la Batterie qui était détruit.

Le dispositif de défense était constitué par une unité britannique, une compagnie du 106e régiment d’infanterie coloniale composée d’éléments français et de musulmans Nord-Africains et un détachement de spahis marocains. Chacun était à son poste de combat quand une unité ennemie se présenta pour franchir le canal en y lançant un pont provisoire. Nos vaillants défenseurs la repoussèrent mais l’ennemi revint en force.

Après 72 heures d’efforts et de combats meurtriers les Allemands, tenus en échec par cette poignée d’hommes braves et résolus, renoncèrent à cette attaque de front et traversèrent la Deûle en amont vers le Pont à Sault, en aval vers le Pont de Bauvin, pour prendre à revers et en tenaille les défenseurs du Pont de la Batterie. Ceux-ci voyant le danger, avaient décroché et s’étaient repliés en direction de Carvin et du bois d’Épinoy.

Pendant ce temps, l’état-major, qui jugeait importante la position d’Oignies avec, au Nord, son rideau boisé en demi-cercle, décidait d’y accrocher fortement l’ennemi et dépêchait le 11e régiment de zouaves alors à Moncheaux, Thumeries et Wahagnies pour venir prendre position et organiser la défense d’Oignies.

Défense mémorable qui, les 25, 26 et 27 mai, sous les ordres du commandant Puharré, le héros d’Oignies, qui avait aménagé l’école libre Saint-Joseph en un fortin redoutable, fit payer cher à la Wehrmacht la prise de notre cité, retardant de quelques jours son avance. Temps précieux pour nos armés refluant sur notre port de Dunkerque.

Ainsi se termine la bataille d’Oignies qui, avec la défense héroïque du 11e zouaves, avait causé à l’ennemi des pertes très importantes notamment en officiers.

Les Français avaient perdu 35 morts et les Britanniques avaient laissé 18 des leurs sur le terrain.

Ces troupes firent l’admiration de toute notre cité par leur courage et leur opiniâtreté à retarder la marche de l’armé allemande. Ces héros dorment leur dernier sommeil dans notre cimetière communal où des mains pieuses ont fleuri leur tombe malgré l’occupant.


La journée tragique du 28 mai

Ici commence le drame qui devait faire d’Oignies la première et l’une des plus grandes cités martyres de France. Les Allemands ne pouvaient pardonner d’avoir été tenus en échec, pendant 72 heures, par des unités squelettiques qui leur avaient infligé de lourdes pertes, notamment en officiers ; aussi déferlèrent-ils dans Oignies comme des chiens enragés, l’écume aux lèvres, prenant pour prétexte que des francs-tireurs issus de la population avaient fait le coup de feu et se cachaient dans les maisons. A dater de cet instant, le sort d’Oignies et de Courrières était réglé ; ces deux cités seraient détruites et incendiées par mesure de représailles.

Dans la nuit du 27 au 28 mai, nos vaillants soldats se retirèrent dans la direction de Lille, couvrant leur retraite par des arrière-gardes.

Vers 6 heures du matin, les troupes S.S. firent leur entrée dans Oignies, plaçant devant eux des civils qu’ils avaient ramassés à l’entrée de la ville ; c’est ainsi que périrent, sous les balles françaises, nos concitoyens Auguste Leveugle et Charles Grulois.

Les boches firent sortir tous les habitants des caves ; ils fusillèrent les hommes à bout portant et poussèrent les femmes, enfants et vieillards devant eux pour empêcher les soldats français de tirer. Deux jeunes hommes, en remontant des caves, avaient leurs enfants sur les bras.les brutes cyniques arrachèrent les enfants des bras de leurs pères, les remirent à la mère et froidement, abattirent les deux infortunés par une rafale de mitraillette.

Sur la place, d’autres habitants étaient fauchés par des rafales de mitrailleuses postées aux différents carrefours. Leurs corps rassemblés dans la cour du Château, furent arrosés d’essence et brûlés.

Ces tueries et ce carnage avaient lieu dans toutes les rues de la commune où des scènes d’horreur indescriptibles se produisaient.

Vers 8 heures du matin, les ennemis arrivent rue Victor-Hugo, font sortir les habitants et tirent sur eux à bout portant. L’un d’eux, B. J., tombe à la première rafale et fait le mort ; sa femme est touchée gravement à l’épaule, une troisième personne tombe également. Sans souci des victimes, le feu est mis à la maison ; B.J. essaie de sauver les blessés, mais les boches reviennent à la charge et jettent des grenades. Par miracle, personne n’est atteint et il parvient enfin à tirer sa femme de la fournaise ; à dos, il la transporte sur la route de Dourges. Un soldat anglais, touché, gisant dans le fossé, lui réclame à boire ; mais l’officier ennemi, commandant le carnage, s’approche et lui fait sauter la cervelle.

Rue Pasteur, dans le préau de l’école des filles, une pauvre femme, à bout de forces par suite des privations et des marches forcées en évacuant, ne peut obéir à l’ordre de l’officier allemand lui enjoignant de partir à la Batterie. Ses enfants l’entourent et demandent à rester avec elle. L’officier boche répond : « partir, maman ambulance ». Les enfants partent, mais ils n’ont pas atteint la porte que le boche décharge froidement son revolver dans la tête de la pauvre mère.

Tous les hommes restés dans les rues d’Epinoy, Henriette-Crombez, Jean-Jacques-Rousseau furent fusillés. Des scènes inouïes de carnage se déroulèrent en présence des femmes et des enfants qui durent laisser râlants leurs maris, leurs pères et leurs frères pour partir à la Batterie, les bras en l’air.

Une pauvre femme vit fusiller son mari et son père. Sur la route de la Batterie, elle recommandait à ses enfants de ne rien dire afin de ne pas semer la panique parmi les hommes ayant échappé au carnage. Elle ne se doutait pas que 80 de nos concitoyens avait subi le même sort.

Rue de l'Égalité, les membres d’une même famille sont réunis dans la cave. Un enfant de six mois pleure ; impossible de le faire taire. Les boches arrivent. Au lieu de faire remonter le temps, ils bouchent la porte de la cave avec une armoire et incendient la maison. Heureusement qu’un homme se trouvait dans la cave ; il parvint à dégager la porte et fit sortir, à travers les flammes, les femmes et les enfants.

Sur la place, 11 hommes sont alignés, le torse nu, devant les mitrailleuses. Parmi eux se trouve un père et ses deux fils, et un grand mutilé de la guerre 1914-1918. Les femmes pleurent et supplient les boches qui restent impassibles. Arrive un motocycliste avec l’ordre de cesser le carnage, ils ont enfin la vie sauve.

Au presbytère, des femmes sont réfugiées dans les caves. Les boches jettent des grenades par les soupiraux. Une jeune fille grièvement blessée. René Hinaut, aujourd’hui mutilé d’un bras et d’une jambe, échappe par miracle à la mort. Il fusille dans la cour de la ferme Turby, en compagnie de son frère et de son cousin, il n’est que blessé, tombe entre les deux cadavres et fait le mort. Avant de partir, les boches incendient les fermes et les cadavres. Le corps en flamme, il parvient à se dégager et à éteindre ses vêtements.

Toujours rue de l'Égalité, au n° 49, les membres de la famille Deltombe Prosper, qui faisaient l’admiration de la population pour leur bonne entente, se réfugient dans la cave du fils pour y mourir. Elle se compose du père Prosper, âgé de 76 ans, de la mère, âgée de 69 ans, du fils Charlemagne, âgé de 39 ans, de sa femme et de ses deux enfants, de la fille, du gendre Louis Poutrain, âgé de 45 ans, et de leur fils Jean, âgé de 18 ans. A eux sont venus se joindre la sœur de Prosper et son mari Joseph Carlier, âgé de 50 ans.

Quand les boches arrivèrent, ils tirèrent par les soupiraux et donnèrent l’ordre de remonter. Le père Prosper se présent le premier, ne marchant qu’avec un bâton. Les boches le bousculèrent, le collèrent au mur mais sans tirer. Puis vint Poutrain Louis ; il fit deux pas et tomba sous les balles. Son fils Jean le suivant, il tomba sur son père, Joseph Carlier suivait Jean, il subit le même sort. Enfin arrive Charlemagne ; en le voyant, les boches eurent un instant d’hésitation, ne croyant pas qu’il y avait tant d’hommes. En voyant ce carnage, Charlemagne s’écria : « Tirez donc bande de lâches ». Il tomba criblé de balles.

Les femmes s’élancèrent pour ramasser les cadavres, les boches les repoussèrent à coups de crosses et les obligèrent à partir devant eux sur la route de la Batterie. A midi, Joseph Carlier, encore vivant, fut achevé par un boche. Cette tragédie se déroula entre 7 h. 30 et 8 heures du matin.

Elle n’a malheureusement pas fait que ces quatre victimes dans cette famille. La sœur de Louis Poutrain est décédée le 5 novembre 1940. Son père, le 13 novembre 1940 et sa chère maman le 27 mai 1941. Le pauvre Prosper mourut dans une agonie atroce, revoyant dans cauchemar affreux la scène tragique à laquelle il avait assisté, collé au mur et impuissant.

Rue Henriette-Crombez, les boches se présentent chez une veuve âgée de 60 ans, habitant avec sa bru, son fils étant mobilisé. Ils enfoncent une fenêtre, la bru se réfugie à l’étage et saute dans le jardin pendant que trois de ces satyres se livrent à des actes odieux sur sa belle-mère. La Pauvre femme a préféré se sacrifier pour que son fils, blessé sur un lit d’hôpital à Bordeaux, puisse à son retour retrouver sa femme sans tache.

Ces actes abominables furent répétés, mais les victimes préfèrent se taire. Et pendant ce temps, sous la garde de leurs cyniques bourreaux, le flot des habitants se dirigeait vers la Batterie.

Un certain nombre d’entre eux, en passant devant la villa les Floralies, entendirent des cris terrifiants qui n’avaient rien d’humain et qui auraient pu faire croire à l’égorgement d’un animal. Plusieurs personnes essayèrent de gravir les marches du perron, mais elles furent repoussées par les Allemands, baïonnette au canon, qui en gardaient l’entrée. Elles aperçurent toutefois le spectacle atroce et angoissant d’un homme, qui, au travers de ses appels déchirants, brûlait vif, attaché sur un fauteuil. Il s’agissait d’un officier anglais. Les bourreaux croyaient que l’incendie aurait fait disparaître les traces de leur forfait. Ils avaient compté sans la solidité des planchers en béton, qui résistèrent au feu. Des pièces accablantes furent recueillies et tous les renseignements furent, dès la Libération, remis aux autorités britanniques.

L’incendie d’Oignies

Quand la presque totalité des habitants eut évacué la ville, des équipes spéciales d’incendiaires, munies de grenades et de lance-flammes, se mirent en devoir de remplir leur besogne de vengeance criminelle, en incendiant toutes les maisons. Ils mirent le feu et créèrent des foyers d’incendies dans toutes les pièces de toutes les maisons (nous disons bien dans toutes les pièces de toutes les maisons). Ils s’acharnèrent fiévreusement sur la proie qu’ils avaient juré d’anéantir.

Quand, dans leurs opérations incendiaires, semant partout la ruine et la mort, ils entendaient un bruit insolite venant de la cave d’une habitation (car malgré tout, il était resté quelques pauvres hères), aussitôt des grenades étaient lancées par les soupiraux. Ils firent ainsi de nouvelles victimes.

Pendant ce temps, le troupeau des habitants, rassemblé sous la garde de ses bourreaux sur les bords de la Deûle, assistait, impuissant, à deux kilomètres de distance, au plus formidable incendie qu’ils eussent jamais vu, à la destruction de tout leur avoir, de tous leurs biens : meubles et immeubles. Une grosse partie des habitants était partie presque nue sous la poussée des baïonnettes boches qui ne leur avaient pas laissé le temps de rassembler les quelques hardes indispensables pour se couvrir ; d’autres étaient partis pieds nus ou chaussés de pantoufles ; enfin, une grosse partie n’avait même pas eu le temps d’emporter leurs économies, leurs souvenirs personnels, et leurs bijoux de famille.

Quelles scènes inénarrables se produisirent alors parmi cette foule exaspérée qui, voyant s’anéantir leurs dernières espérances, voulait essayer de s’élancer pour essayer de sauver quelques bribes de ce patrimoine, de ce bas de laine si cher au peuple français. Tous autres que ces brutes nazies se seraient laissés attendrir par cette douleur immense de tous les habitants.

Implorations, supplications, rien n’y fit pour la bête hitlérienne. Oignies et Courrières qui avaient, par leur héroïsme, retardé de quelques jours l’avance de la Wermacht devaient mourir et être réduite en cendres. Heureusement, si l’on peut employer ce mot, un incident fortuit devait sauver de l’incendie une quantité appréciable d’habitations.

Vers 13 heures, au moment où parqués comme un troupeau sous la surveillance de leurs tortionnaires, nos concitoyens voyaient s’anéantir leurs dernières espérances, un orage d’une rare violence s’abattit sur la région. Aux éclairs et aux grondements du tonnerre succéda une pluie diluvienne qui trempa jusqu’aux os ces malheureux sans abris et presque sans vêtement.

Cette pluie torrentielle relâcha quelques peu la surveillance des geôliers et quelques habitants, plus hardis, s’enfuirent à travers champs et arrivèrent à leurs habitations pour éteindre les incendies qui faisaient rage.

Les quelques habitants restés quand même dans les caves, avaient eux aussi fait leur possible pour éteindre le feu de leurs habitations. De son côté, la pluie d’orage, en tombant lourdement neutralisa une partie des foyers d’incendie.

Au pont de la Batterie

A la batterie, d’autres scènes déchirantes se produisaient. On avait fait la séparation des hommes d’avec les femmes et les enfants. On avait fait le tri des hommes valides et on les avait fait traverser le pont de fortune pour les emmener par petits groupes et escortés, dans la direction de Courrières, Cambrai… l’Allemagne. Cette séparation, venant après l’incendie et le carnage que nous avons décrits, mettait le comble aux souffrances physiques et morales endurées par notre malheureuse population. Mais là ne s’acheva pas le drame déjà poignant et lamentable. Un des groupes, emmené en direction de Courrières, s’arrêta aux premières maisons. Il comprenait 17 hommes et jeunes gens. On les fit entrer dans le jardin clos de murs d’une petite maison. Là, les bourreaux leur firent creuser leur fosse, les rouèrent de coups jusqu’à ce qu’ils n’eurent plus figure humaine, et sans aucune excuse que celle d’appartenir à la population d’Oignies qu’ils avaient ordre de détruire et d’exterminer, ils les abattirent froidement par rafales de mitraillettes. Leurs corps, exhumés par la suite, furent reconnus par leurs familles à leurs vêtements et leurs objets personnels car les souffrances qu’ils avaient endurées, ajoutées à la terreur, avaient laissé sur leurs traits une empreinte diabolique et horrifiante qui faisait qu’aucun membre de leur famille ne pouvait reconnaître les siens, dans ces visages grimaçants, à la bouche tordue, dignes de l’Apocalypse. Aussi, quelles scènes impossibles à décrire fut la reconnaissance de ces corps. Tant d’horreurs, tant de crimes ne peuvent rester impunis. Nos morts crient « Vengeance ».

Plainte du Comité de Libération

Le Comité local de Libération, après de nombreuses recherches, est parvenu à se procurer des renseignements précis sur les responsables du carnage du 28 mai 1940, et il a, le 1er octobre 1944, déposé contre les coupables la plainte ci-après :

« Le Président du Comité local de Libération,

A Monsieur le Président du Comité départemental de Libération.

Monsieur le Président,

Par l’intermédiaire du docteur Dandois, à Auby (Nord), neveu de Monsieur Desprez-Caron Louis, fusillé par les boches à Courrières le 28 mai 1940, nous avons obtenu les renseignements ci-après détaillés, sur l’auteur responsable ou présumé tel de l’horrible carnage de Oignies le 28 mai 1940 et contre lequel nous portons plainte au nom de la population toute entière.

Voici exposé brièvement les motifs de notre plainte :

Le 24 mai 1940, les soldats français du 106e régiment d’infanterie, 11e zouaves, section tirailleurs marocains, reçurent l’ordre de résister à Oignies. La population fut invitée à s’abriter dans les caves. Pendant trois jours, les soldats accompagnés de soldats anglais, quoique très inférieurs en nombre, tinrent les boches en échec sur le canal de la Deûle.

Dans la nuit du 27 au 28 mai, ils reçurent l’ordre de repli sur Seclin et Lille. Les boches pénétrèrent dans Oignies le 28 mai vers 6 heures du matin. Ce furent alors des scènes énormes de carnage qui seraient trop longues à décrire, mais qui pourront être relatées aux enquêteurs. Les boches, l’écume aux lèvres, firent sortir les habitants des caves, fusillèrent les hommes à bout portant en présence des femmes et des enfants qu’ils obligèrent ensuite à marcher devant eux pour empêcher les Français de tirer. Quatre-vingt de nos concitoyens, de tout âge, de 17 à 70 ans, furent fusillés par eux.

Dans la villa les Floralies, route de Courrières, ils s’emparèrent d’un officier anglais, le lièrent sur une chaise-longue, l’aspergèrent d’essence et le brûlèrent vif. Les renseignements concernant cet officier ont été remis à l’armée britannique. Pour cacher leur crime, ils ont allumé trois grands foyers d’incendie, mais ils avaient compté sans la solidité de l’immeuble, dont les planchers étaient en ciment armé.

Après ce carnage, ils incendièrent toutes les maisons. Trois cent maisons furent totalement détruites et toutes celles restées debout portent les traces de l’incendie.

D’après les renseignements recueillis par le docteur Dandois auprès de Mme Facomprez, café Grand’Rue à Auby, l’auteur de ce carnage serait le commandant Kolrep, Hauptmann und Komp chef F P 02136 C.

Le docteur Dandois a reçu verbalement la déposition suivante de Mme Facomprez : « J’ai logé du 8 avril au 22 mai 1941, le commandant Kolrep, âgé de 32 ans à cette époque. Ses troupes étaient cantonnées à Auby. Une partie de l’effectif cantonnait également à Raimbeaucourt et Leforest. Le commandant Kolrep s’est vanté en ma présence d’être l’auteur responsable du carnage de Oignies. Il a même cité certains faits concernant cette barbarie. Devant cette déclaration, j’ai pensé à recueillir le plus de renseignements sur son compte et suis parvenue à me procurer l’étiquette ci-jointe, en la décollant d’une de ses feuilles de papier à en-tête. Le commandant Kolrep, prénommé Orts, est né à Biarritz. Sa femme est pharmacienne. Il a 3 filles et 4 frères. Son père est mutilé d’un bras et commandait en 1941 un Oflag près de Hambourg je crois. Il aurait fait 9 ans d’école de guerre. Il montrait des photos où il se trouvait en compagnie de Hitler, Himmler… Ce qui laisserait supposer qu’il était un de leurs intimes et sûrement national-socialiste. Son ordonnance s’appelait Heintz, prénommé Altof, habitait Chemnitz. Il est le fils d’un droguiste et était à cette époque premier soldat. Veuillez agréer, etc. Signé : le Comité local de Libération » »

Devant ces renseignements précis, il serait possible de retrouver tous les coupables. Le Comité de Libération de Oignies espère que l’enquête sera ouverte immédiatement et que toute diligence sera faite pour s’emparer des criminels s’ils sont encore vivants dès que l’Allemagne sera vaincue. Le vœu le plus cher de la population toute entière est que ses morts soient vengés et que les coupables soient fusillés sur la place d’Oignies.

En son nom, nous demandons aux enquêteurs de nous tenir au courant et souhaitons de tout cœur plein succès à leur entreprise. Une photo du commandant Kolrep et de son ordonnance a été jointe au dossier.

Les faits ci-dessus relatés ne sont qu’une infime partie des atrocités commises par les boches. Nous nous excusons d’être obligés de nous borner à ne citer que des généralités. Il nous faudrait un livre pour pouvoir énumérer le cas particulier de chaque fusillé, de chaque habitants ayant vécu ces heures tragiques.

Le temps et les moyens matériels nous manquent, mais nous espérons que plus tard, il nous sera possible d’amplifier ce récit, afin de faire connaître au monde le véritable calvaire de la première cité martyre de France. Depuis le 28 mai 1940, d’autres cités ont malheureusement eu, elle aussi, leur calvaire à gravir. Des villes plus importantes ont subi la guerre. Elles ont eu leurs victimes et leurs destructions, soit par bombardement, soit par tout autre cause, mais nous croyons pouvoir affirmer qu’à part Oradour-sur-Glane, aucune d’elles n’a connu les tortures matérielles et morales qui furent infligées à Oignies le 28 mai 1940.

Libération de Oignies. 2 septembre 1944

La résistance se fait nettement sentir dès le 15 août. Dans la nuit du 20 au 21, les murs se couvrent d’inscriptions décrétant la grève générale pour le 22. Cette grève devient effective le premier jour.

Les boches sentent le terrain glissant et n’osent plus opérer les arrestations en masse. En représailles, la Kommandantur de Lens consigne toute la population dans les maisons. Interdiction de sortir sous aucun prétexte

Les boulangeries et toutes les maisons de commerce sont fermées et ne doivent pas distribuer de ravitaillement. Des patrouilles sillonnent les rues et les habitants restent cloîtrés chez eux. Mais il faut manger, les boulangers, unanimes, remettent leurs fours en marche, et les ménagères se hasardent à sortir entre deux patrouilles. Malheur à qui se fait prendre, les boches tirent sur les femmes et les enfants sans aucun avertissement.

Cité du 28 mai, Jules Boulinguez, âgé de 23 ans, se hasarde à sortir de chez lui. Depuis plus de deux heures sa femme est partie au boulanger par les sentiers détournés, elle ne rentre pas et il craint pour elle le pire. Il a à peine gagné le milieu de la chaussée qu’il tombe atteint d’une balle au ventre. Des voisins dévoués le transportent à l’hôpital où il expire dans des souffrances atroces.

Le 26 août, le travail reprend au ralenti et la situation redevient normale.

Les armées alliées sont sur la Somme. Elles se dirigent sur Arras. Les nouvelles les plus contradictoires circulent. Les Allemands refluent vers la Belgique. Ils ont réquisitionnés les chevaux et les chariots des cultivateurs de la région de Saint-Omer. C’est la débâcle de la Wehrmacht qui commence.

Oignies est traversé par les équipages les plus hétéroclites. La population y voit l’indice de la déroute allemande. La Libération approche, les nerfs sont tendus.

1er septembre. A 15 heures, le bruit circule que les Anglais sont à Bois-Bernard, personne n’ose y croire. A 15 heures 30, l’ordre d’attaque arrive. Tous les groupes de résistance : Libération, Front national, Voix du Nord, Francs-tireurs patriotes sont alertés. Les retardataires allemands sont attaqués. Les résistants de la fosse n°9 sont les premiers à faire des prisonniers. Malheureusement, cette opération coûta la vie d’un de nos concitoyens : Maurice Fanion, né à Courrières le 12 décembre 1913, père de cinq enfants et résistant de la première heure, qui tomba sous les balles allemandes au cours de cette opération. Un service de nuit est organisé. Vers minuit, une auto allemande est attaquée mais parvient à s’échapper. 2 septembre. Vers 6 heures 30 arrive de Carvin un convoi de 15 camions allemands. Il est égaré. L’officier allemand demande la route de Lille à l’entrée du village. Une ménagère, dont le mari est dans la résistance, l’envoie dans l’embuscade tendue à l’entrée de la rue Fernand-Pantigny. Dès son arrivée dans la rue de la Place, une sentinelle avancée placée au rond-point des rues Jean-Jaurès et Arthur-Lamendin, tire pour donner l’alerte.

Les fusils-mitrailleurs de la résistance crachent la mitraille, les boches ripostent et mettent en batterie un canon anti-char. La fusillade dure environ vingt minutes. Ils sont trop nombreux, la résistance mal armée ne peut prétendre les attaquer à découvert, mais elle maintient ses positions. Adolphe Gorriez, en position dans la rue Ernest-Renan avec son camarade V.F., est blessé au pied par une balle explosive. Son camarade le tire dans la cour Louisa pour le soustraire aux balles allemandes. Les pertes allemandes s’élèvent à cinq morts dont trois officiers.

L’officier commandant ce convoi, ne pouvant sortir de cette impasse, donne l’ordre d’enfoncer les portes et de faire sortir la population. Les brutes nazies tirent les femmes et enfants dehors ; la résistance doit cesser le feu, de crainte de les blesser. Après les avoir fait défiler devant leurs cadavres exposés en face de la ferme Schipman, les boches les mettent au mur. Un jeune homme, D. M., connaissant l’allemand, sauva la situation en déclarant : « Vous pouvez nous tuer mais vous ne sortirez pas vivant de Oignies, car ils sont trop nombreux ». Alors l’officier répondit : « vous allez nous conduire à Lille ». après avoir fait un demi tour, les camions boches reprirent la route de Carvin, en poussant devant eux une quarantaine de femmes et enfants ramassés dans les rues de la Place et de l’Egalité. Il était environ 7 heures 10 quand la colonne quitta Oignies.

7 heures 45, un cycliste arrivant de la Batterie déclare que trois tanks anglais sont au pont et qu’ils attendent l’ordre de le traverser. Personne ne peut y croire.

8 heures 05, ordre est donné au Comité de Libération d’occuper la mairie. Tous les groupes de résistance ont repris leurs activités. Des Allemands isolés sont signalés dans le parc, au cimetière, au bois d’Harponlieu, etc. Ce n’est dans les rues de la commune qu’un défilé ininterrompu de résistants plus ou moins bien armés.

8 heures 30, grosse alerte. Une colonne allemande forte de 150 à 200 hommes, chassés de Dourges par la résistance, se replie sur Ostricourt. Elle tente de descendre vers Oignies, mais la résistance du n°9 l’attaque à la Justice et la fait remonter vers Wahagnies. La jeune Rolande Rémy, née à Hénin-Liétard le 22 avril 1928, était partie en mission au quartier de la fosse n°1. Au retour, à travers champs, elle fut attaquée par cette colonne. Elle parvint à gagner une meule et à y cacher son ordre de mission avant de mourir.

De 9 heures à 11 heures. Attente anxieuse de la population. On confirme que les tanks anglais sont à la Batterie, mais qu’ils n’ont pas l’ordre de traverser le pont. Le responsable du Font National, après avoir longuement parlementé au pont de Courrières avec le colonel de la brigade blindée, obtient enfin qu’il donne l’ordre aux chars de traverser le pont pour se porter sur Wahagnies.

12 heures 05, le premier char arrive sur la Place, face à l’église. Il est couvert de drapeaux, de résistants. C’est du délire parmi la population. Mais la joie n’est pas complète. Que sont devenus les otages emmenés ce matin par les boches ? Les chars anglais continuent d’arriver ainsi que les chenillettes. C’est à qui les fleurira. L’on signale des Allemands isolés dans le parc. Deux chars se détachent et mitraillent les taillis.

13 heures 10. Une auto de la résistance par sur Carvin à la recherche des otages enlevés le matin. 13 heures 30, l’auto est de retour. Elle ramène trois de ces femmes.

Elles racontent leur odyssée de la façon suivante :

« Pendant que les boches enfonçaient les portes, les hommes parvinrent à se cacher. Les boches pénétrèrent dans les maisons et ne leur laissèrent pas le temps de se vêtir. Ils les entraînèrent dans les rues, et après leur avoir présenté leurs morts en disant : « Français correct, hein ? », ils les placèrent au mur. Par suite de l’intervention du jeune Davanture, l’officier commandant le détachement comprit qu’il avait fait fausse route et qu’il partait sur Douai au lieu de Lille. C’est ce qui les sauva. Les boches placèrent femmes et enfants, les bras en l’air devant les camions, et les firent partir à pied jusqu’à « Brûlard ». Là, ils les firent monter dans le premier camion de la colonne avec ordre de lever les bras et de crier : « Ne Tirez pas », à chaque carrefour. Les femmes qui ne trouvèrent pas de place dans le camion furent placées sur les garde-boue et la colonne se remit en marche. Sans cette précaution, la colonne n’aurait jamais traversé Carvin. La résistance, embusquée à chaque carrefour, à l’église, ne pouvait intervenir de crainte de tuer les civils.

À Seclin, la colonne rejoignit les gros des forces allemandes retranchées pour livrer bataille. Les trois femmes furent relâchées et après avoir trouvé robes et pantoufles chez des personnes charitables, regagnèrent Carvin à pied. Elles étaient placées sur les garde-boue et le capot du dernier camion et ne pouvaient donner aucune indication sur les autres otages. »

15 heures. Le Comité local de Libération tient sa première réunion à la mairie. Il est composé comme suit :

  • Louis Desprez, alias Barthé, groupe Libération ;
  • Émile Vendeville-Faideau, alias Napoléon, groupe Libération ;
  • Georges Defretin, alias Lebucheur, agent secret du colonel Joly ;
  • Maurice Parmentier, alias Pater, CGT ;
  • René Sylvain, alias Sylvicus, Parti socialiste ;
  • Auguste Boursin, alias Barcus ;
  • Djelloul Yagoubi, alias JB, Front National ;
  • Augustin André, alias André, groupe Libération ;
  • Lucien Périn, alias Cherbourg, parti communiste ;
  • Jean De Neef, alias Verdun, CGT illégal ;
  • Louis Bouquet, alias Bagio, Voix du Nord ;
  • Pierre Vendeville, Syndicat Chrétien ;
  • Rose Danel, Union des femmes françaises ;
  • Pierre Jombert, Jeunesse patriotique.

Le sergent Defretin, alias Lebucheur, déclare que l’ordre d’occuper la mairie a été donné par le colonel Troy, alias Joly, et invite l’assemblée à désigner un président et un vice-président.

A l’unanimité, le comité désigne Louis Desprez, alias Barthé, comme président et Emile Vendeville-Faideau, alias Napoléon, comme vice-président. Le comité s’occupe immédiatement du ravitaillement de la commune en farine et en viande, et, à l’issue de sa réunion, lance la proclamation suivante à la population :

« Le Comité de Libération local est heureux de saluer, au nom de la population, nos vaillants défenseurs. Il félicite tous les patriotes et notamment ceux de la fosse 9. Il assure la population de tout son dévouement. Il travaillera au bien de tous, sans aucun esprit de parti ni de croyance. Il fait appel au calme et à la discipline. Dès à présent des mesures sont prises contre le pillage et le brigandage. Des patrouilles de patriotes armés circuleront la nuit dans les rues sous la direction de la gendarmerie et de la police locale qui reprennent tous leurs pouvoirs.

Le ravitaillement est assuré dans les conditions ordinaires. Le Comité tâchera de l’améliorer dans les mesures du possible. Le marché noir est totalement interdit, il sera réprimé avec la plus grande vigueur.

Notre nation à grand besoin de se relever de ses ruines. Nous devons tous avoir à cœur de nous remettre au travail avec plus d’ardeur que jamais pour refaire une France libre et indépendante. Vive la France ! Vive la République ! Vice le général de Gaulle ! »

17 heures. La majorité de la population est rassemblée sur la Place. Quelques musiciens volontaires se sont groupés et c’est aux accents d’une vibrante Marseillaise que la population défile dans les rues. Les avant-gardes anglaises continuent d’arriver, elles sont à présent à Wahagnies et Phalempin mais les boches tiennent toujours Seclin.

19 heures 30, l’allégresse est grande parmi la population. Malheureusement beaucoup de familles ne peuvent de tout cœur s’associer aux réjouissances et dans notre joie se glisse le souvenir des fusillés, des déportés politiques, des prisonniers, et des requis du service obligatoire du travail.

Une partie des otages de ce matin rentre à pied, venant de Lille où les boches les ont emmené. Ils nous rassurent sur le sort des autres. L’un d’eux, un ancien poilu de 1914-1918, a en passant à Seclin, repéré les mines, les canons, les effectifs allemands. Dès son arrivée, il communique ces renseignements à l’état-major anglais.

La majeure partie des otages rentrera les 3 et 4 septembre, mais en bonne santé.

19 heures 45, une mauvaise nouvelle éclate comme une bombe parmi la joie de la population. Le lieutenant-commandant des blindés reçoit par téléphone sans fil l’ordre de prendre les dispositions de combat. Un colonne blindée allemande cernée aux environs de Nœux-les-Mines passe à l’attaque et descend sur Loos-en-Gohelle.

Le lieutenant donne l’ordre à la population de rentrer chez elle. Il dispose ses chars au carrefour de la Place. L’état-major anglais siège en permanence à la villa les Floralies, route de Courrières, et le gros des chars se range en bataille au lieudit le Pré Wilmet.

Certains otages des rues de la Place et de l’Egalité ne voulant plus revivre les heures tragiques de la matinée, découchèrent, mais la nuit n’est troublée que par quelques coups de canon qui éclatent dans le lointain.

3 septembre. A l’aube naissant, la population reprend confiance. Les avant-gardes anglaises poursuivent leur route vers Wahagnies, Pont-à-Marcq, Orchies et la Belgique, alors que le gros de l’armée arrive. Pendant deux jours, ce n’est qu’un défilé ininterrompu de tanks, camions et matériel de toutes sortes.

A voir passé tout ce matériel compliqué que nous ne connaissions pas pendant la guerre 1914-1918, nous comprenons enfin pourquoi nos alliés ont mis quatre années pour venir nous délivrer du joug allemand. Ces quatre années furent pour nous longues et interminables, coupées par des alternatives d’espoir et de découragement.

Mais nous avons la preuve qu’elles furent bien employées par nos amis anglais et américains.

La Libération totale d’Oignies est achevée, mais dans les environs les boches résistent encore. L’armée anglaise passe et laisse à la résistance le soin de nettoyer les coins reculés. Vers 9 heures, le groupe de résistance de Tourmegnies, en lutte avec les boches dans la forêt, réclame du renfort. Nos résistants, inlassables, parent en camion, mais vers 13 heures arrive une mauvaise nouvelle. L’un des nôtres est tombé en face de l’ennemi dans les conditions suivantes : « dès leur arrivée à Tourmignies, les boches se trouvant dans un bois, nos résistants se déploient en tirailleurs et s’avancent en rampant. A l’orée du bois se présentent deux soldats allemands, les bras en l’air. Paul Delattre, né à Cérences le 20 décembre 1920, marié, père de deux enfants, s’élance pour les faire prisonniers, mais à cinquante mètres, un char se démasque et le fauche d’une rafale de mitraille. »

A son tour, la résistance de Lillers réclame du renfort, des volontaires partent immédiatement. L’affaire est réglée en deux jours, nos résistants rentrent avec des prisonniers.

Beaucoup d’entre eux ne veulent pas déposer les armes. Leur haine du boche est trop forte pour arrêter si tôt. Laissant là femmes et enfants, ils s’engagent dans l’armée régulière. Parmi eux se trouve le sergent Narcisse Duquenne, poilu de la guerre 1914-1918, décoré de la croix de guerre, médaille militaire. Il part sur le front des Flandres, participe à la libération de Berck, et continue la lutte avec les Canadiens et les Tchécoslovaques.

Mais le 13 décembre, au cours d’une patrouille, il ne rentre pas et est porté disparu. La nouvelle parvenue à Oignies jette la consternation parmi la population. Pendant plus de trois mois, nous ne savions ce qu’il était devenu.

Mais le 29 avril, comme une traînée de poudre, la nouvelle se répandit dans Oignies : Narcisse, prisonnier à Dunkerque, fait partie d’un convoi de prisonniers échangés avec des prisonniers allemands. Ce fut pour tous un véritable soulagement. Oignies enfin libéré, va se remettre courageusement au travail.

Nous nous excusons de ne pouvoir relater tous les actes de bravoure, toutes les actions d’éclat accomplies par nos résistants de Libération, de la Voix du Nord, du Front National, et ceux de la Résistance, et Francs-Tireurs Patriotes.

Tous ont fait leur devoir et se sont montrés dignes de Oignies : première cité martyre de la France. De tout cœur, nous les en remercions.

Liste des Fusillés du 28 mai 1940

Julie Beignot Albert Dumont Stéfan Mortka
Charles Bessand Émile Dupriez Georges Mullem
Louis Birlouez Trophim Dutko Léonard Nuttin
Cécile Boigelot Gustave Dreux Aristide Olivier
Jules Boigelot Alexandre Druelle Albin Orlowski
Jean Borowki Albin Erjavec Wojciech Plonka
Léon Boulanger Raymond Gripont Stanislaw Pokrzywka
Jean Cambier Charles Grulois Jean Poutrain
Julien Carlier Rodolphe Gucek Louis Poutrain
Eugène Caron Antoine Haremza Louisa Quittelier
Amédée Chevalier André Henocq Louis Sarazin
Attilio Chiarcossi Louis Hinaut Julien Sorbaj
Jean Chodura François Kasza Alfred Stanczyk
Georges Coquelaert Slimane Ben Mohamed Kechid Boleslaw Stanczyk
Maurice Creteur Franciszek Kempka François Tartare
Jean-Baptiste Debock Antoine Kolacek Julien Tartare
Jean-Baptiste Degognies François Krol Alfred Urbanek
Turenne Defief Georges Lafay Sylvain Vandepontseele
Sidoine Delbecque Juliette Lefebvre André Walkowiak
Arthur Delhaye Auguste Leveugle Eugène Wasson
Charlemagne Deltombe Mieczyslaw Lucinski Joseph Zelina
Louis Desprez (1866-1940) François Misiarczyk


Victimes civiles Martyrs de la Résistance Décédés en déportation Résistants mort au champ d'honneur
Catherine Bezak Édouard Coignet Fernand Bacrot Jules Boulinguez
Liliane Delbaere Alfred Diévart Antoine Bonge Paul Delattre
Désiré Leroy Eugène Dournel Roger Cappi Maurice Fanion
Jean Liszyk Voltaire Dournel François Delhaye René Herchuelz
Célestine Liszyk Léon Szklarek Élise Dournel Rolande Remy
Fernande Pantigny Edmond Janowski
Adalbert Ptak Henri Nortier
Maciej Strzeszewski André Pantigny
Maria Vendeville Maurice Sarazin
Henri Segers