Rapports du Préfet du Pas-de-Calais en 1941 premier semestre

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Deuxième Partie : 1941. Les Archives de France conservent les rapports des préfets adressés au ministre de l'Intérieur de l'été 1940 à la Libération (1944) (cotes F/1cIII/1135-F/1cIII/1198). Ces rapports ont été numérisés et sont consultables en ligne sur le site des Archives de France. Nous proposons une transcription de ces rapports indispensables à la compréhension de cette période de notre histoire. On trouvera ci-dessous les 12 rapports de l'année 1941 : 9 février, 13 février, 8 mars, 6 avril, 9 mai, 11 juin, 5 juillet, 6 août, 5 septembre, 4 octobre, 4 novembre, 3 décembre. Lien vers la page générale : Rapports du Préfet du Pas-de-Calais entre 1940 et 1944


9 février 1941

Le préfet du Pas-de-Calais

À Monsieur l'ambassadeur de France, délégué général du Gouvernement français dans les territoires occupés.

Depuis le 30 décembre, date de mon dernier rapport, aucune modification sensible ne s’est produite dans la situation départementale. Les difficultés demeurent les mêmes et il nous faut faire preuve de beaucoup d'efforts et de démarches pour essayer de les amenuiser quand nous ne pouvons pas parvenir à les faire disparaître.

Les relations des services de la préfecture, des sous-préfectures et des mairies avec les autorités d'occupation continuent d'être courtoises. Des autorités de l'administration militaire de l'OFK, ou de la FK, ou des OK ne sont pas complètement libres de faire exécuter les ordonnances ou leurs décisions propres du fait des ordres donnés par les représentants des formations de combat ; mais elles ne manquent jamais d'intervenir auprès de ceux-ci quand nous le demandons.

Je n'énumérerai pas les incidents divers qui ont eu lieu au cours des mois derniers et qui concernent toujours les mêmes questions, c’est-à-dire la surveillance des câbles téléphoniques, les obligations dans lesquelles sont placées les ouvriers de l'industrie ou de l'agriculture pour procéder à des travaux exigés par les autorités allemandes, les occupations de maisons d'habitation, les réquisitions, etc. chaque cas qui est porté à ma connaissance est examiné avec le plus grand soin pour une solution conforme au droit des gens et à la dignité française.

Il faut naturellement reconnaître que les mesures prises à l'égard de nos concitoyens ne sont pas de nature à modifier leurs sentiments et la gêne qui persiste du fait des incommodités provenant du refus ou de l'attribution au compte-gouttes de laisser-passer est un facteur qui laisse subsister ce malaise.

Le ravitaillement, et j’en parlerai plus loin, s’avère toujours très difficile et c’est là une cause à ajouter à tant d'autres qui influe fortement sur l'état d'esprit. Mais je dois à la vérité de dire qu’en dehors des régions minières où les exigences se manifestent plus vivement qu’ailleurs (les mineurs devant depuis quelques semaines, faire une demi-heure de travail de plus), dans toutes les autres parties du département les populations témoignent d'une compréhension certaine et acceptent le rationnement des denrées essentielles sans récriminations sérieuses.

Les qualités de cette population sont, au surplus, dignes d'admiration quand on les juge chez les habitants de la région côtière, notamment dans les villes de Boulogne-sur-Mer et de Calais, qui continuent de vivre sous la menace d'un danger constant. A noter que depuis le 19 décembre 1940, les bombardements aériens ont fait 30 victimes (onze tués, dix-neuf blessés) et ont détruit dix immeubles et causés de nombreux incendies.

Je me rends assez souvent, accompagné de M. Théry, secrétaire général de la préfecture, dans ces villes si cruellement meurtries et qui sont toujours si exposées. Nous constatons un moral élevé et un courage magnifique.

Les deux municipalités de Calais et de Boulogne-sur-Mer ont une activité remarquable ; j’ai pu visiter une installation particulièrement opportune due à l'initiative du président de la délégation spéciale de Boulogne-sur-Mer, M. Goulois, qui a créé dans d'immenses caves à proximité de l'hôpital de la ville, un véritable hôpital souterrain dont l'achèvement est proche et dans lequel déjà j’ai pu voir fonctionner une maternité modèle.

Je me permets de vous demander instamment d'examiner les propositions que j’ai eu l'honneur de présenter pour faire attribuer la croix d'officier de la Légion d'honneur à M. Morin, sous-préfet de Boulogne-sur-Mer, véritable sous-préfet de guerre, qui avec un mépris absolu du danger, anime toutes les activités de son arrondissement, qui a su prendre en mains avec un dévouement digne de tous les éloges l'intérêt de ses administrés et qui ne ménage ni son temps ni sa peine pour porter aux populations comme à ceux qui les administrent une aide précieuse et un large réconfort.

Les habitants de cette région qui méritent tous d'être félicités seraient hautement honorés si leur sous-préfet M. Morin l'était lui-même par la promotion dans l'ordre e la Légion d'honneur que j’ai faite en sa faveur.

État d'esprit public

Outre les considérations que j’ai notées dans les lignes précédentes, il est toujours nécessaire de veiller avec le plus grand soin à la propagande communiste, qui d'ailleurs ne se manifeste, et toujours dans les mêmes formes, que dans la région minière. Quels sont les prétextes des agents indésirables de cet ex-parti communiste dont quelques éléments cherchent à exciter les ouvriers ou leurs femmes ?

D'abord, le ravitaillement, ensuite les salaires. Pour le ravitaillement, j’ai adressé à M. le ministre secrétaire d'État à l'Intérieur, à la date du 4 février, un rapport dont je crois utile de reproduire le texte ci-après : « Par comptes rendus de quinzaine adressés suivant vos instructions en date du 13 octobre1940 à M. l'Inspecteur général de la Sûreté nationale (8 rue Alfred de Vigny à Paris), dont le dernier a été transmis le 29 janvier, je vous tiens au courant de l'activité des services de police pour combattre la propagande communiste.

Celle-ci s’exerce surtout dans les centres miniers. Elle cherche à atteindre le moral de la population ouvrière en exploitant les difficultés de l'heure présente, qui résultent de l'insuffisance des salaires ou qui concernent le ravitaillement. Des tracts sont distribués, des papillons apposés et les ouvriers sont incités à protester et à revendiquer. Au surplus, les mots d'ordre du parti communiste dissous sont repris par les femmes qui, dans certaines localités, stationnent devant les boucheries, charcuteries, crèmeries ou se présentent dans les mairies pour faire part aux autorités locales de leurs doléances. Le 31 janvier, par exemple, des petits groupes de ménagères se sont formés en face de l'hôtel de ville de Lens. Une délégation fut reçue et entendue par le député maire que l'Orstkommandant major avait rejoint. Cette manifestation se déroula dans le calme. Les 350 femmes environs qui y participèrent se dispersèrent sans incident.

Commissaires et agents sont certes vigilants. Ils enquêtent avec soin et les résultats obtenus soulignent leur zèle et leur dévouement. Mes collaborateurs sous-préfets et moi-même portons, comme il convient, toute notre attention sur cette néfaste propagande et les parquets comme les tribunaux n'hésitent pas à se montrer sévères dans la répression. C’est ainsi qu’à titre de renseignement, je vous informe que le tribunal correctionnel d'Arras vient de condamner à un an de prison (jugement du 28 janvier 1941) le nommé Riche Jean, ex-chef de groupe de la cellule locale des jeunesses communistes d'Avion, qui avait distribué des tracts dans un café de la ville. Jusqu’à ce jour, les autorités allemandes ne nous ont pas accordé l'autorisation d'installer un camp de concentration où nous pourrions placer les individus suspects ou indésirables (décret du 18 novembre 1939). Nos démarches ont été renouvelées bien souvent.

Il est évident qu’un malaise existe, spécialement dans les régions minières… et cependant que ne tentons-nous pas pour améliorer la situation !

Les autorités allemandes qui connaissent bien le problème ne cessent de nous convoquer le préfet du Nord et moi-même à des conférences, des décisions interviennent, des ordonnances paraissent, des instructions impérieuses sont données aux comités professionnels et interprofessionnels, des organisations nouvelles sont créées !

Ce qu’il y a de grave, c’est que les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais relèvent de l'administration militaire allemande de Belgique et que la ligne de démarcation du Nord-Est est pour ainsi dire presqu’entièrement infranchissable pour les personnes comme pour les choses. Leurs populations doivent donc vivre presqu’exclusivement sur leurs ressources propres et je ne vous étonnerai pas en vous indiquant que les prélèvements effectués depuis le début de la guerre par toutes les troupes qui s’y sont succédé les ont considérablement réduites.

Il faut d'ailleurs noter que pour le bétail, par exemple, les deux départements étaient importateurs en temps de paix… de même pour les pommes de terre, de même pour le beurre et vous savez combien cette dernière denrée est précieuse pour les mineurs. Nous insistons sans arrêt, le préfet du Nord et moi, auprès des autorités supérieures d'occupation pour que toutes facilités soient accordées pour atténuer les rigueurs d'une politique économique dont les conséquences risquent de devenir un jour très graves. Ces autorités, jusqu’à maintenant, ont estimé que les mesures sévères envisagées et ordonnées par nos arrêtés ou leurs décisions devraient porter leurs fruits. Elles répondront favorablement à nos vœux quand elles le jugeront indispensable. Nous nous employons de notre mieux à utiliser à fond nos moyens, mais nous n'en pensons pas moins qu’il faudrait absolument que les deux départements fussent intégrés dans l'économie française.

M. le ministre du Ravitaillement s’efforce de réserver à nos propositions le meilleur accueil. Il sait nos préoccupations et nos difficultés. Sa haute sollicitude vient de se manifester heureusement. Comme première mesure, dans le sens des souhaits que j’ai formulés, il a bien voulu me faire connaître par dépêche du 1er février, qu’il avait décidé d'autoriser l'expédition du bétail d'embouche ou d'élevage à destination de mon département.

Cette décision, qui dans une certaine mesure apaise nos appréhensions sera, je l'espère, complétée par d'autres mesures dont les effets seront immédiats comme celle de la levée de l'interdiction d'importation dans le Pas-de-Calais et dans le Nord, de viande de boucherie, de beurre, de café. C’est à ce prix que nous pourrons assurer aussi normalement que possible le ravitaillement de nos populations sans être exposés comme nous le sommes en ce moment à délivrer des rations souvent à des taux inférieurs à ceux qui ont été fixés.

Ce rapport a pour but, M. le Ministre, de vous fournir un aperçu de la propagande communiste que nous parviendrons à combattre avec plus d'efficacité encore si peuvent être diminuées nos difficultés de ravitaillement. »

J’ajoute que nous avons pu mettre sur pied des centres d'abats qui fonctionnent depuis quatre ou cinq jours et qui assurent une répartition aussi équitable que possible de la viande entre toutes les familles des mineurs. Ceux-ci ont, au surplus, des rations supplémentaires qui sont distribuées sous le contrôle et sous la responsabilité des organisations minières elles-mêmes.

Nous avons mis au point également un système de livraison des marchandises par les détaillants qui est appelé, au moins nous l'espérons vivement, à faire disparaître les trop longues attentes devant les magasins.

D'autres mesures sont envisagées qui amélioreront vraisemblablement les distributions, mais je ne saurais trop insister sur la nécessité qui me parait absolument urgente d'intégrer dans l'économie française le département du Pas-de-Calais comme le département du Nord, régis, vous le savez, par l'administration militaire allemande de Bruxelles et du Nord de la France.

En ce qui concerne les salaires, cette question est plus que jamais à l'ordre du jour. Le coût de la vie ne cesse en effet de s’accroître en dépit des efforts accomplis en vue d'empêcher la hausse des prix.

Les nécessités vitales du ravitaillement, la désorganisation des marchés commerciaux incitent le consommateur à rechercher les produits indispensables à des prix dépassant les cours officiels. Il s’ensuit que malgré le contrôle constant exercé par les services qualifiés de multiples marchandises sont vendues à des prix qui dépassent singulièrement soit les prix taxés soit ceux normalement pratiqués par le commerce régulier. Le nombre des procès-verbaux d'infraction par hausse illicite le démontre chaque jour.

Aussi, la commission départementale d'études relatives aux coûts de la vie s’est-elle trouvée dans l'obligation, lors de l'établissement de l'indice de la première quinzaine de novembre 1940, d'arrêter deux chiffres : l'un tenant compte des prix taxés, l'autre faisant état de la répercussion sur le budget familial des majorations de prix irrégulièrement appliquées à certaines denrées.

Par rapport à la base 100 (année 1930), l'indice de février 1940 se montait à 137,5. Pour novembre 1940, nous avons 158,45 (indice obtenu en prenant, pour les produits taxés de la rubrique alimentation, les cours réglementaires). Or, la commission départementale ayant chiffré à 8 ou 10 % de l'indice alimentation, soit 5% de l'indice général les hausses résultant du « marché noir », l'indice réel de novembre 1940 se situe aux environs de 167 points. Il y aurait donc de février 1940 (indice 137,7) à novembre 1940 (167), une augmentation de 29 points 3 soit 21,27 %.

Je précise là qu’il s’agit de renseignements remontant au mois de novembre dernier et que l'indice de la première quinzaine de février 1941 qui ne pourra être arrêté que vers la fin du présent mois accusera vraisemblablement un nouveau mouvement ascendant de la courbe des prix.

Le régime des salaires a été pour la dernière fois réglementé par décret-loi du 10 novembre 1939, complété par le décret du 1er juin 1940. Que les salaires aient été ou non fixés par des conventions collectives, ils ne sauraient être modifiés que par décision du ministre du Travail. Sans doute l'article 1er du décret du 1er juin 1940 permet-il à l'inspection divisionnaire du Travail d'accorder des autorisations temporaires, mais ce pouvoir se trouve limité par une instruction récente qui prescrit aux inspecteurs divisionnaires de ne prendre aucune décision sans en référer au ministre. Par ailleurs, à la date du 28 juin 1940, le chef de l'administration de guerre à Lille, le Regierungspräsident Rudiger, a pris l'ordonnance ci-après : « Pour assurer des rapports de prix stables, il est indispensable que le niveau des salaires se maintienne sur sa position actuelle. Le Gouvernement a décidé par l'ordonnance du 16 novembre 1939, que les contrats de travail et les sentences arbitrales qui déterminent les conditions de salaires doivent rester en vigueur pendant la durée des hostilités. J’ordonne donc par la présente que les dispositions de cette ordonnance demeurent en vigueur même après la fin des combats. D’après cela, les conditions des salaires restent en force sur la même base ; tel qu’ils existaient au 10 mai 1940, et ne peuvent être modifiés ni en hausse ni en baisse. Toute personne qui contrevient à ces décisions doit s’attendre à une sévère punition. »

Depuis cette date aucun texte réglementaire n'est à ma connaissance intervenu, ni du point de vue de la législation française, ni sur l'initiative des autorités d'occupation.

Ainsi donc, à l'heure actuelle, à quelque point de vue que l'on se place, les salaires ne sauraient être modifiés du seul accord des parties intéressées.

Et cependant, depuis un certain temps déjà, je suis l'objet de démarches, de sollicitations tendant à attirer l'attention des pouvoirs publics sur la question des salaires.

L'organisation importante des mineurs a saisi directement M. le ministre de la production industrielle de revendications. Pour ma part, j’ai toujours répondu qu’aucune augmentation ne devait être envisagée. C’est en effet une question qui relève de l'autorité gouvernementale.

J’ai cru de mon devoir de faire cet exposé à toutes fins utiles, en faisant remarquer toutefois que bien entendu les contestations de la Commission du coût de la vie n'ont pas été rendues publiques. Évidemment la classe ouvrière, et pas seulement les ex-communistes, trouve dans la question des salaires un prétexte à revendications et les arguments invoqués pourraient être d'autant plus convaincants qu’il est reconnu que les travailleurs employés par les formations allemandes perçoivent le plus souvent sur les chantiers des salaires bien supérieurs à ceux qui sont pratiqués suivant les conventions collectives.

Je crois savoir, si j’en juge par les renseignements qui sont constamment réclamés par les autorités allemandes aux services compétents que celles-ci rassemblent une documentation pour procéder à une étude ; mais j’ignore dans quelles conditions ces autorités utiliseront par la suite les résultats de leurs investigations.

Questions administratives

La marche des services administratifs s’améliore chaque jour par l'esprit d'initiative et le dévouement des fonctionnaires qui ont tous une haute conscience de leur devoir. Malheureusement de nombreux fonctionnaires n'ont encore pu rejoindre leur poste et d'autres, évacués depuis les événements de mai n'ont pas encore obtenu des laissez-passer nécessaires. Je renouvelle constamment mes démarches, mais sans succès sensible.

Il faudrait que cette question irritante reçût enfin une solution par une décision générale des hautes autorités allemandes.

Au point de vue des importantes relations téléphoniques, aucun progrès n'est à noter et, pour l'application des lois françaises dans notre zone interdite, nous sommes toujours tributaires des mêmes ordonnances.

Administration municipale

Les maires toujours écrasés de travail s’ingénient à défendre les intérêts de leurs administrés avec intelligence, courtoisie et fermeté.

Je tiens contact avec eux, mes collaborateurs également. J’ai pu améliorer quelque peu leurs facilités de déplacement et quand nous sommes dans l'impossibilité de les voir sur place, ils viennent à la Préfecture ou dans les sous-préfectures.

L'application de la nouvelle loi sur la réorganisation des corps municipaux a fait l'objet de plusieurs conférences à l'OFK. Je vous donnerai, à ce sujet, tous renseignements circonstanciés.

Je n'ai pu, pour l'instant, que préparer mon travail, mais je ne pense pas que je sois en mesure de procéder avant un certain temps aux changements jugés opportuns en exécution de ladite loi. Il convient de remarquer que l'institution de certaines délégations spéciales a déjà paré à quelques situations délicates.

Puisque je parle de l'administration municipale, je me permets de signaler que la loi du 16 décembre 1940 relative aux pouvoirs de substitution de l'autorité supérieure aux délégations spéciales, à l'administration cantonale et aux secrétaires de mairie, est muette en ce qui concerne la suspension des maires et adjoints.

L'article 4 de la loi précitée stipule que, pour des motifs d'ordre public, le maire, les adjoints et les conseillers municipaux peuvent être révoqués par arrêté de ministre secrétaire d'État à l'Intérieur. Je ne doute pas que des raisons impérieuses n'aient dicté cette procédure ; mais n'y a-t-il pas lieu de penser que, pour des départements privés de communications rapides avec le ministère de l'Intérieur, il serait opportun de donner au préfet le pouvoir d'écarter momentanément de l'administration soit par suspension ou par mise en congé provisoire les maires ou les adjoints prévenus de fautes graves et jusqu’à ce que la proposition de révocation faite au ministre de l'Intérieur soit suivie d'effet.

Je prends le cas par exemple, d'un maire d'une commune du département, qui a manqué à ses devoirs et que j’ai proposé pour la révocation (incurie dans la gestion du fonds de chômage, affaire dont le Procureur de la République a été saisi). Ce maire pourrait continuer à exercer ses fonctions jusqu’à la décision du ministre. En d'autres temps, je l'aurais suspendu pour un mois en vertu de la loi de 1884 (article 86 actuellement abrogé).

Administration départementale

Le projet de budget pour 1941 vient de vous être expédié. J’ai pu, par des compressions et par un réaménagement aussi méthodique que possible, ne pas augmenter le nombre de centimes pour insuffisance de revenus. Dans ce budget, suivant les instructions, les crédits des traitements et des salaires des employés de la préfecture et des sous-préfectures ont été supprimés, de même que les indemnités allouées aux fonctionnaires de l'administration préfectorale, dont M. le ministre de l'Intérieur a d'ailleurs, dans des conditions hautement appréciées fixé la situation nouvelle tant au point de vue des frais matériels, de déplacement, qu’à celui des indemnités de représentation.

Puis-je me permettre de souhaiter que dans la détermination des traitements des employés des préfectures et sous-préfectures, il soit possible de tenir compte non seulement de la classe territoriale de la préfecture ou des sous-préfectures auxquelles ces dernières appartiennent, mais encore des avantages personnels qui leur étaient alloués par les assemblées départementales? Il conviendrait en outre que le taux de ces traitements fût connu le plus tôt possible. De même le maintien ou non des droits acquis pour la retraite.

Enseignement

Les nécessités dans lesquelles se trouvent les troupes allemandes ont entrainé certaines transformations dans quelques écoles.

Les enfants ont pu tout de même recevoir l'instruction dans des établissements de fortune. Le personnel enseignant est à peu près au complet, quelques maîtres étant rentrés et ayant repris leur poste.

M. l'Inspecteur d'académie du département a été nommé Inspecteur général pour les régions occupées. Il conserve provisoirement sa résidence à Arras, mais il n'a pu encore obtenir de laissez-passer qui lui permettra de remplir sa mission.

Son successeur, proviseur du lycée de Bar-le-Duc, n'a pu prendre possession de ses fonctions n'ayant pas non plus reçu l'autorisation d'entrer dans la zone interdite, et sa nomination remonte déjà à plusieurs semaines.

Questions économiques

Ravitaillement

Les mesures de rationnement. Un seul changement est intervenu depuis le mois dernier dans les mesures de rationnement : la ration de pain des enfants de moins de 6 ans a été fixée à 200 grammes au lieu de 300 grammes.

Le ravitaillement proprement dit. La situation du ravitaillement du département du Pas-de-Calais est toujours très sérieuse en raison des interdictions prononcées pour les importations du bétail, de produits fermiers, des orges, du café, du cacao, etc.

Les initiatives que nous avons prises, dans le Nord et dans le Pas-de-Calais qui ont obtenu des résultats sensibles, dès le début, se heurtent à ces interdictions.

Au cours du mois dernier, des conférences nombreuses se sont tenues à l'Oberfeldkommandatur 670 à Lille.

Les conférences plénières des 20 et 21 janvier présidées par le président de régence Muller entouré de ses chefs de services allemands ont réuni les préfets du Nord et du Pas-de-Calais, les directeurs des services agricoles et vétérinaires et les directeurs du service du ravitaillement général. À la suite de ces conférences plénières, des contacts ont été établis entre les différents services français et allemands pour examiner toutes les questions se rattachant au ravitaillement direct des populations du Nord et du Pas-de-Calais.

Qu’il s’agisse du blé, de la farine et du pain, de la viande, des matières grasses (huile, margarine, beurre), du lait, des pommes de terre et des légumes secs, toutes ces questions ont été examinées par les services qualifiés des autorités d'occupation et ont fait l'objet de la part de M. le chef de l'administration militaire à Lille d'instructions impératives en vue de l'application dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais d'un plan commun de ravitaillement.

Les discussions qui se sont déroulées et les décisions prises ont fait ressortir :

L'inquiétude des autorités allemandes au sujet des conséquences possibles au point de vue social des difficultés du ravitaillement.

Leur volonté de satisfaire par priorité les centres urbains, miniers et industriels.

La nécessité de mesures de contraintes en vue de saisir la marchandise partout où elle se trouve et de procéder ensuite à sa répartition.

La conclusion générale qu’on doit en tirer est que le département du Pas-de-Calais doit, pour le moment du moins, et par tous les moyens satisfaire sa consommation par ses propres ressources. Ainsi que je l'ai signalé à différentes reprises aux autorités allemandes au cours des conversations qui se sont engagées, il n'est pas douteux que le Pas-de-Calais ne puisse suffire à ses besoins ; il est indispensable qu’une aide lui soit fournie par les importations si l'on veut éviter que les difficultés, déjà bien sérieuses, notamment dans la région minière et industrielle, ne s’aggravent encore.

M. le ministre du ravitaillement, très au courant de la situation vient de décider comme première mesure, d'autoriser suivant avis reçu le 2 février, l'expédition du bétail d'embouche ou d'élevage à destination de mon département.

Il est certainement dans les intentions de M. Achard de compléter ces mesures par d'autres autorisations qui répondront aux vœux formulés et dont les effets amélioreront le ravitaillement. Je ne saurais trop insister pour que les départements du Nord et du Pas-de-Calais fussent intégrés dans l'économie française.

Communications

Service postal

Depuis mon précédent rapport, l'acheminement des correspondances n'a subi que des modifications de détail provoquées par le changement d'horaires des trains employés par le service postal. L'utilisation des trains allemands circulant dans la zone côtière n'a pas encore été autorisée. Le directeur des PTT a formulé une nouvelle demande, transmise par l'intermédiaire de la direction régionale à Lille, en raison des avantages qui découleraient de cette utilisation pour la desserte de la région considérée tant au point de vue délais d'acheminement que de celui de la suppression de relais cyclistes et automobiles.

Service de la distribution. Le service de la deuxième distribution qui n'avait été maintenu qu’à Arras, a été rétabli à Lens et à Béthune. D'autre part, des services de distribution par poussettes ont été rétablis à Arras, Berck-Plage et Saint-Omer.

Service des guichets. Le produit de la vente des timbres-poste qui ne cesse d'augmenter témoigne de la progression constante du trafic. Produit de la vente des timbres postes :

Produit de la vente des timbres postes

Service télégraphique

Aucune liaison électrique ne fonctionne dans le département du Pas-de-Calais. Toutefois, les télégrammes familiaux (naissances, maladies, décès) et les télégrammes officiels sont admis. Ces correspondances sont acheminées par la voie postale sur le central télégraphique de Paris et inversement. Toutefois, il y a lieu de signaler que l'acceptation des télégrammes familiaux de la zone occupée : 1. Pour la zone libre, 2. à destination des colonies françaises, y compris d'Algérie, les protectorats et les pays sous mandats, est suspendue jusqu’à nouvel ordre depuis le 6 janvier 1941. Le tableau statistique ci-après fait ressortir la situation du trafic

Trafic des télégrammes et radiotélégrammes

Service téléphonique

Les établissements bancaires sont autorisés à échanger des communications téléphoniques sur les circuits intergroupements du Nord et du Pas-de-Calais actuellement en service.

Service téléphonique

Service technique. Le renfort du personnel visé dans mon rapport du 30 décembre est arrivé à Arras le 5 janvier courant ; les 49 unités composant le convoi venant de la Gironde ont été réparties entre les centres d'Arras, de Béthune et de Lens. Il a pu être constitué 6 équipes supplémentaires qui ont été affectées au rétablissement des liaisons téléphoniques détruites.

Les travaux ne peuvent malheureusement être conduits avec toute la célérité désirable en raison de l'insuffisance des moyens de transport, du manque d'outillage et de matériel. La direction départementale s’efforce d'obtenir de son administration les moyens d'action qui lui sont indispensables pour mener à bien le gros effort à accomplir dans cette partie du service.

Travaux des services techniques

Service du personnel. De nombreux agents n'ont pas encore rejoint leur poste en raison de l'interdiction de franchir la ligne Somme-Aisne. À défaut d'une rentrée générale de tout le personnel, il serait nécessaire que les agents dont le directeur des PTT a fourni à diverses reprises la liste, fussent remis au plus tôt à sa disposition.

Locaux de service. Les bureaux de Maresquel et Wailly-Beaucamp sont complètement occupés par les troupes allemandes.

Chemins de fer

Depuis le 30 décembre 1940, date de mon dernier rapport, aucun fait saillant ne s’est produit qui mérite d'être relevé.

Ponts et chaussées

Situation. Actuellement l'effectif du personnel compte : l'ingénieur en chef titulaire. 3 ingénieurs d'arrondissement sur 5 en temps de paix 33 ingénieurs des TPE sur 44 37 adjoints techniques et agents de bureau sur 46 609 cantonniers et cantonniers-chefs sur 870

Occupations. Aucun fait nouveau.

Communications. Aucun fait nouveau.

Destructions

Deux ponts provisoires avec passe marinière ont été mis en service à Lens et à Cuinchy. Deux autres ponts provisoires sont en cours de construction, l'un avec passe marinière à Essars, l'autre à Colline-Beaumont. Un pont entièrement détruit a été reconstruit et mis en service à Marquion. Trois ponts détériorés sont en cours de reconstruction à Corbehem, Lens et Montreuil.

Une passerelle pour piétons, avec passe marinière a été mis en service à Isbergues, un autre est en cours à Saint-Omer.

Destructions. De nouveaux immeubles ont été détruits ou endommagés, courant janvier, dans la zone côtière. Je ne crois pas toutefois devoir modifier la statistique donnée dans mon rapport général du 30 décembre dernier, cette statistique ayant été établie en chiffres ronds.

Les travaux de déblaiement se poursuivent.

Quant aux baraquements destinés à abriter les populations sinistrées, l'inventaire des besoins est terminé. Des architectes ont été désignés. Les études concernant plusieurs cités-jardins sont déjà fort avancées. Des marchés ont été soumis à l'approbation du service des constructions provisoires, au ministère de la Production industrielle. Aussitôt cette approbation donnée, les travaux pourront commencer.

En ce qui concerne les logements provisoires destinés à accueillir les réfugiés éventuels de la zone côtière, plusieurs emplacements ont été retenus ; la recherche d'autres terrains se poursuit. La direction des réfugiés vient de m’aviser de la prise en charge par l'État de la location des terrains.

Industrie

a) Comme précédemment, nous examinerons en premier lieu la situation des industries situées dans les arrondissements d'Arras, Béthune et Montreuil (la situation des mines fait l'objet d'un chapitre spécial).

1)Industries détruites ou gravement endommagées. Aucune modification.

2)Industries dont l'équipement est intact et pour lesquelles la main d'œuvre fait défaut. Je confirme ce qui est indiqué dans mon précédent rapport concernant la pénurie de main d'œuvre spécialiste, notamment dans le bâtiment et le travail des métaux.

Actuellement, toutes les industries importantes se sont remises en route en totalité ou en partie, notamment les industries métallurgiques qui ont été les dernières à reprendre leur activité.

Il est à noter que la plupart de ces industries éprouvent de réelles difficultés de transport. C’est ainsi que des fabriques de ciment n'arrivent pas à écouler les produits fabriqués qui font cependant défaut sur le marché, faute de wagons couverts ; que les usines métallurgiques d'Isbergues ont été obligées de ralentir sérieusement leur marche en raison de la difficulté rencontrée dans l'approvisionnement en matière première.

Certains produits, notamment les huiles de graissage, commencent à faire défaut et leur absence pourrait d'ici peu gêner notablement l'activité des industries. Le tableau ci-après résume l'enquête sur l'activité économique des établissements occupant plus de 50 personnes avant mai 1940. Les établissements sont groupés par grandes catégories professionnelles, alimentation, produits chimiques, etc. il est facile de se rendre compte du nombre de ces établissements n'ayant pas encore repris leur marche, de la progression constatée depuis juillet dans la reprise de ces usines ou établissements commerciaux et, enfin, du personnel actuellement occupé par rapport à l'effectif de mai 1940.

On constatera par exemple que, dans l'alimentation est redevenue normale, l'effectif actuellement occupé étant légèrement supérieur à celui de début 1940. Par contre dans le textile où l'activité industrielle est limitée à 30% de la production de 1938, l'effectif est tombé de 3.498 à 1.173 personnes ; dans les métaux, malgré la reprise signalée, l'effectif total marque une diminution de plus de 2.000 ouvriers.

Enquête sur l'activité économique des établissements occupant plus de 50 personnes avant les hostilités

On voit par le tableau précédent que le total de la main d'œuvre employée dans 170 établissements, qui était, en juillet 1940 de 5.571 personnes pour 92 établissements ayant repris leur activité, est monté progressivement à 14.740 personnes (pour les 139 établissements ayant repris leur activité) en octobre 1940 et à 19.988 n janvier 1941 pour 144 établissements.

Indépendamment de ces établissements importants, l'activité des petites industries ou des petits commerces qui était peu importante en juillet dernier, a manifesté une reprise extrêmement sérieuse, ainsi qu’il est indiqué ci-après. Pour les établissements du plus de 6 personnes, l'enquête permanente effectuée au début d'août indique :

Pour un nombre total de 306 établissements un effectif de 14.163 personnes.

En octobre, on trouve un total de 492 établissements avec un effectif de 20.322 personnes.

Et enfin, au début de janvier, 586 établissements avec un effectif de 28.461 personnes.

b) Région côtière (arrondissement de Boulogne et partie de l'arrondissement de Saint-Omer)

1) Établissements détruits qui ne pourront reprendre leur activité sans travaux importants. Aucun changement survenu depuis le rapport de décembre.

2) Établissements dont l'équipement est intact et pour lesquels la main d'œuvre fait défaut. Néant.

3) Établissements qui n'ont pas repris leur activité bien que disposant sur place de l'équipement et de la main d'œuvre. Aucun changement, sauf la société Scora à Caffiers, fabrique de produits magnésiens, qui a repris en partie son activité.

La campagne sucrière étant terminée, les deux sucreries Say (Pont d'Ardres et la Bistade) ont licencié le personnel saisonnier. Les établissements Baignol et Farjon, usine de Samer, ont licencié leur personnel.

4) Établissement ayant repris leur activité. Aucun changement sauf la société Scora de Caffiers, ainsi qu’il est indiqué plus haut, et les établissements Huret et Marcq, fabrique de toiles caoutchoutes à Pont de Briques.

Le tableau ci-après résume la situation des diverses industries de la région côtière

Situation des industries de la région côtière

Mines. Les expéditions de tous combustibles au départ des mines du Nord et du Pas-de-Calais sont reprises au tableau ci-dessous :

Expéditions des combustibles au départ des mines du Nord et du Pas-de-Calais

Sur ces tonnages, il a été expédié par fer et par eau aux industries et aux foyers domestiques du Nord et du Pas-de-Calais les quantités ci-après :

Expéditions aux industries et aux foyers domestiques du Nord et du Pas-de-Calais

Les expéditions par route à destination de la population civile et les livraisons aux carreaux des mines se sont élevées pour les mêmes périodes aux chiffres ci-après :

Avril 1940 : 39.098 tonnes

Octobre 1940 : 155.837 tonnes

Novembre 1940 : 138.222 tonnes

Décembre 1940 : 194.501 tonnes

Remarquons toutefois que ces statistiques d'octobre à décembre comprennent dans ces chiffres les livraisons aux ayants droit des mines, c’est-à-dire à leur personnel. On peut les évaluer approximativement à 80.000 tonnes par mois en sorte qu’il n'est resté pour la population non minière que les tonnages suivants :

Avril 1940 : 39.095 tonnes

Octobre 1940 : 75.837 tonnes

Novembre 1940 : 55.222 tonnes

Décembre 1940 : 114.501 tonnes

On constate donc que pour les foyers domestiques, les mines ont mis à la disposition de la population 210.814 tonnes en avril 1940 et 182.000 tonnes environ en décembre 1940.

Sur les 194.501 tonnes enlevées aux carreaux en décembre, 69.048 l'ont été par camions et 125.453 tonnes par voitures hippomobiles et à bras. Les mines du Nord et du Pas-de-Calais travaillent actuellement 6 jours par semaine. La durée du travail a été pour le mois de décembre de 7h45 au fond et de 8h au jour. À dater du 1er janvier 1941, la durée du travail journalier du personnel d'abattage des houillères a été portée de 7h45 à 8h15, en vertu d'une décision du comité d'organisation de l'industrie des combustibles minéraux solides ayant reçu l'accord des autorités allemandes.

Les houillères ont chômé les jours de Noël et Nouvel An.

La production nette journalière qui atteignait 112.420 tonnes en décembre 1939 et 120.310 tonnes en avril 1940 n'était plus que de 40.540 tonnes au début de juillet 1940.elle s’est relevée progressivement à 92.000 tonnes en décembre et 95.500 tonnes au début de janvier 1941 dont 64.300 dans le Pas-de-Calais et 31.200 dans le Nord.

Le rendement par ouvrier du fond qui atteignait 1294 kilos en avril 1940 (durée du travail 8h45) était revenu à 1020 kilos en novembre 1940. Pour décembre il faut compter sur 1030 kilos environ et on peut espérer une amélioration pou janvier 1941 en raison de la demi-heure supplémentaire faite par es ouvriers à l'abattage.

L'extraction nette qui s’était élevée à 3.128.146 tonnes en avril 1940 était pour le mois de novembre de 2.235.489 tonnes pour décembre 1940 les chiffres provisoires dont dispose le service des mines mentionnent une production de 2.282.000 tonnes nettes.

Le stock de combustible s’épuise rapidement. Si on compare la situation au 31 décembre 1940 et au 15 janvier 1941, on obtient les chiffres suivants :

Stock de combustibles

Le personnel atteint au 15 janvier 1941 les chiffres suivants : fonds : 100.257 ; Dépendances légales : 41.135

Agriculture

I. Production végétale

Battage des céréales. En janvier, le gel qui a sévi jusqu’au 19, puis le dégel ont arrêté tous les travaux de semis et de préparation des sols. Le temps froid a, par contre, favorisé les charrois, et notamment les battages. Ces derniers ont exigé un gros effort par suite du retard provoqué en décembre par l'insuffisance des carburants et de l'obligation de battre tout le blé et la plus grande partie de l'avoine pour la fin de février. Le tableau ci-dessous précise les quantités de carburants qui ont été demandées pour les battages du mois de janvier, ainsi que celles qui ont été accordées :

Quantités de carburants demandées/accordées pour les battages du mois de janvier

Le contingent d'essence alloué, très important a été suffisant. Par contre, ceux de gas-oil et de fuel-oil n'ont permis de faire qu’à peine la moitié du travail.

Avoine. Les résultats des battages confirment que dans l'ensemble, la récolte d'avoine est inférieure à la moyenne. De plus, les surfaces récoltées n'auraient été que de 75.299 hectares, au lieu de 105.000 hectares qui avaient été évalués. Considérant ces faits, ainsi que les réclamations justifiées des agriculteurs qui vont se trouver sans avoine pour leurs chevaux, et un certain nombre sans semences pour les emblavures prochaines, mon administration a demandé aux autorités allemandes de réduire l'imposition fixée à 625.000 quintaux dont 500.000 pour l'armée allemande et le reste pour les chevaux des non-agriculteurs et la fabrication des aliments composés du bétail. Les autorités allemandes maintiennent leur point de vue. Dans ces conditions, la situation de nombreux cultivateurs va certainement devenir très difficile. Les chevaux de l'agriculture insuffisamment nourris, ne pourront pas fournir le travail qui leur sera imposé, d'autre part, la production des autres animaux, bovins, ovins, porcs, volailles, pour lesquels l'avoine aurait constitué un succédané des aliments concentrés se trouvera fortement diminuée. Les quantités d'avoine achetées par les Commissions de réception et livrées sont les suivantes à la date du 20 janvier :

Quantité d'avoine achetée : 148.825 quintaux

Quantités fournies à l'armée allemande : 124.627,85 quintaux

Quantités fournies aux non-agriculteurs : 13.069,50 quintaux

Paille. En ce qui concerne la paille, sur les 110.000 tonnes demandées, 45.000 devaient être fournies pour la deuxième quinzaine de janvier et le reste courant février. Les Commissions de réception et les négociants en paille ont commencé ces réquisitions. Des centres de pressage ont dû être organisés. Il sera extrêmement difficile sinon impossible de livrer la totalité des quantités fixées, la récolte des pailles ayant été très faible. Betteraves sucrières. Les régions de Montreuil et d'Audruicq, retardées dans leurs arrachages par les difficultés considérables de livraison en gare avaient encore au 20 décembre, date du début des gelées, 4 à 5.000 tonnes de betteraves à arracher. Les pertes de betteraves ont été, l'an dernier, pour l'ensemble du département de 16 à 20.000 tonnes. Les difficultés de livraison et l'insuffisance de la main d'œuvre font craindre que les prochaines emblavures de betteraves sucrières soient diminuées dans certaines régions et notamment dans celles qui sont pourvues de champs d'aviation où les autorités allemandes réquisitionnent une proportion importante des hommes et des attelages.

Céréales en terre. Les froids de décembre et de janvier ont certainement nui au blé, à l'avoine, à l'orge, mais il est encore impossible de préciser l'importance des dégâts. Ceux-ci semblent toutefois devoir être beaucoup moins importants que l'an dernier.

II. Production animale

Statistiques des animaux de ferme. Après la statistique du 3 septembre 1940 des animaux de ferme, les autorités allemandes ont ordonné de faire à la date du 3 décembre 1940 une deuxième statistique des mêmes animaux appartenant aux agriculteurs comme aux non-agriculteurs. La comparaison de ces statistiques avec celles de 1938 donne lieu aux observations suivantes :

Espèce chevaline. Au 3 décembre 1940, il y avait 4.025 chevaux en dessous de 3 ans de plus qu’en 1938, mais il manquait par contre 9.231 chevaux de plus de 3 ans. Dans ces derniers, sont comptés 1.366 chevaux de non-agriculteurs, de sorte que les effectifs des chevaux de l'agriculture de plus de 3 ans sont, par rapport à 1938 en diminution de 10.597.

Espèce bovine. Entre le 3 septembre et 3 décembre 1940, deux catégories ont diminué : les vaches de 2.646 unités (139.788 au lieu de 142.434) et le bétail d'engraissement de 1.360 unités (2.883 contre 4.243). Par rapport à 19638, le nombre de vaches serait en diminution de 13.078.

Espèce ovine. C’est l'espèce la plus éprouvée. L'effectif total a diminué de 55%, celui des brebis de plus d'un an de 34%.

Espèce porcine. L'effectif des reproducteurs reste sensiblement le même qu’en 1938. Il y a une diminution des animaux à l'engraissement à cause des difficultés qu’éprouvent les éleveurs à se procurer les aliments nécessaires.

Alimentation du bétail. La situation de l'alimentation du bétail est actuellement très précaire, par suite du manque d'aliments résultant : De la suppression des introductions massives des produits de l'extérieur : maïs, riz, orge et graines oléagineuses qui laissaient une quantité importante de tourteaux. On importait dans le Pas-de-Calais, en année normale, 35.000 tonnes de tourteaux et 67.500 tonnes de céréales.

De la diminution de la production des issues du blé, par suite de l'augmentation du taux d'extraction porté à 82%

De la diminution des rendements dues aux conditions météorologiques défavorables et aux événements de guerre.

Des prélèvements effectués pour les besoins des troupes d'occupation.

De l'utilisation de l'orge comme succédané du café.

L'alimentation du bétail préoccupe le Comité de répartition des aliments du bétail. Toutes les denrées fourragères faisant l'objet d'un commerce sont bloquées. Leur vente est conditionnée par l'obtention d'une autorisation de déblocage. La fabrication des aliments composés est développée au maximum, les fabricants devant recevoir une autorisation du Comité. Pour les vaches laitières, la formule suivante de tourteau composé a été adoptée : Mélange de tourteaux 30%, son 53%, mélasse 15%, sel 2%.

La répartition de ces tourteaux est assurée pour moitié par les groupements agricoles et pour l'autre moitié par les négociants. Étant donné que les stocks des aliments recensés dans le département sont insuffisants, un complément de 20.000 tonnes d'avoine et de 32.000 tonnes d'autres aliments du bétail a été demandé aux autres départements par l'intermédiaire du Bureau national des aliments du bétail.

Production et répartition des produits laitiers. Le trouble apporté dans les élevages par les évènements de mai, l'insuffisance de la ration et l'influence de la saison d'hiver provoquent actuellement une sensible diminution de la production laitière. Une organisation de la répartition des produits laitiers sera prochainement mise en application.

III. Difficultés inhérentes à l'occupation

Réquisition des hommes et des attelages. En janvier, les réquisitions des hommes et des chevaux n'ont pas trop gêné les cultivateurs, étant donné que le gel a arrêté les travaux de semis et de préparation du sol.

Réquisition de l'avoine et de la paille. Cette question a déjà été évoquée ci-dessus. La réquisition de 625.000 quintaux d'avoine représente le 1/3 de la récolte. Cette quantité est excessive surtout qu’elle porte sur une récolte déficitaire et que les stocks de la précédente récolte étaient épuisés au 1er septembre. De nombreuses communes se trouvent déjà actuellement avec des quantités d'avoine excessivement réduites.

L'imposition de 110.000 tonnes de pailles est également trop forte pour le Pas-de-Calais, où l'élevage en absorbe des quantités importantes.

Prélèvement de produits agricoles sans bon. Les plaintes pour prélèvement de produits ou denrées agricoles deviennent de plus en plus rares. Les troupes se plient de plus en plus aux ordres de la Feldkommandantur.

Réquisition de locaux. L'usine de fabrication des aliments mélassés annexée à la sucrerie Say à Pont d'Ardres est actuellement occupée par les troupes allemandes. Une demande a été faite à la Felkommandatur pour qu’elle soit libérée. La pénurie de tous les aliments du bétail va provoquer une forte demande d'aliments mélassés dont il importe de faciliter la préparation.

Nouvelle réquisition de chevaux. En ce qui concerne la nouvelle réquisition de chevaux qui a été décidée ces jours derniers et qui se poursuit dans l'ensemble du département du Pas-de-Calais, je crois utile de reproduire ci-après le rapport que j’ai adressé à M. le ministre de l'Agriculture le 7 février courant : « Vous avez appris, directement par M. le directeur des services agricoles, que les autorités allemandes avaient commencé, cette semaine, dans le département du Pas-de-Calais, la réquisition de plusieurs milliers de chevaux. J’ai personnellement signalé aux officiers allemands qui sont venus me transmettre les ordres, à cet effet, les très graves répercussions que ces réquisitions auront sur la production agricole du Pas-de-Calais notamment et par conséquent sur le ravitaillement.

Les autorités allemandes m’ont fait observer qu’il s’agissait d'un ordre supérieur, qu’il fallait donc l'exécuter. Elles m’ont cependant donné l'assurance, qu’au moment opportun, les formations stationnées dans le département mettraient certainement à la disposition des agriculteurs des chevaux de l'armée !

Je n'en ai pas moins adressé une protestation à M. le chef de l'administration militaire de l'Oberfeldkommandantur 670 à Lille, en lui donnant toutes indications utiles pour les répercussions de cette mesure et j’ai signalé que, même si les prélèvements opérés étaient limités, ils entraveraient gravement les travaux des champs et, également, le transport hippomobile auxquels les industriels et les cultivateurs ont dû avoir recours pour remplacer les automobiles.

Je crois savoir que les réquisitions devaient se traduire par un prélèvement variant entre 10 et 15% des effectifs figurant sur une statistique faite le 3 décembre 1940. D'après les premiers renseignements obtenus, le chiffre de 10% n'aurait pas été dépassé dans l'arrondissement d'Arras. Les opérations se poursuivent dans le reste du département.

Le règlement des réquisitions a été fait immédiatement. Certains agriculteurs ont reçu un prix élevé, d'autres qui se sont vu prendre des chevaux achetés récemment, n'ont pas reçu une indemnité compensatrice totale. J’ai invité les maires à conseiller à ces agriculteurs de produire des requêtes tendant à obtenir un règlement intégral, en les appuyant de toutes pièces justificatives.

Si je reçois une réponse de l'Oberfeldkommandantur, je ne manquerai pas de vous la faire parvenir. C’est dans tout le département qu’il est procédé à ces réquisitions, ce serait donc un chiffre de 4 à 5.000 chevaux qui serait retiré de notre économie départementale. »

IV. Crédit Agricole

En application de la loi du 28 juillet 1940 relative à des avances du Trésor en vue de la reprise de l'activité agricole dans les exploitations de la zone occupée qui ont subi des pertes de nature à compromettre leur faculté de production, les avances suivantes ont été accordées :

Avances du Trésor en vue de la reprise de l'activité agricole dans les exploitations de la zone occupée

V. Main d'œuvre L'agriculture du Pas-de-Calais continue à souffrir du manque de main d'œuvre. À la demande du ministère du Travail, le directeur des services agricoles a procédé récemment à une enquête sur les besoins de la main d'œuvre agricole laquelle a donné les résultats suivants :

Besoins de la main d'œuvre agricole

Ces demandes ne correspondent pas à la réalité. La petite exploitation, qui prédomine nettement dans le département, n'accepte pas volontiers de remplacer par un salarié le chef de l'exploitation ou le fils, prisonnier de guerre. Deux mesures devraient être obtenues :

Exempter de réquisition les cultivateurs, les ouvriers agricoles et les attelages

Accorder des congés de captivité aux agriculteurs prisonniers de guerre.

VI. Jardins ouvriers

Terrains urbains inutilisés. Une enquête faite dans les villes du Pas-de-Calais occupant un minimum de 500 ouvriers pour connaitre l'importance des terrains inutilisés susceptible d'être transformés en jardins a donné les résultats suivants :

(en hectares) Biache-Saint-Vaast : 2 ; Douvrin : 10 ; Isbergues : 3 ; Lens : 1 ; Boulogne-sur-Mer : 4 ; Arques : 16 ; Blendecques : 2.

Total : 38 hectares

Toutes dispositions utiles vont être prises pour utiliser ces terrains.

Conformément à la loi du 25 novembre qui accorde dans les villes de plus de 2.000 habitants 150 francs pour tout terrain d'au moins 200 mètres carrés transformé pour la première fois en jardin entre le 5 décembre 1940 et le 31 mars, sous l'impulsion des sociétés de jardins ouvriers, mes services ont provoqué l'élaboration par chaque société d'un plan d'extension de jardins.

Questions financières

Situation monétaire

La circulation monétaire continue à être satisfaisante sans toutes les parties du département. Les comptables publics et les établissements bancaires disposent des moyens nécessaires pour faire face à tous les besoins.

Il a pu être paré à une gêne momentanée résultant du retrait des pièces de 0fr50 et de 0fr25 grâce à un approvisionnement complémentaire de pièces de 0fr10 que les services du ministère des Finances ont mis sur la demande du Trésorier général à sa disposition.

La succursale de la Banque de France d'Arras signale une notable augmentation des mouvements de caisse journaliers et un volume croissant de rentrée des billets. La moyenne journalière qui était de :

En novembre : 22.000 billets français et 30.000 billets allemands.

En décembre : 45.000 billets français et 23.000 billets allemands

S’établit pour la période du 1er au 18 janvier : 54.000 billets français et 22.000 billets allemands.

Situation bancaire et économique

Une reprise assez sensible semble s’être manifestée, malgré la saison, dans la plupart des industries, notamment les industries chimiques et métallurgiques ainsi que dans le bâtiment. Seuls l'approvisionnement en matières premières et les difficultés de transport en gênent l'accentuation.

La réalisation des stocks et les grandes difficultés qui s’opposent à leur renouvellement ont provoqué, depuis plusieurs mois déjà, une abondance anormale de capitaux. Les comptes courants sont largement créditeurs, les banques disposent en conséquence d'une large trésorerie. Leur activité est réduite par défaut d'appel au crédit et de matières escomptables ; la plupart des transactions se règlent en effet, au comptant ou à très court terme, les présentations à l'escompte restent insignifiantes.

Situation des services du Trésor

Aucun changement important à signaler depuis mon dernier rapport. Il convient cependant de noter le retour du fondé de pouvoir à la recette des finances de Béthune, emmené en captivité le 18 octobre dernier.

Recouvrements. Le recouvrement des impôts continue, compte tenu des circonstances actuelles, à s’effectuer d'une façon à peu près normale sauf dans la région côtière et dans les villes où les difficultés sont plus nombreuses. Les rôles émis au titre de l'exercice 1940 se sont élevés au total à 367.208.671 francs contre 470.410.292 francs l'année précédente. Les recouvrements atteignaient au 31 décembre dernier : 97.773.410 francs au lieu de 310.029.043 francs en 1939.

Il convient de remarquer que le retard constaté par rapport à l'année précédente provient surtout de l'émission tardive des rôles qui s’est échelonnée du mois d'août à la fin de l'année alors qu’ordinairement elle s’effectuait en mai et juin.

Le tableau ci-après donne la comparaison des restes à recouvrer sur les exercices antérieurs au cours de chacun des mois de mai à décembre en 1939 et en 1940.

Restes à recouvrer sur les exercices antérieurs

Les restes les plus importants concernent les perceptions de : Arras (3.349.211) ; Boulogne-sur-Mer (8.305.892) ; Calais Sud-Est (3.507.799) ; Calais Nord-Ouest (5.004.675) ; Condette (2.838.371) ; Le Touquet (2.297.815) ; Berck sur-Mer (1.950.866) ; Béthune (1.595.355) ; Saint-Omer (1.405.740).

Dans la plupart des perceptions rurales, l'apurement des rôles des années antérieures peut être considéré comme presque terminé. Il ne reste en instance que des impositions ayant fait l'objet de réclamations, des cotes irrécouvrables et quelques restes dus par des contribuables mobilisés ou demeurés hors du département. Le tableau ci-après donne la comparaison des recouvrements effectués pour le compte du Trésor au cours des mois de mai à décembre 1939 et 1940.

Situation comparative des recouvrements
Situation comparative des recouvrements (suite)

Émissions du Trésor. Malgré les événements, les bons du Trésor et de la Défense nationale continuent à bénéficier de la faveur du public qui trouve dans le revenu qu’ils procurent le placement des capitaux qui ne peuvent s’employer dans le commerce. Une diminution assez sensible a cependant été constatée au cours des deux derniers mois par rapport aux résultats des mois de novembre et de décembre 1939 époque où les émissions ont été les plus actives.

Le tableau ci-dessous donne la comparaison des résultats obtenus au cours de chacun des mois de mai à décembre en 1939 et en 1940.

Mois 1939 1940
mai 26.418.000 51.621.000
juin 50.822.500 1.005.000
juillet 37.050.000 8.743.000
août 26.043.500 23.955.000
septembre 18.697.000 32.455.500
octobre 31.482.500 38.454.500
novembre 55.219.500 37.935.000
décembre 65.965.500 45.428.000
311.698.500 239.597.500